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Déclaré à la SCD

L'AVION D'ADER

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
Clément Ader enfant, la mère se Clément Ader,
Clément Ader adolescent, Clément Ader âgé de 56 ans,
la Nature, personnage allégorique,
un général de l'armée française


L'HISTORIEN DE SERVICE - Vers la fin du dix-neuvième siècle, Clément Ader se passionna pour l'idée de construire une machine qui lui permettrait de voler. Mais, comme il était le premier à s'attaquer sérieusement à l'ouvrage, il dut en tâtonnant découvrir tout seul les principes essentiels des machines volantes. Après quarante ans de travail, il réussit enfin à faire voler son "avion" –mot qu'il avait inventé - sur quelques centaines de mètres. Vol historique! Mais pour le moment, Clément n'est qu'un jeune garçon qui se fait gronder par sa mère...

- 1 -
LA MERE - D'où viens-tu? Et qu'est ce que c'est que ça?
ADER - Quoi, ça, maman?
LA MERE - Ces bouts de torchon que tu as cousus sur tes vêtements?
ADER - Ce ne sont pas des bouts de torchon, ce sont des ailes.
LA MERE - Des ailes…? Tu te prends pour un ange! Et de toutes façons, ange ou pas, qu'est-ce que tu es allé faire tout seul dans la nuit par un vent pareil? Nous étions morts d'inquiétude.
ADER - Mais rien… Je ne pouvais pas dormir.
LA MERE - Clément, tu me caches quelque chose.
ADER - Si tu veux vraiment le savoir, j'ai été sur la colline, face au vent d'Autan et je suis descendu en courant: je voulais voir si, en ouvrant mes ailes, comme ça, je ne pourrais pas m'envoler.
LA MERE - Décidément, tu es obsédé. Et alors, tu l'as fait?
ADER - Oui, je l'ai fait… J'ai couru, j'ai couru… en écartant les bras. Et tout à coup je me suis senti comme saisi par une puissante main qui m'entraînait vers le haut…
LA MERE - Qui t'entraînait vers le haut?
ADER – Oui, qui m'entraînait vers le haut. Mais… j'étais tout seul, j'ai eu peur et je suis rentré.
LA MERE - Mon chéri, mon chéri… J'ai le cœur qui bat. Tu n'as rien au moins?
ADER - Non, je n'ai rien, je vais très bien… Mais j'ai presque volé, j'ai presque volé un petit peu…
LA MERE - Écoute-moi, Clément, peut-être qu'un jour tu voleras, mais ce ne sera pas certainement avec des bouts de chiffon cousus à ta veste. En attendant, va te coucher

- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Mais Ader, devenu adolescent continue à poursuivre son rêve et il converse avec une étrange complice...
LA NATURE - Je suis la Nature. J'ai beaucoup secrets mais je n'en suis pas avare. Et puisque tu m'as appelé à l'aide, je vais essayer de te guider. Donc, Clément Ader, tu veux voler dans le ciel?
ADER - Oui. Lorsque j'étais encore tout petit, j'ai décidé que je volerais.
LA NATURE - Tu sais que beaucoup d'autres ont essayé sans y arriver: Icare, Léonard de Vinci… Cependant je te rassure: voler n'est pas impossible, c'est simplement très difficile! Mais je vais t'aider! Et pour commencer, je te pose une énigme, comme si j'étais le Sphinx. Quand tu l'auras résolue, tu pourras commencer à travailler sérieusement. Voici mon énigme: qu'est-ce qui empêche les oiseaux de voler et qui en même temps leur permet de voler?
ADER - Attends que je réfléchisse… (un temps de silence) Je sais, c'est l'air!
LA NATURE - Tu n'as pas mis longtemps à trouver la réponse! …Pourquoi?
ADER - L'air empêche les oiseaux de voler parce qu'il s'oppose à leur progression… S'ils veulent avancer, il leur faut "fendre l'air", comme on dit… Et il leur permet de voler parce c'est en s'appuyant sur lui qu'ils peuvent se soutenir. S'il n'y avait pas d'air, rien ne les empêcherait de voler, mais ils ne pourraient pas voler.
LA NATURE – Très bonne analyse. C'est une loi très générale: quoi que tu veuilles faire, il y a toujours quelque chose qui en même temps empêche et permet de faire. Et la conséquence, c'est que…?
ADER – C'est que, pour voler, il faut des ailes ou quelque chose qui en tienne lieu, de façon à ce que l'on puisse s'appuyer sur le vent… Mais il faut aussi un, comment dire? quelque chose comme un moteur, pour vaincre la résistance du même vent.
LA NATURE - Pourtant les oiseaux n'ont pas de moteur!
ADER - J'ai beaucoup observé les oiseaux… Les oiseaux en effet n'ont pas de moteur, mais ils sont vivants et ils sont à eux-mêmes leur propre moteur.
LA NATURE - Très bien raisonné! Maintenant, tu n'as plus qu'à te mettre au travail. Et donc, tout d'abord, répondre à ces deux questions: surface des ailes, puissance du moteur. Je te laisse.

- 3 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Nous sommes en 1897. Ader a maintenant quarante-six ans. Après de longs et patients efforts, il a enfin construit, avec l'aide de l'armée, un prototype d'avion qu'il essaye de faire voler sur le terrain militaire de Satory.
LE GENERAL - Ader, vous venez de vous planter.
ADER –Mon Général, mais je ne me suis pas planté, je me suis posé!
LE GENERAL - Posé si vous voulez, mais plutôt brusquement: regardez, vous avez cassé une de vos roues et endommagé l'aile de votre appareil.
ADER - Cela n'a pas d'importance, posé, planté, c'est une question de terminologie. Mais le fait est qu'auparavant j'ai volé. J'ai volé!
LE GENERAL - Volé! Vraiment je n'ai rien vu.
ADER - Cela ne m'étonne pas, vous vous étiez très mal placé. Et la nuit tombait… Je n'ai vraiment pas de chance: le jour où je convoque la commission militaire chargée d'apprécier mes travaux, elle n'est pas au complet et elle est en retard… Si vous ne m'aviez pas imposé un absolu secret, on aurait fait ça au grand jour et il y aurait eu mille témoins.
LE GENERAL - Allons, Adler, ne le prenez pas comme ça… Donc, vous affirmez que vous avez volé.
ADER - Bien sûr que je l'affirme… Vous ne voudriez pas que j'aie roulé jusqu'ici?
LE GENERAL - Pourquoi pas?
ADER – Parce que, en dehors de la piste que j'ai fait construire, votre champ de manœuvre ressemble à un champ de patates. Je n'aurais jamais pu rouler dessus, donc j'ai volé. Et quand je me suis posé, j'y reviens, j'étais à au moins trois mètres de haut.
LE GENERAL - De la piste jusqu'ici, cela fait trois cents bons mètres…
ADER – Vous voyez bien que jamais je n'aurais pu arriver ici sans voler… D'ailleurs, je vais vous trouver une autre preuve… venez avec moi.
LE GENERAL - Où m'emmenez-vous?
ADER - Nous retournons à la piste. (ils y vont) Nous allons examiner les traces des roues… Voyez-vous, jusque ici, on voit très clairement la trace des roues dans l'argile… puis tout à coup, elles disparaissent: c'est bien la preuve que j'ai décollé.
LE GENERAL - Mais pourquoi êtes-vous sorti de la piste?
ADER - Il y a eu tout à coup une rafale de vent.
LE GENERAL - Si votre avion doit être victime de la moindre rafale! Et selon vous, vous auriez volé combien de temps?
ADER - Une bonne quinzaine de secondes.
LE GENERAL - Ce n'est pas beaucoup.
ADER - Si vous aviez été à ma place, à moi, le premier homme à s'élever dans les airs et se demandant comment les choses allaient tourner, vous auriez trouvé que c'était beaucoup. Comptez jusqu'à quinze, mon Général.
LE GENERAL - (il compte soigneusement jusqu'à quinze) Un, deux, trois… (etc.). En effet, ce n'est pas négligeable. Mais de toute façon, cela ne fait guère qu'un saut de puce.
ADER - Je ne connais pas beaucoup de puces qui…
LE GENERAL – Je ne voudrais pas diminuer vos mérites, mais ce qui est certain, c'est que votre démonstration est loin d'être convaincante, que votre appareil est cassé et que le ministère des armées, embringué comme il l'est dans l'affaire Dreyfus, n'a ni temps ni argent à vous donner. Mon cher monsieur Ader, je regrette.

- 4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Après ce premier vol, il a dû renoncer. Le moteur de son avion était trop lourd... Il est découragé, mais la Nature le réconforte...
LA NATURE - Patience, cher ange… Je t'appelle cher ange parce que tu as volé! Patience: une chose après l'autre. Tu as ouvert la voie, mais déjà tu touches à la soixantaine…
ADER – (accablé) J'ai été piégé par mon moteur à vapeur: il est dépassé.
LA NATURE - Tu as aussi été piégé par ton obsession d'imiter la chauve-souris. Trop compliqué! Mais ne t'en fais pas, d'autres après toi trouveront des solutions nouvelles, plus simples, plus efficaces… Je sais très bien comment ça se passe, dans ces cas-là.
ADER - Comment sais-tu cela, toi, ô Nature? Tu n'es pas ingénieur!
LA NATURE - Je n'ai pas le titre, mais j'en ai la fonction. L'Évolution, ça a toujours été ma grande affaire. Tu vois, quand les poissons, à l'ère secondaire, ont dû sortir de la mer pour aller vivre sur la terre, certains se sont inventés des pattes, d'autres des ailes… Je les ai aidés de mon mieux. C'est la même chose maintenant: ton avion va "évoluer", et il engendrera d'autres avions, tout à fait comme des espèces qui sortent les unes des autres. Des multitudes d'autres inventeurs perfectionneront ce que tu as fait: Santos-Dumont, les frères Wright, Blériot, Farman, Breguet, Latécoère… A la fin, ils auront découvert tous mes secrets et les avions voleront très haut, très vite, très sûrement… Mais tous, ils porteront ce nom d'AVION que tu as inventé. Cela ne te rend pas fier?
ADER - Si, peut-être! …Mais j'aurais bien voulu tout de même, une bonne fois…
LA NATURE – Il n'est plus temps, ton heure est passée! Tout ce que tu peux obtenir maintenant, c'est la légion d'honneur… Ce sera toujours ça de pris. Ah si, j'oubliais: les mots croisés! Quand on demandera quel est l'inventeur de l'aviation, il faudra répondre: Clément Ader.

RAPPEL HISTORIQUE

Lorsque Clément Ader (1841-1925), aux environs des années 1880, se mit dans la tête de construire une machine à voler, il lui fallut mettre au point, comme il est dit plus haut: 1) des ailes pour la porter dans l'air et 2) un moteur pour la faire avancer.
En ce qui concerne les ailes, Ader, très impressionné par son étude du vol des oiseaux, choisit de prendre modèle sur la chauve-souris. Il construisit donc un appareil caractérisé par des lignes courbes et une grande voilure souple et réglable, qui ressemblait effectivement à une chauve-souris. Cela lui posa beaucoup de problèmes techniques, d'autant qu'il lui fallait, pour des raisons évidentes, rester très léger. Il utilisa essentiellement le bois et la soie. L'envergure de la machine était de 14 mètres. C'était le minimum qu'il lui fallait pour enlever les 500 kg de l'appareil et de son passager.
En ce qui concerne la traction, il n'existait pas alors d'autre moteur que le moteur à vapeur. Malheureusement le moteur à vapeur (par exemple sur les locomotives à vapeur ou sur les bateaux) était très lourd. Ce fut un des premiers problèmes à résoudre que de faire un moteur d'un volume et d'un poids réduit… Ce qu'Ader obtint en utilisant pour la chaudière un faisceau de tubes dont les parois mesuraient moins d'un millimètre!!! Le combustible choisi fut l'alcool à brûler, propre et léger. Le dernier appareil, l'avion 3, celui auquel il est fait allusion ici, était tiré par deux moteurs de 15 chevaux. A partir de 1900, les successeurs d'Ader employèrent le moteur à explosion.
"L'avion No 3", qui vola le 14 octobre 1897, fut naturellement précédé des Nos 1 et 2, et surtout de l'Éole, un appareil d'essai plus léger qui, semble-t-il, vola lui aussi en 1890.
Ader avait surtout entrevu les usages militaires des ses avions (observation et bombardement). Ce fut la raison pour laquelle l'armée soutint son effort et lui offrit en particulier de s'installer sur le terrain de manœuvre de Satory, près de Paris. La contrepartie de cet aide fut le secret militaire. Et de ce fait, comme le laisse entendre la pièce ci-dessus, nous ne savons que très peu de choses sur la façon dont les choses se sont passées. Pour la même raison, le nom d'Ader resta très longtemps inconnu du grand public. Les frères Wright, eux, firent de 1903 à 1907 de nombreuses démonstrations publiques indiscutables et sont parfois considérés comme les véritables pères de l'aviation.
Ader ne s'intéressa pas qu'à l'aviation. Il fit fortune (c'est cela qui lui permit de financer ses "avions") dans le téléphone, où il fut en concurrence avec Thomas Edison. Chose amusante, il installa en France un réseau "théâtral" qui permettait à ses abonnés d'écouter l'opéra de chez eux! Marcel Proust en était un fervent utilisateur. Il inventa aussi la bicyclette à roues de caoutchouc et construisit des automobiles. C'était un chercheur passionné et polyvalent qui pressentit nombre des inventions du siècle à venir (le moteur en V, le coussin d'air, la chenille).