Déposé à la SACD
STALINE CONTRE TROTSKI
Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Trotski - Staline
1
L'HISTORIEN DE SERVICE - En 1917, la grande révolution communiste, la
Révolution d'Octobre, éclate en Russie dans un climat d'une violence
extrême. . Les trois principaux chefs en sont Lénine, Trotski et
Staline.... Après la mort prématurée de Lénine,
en 1924, Trotski et Staline, tentant chacun de prendre le pouvoir, deviennent
de farouches opposants... (dans la pièce qui suit, Trotski et Staline
sont deux clowns)
TROTSKI - (entrant parlant au public) Révolution, Révolution,
je vous le dis, arrêtez-les, affamez-les, torturez-lez, exécutez-les.
STALINE - (entrant sur l'autre côté) Révolution, Révolution,
je vous le dis, arrêtez-les, affamez-les, torturez-lez, exécutez-les.
TROTSKI - Ce type-là ne me dit rien qui vaille, où est-ce qu'il
a été chercher ça?
STALINE - Ce type-ci ne me dit non plus rien qui vaille! Est-ce qu'il voudrait
m'imiter?
TROTSKI - Mais non, je ne veux pas t'imiter. C'est Lénine qui m'envoie.
STALINE - Moi aussi, c'est lui.
TROTSKI - Mais Lénine soit mort.
STALINE - Pas encore tout à fait
TROTSKI - Non, mais c'est tout comme. Il n'en a plus pour longtemps!.
STALINE - Et c'est moi qui prendrai le pouvoir... Arrêter, affamer, torturer,
fusiller, c'est mon boulot
TROTSKI - Mais non, C'est moi! Arrêter, affamer, torturer, fusiller, je
m'en charge.
STALINE – Avec tes cheveux en bataille et ta petite barbiche...
TROTSKI - Avec tes cheveux drus et ta moustache de bandit... Mais pourquoi se
fâcher? Ecoute...
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TROTSKI - La Russie est un grand pays. Si on s'y met à deux, ça
ira plus vite? Non?
STALINE - Tu as raison, mais il faut se mettre d'accord sur les moyens. Moi,
je prétends que nous ne pouvons l'emporter que par soigneuse organisation
de la terreur...
TROTSK - Ce n'est pas mon avis... C'est impossible de s'entendre avec toi! L'organisation
entraine toujours la bureaucratie. Et avec la bureaucratie tu n'arriveras à
rien! C'est ça qui m'inquiète! Il faut à la terreur une
grande marge d'improvisation et de spontanéité. Et qu'on y prenne
du plaisir, que diable!
STALINE - Du plaisir! Tu es un affreux bourgeois. On ne peut pas tuer comme
ça, au hasard... en tirant sur les uns ou les autres, au coin des rues...
Au contraire, il y faut des règles. Rigoureuses! Et respectées...
TROTSKI - Toi qui jusqu'à présent n'a jamais respecté aucune
règle, où vas-tu chercher ça?
STALINE - Avec la bureaucratie, la Révolution peut devenir "scientifique".
J'oserais même dire "systématique". Personne n'échappe.
Il faut avoir des résultats. Massacrer, oui, mais sans passion, avec
méthode: et des fichiers! Toute condamnation à mort doit être
signée et contresignée.
TROTSKI - Monstrueuse dégénérescence! La révolution
doit au contraire se construire dans une sorte d'improvisation permanente. Dans
l'enthousiasme! Tu tires un peu partout. Il faut que le peuple soit terrifié.
Nous ne vaincrons que par la peur!
STALINE – Tu te trompes complètement! D'une part tu n'as aucune
espèce de sens moral et tu devrais avoir honte! D'autre part, notre pays
est tellement arriéré qu'il lui faut une bureaucratie qui puisse
l'éduquer progressivement et le faire accéder à la démocratie.
TROTSKI - C'est toi qui parle ici de démocratie? La bureaucratie russe
est une couche sociale parasitaire qui étouffe le pays tout en prélevant
sa part des richesses. Et elle nous étouffera nous-mêmes. Lénine
vient de mourir, qui défendait ta bureaucratie... Tu n'as plus d'allié!
3
STALINE - Au contraire. Du haut de ta grandeur, tu nous méprises, mais
tu n'es qu'un gauchiste agité et dangereux... C'est moi qui vais prendre
le pouvoir... Je l'ai déjà et ils sont tous en train de me lécher
les bottes. Je peux tout! Et tu vas voir, pas le temps de te retourner... Pour
commencer, nous sommes en 1924, première décision "systématique"...
je t'exclus du Parti communiste.
TROTSKI - Mon salaud, je m'y attendais... Je ne vais pas te laisser faire. J'ai
une bonne plume, tu sais? Je vais te démolir à coups de bouquins.
Ça porte, les mots! Gare...
STALINE - Je suis le secrétaire général du parti communiste
d'U.R.S.S.. et j'ai tous les pouvoirs. Nous sommes maintenant en 1929, tu n'es
qu'un sale gauchiste, je le répète, et je te condamne à
l'exil. De toute façon, j'ai déjà fait effacer de tous
nos documents et tes discours et tes photographies. C'est comme si tu n'avais
pas existé.
TROTSKI - Tu finiras par dire que ce serait toi qui as tout fait? Tu aurais
fait la Révolution à toi tout seul! C'est d'un comique...
STALINE - Oui, c'est moi qui ai tout fait. Je suis le maître. Et Maintenant,
tu es enfermé dans l'île des Princes en, Turquie et tous les bouquins
que tu pourrais bien écrire... Improvise, improvise...
TROTSKI - L'île des princes! C'est bien trouvé... En fait de princes...
STALINE - C'est là qu'on exilait les frères du Sultan, de peur
qu'ils ne prétendent au trône... Avant de les étrangler!
TROTSKI - J'ai compris. Mais rassure-toi! Maintenant, je suis parti pour la
France... J'irai peut-être aussi en Norvège et j'y fonderai l'Internationale
Communiste. Et le communisme s'étendra bien au-delà des frontières
de la Russie. Et je serai le maître de la Révolution mondiale...
Pas seulement de la Russie, qui n'est pas grand-chose, mais du Monde
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STALINE - Je n'aime pas beaucoup ça... Tu vas nous brouiller avec toutes
les nations. La Révolution, c'est un truc russe. Nous avons pour ainsi
dire un brevet d'invention. Ça ne s'exporte pas.
TROTSKI - Je sais que tu n'aimes pas ça, mais je dis, moi, que la Révolution
est destinée à tous les peuples. Et de plus, une Révolution
toujours renouvelée. L'éternel Retour! Quand c'est fini, on recommence...
Le monde entier en perpétuel chambardement! Votre révolution à
vous, elle est par trop mesquine... J'oserais dire, mais ça ne te plairait
pas: bourgeoise!
STALINE - Décidément nous avons eu bien raison de passer à
la moulinette ton fils, ta fille et ton gendre. Ça t'apprendra à
dire du mal de notre révolution bolchevique... Je te le redis, j'ai tous
les pouvoirs et ma longue main s'étend bien au-delà de nos frontières.
De toute façon je suis très occupé pour le moment par la
grande purge que nous faisons: Tous les gauchistes de ta clique y passeront...
Mais quand j'aurai fini... Où es-tu maintenant? Au Mexique, me dit-on?
TROTSKI – Oui, ça y est, j'ai passé de l'autre côté
du monde. On m'a offert l'hospitalité au Mexique... et ta longue main...
Laisse-moi rire!
STALINE - Le salaud, il s'est installé là-bas dans une espèce
de forteresse, gardée par des soldats avec des mitrailleuses... Et il
rédige des livres dans lesquels il écrit, non pas la vérité
sur l'histoire de notre parti, mais des mensonges. Il dit que je me suis toujours
comporté comme un bandit sans foi ni loi, un brigand qui n'aurait pas
fait grand-chose de bon, un voleur, un assassin. C'est ma réputation
qui est en jeu... Je ne pardonne jamais rien...
TROTSKI – Oui, j'écris, j'écris, j'écris.... Et on
me traduira dans toutes les langues. La grand Trotski parle! On l'écoutera!
Et le petit Staline sera ramené au rang d'un simple voyou de service...
STALINE - Le grand Staline ne se laissera pas dépouiller d'une gloire
qui lui revient toute entière.
TROTSKI - Je te connais aussi bien et même mieux que tu ne te connais
toi-même. Et tu as déjà fait assassiner tous tes anciens
compagnons, Kirov, Kamenev, Zinoviev, Dzerjinski... et tant de tes amis d'autrefois,
tel Boukharine, et tant de grands médecins, tel ton médecin personnel,
Vinogradov, et tant d'illustres soldats, tel le maréchal Toukhatchevski,
et d'une façon plus générale tous ceux qui auraient pu
porter témoignage de la médiocrité de tes débuts.
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STALINE - (au public) Il n'en restait qu'un, c'est lui... Pour faire les choses
discrètement, j'ai réussi à introduire dans la maison de
Trotski au Mexique un faux ami qui à la première occasion va lui
planter dans le crane un pic à glace spécialement affuté...
Il n'y résistera pas! Pour ceux qui ne le sauraient pas, un pic à
glace est un instrument pointu qui sert à casser les gros blocs de glace
des machines à glace industrielles... Voilà: je prends pour un
instant le rôle du faux ami, je cache mon pic derrière mon dos
et je m'approche... "Mon ami Trotski, s'il te plait, examine de nouveau
le document que je t'ai donné... là sur ton bureau... (il lève
son pic à glace)
TROTSKI – (lisant) De toute façon, je m'attends à ce qu'un
jour ou l'autre... Eh bien, vas-y...
STALINE – J'y vais. Le jour est arrivé... (Il frappe).
TROTSKI - En effet. (il chancelle) Encore un mot... Ce qu'il y a d'admirable
chez les bolcheviques, c'est la variété des moyens qu'ils emploient
pour se débarrasser de leurs adversaires... Cette fois-ci, un pic à
glace! Si seulement le camarade Staline m'en avait laissé le temps, j'aurais
fait une petite anthologie de leurs méthodes d'extermination... Ça
aurait pu leur rendre service, on ne sait pas toujours laquelle choisir....
Mais c'est trop tard! (il s'effondre) Pour information, ce jour est le 21 août
1940. (dans un dernier sursaut) Si, quelque chose encore: il faut que je reconnaisse
les faits, pour la gloire de la Révolution Staline a jusqu'à présent
arrêté, affamé, torturé, exécuté beaucoup
plus de malheureux que moi, et avec beaucoup plus d'ingéniosité
que je n'aurais jamais pu en avoir.... (Il semble mourir, mais se redresse encore)
Et rassurez-vous, ça va continuer! (retombant définitivement)
Cette fois c'est la fin...
L'HITORIEN DE SERVCE – La messe est dite, je n'ai rien à ajouter.