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Déposé à la SACD


L'INDE ACCEDE A L'INDEPENDANCE
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par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES
L’historien de service, Lord Mountbatten, le dernier Vice-roi des Indes,
Clement Atlee, premier ministre anglais, Nehru, futur premier ministre de l'Inde,
Jinnah, leader indien musulman,
Apté, Karkaré, Godsé, les trois meurtriers de Gandhi


1 - La mission de Lord Mountbatten.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Je suis l'historien de service… Je dois introduire cette pièce, consacrée à la libération de l'Inde et vous en présenter les principaux épisodes… A la fin de la seconde guerre mondiale, donc, l'Inde, dominion britannique, réclame de façon de plus en plus urgente son indépendance. Aussi les Anglais ont-ils déjà pratiquement pris la décision de la lui accorder. Mais, en raison des conflits ethniques et religieux qui risquent de déchirer le pays, ils savent que ce sera une opération extrêmement difficile. C'est pour faire face à cette situation que le premier ministre Clement Attlee demande au contre-amiral lord Louis Mountbatten, cousin du roi, d'accepter de devenir le dernier vice-roi des Indes et de conduire lui-même le pays à son indépendance…
LE PREMIER MINISTRE - (continuant une conversation déjà commencée) Il y a deux cent millions d'Hindous qui ne peuvent pas supporter les Musulmans, cent millions de Musulmans qui ne peuvent pas supporter les Hindous… sans parler des Sikhs, qui les égorgeraient volontiers les uns et les autres… Et par là-dessus Gandhi, et tout le pays derrière lui, qui hurle à l'indépendance. La situation est intenable. L'Inde est une chaudière bouillonnante. Le vice-roi actuellement en charge a préparé un plan d'évacuation province par province, mais…
LORD MOUNTBATTEN - Mais, monsieur le premier ministre…?
LE PREMIER MINISTRE - Mon cher lord Mountbatten, j'ai à vous confier une mission désespérée.
LORD MOUNTBATTEN - Ne me laissez pas penser que j'ai deviné… Laquelle, donc?
LE PREMIER MINISTRE - Mettre fin à la domination anglaise sur les Indes.
LORD MOUNTBATTEN - Je n'ai aucune envie d'accepter votre mission désespérée… La décision a été finalement prise?
LE PREMIER MINISTRE - Elle était devenue inéluctable… Maintenant que la guerre est finie, qui avait mis en veilleuse toutes les conflits latents, si nous ne faisons rien, la chaudière va exploser.
LORD MOUNTBATTEN - Et pourquoi avez-vous pensé à moi?
LE PREMIER MINISTRE - Pour deux raisons: d'abord pour vos états de service exceptionnels pendant la guerre, en tant que commandant en chef sur le front du Sud-Est asiatique. Ensuite parce que vous avez le prestige que donne le fait d'être le cousin du roi et le petit-fils de la reine Victoria. Elle fut la première impératrice des Indes. Sans oublier que vous êtes apparenté à toutes les familles royales d'Europe…
LORD MOUNTBATTEN - Au point où en sont les choses, puis-je encore refuser?
LE PREMIER MINISTRE - Non, il n'en est pas question… Sans vouloir vous obliger, naturellement!
LORD MOUNTBATTEN - Sans vouloir m'obliger! Alors j'y mettrai des conditions draconiennes… et la plus draconienne est que, si j'accepte, je veux les pleins pouvoirs. A dix mille kilomètres d'ici, il ne peut être question d'ergoter avec votre cabinet sur les moindres détails. Ni d'ailleurs sur aucun autre point. Je veux totalement échapper même à votre autorité… Mais il est évident que vous ne pouvez pas accepter cela.
LE PREMIER MINISTRE - C'est en effet une clause tout à fait inacceptable… Cependant, l'urgence de la situation est telle que je l'accepte. Je vous souhaite bonne chance.

2 - Le problème ethnique de l'Inde
L'HISTORIEN DE SERVICE - Naturellement, le nouveau vice-roi fut très bien accueilli par les Indiens, avec lesquels il tomba d'accord pour conduire très rapidement le processus d'accession à l'indépendance. Mais, alors que Gandhi et Nehru, chefs du parti hindou, désiraient, comme les Anglais, donner naissance à une Inde unie, Jinnah, le leader des Musulmans… Mais je vous laisse écouter la conversation que le nouveau vice-roi eut avec ce Jinnah.
JINNAH - Malheureusement, votre Excellence, je suis convaincu que jamais les Musulmans, dont je suis le chef, n'obtiendraient un traitement équitable dans une Inde gouvernée par des Hindous. C'est pourquoi je demande la partition de l'Empire et la création d'un Etat musulman indépendant.
LORD MOUNTBATTEN - Cela me paraît un souhait irréaliste, monsieur Jinnah. L'Inde est un continent fortement unifié, ses frontières naturelles n'ont jamais fait l'objet d'aucune contestation… Et vous voudriez la découper! Sans compter que partout sur le territoire, les Hindous et les Musulmans sont étroitement mêlés les uns aux autres.
JINNAH - Non, l'Inde n'est pas une nation unifiée, elle est terriblement composite. Les vaches que je veux manger, les Hindous m'en empêchent. Pourquoi le supporterais-je? Et puis il y a des régions où les majorités musulmanes sont évidentes…
LORD MOUNTBATTEN - Vous voulez dire le Baloutchistan…?
JINNAH - Oui, et le Bengale aussi. Nous ferions un Etat musulman à deux têtes que nous pourrions appeler par exemple Pakistan, comme cela a été proposé.
LORD MOUNTBATTEN - Mais vos deux têtes seraient à mille cinq cents kilomètres l'une de l'autre!
JINNAH - Pourquoi pas? En tout cas, telle est ma position. Et je n'en démordrai pas.
LORD MOUNTBATTEN - Mais que deviendraient alors les minorités hindoues qui sont dans ces deux territoires? Et que deviendraient aussi les minorités musulmanes qui sont dans les territoires hindous?
JINNAH - Au besoin, nous procèderons à des échanges de population.
LORD MOUNTBATTEN - A une pareille échelle? Des millions de personnes! Ce serait inhumain. Vous êtes sans pitié.
JINNAH - C'est mon dernier mot. Si vous n'acceptez pas j'exciterai partout les Musulmans à la révolte.
LORD MOUNTBATTEN - (un silence) Je vous crois d'autant plus que, monsieur Jinnah, vous avez déjà commencé à le faire…
JINNAH - Vous voyez bien que je ne parle pas en l'air. Votre Excellence, permettez-moi de prendre congé.


3 - Comment faire face au chaos?
L'HISTORIEN DE SERVICE - Donc depuis le 15 août 1947, l'Inde est libre. Explosions de joie, manifestations gigantesques… Depuis si longtemps attendu, l'événement est prodigieux. Les populations le célèbrent avec une ferveur totale… La fin de l'occupation anglaise! Malheureusement si l'Inde est libre, elle est maintenant divisée en deux Etats, l'Inde et le Pakistan. Sitôt les frontières exactement connues, c'est à dire le lendemain 16 août, des deux côtés les passions religieuses se déchaînent. Elles jettent plus de vingt millions d'Indiens sur les routes de l'exil. Persuadés d'être massacrés s'ils restent où ils sont, les Hindous fuient le Pakistan. Les Musulmans de l'Inde de leur côté tentent de le rejoindre. Et pour ne rien laisser perdre, chaque parti attaque l'autre au passage… Et naturellement l'armée anglaise n'est plus là pour faire régner l'ordre et la police des nouveaux Etats n'est pas encore constituée. De plus les Sikhs, eux-mêmes attaqués de tous les côtés, s'en prennent aux longues files de réfugiés qui se sont formées dans un sens comme dans l'autre… On signale au Panjab une colonne de 900 000 personnes. Un peuple en marche! Un peuple en marche qui croise dans l'autre sens un autre peuple en marche. Ceux qui réussissent à prendre le train sont souvent massacrés dans les gares par les fanatiques de l'autre parti. Combien de morts…? On n'a pas pu les compter… Peut-être dix ou quinze millions! Nehru, le nouveau responsable du futur gouvernement indien s'affole… Le 6 septembre 1947, vingt jours après la proclamation de l'Indépendance, il fait appel à lord Mountbatten, l'ancien Vice-roi, qui n'a pas encore quitté le territoire…
LORD MOUNTBATTEN - Monsieur Nehru, pourquoi m'avez-vous rappelé? Je ne suis plus rien ici. C'est à vous de prendre en main vos affaires.
NEHRU - Nous avons passé trop d'années à moisir dans les prisons anglaises et nous n'avons aucune expérience du gouvernement, surtout dans des circonstances aussi exceptionnelles… Vous, vous avez l'expérience des situations difficiles. Reprenez le pouvoir quelque temps pour nous aider à maîtriser cette épouvantable situation.
LORD MOUNTBATTEN - Réalisez-vous ce que vous me demandez. Il n'y a pas quinze jours que les Anglais ont remis entre vos mains le gouvernement de l'Inde, qu'ils détenaient depuis 200 ans, et voilà que vous leur demandez de le reprendre. Comment réagirait votre peuple!
NEHRU - Il faut trouver un moyen de garder notre arrangement secret… Mais nous ne pouvons pas nous passer de vous.
LORD MOUNTBATTEN - Laissez-moi réfléchir… Soit. Mais à la condition qu'effectivement je reste dans l'ombre et, seconde condition, que vous fassiez très exactement ce que je vous dirai.
NEHRU - Nous le ferons.
LORD MOUNTBATTEN - Bien. Pour faire face à la situation, nous allons donc immédiatement constituer un groupe opérationnel qui comprendra tous les responsables techniques que je vous désignerai… En êtes-vous d'accord?
NEHRU - Certainement.
LORD MOUNTBATTEN - Parfait! Je vais vous en établir la liste. Réunion dans deux heures. En attendant rassemblez tout ce que vous pourrez des anciens régiments, qu'ils constituent des stocks de vivres et de médicaments, que tous les Anglais qui ne sont pas encore partis se placent à la disposition du pays, mettez en alerte tous les moyens aériens, mobilisez les cheminots, la police… Nous examinerons ensemble les décisions à prendre immédiatement. Notre premier souci sera probablement de constituer une force d'interposition que nous enverrons au Panjab pour empêcher les massacres…

4 - L'assassinat de Gandhi.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Ils n'empêchèrent pas grand-chose… La machine à massacrer s'était mise en route et il était bien difficile de l'arrêter. Cependant Gandhi, qui jusqu'à présent s'était efforcé, à Calcutta, de limiter les dégâts, était revenu à New Delhi où il continuait à prêcher la non-violence… Gandhi avait toujours été un adversaire résolu de la partition de l'Inde, mais il n'avait pas été écouté. Maintenant il ne lui restait plus qu'une solution, comme il l'avait déjà fait en de graves circonstances, s'imposer un nouveau jeûne. Il avait soixante-dix-huit ans mais il jeûnerait, jusqu'à la mort si nécessaire, pour que cessent les violences entre Hindous, Musulmans et Sikhs. Il y avait aussi une histoire de dette au Pakistan, que l'Inde refusait de payer, comme il en avait été convenu, ce qu'il n'admettait pas… Cela ne plut pas aux extrémistes hindous qui avaient constitué un violent parti d'opposition. Ils reprochaient à Gandhi de les empêcher d'éliminer ou de chasser les Musulmans… Un soir, trois d'entre eux décidèrent de supprimer ce gêneur et ils passèrent à l'action… (les trois conspirateurs s'avancent du fond de la scène vers la salle. Ils miment leur progression à travers la petite foule qui commence à se réunir pour aller prier avec Gandhi… Celui qui est au milieu a caché dans sa poche un pistolet Beretta. Ils parlent en chuchotant…)
KARKARE - C'est là, dans ce jardin, dans le jardin de cette maison, qu'il tient ses réunions. Tous les soirs à dix-sept heures ses amis se rassemblent. Il les exhorte et prie en leur présence.
APTE - Ils ne sont pas encore bien nombreux. Avançons-nous comme si de rien n'était… Tu as bien le pistolet?
GODSE - Il est dans ma poche.
APTE - Il est chargé, au moins?
GODSE - Bien sûr qu'il est chargé.
KARKARE - Prend un air aussi naturel que possible… Nous sommes simplement venus prier avec le prophète. Surtout ne nous regardons pas, nous n'avons rien à voir les uns avec les autres.
APTE - Tout se passe bien… (ils continuent d'avancer lentement) C'est étonnant qu'ils ne nous aient pas fouillés à l'entrée. Je pensais qu'après notre coup manqué de la semaine dernière, ils se méfieraient.
KARKARE - Tu vois la petite estrade sur la droite, c'est là qu'il se tient, derrière le micro. (il désigne la salle) Ca va te faire une distance d'au moins dix mètres… Tu te débrouilleras?
GODSE - Je ne suis pas un tireur d'élite, mais j'ai un plein chargeur…
APTE - Il est en retard… Tu ne verrais pas que nous manquions notre coup parce que la réunion aurait été annulée…! D'habitude il est très exact… Non, attention, attention, il arrive… (Leurs regards se tournent sur la droite au fond de la salle. Ils suivent Gandhi des yeux comme s'ils le voyaient vraiment.) Il s'appuie sur l'épaule de sa petite-nièce… (le cortège est censé s'approcher de la scène… ) Il est suivi de son cortège habituel de familiers…
GODSE - S'il continue comme ça, il va passer tout près de moi… Ce serait trop bête… Ma décision est prise, je n'attendrai pas qu'il soit monté sur son estrade, je vais profiter de ce que… J'enlève le cran de sûreté, j'avance… deux pas, je pourrais le toucher…
APTE et KARKARE - (regardent avec intensité, comme si Gandhi sortait réellement de la foule des spectateurs)
APTE - (il a la main droite dans sa poche et il s'avance et s'incline) Salut, grande âme! (Il se relève. Entre ses deux mains jointes il dissimule son pistolet. Il tire trois fois et regarde Gandhi tomber)
KARKARE - Maintenant, éclipsons-nous sans précipitation… (ils sortent d'un air faussement naturel)
L'HISTORIEN DE SERVICE - Gandhi mourut en quelques instants. Heureusement, il avait été assassiné par un Hindou. S'il l'avait été par un Musulman, les Hindous auraient voulu se venger et il s'en serait suivi un bain de sang comme jamais l'Histoire n'en a connu. Sa mort fut comme un électrochoc qui fit revenir l'Inde à elle-même et progressivement les passions s'apaisèrent. Le lendemain le journal publia le texte suivant : "Gandhi a été assassiné par son propre peuple, pour la rédemption duquel il a vécu. Cette seconde crucifixion dans l'histoire du monde s'est déroulée un vendredi, le jour même où Jésus a été mis à mort, mille neuf cent quinze années plus tôt. Père, pardonne-nous. "


RAPPEL HISTORIQUE

La seconde guerre mondiale marqua le départ d'un vaste mouvement de décolonisation. La France et l'Angleterre, en particulier, qui avaient autrefois constitué des empires mondiaux, durent rendre aux peuples colonisés leur liberté. La France s'y prit tard et mal, qui imposa à ses colonies deux guerres désastreuses au Vietnam et en Algérie. L'Angleterre au contraire s'y prit vite et bien, qui réussit à faire l'économie de la guerre et dès 1947 rendit sa liberté à l'Inde, son principal dominion.
Le 24 août 1600, les Anglais débarquèrent pour la première fois aux Indes, non loin de la ville de Bombay. Ils voulaient faire du commerce. Ils firent d'abord effectivement du commerce, puis de fil en aiguille, ils se transformèrent en occupants et en conquérants. Le 27 juin 1757 ils sortirent victorieux d'un premier engagement dans le Bengale. Déclarant alors qu'il ne pouvait y avoir "de bénédiction plus grande pour les populations indigènes des Indes que l'extension de la domination britannique", les Anglais procédèrent, de proche en proche, à une conquête générale de l'Inde.
EN 1857, ils eurent à faire face à une violente mutinerie militaire à la suite de laquelle la reine Victoria fut déclarée Impératrice des Indes. Ainsi, proclama Kipling, la responsabilité de gouverner le nouvel Empire "avait été placée par quelque impénétrable dessein de la Providence sur les épaules de la race anglaise." Et Kipling se fit le chantre de l'homme blanc, de son rêve impérial et de sa supériorité.
Les Indes furent alors gérées, sous l'autorité d'un Vice-roi, par les deux mille fonctionnaires de "l'Indian Civil Service" et par dix mille officiers chargés d'encadrer une armée qui comptait deux cent mille hommes, dont seulement soixante mille étaient britanniques. Effectif extrêmement léger face aux trois cent millions d'Indiens qu'ils avaient à contrôler! Ces quelques Britanniques vécurent en Inde, sans jamais se mêler à la population locale, une vie de devoir, de luxe et d'aventures… Sans oublier pourtant que, si les Britanniques administraient directement une partie du territoire, ils avaient laissé subsister sous leur protectorat nombre de petits (ou grands) royaumes indépendants extrêmement riches, avec les princes desquels ils entretenaient d'excellents rapports. En 1947 Lord Mountbatten eut à convaincre 565 Maharadjahs de s'intégrer au nouvel État.
Bien avant les Anglais, l'Inde avait été dominée par les empereurs mongols qui y avaient introduit, à côté des religions traditionnelles, la nouvelle foi de l'islam. Pour le Musulman, Dieu est un absolu lointain qui doit être adoré et servi avec intransigeance et tremblement. Pour les Hindous au contraire, Dieu est un personnage infiniment proche, qui doit être respectueusement et affectueusement reconnu dans toutes ses créatures. Leurs traditions respectives rendaient les deux religions totalement incompatibles.
La première guerre mondiale (14-18), où six cent mille Anglais périrent, porta un coup très dur au culte de la supériorité de l'homme blanc et sous l'influence en particulier de Gandhi, la revendication de l'indépendance se manifesta très fortement dans la société indienne. Gandhi conduisit la lutte en mettant en avant le concept de non-violente non coopération: ce qui signifiait que les Indiens devaient simplement refuser les lois anglaises qui leur paraissaient injustes. La lutte, très tendue et, du côté des Anglais, très violente (Gandhi fut emprisonné plusieurs fois), dura jusqu'après la Deuxième guerre mondiale. Les Anglais eurent alors l'intelligence de comprendre qu'il fallait qu'ils se retirent.