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Déposé à la SACD

DE GAULLE : L'APPEL DU 18 JUIN 1940
*
Par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES
Le général de Gaulle, le maréchal Pétain, le général Weygand,
le président du conseil Paul Reynaud, le premier ministre anglais Churchill,
l'historien de service


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L'HISTORIEN DE SERVICE - La première guerre mondiale de 14-18 avait été officiellement terminée par le traité de Versailles consacrant la défaite de l'Allemagne. Mais le conflit n'avait pas réellement pris fin et l'Allemagne, où Adolf Hitler venait de s'emparer du pouvoir (1933), ne songeait qu'à prendre sa revanche. Le général de Gaulle, alors simple officier d'État-major, tenta par tous les moyens de préparer le combat qui allait se livrer. Mais en vain. Après la défaite de la France en 1940, il refusa de se rendre et rejoignit Londres pour y appeler les Français à continuer le combat... Mais voici de Gaulle, à l'Etat-major de l'armée française dans les années 1930, qui essaye de convaincre le maréchal Pétain...
PETAIN - Mais non, de Gaulle, vos craintes sont hors de propos… Nous n'avons pas l'intention d'envahir l'Allemagne et il nous suffit de l'empêcher de nous envahir. Dans le cas où les Allemands auraient l'imprudence de nous déclarer encore une fois la guerre, la ligne Maginot, qui s'étend de la Suisse aux Ardennes, nous protègerait définitivement.
DE GAULLE - Le croyez-vous vraiment, monsieur le Maréchal?
PETAIN - Mais naturellement. La ligne Maginot est une ligne de forteresses absolument infranchissable. Il suffisait d'y penser.
DE GAULLE - Il suffisait d'y penser… oui, pour ne pas penser à autre chose ou pour ne plus penser qu'à ça! Monsieur le Maréchal, que diriez-vous d'un chevalier qui, certain d'avoir un très bon bouclier, négligerait, en partant pour le combat, de prendre son épée.
PETAIN - Allons, allons, de Gaulle, ne faites pas de caricatures. Vos comparaisons ne valent rien…
DE GAULLE - J'ai eu l'honneur d'écrire récemment Le fil de l'épée…
PETAIN - Très bon livre, très original, excellent style! Je l'ai feuilleté…
DE GAULLE - Les Allemands, eux, l'ont lu, ils l'ont compris et ils sont en train d'équiper plusieurs divisions de chars d'assaut, les Panzerdivisionen, qui seront capables de tout balayer devant elles… Monsieur le Maréchal, si les armées d'autrefois sentaient le crottin, l'armée de demain exhalera une forte odeur de pétrole. L'épée de l'armée future ce n'est plus l'infanterie ou la cavalerie, c'est la division blindée. Si les Allemands percent notre front…
PETAIN - Nous avons tout fait pour qu'ils ne le puissent pas!
DE GAULLE - En êtes-vous sûr? Il suffirait qu'ils se glissent par la forêt des Ardennes ou qu'ils envahissent la Belgique pour que… Si les Allemands donc percent notre front, leurs divisions blindées ne mettront pas trois semaines pour dégringoler jusqu'à Bayonne. Nous aurons à peine le temps de les voir passer.
PETAIN - Sottise! En 14, nous avons bien réussi à les contenir. Et cela sans même pouvoir nous appuyer sur une quelconque ligne Maginot! Alors, avec notre ligne Maginot, que ne ferons-nous pas?
DE GAULLE - Monsieur le Maréchal, depuis la dernière guerre le "Moteur", avec sa puissance terrifiante, a fait irruption dans le monde des armes. Le "Moteur" change tout. Il permet au combattant de faire, avec son armure et son épée sur le dos, je veux dire à l'abri de son blindage et muni de son canon, quatre-vingt kilomètres par jour.
PETAIN - Vous vous laissez emporter par votre imagination…
DE GAULLE - Si nous n'avons pas à ce moment-là nos propres divisions blindées à opposer à leurs divisions blindées… Avec le "Moteur", la guerre ne sera plus jamais comme avant!… (entre un coursier avec des dépêches qu'il remet au fur et à mesure à de Gaulle...) Monsieur le Maréchal, Il est trop tard. Nous sommes maintenant en 1939... Les Allemands sont à Vienne en Autriche… Le moteur, qu'est-ce que je vous disais, ils ont des moteurs! Les Allemands sont à Prague… les Allemands sont à Varsovie… Le moteur, toujours le moteur! Les Allemands sont à Copenhague… Encore le moteur! Les Allemands sont à Oslo… Les Allemands ont percé les Ardennes, ils sont en France… La situation est désespérée, mais je vais voir si je peux tout de même y faire quelque chose.

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L'HISTORIEN DE SERVICE - Nous sommes maintenant en mai-juin 1940. Voici que ce que de Gaulle avait prédit est arrivé. Malgré l'appui des Anglais, les divisions blindées allemandes ont envahi la France. Elles ont bousculé les armées alliées impuissantes… De Gaulle a essayé, à Montcornet, une contre-attaque, mais elle n'a pas pu renverser le cours des choses. Le front a été coupé en deux: d'un côté c'est Dunkerque où les troupes anglo-françaises se rembarquent hâtivement sous les bombes, de l'autre c'est l'immense débandade de l'armée française qui se replie dans un désordre irrépressible… Le gouvernement a été renversé, Paul Reynaud en a formé un nouveau dans lequel de Gaulle vient d'être nommé sous-secrétaire d'Etat à la guerre…
DE GAULLE - Général Weygand, vous êtes le général en chef de l'armée française…
WEYGAND - Monsieur le sous-secrétaire d'Etat, mes compliments. Nous sommes foutus!
DE GAULLE - Ne dites jamais cela, général Weygand, ne dites jamais cela! Retournez-vous et faites face…
WEYGAND - Allons donc! Ils ont passé la Somme, ce sera bientôt la Seine et la Marne!
DE GAULLE - Oui, et après?
WEYGAND - Après, c'est fini!
DE GAULLE - Non, ce n'est pas fini. Il nous reste l'Empire, il nous reste le monde…
WEYGAND - Le monde! C'est de l'enfantillage: dans huit jours les Anglais auront négocié avec les Allemands! (la scène s'élargit aux dimensions de l'Europe)
CHURCHILL - Que dites-vous? L'Angleterre ne négociera jamais avec les nazis. Je suis Winston Churchill, le premier ministre le l'Angleterre… Croyez-moi, général Weygand, si les nazis devaient être victorieux, cela signifierait la fin de notre civilisation européenne. Donc, nous nous battrons jusqu'à la victoire. En ce qui vous concerne, vous, Français, nous vous supplions de ne pas déposer les armes et en tout cas de ne pas laisser les Allemands s'emparer de votre magnifique flotte de guerre…
PAUL REYNAUD - Je suis Paul Reynaud, le président du conseil de la France. Soyez tranquille, messieurs les Anglais, jamais les Allemands ne s'empareront de notre flotte. Quant à nous, puisqu'il semble que la bataille de France soit perdue, nous sommes décidés à nous replier sur l'Afrique du Nord pour y continuer la lutte.
PETAIN - Non, non, vous ne ferez pas ça. Moi, maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, écoutez-moi… Tout ce que vous dites n'est que folie. Il faut reconnaître notre défaite, c'est là le salut. En ce qui me concerne je resterai parmi le peuple français pour partager ses peines et ses misères. L'Armistice est la condition nécessaire à la survie de la France, qui doit accepter la souffrance pour racheter ses faiblesses… Je suggère au gouvernement…
DE GAULLE - Monsieur le Maréchal, le gouvernement n'a pas de conseil à recevoir, mais des ordres à donner! Il va le faire…
PAUL REYNAUD - Parfaitement, il va le faire… Ecoutez-moi… Ecoutez-moi… Malheureusement… (il donne des signes de grand découragement)
CHURCHILL - Vous avez l'air d'hésiter… Je vous fais une proposition: déclarons que la France et l'Angleterre ne forment plus qu'une seule nation!
PAUL REYNAUD - Plus qu'une seule nation?
CHURCHILL - Oui, cela vous rendrait courage… Nous ne serions pas seulement alliés mais indéfectiblement unis au sein d'un même Etat, nous partagerions une même citoyenneté, nous continuerions la lutte comme un seul peuple. Rien ne serait comme avant! A partir de ce moment-là les Américains pourraient même être tentés de venir à notre secours.
PAUL REYNAUD - Cela est généreux, surtout dans l'état où notre défaite militaire vient de nous mettre… (il est de plus en plus perturbé) Cela est très généreux… Cela est très généreux… Mais vous n'y pensez pas, vous n'y pensez pas, ce serait beaucoup trop compliqué… Quant aux Américains, je n'y crois guère… D'ailleurs tout est trop compliqué… Et puis les Allemands sont trop forts… Et puis, et puis… Non, je suis à bout de forces… Je préfère donner ma démission. Je ne veux pas être celui qui aurait accepté de reconnaître que la France doit cesser le combat. Le maréchal Pétain y pourvoira parfaitement. Il n'attend que ça.
PETAIN - Vous avez raison, je suis prêt à tous les sacrifices. Français, écoutez-moi: "Moi, le maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. Il faut cesser le combat. Je me suis cette nuit adressé à l'adversaire…"
CHURCHILL - Ça suffit, je n'ai pas envie d'en entendre davantage. Général de Gaulle, si vous avez envie de me rejoindre à Londres, je mets un avion à votre disposition.
DE GAULLE - Je vous remercie. Je refuse de me rendre, je vous rejoins…

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DE GAULLE - Maintenant je suis à Londres, mais je suis seul et démuni de tout, comme un naufragé de la désolation, comme un homme au bord d'un océan qu'il prétendrait franchir à la nage…
CHURCHILL - Général de Gaulle, vous n'êtes pas seul. Laissez-moi vous assurer que les événements de France ne changent rien à la résolution de l'Angleterre. Puisque nous sommes désormais les seuls champions en armes de la cause du Monde Libre, nous ferons de notre mieux pour être dignes de cet insigne honneur. Nous défendrons notre île et, entourés de notre Empire, nous poursuivrons la lutte jusqu'à ce que le fléau de Hitler n'accable plus les hommes. Général de Gaulle, moi, Churchill, moi, l'Angleterre, nous sommes à vos côtés.
DE GAULLE - Merci, monsieur le Premier Ministre… Mais plus j'y songe et plus cela me paraît évident: la première chose que je dois faire est de m'adresser aux Français pour leur demander de venir me rejoindre. Depuis l'Angleterre, la France ainsi continuerait le combat.
CHURCHILL - Excellente idée! Je mets la radiodiffusion anglaise, notre fameuse B.B.C., à votre disposition. Nous sommes le 17 juin: si vous le voulez, demain, le 18 juin à 18 heures, vous aurez l'antenne et vous pourrez lancer votre appel.
DE GAULLE - Monsieur le Premier Ministre, je vous remercie. J'ai soigneusement préparé mon texte: "Françaises, Français, cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure! Devant la confusion des âmes françaises, devant la liquéfaction d'un gouvernement tombé sous la servitude ennemie, moi, général de Gaulle, réfugié à Londres, j'ai conscience de parler au nom de la France et j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique, avec leurs armes ou sans leurs armes, à se mettre en rapport avec moi pour y reprendre le combat."
CHURCHILL - Général de Gaulle, je vous renouvelle toute ma confiance, je soutiendrai toutes vos initiatives.
DE GAULLE - Monsieur le Premier Ministre, je vous remercie. Pensez-vous que j'ai été entendu?
CHURCHILL - De toute façon, votre message sera relayé par les journaux du monde entier…
DE GAULLE - Je l'espère… Mais j'ai le sentiment de n'avoir pas tout dit. Je ne dois pas m'adresser seulement aux Français qui se trouvent en Angleterre, il faut aussi que je retienne sur le bord du gouffre l'Empire français, nos colonies et notre flotte… Laissez-moi ajouter quelque chose à mon premier message.
CHURCHILL - Vous n'insisterez jamais assez. Allez-y!
DE GAULLE - "Moi, général de Gaulle, qui vous parle de Londres, je renouvelle mon appel: tout Français qui porte encore les armes, où que ce soit dans le monde, a le droit absolu de continuer la résistance. Partout, et en particulier dans l'Afrique française du Nord, encore intacte, tout ce qui a de l'honneur a le strict devoir de refuser l'exécution des conditions ennemies. Moi, général de Gaulle, j'entreprends aujourd'hui cette tache nationale de continuer la lutte et j'invite tous les Français qui veulent rester libres à m'écouter et à me suivre. Vive la France libre!"

RAPPEL HISTORIQUE

Charles de Gaulle est né en 1890 d'une vieille famille française. Elevé à Paris chez les jésuites, il se sentit très tôt, dans une France profondément blessée par la défaite de 1870, une vocation militaire… A tel point que dans une narration scolaire qu'il écrivit à l'âge de quinze ans, il se représentait en général prenant la tête de l'armée française victorieuse. De fait, il entra à Saint-Cyr et se retrouva en 1914 au 33ème régiment d'infanterie, sous les ordres du colonel Pétain. Première rencontre de deux hommes que l'Histoire allait opposer si violemment!
Blessé et fait prisonnier en 1916, il fait cinq tentatives d'évasion avant de se retrouver, après l'Ecole de guerre, au Conseil supérieur de la guerre en 1925. De 1925 à 1940, très préoccupé par les problèmes stratégiques, il écrit trois livres importants : Le fil de l'épée, La France et son armée, Vers une armée de métier, où il prend position pour de puissantes unités de chars blindés conduits par des soldats professionnels. Ceci ne plut pas à l'intelligentsia militaire pour qui d'une part l'infanterie restait "la reine des batailles" et qui d'autre part était en train de construire la mythique ligne Maginot, qui devait protéger le pays de toutes les invasions. Mais la ligne Maginot n'était finalement qu'une super-tranchée, une sorte de sublimation des tranchées de la guerre de 1914, pendant laquelle les combattants immobilisés face à face sur un front de huit cents kilomètres s'étaient massacrés consciencieusement.
En 1940 les Allemands, qui s'étaient eux dotés de divisions blindées, les Panzerdivisionen, envahirent la France en passant par les Ardennes (que l'on avait jugé inutile de protéger) et par la Belgique. Le plus navrant est que la France disposait d'autant de chars que l'Allemagne, mais que ces chars étaient dispersés dans les régiments d'infanterie pour y servir de soutien aux troupes et non pas regroupés en puissantes forces de frappe, comme l'aurait voulu de Gaulle…
Devant la défaite des troupes françaises, le maréchal Pétain demanda l'armistice et c'est alors que le général de Gaulle qui était un homme d'une grande culture et d'un tempérament très énergique, prit la grande décision de sa vie… et de l'histoire de France: il entra en rébellion et de Londres appela les Français à la résistance. Ce fut, sur la B.B.C. (British Broadcasting Corporation) le fameux appel du 18 juin 1940, qui fut renouvelé dans les jours qui suivirent, se faisant chaque fois plus large et plus pressant. Ces divers appels furent synthétisés dans une affiche célèbre.
Texte de l'affiche de l'appel du 18 juin: "La France a perdu une bataille, mais la France n'a pas perdu la guerre! Des gouvernants de rencontre ont pu capituler, oubliant l'honneur, livrant le pays à la servitude. Cependant rien n'est perdu! Rien n'est perdu parce que cette guerre est une guerre mondiale. Dans l'univers des forces immenses n'ont pas encore donné. Un jour ces forces écraseront l'ennemi. Il faut que la France, ce jour-là, soit présente à la victoire. Alors elle retrouvera sa liberté, sa grandeur. Tel est mon but, mon seul but. Voilà pourquoi je convie tous les Français, où qu'ils se trouvent, à s'unir à moi dans l'action, dans le sacrifice, dans l'espérance. Notre patrie est en péril de mort. Luttons tous pour la sauver. Vive la France."
Il fit ce qu'il avait dit et, autoritaire et intransigeant, ne dévia jamais de la ligne qu'il avait décidé de suivre. Pendant les quatre ans de la guerre, il réussit, lui qui était parti de rien, à inspirer la Résistance en France et à rassembler hors de France une armée de deux cent mille hommes. Mais surtout, pendant tout ce temps-là, il fit exister la France libre en face des alliés, des Américains en particulier, qui se défiaient de lui. A la fin, les troupes françaises prirent part sous ses ordres aux combats de la libération de l'Europe, telle la division blindée du général Leclerc qui entra la première dans Paris. La France faisait partie des vainqueurs!