Déposé à la SACD
CHILI : LA MORT D'ALLENDE
***
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
Les Etats-Unis ont souvent utilisé leur formidable puissance militaire
et économique pour asservir de petits pays dans lesquels ils avaient
pris ou voulaient prendre des intérêts (on en trouvera une liste
approchée dans le rappel historique). Un des cas les plus frappants est
celui du Chili où, en 1970-1973, ils renversèrent le gouvernement
du président Allende, suspect de menacer les profits des multinationales
américaines et coupable à leurs yeux de mener une politique socialiste.
PERSONNAGES
Le président américain Nixon, son conseiller Kissinger.
Le président chilien Allende.
Trois citoyens chiliens représentant le peuple chilien.
Trois agents de la C.I.A.
Le général Pinochet
1 – Le Président Nixon a peur des communistes.
NIXON - Moi, je suis le Président des Etats-Unis et à ce titre
j'ai des responsabilités! Vous me comprenez? Des responsabilités
vis à vis du monde entier! Kissinger, est-ce que quelqu'un pourrait le
contester?
KISSINGER - Non, bien sûr, monsieur le Président… Nous sommes,
c'est bien connu, les gardiens de l'ordre de ce monde.
NIXON – Aussi vrai que je m'appelle Nixon, je ne peux donc pas permettre
que la main de Moscou s'étende sur l'Amérique du Sud. Or, j'apprends,
Kissinger, qu'au Chili…
KISSINGER – Oui, c'est vrai. Nous nous sommes laissés prendre par
surprise. Allende a effectivement été élu Président
du Chili.
NIXON - Allende est un communiste. S'il réussit, nous verrons le communisme
s'étendre progressivement au Brésil, au Pérou, à
l'Argentine… et à tous ces petits pays d'Amérique centrale
dont je n'arrive jamais à retenir les noms…
KISSINGER - Nicaragua, Panama, Équateur, Colombie, Venezuela…?
NIXON - Oui, c'est ça…!
KISSINGER - J'en oublie moi aussi…
NIXON – Vous avez quand même une meilleure mémoire! Kissinger,
ai-je besoin de vous faire un topo? Mondialement, les communistes sont nos ennemis…
KISSINGER – Et réciproquement, tout ce qui s'oppose aux intérêts
de l'Amérique ne peut être que communiste!
NIXON – Exactement! Or, si donc nous laissons les communistes s'infiltrer…
Vous connaissez la théorie des dominos?
KISSINGER - Oui, bien sûr, c'est moi qui l'ai inventée… Ils
tombent les uns après les autres, l'un poussant l'autre, de proche en
proche… A la fin, ils sont tous par terre!
NIXON – Et c'en est déjà trop de Cuba, que ce damné
Fidel Castro nous a enlevé…
KISSINGER - Mais pour en revenir au Chili, Allende n'est encore que Président.
La vraie menace viendrait des élections législatives. La classe
ouvrière chilienne est forte et soudée, elle pourrait obtenir
une majorité à l'Assemblée.
NIXON – (de plus en plus excité) N'allez pas chercher plus loin…
Ce sont des communistes! Je vous le dis, ce sont des communistes…
KISSINGER - Vous avez raison… (il va chercher un message qu'on lui apporte)
… D'autant plus raison que cette fois-ci, ils ont tenu leurs élections
et… c'est fait: communistes ou pas, ils ont la majorité à
l'Assemblée.
LES TROIS CHILIENS - (entrent les trois Chiliens qui représentent le
peuple. Ils défilent en levant le poing et en répétant)
Viva el Presidente Allende… (plusieurs fois)…
NIXON - (hystérique ) Vous soyez bien! Ce sont des communistes, ce sont
des communistes!
KISSINGER - Et voici le Président Allende qui s'adresse à eux….
(Nixon et Kissinger regardent la manifestation chilienne)
2 – Allende parle au peuple chilien.
ALLENDE – (entrant) Mes amis, Voici que le parti de l'Unité Populaire
vient d'être élu avec la moitié des voix des citoyens du
Chili. C'est une grande victoire qui va nous permettre d'appliquer notre programme…
(se tournant vers Nixon et Kissinger) Mais je m'interromps un instant pour dire
en passant à nos adversaires que nous ne sommes pas communistes, mais
que nous sommes socialistes. La seule chose que nous désirons, c'est
d'instaurer au Chili un État qui soit géré par le peuple
et pour le peuple.
NIXON – Il a beau dire, ce sont des communistes, ce sont des communistes,
c'est clair! Je le sais.
LES TROIS CHILIENS - Viva el Presidente Allende!
ALLENDE - Voici donc notre programme… Nous allons tout d'abord améliorer
le sort de nos populations, qui sont parmi les plus misérables de l'Amérique
latine. Nous mettrons en place des institutions de santé, d'enseignement,
de sécurité, de retraite, de logement qui jusqu'ici nous manquent
cruellement.
LES TROIS CHILIENS - Viva el Presidente Allende!
NIXON - Ils sont insupportables de crier comme ça… (imitant) Viva
el Presidente Allende, Viva el Presidente Allende… Si le peuple gouverne,
qui sera gouverné?
LES TROIS CHILIENS - Viva el Presidente Allende, Viva el Presidente Allende!
ALLENDE - Ensuite, sachant que nous sommes étranglés par les grosses
sociétés américaines…
NIXON - Ce culot, non mais ce culot… Étranglés! …Je
m'en étrangle!
ALLENDE - … étranglés donc, par les grosses sociétés
américaines, qui ont envahi notre économie, nous procéderons
à un vaste programme de nationalisations et reprendrons ainsi possession
de la richesse nationale dont nous avons été spoliés…
Ensuite nous mettrons en route une réforme agraire et redistribuerons
les terres des grands propriétaires aux paysans qui les cultivent.
NIXON – Vous voyez bien, je vous le dis, je le répète, ce
sont vraiment des communistes. Il faut agir…
LES TROIS CHILIENS - Viva el Presidente Allende, Viva el Presidente Allende…
ALLENDE - Je tiens à ajouter que si la révolution de Cuba s'est
faite par la force des armes, la nôtre se fera conformément à
la légalité. Vive le Chili nouveau!
NIXON - Légalité, légalité… S'ils croient
nous impressionner. Légalité mon cul!
ALLENDE – Allons nous mettre au travail! (il sort)
LES TROIS CHILIENS – (sortent en défilant) Viva el Presidente Allende,
Viva el Presidente Allende…
NIXON – Assez comme ça! Ces chiliens nous font… chilier.
Que ferons-nous?
KISSINGER - Allez en paix, Président… en paix, si l'on peut dire!
Mais pourquoi ne le dirait-on pas? Paix est le mot préféré
de celui qui veut partir en guerre! Donc, allez en paix! J'ai convoqué
la C.I.A. et nous allons nous occuper sérieusement du problème.
(Nixon sort)
3 – Brainstorming à la C.I.A.
KISSINGER - Quand ils débarquèrent sur leur nouveau continent,
les Américains étaient animés par un profond amour de la
liberté et après avoir courageusement massacré les Indiens,
qui entravaient cette liberté, ils décidèrent qu'ils se
feraient désormais dans le monde les champions de tous les peuples opprimés.
Et comme ils étaient aussi fort religieux ils proclamèrent aussi
tout naturellement que toutes les guerres qu'ils feraient au nom de la liberté
seraient des guerres justes. Pour mener à bien ces guerres et ramener
à la raison les pays rebelles, les Américains, dans leur sagesse,
leur bonté et leur sollicitude, les Américains donc disposent
des trois moyens… Le premier est tout bêtement de leur faire précisément
la guerre et quand il le faut, ils ne s'en privent pas! Le second leur permet,
avec l'aide de leurs grandes compagnies internationales, de prendre tout simplement
possession sans coup férir de l'économie des pays rebelles. Le
troisième enfin consiste, grâce à leurs réseaux d'espionnage
et d'intervention, à pourrir les nations de l'intérieur pour y
imposer des régimes politiques de leur choix… Holà, C.I.A.
à moi!
LES TROIS AGENTS DE LA C.I.A. – (entrant subitement) C.I.A. à votre
service!
KISSINGER - Noble et secrète C.I.A., je vous salue! Aujourd'hui, il est
question du Chili. Vous le savez, nous autres, Américains, nous serions
coupables de rester sans rien faire pendant qu'à cause de l'irresponsabilité
de ses dirigeants un pays sombre dans le communisme! Vous connaissez la mission…
Maintenant, séance de créativité, brainstorming tous azimuts…
Sujet à traiter: comment pourrir la vie du président Allende…
Crédits illimités!
PREMIER AGENT C.I.A. - On pourrait prendre le contrôle des journaux chiliens,
qui iraient partout crier que le président Allende est une ordure.
DEUXIEME AGENT C.I.A. - On pourrait même financer de nouveaux journaux…
plus perfides!
TROISIEME AGENT C.I.A. - Naturellement… Et pourquoi pas soutenir, pendant
qu'on y est, les partis d'opposition?
DEUXIEME. - Les partis d'opposition… Oui, je suis sûr qu'il y en
a qui sont prêts à commettre des attentats… Mais il faudrait
leur fournir des bombes.
PREMIER – Naturellement. Les fascistes sont des têtes brûlées
qui ne reculent devant rien.
TROISIEME – Et même organiser des troupes de casseurs.
PREMIER – Autre idée: acheter les hommes politiques… ou les
faire disparaître!
DEUXIEME – L'un ou l'autre, au choix. Oui! Mijoter quelques assassinats
bien ciblés… Ca fait toujours réfléchir les autres!
TROISIEME - Nous équiperions les extrémistes de mitraillettes.
Avec des munitions démarquées, naturellement.
PREMIER - J'ai une autre idée: soudoyer aussi les syndicats et susciter
des grèves.
TROISIEME - C'est ça… Paralyser l'économie!
NIXON - (entrant et intervenant subitement) Ca va, ça marche?
KISSINGER - Oui, Président, la machine à démolir commence
à bien tourner.
NIXON – Parfait! Tâchez d'être efficaces… (il sort)
PREMIER - Pour paralyser l'économie, il y aurait un moyen bien plus
simple… Toutes leur machines, tous leurs camions sont américains…
Nous cesserions la livraison des pièces détachées!
TROISIEME - Allez-y carrément: mettre l'embargo sur toutes les fournitures
américaines. Ils ne résisteraient pas!
DEUXIEME - Et leur couper aussi les crédits, pendant que vous y êtes!
PREMIER - Oui. Et aussi fermer les banques et les caisses d'épargne.
DEUXIEME - Et comment n'avons-nous pas encore pensé à l'armée…
Elle regorge de généraux. Je suis sûr qu'il y en a quelques-uns
qu'on pourrait acheter.
TROISIEME - Je verrais aussi une grande campagne alarmiste: le communisme va
vous dévorer!
PREMIER -. Il faudrait surtout faire peur aux femmes: …va vous dévorer,
vous et vos enfants!
DEUXIEME– Oui, mais faire peur aussi aux hommes pour qu'ils aillent cacher
leur fortune à l'étranger!
PREMIER - Les affoler complètement… Des dessins satiriques, des
spots radio, des affiches…
NIXON - (entrant et intervenant subitement) Ca va toujours?
KISSINGER - Soyez tranquille, nous aurons bientôt fini.
NIXON – Très bien, dépêchez-vous, ça me démange!
(il sort)
DEUXIEME – Et pourquoi ne pas viser aussi le clergé… Important,
le clergé! Ce serait facile, il est du côté des bourgeois
et de l'ordre établi… Pour eux les communistes sont le diable!
TROISIEME – Nous inventerions une lettre du Pape contre le communisme…
PREMIER – Formidable! Le clergé, oui. Mais j'insiste sur l'armée…
c'est sur elle qu'en fin de compte nous devrons nous appuyer pour emporter le
morceau. Elle est la seule à avoir des armes…
TROISIEME – Ah, les armes! Oui, c'est vrai, vous avez raison… Les
armes!
PREMIER - Nous en revenons donc aux généraux! Quel est celui qui
est le meilleur marché?
DEUXIEME – Je dirais plutôt quel est le plus ambitieux?
TROISIEME – J'en connais un… mais vous le connaissez aussi! J'en
fais mon affaire. Ce n'est pas le meilleur marché mais c'est le plus
ambitieux! En ce qui concerne les armes, il faudrait aussi que l'armée
puisse contrôler que personne d'autre n'en a…
PREMIER - Très bonne idée: l'armée contre un peuple désarmé…
Comment résister?
KISSINGER - Tout cela est excellent! Il ne faut jamais livrer un combat sans
être sûr de le gagner et le meilleur moyen est de désarmer
l'adversaire avant la bataille!… Vous irez maintenant mettre en ordre
le fruit de vos réflexions et vous préparer à l'action.
(ils sortent)
4 – Le Chili en proie aux désordres.
ALLENDE – (revenant seul et parlant à l'assistance) Maintenant
donc que nous avons été élus, nous allons entrer fermement
dans l'action et reprendre possession de notre pays. Et pour commencer nous
proclamons la nationalisation des mines de cuivre, dont les Américains
se sont emparés. Le cuivre représente 80% de nos exportations.
DEUXIEME CHILIEN - (entrant et sortant) Les bourgeois ne sont pas contents,
ils avaient partie liée avec les Américains.
TROISIEME CHILIEN - (entrant et sortant) Les Américains non plus ne sont
pas contents!
ALLENDE - Je m'y attendais… Nous devons serrer les rangs… Courage,
nous allons ajouter au cuivre le fer, le ciment, le nitrate, le charbon, le
textile… Alors?
PREMIER CHILIEN - (entrant et sortant) Les bourgeois et les Américains
trépignent de rage!
DEUXIEME CHILIEN – (entrant et sortant) Trépignent de rage…
TROISIEME CHILIEN – (entrant et sortant) Trépignent de rage…
ALLENDE - J'espère qu'ils vont se calmer. Tout ce que nous faisons, c'est
pour le bien du Chili! Et maintenant nous allons redistribuer les terres aux
paysans…
PREMIER CHILIEN - (entrant et sortant) Président, ils ont assassiné
le général Schneider, qui était un de vos partisans. Et
aussi Perez Zujovic, qui était un de vos alliés.
ALLENDE - Nos adversaires sont en train de chercher à nous affaiblir
et à nous diviser. Nous, nous n'avons pas d'armes, mais (exalté)
nous avons le pouvoir extraordinaire que représente la force de l'ouvrier,
du paysan, de l'étudiant aux côtés de l'armée, pilier
du régime!
DEUXIEME CHILIEN - (entrant et sortant) Vous êtes dans l'illusion…
L'armée n'est pas si sûre que ça et les ouvriers ergotent.
Ceux des mines du cuivre, que vous venez de nationaliser, se sont même
mis en grève. Ce sont les Américains qui les financent!
ALLENDE - Les ouvriers en grève, il ne manquait plus que ça…
Pourtant nous venons de mettre en chantier plus de 80 000 logements! Le peuple
devrait en tenir compte…
PREMIER CHILIEN - (entrant et sortant) Et les propriétaires terriens
dépossédés se promènent dans la campagnes avec des
fusils pour tirer sur les paysans…
TROISIEME CHILIEN - (entrant et sortant) Et les grands éleveurs font
passer leurs troupeaux en Argentine: il n'y a plus de viande sur les marchés.
DEUXIEME CHILIEN - (entrant et sortant) Leurs troupeaux en Argentine et leurs
capitaux à l'étranger: plus d'argent dans les banques!
ALLENDE - Cela n'empêche pas qu'en deux ans, depuis que nous sommes au
pouvoir, l'économie a fait un bond, que le pouvoir d'achat a augmenté…
Cependant j'ai peur, j'ai peur que nos alliés du centre ne nous lâchent
et que des manifestations violentes ne soient montées par les opposants
de droite ou d'extrême droite… Quant à l'armée…
Écoutez-moi, nous sommes forts et organisés. La classe ouvrière
chilienne ne se laissera pas décontenancer. Nous avons été
plus de 700 000 à nous réunir à Santiago pour manifester.
(exalté )Je vous le dis: le socialisme ne se construit pas à coups
de décrets-lois, mais par un changement dans les relations entre les
personnes. Il faut donner naissance à un Homme nouveau.
KISSINGER - (apparaissant) Le pauvre idiot! L'Homme nouveau ne peut rien contre
les armes. Le socialisme et la légalité ne peuvent rien contre
les canons! Le moment suprême est venu. Il ne croit pas à la force,
tant pis pour lui! …Moi, Kissinger, je vous garantis que nous allons jeter
tous nos moyens dans la balance! Il y a déjà mille cinq cents
agents de la C.I.A. en action dans tout le Chili et nous avons ouvert des crédits
illimités. (il sort)
(Le premier, le deuxième et le troisième chilien entrent et restent
en scène)
DEUXIEME CHILIEN - Maintenant c'est la grève dans les stations de radio!
PREMIER CHILIEN - Maintenant, c'est la grève de camionneurs! La nation
est paralysée.
TROISIEME CHILIEN - De nombreux incendies d'usines, de forêts, de monuments.
DEUXIEME CHILIEN - Le palais du Président a été attaqué.
PREMIER CHILIEN - Les commerçants stockent les produits alimentaires
pour affamer la population!
TROISIEME CHILIEN - Quelquefois même ils les brûlent.
DEUXIEME CHILIEN - L'évêché a déclenché une
campagne de mensonges et de calomnies.
TROISIEME CHILIEN - Les attentats contre les personnes se multiplient.
PREMIER CHILIEN - Les juges sont corrompus, ils ont relâché l'assassin
du Général Schneider.
DEUXIEME CHILIEN – Ils assurent de même l'impunité à
tous les criminels de droite.
TROISIEME CHILIEN - Le prix des aliments ne cesse de monter.
PREMIER CHILIEN - L'extrême droite vient de mitrailler un défilé
ouvrier.
DEUXIEME CHILIEN - Les groupes fascistes renversent les voitures et incendient
les autobus.
PREMIER CHILIEN - Les croiseurs des Etats-Unis. paradent le long de nos côtes.
TROISIEME CHILIEN - Les marins socialistes ont été emprisonnés
et torturés.
DEUXIEME CHILIEN - L'armée est de plus en plus tentée de prendre
le pouvoir.
TROISIEME CHILIEN - Elle multiplie les fouilles pour s'assurer que les ouvriers
n'ont pas d'armes.
ALLENDE – Cette fois-ci, c'est grave! Je vais me réfugier au siège
du gouvernement, au palais de La Moneda, dernier refuge de la légitimité.
J'y soutiendrai tous les assauts. (il sort suivi des chiliens)
5 – Les pleins pouvoirs au général Pinochet
NIXON - Allez, maintenant les choses ont assez duré. Général
Pinochet, vous vous êtes converti à notre cause, vous avez été
nommé à la tête de l'armée et le fameux 11 septembre
1973 arrive. Il est temps de passer à l'action et de nous faire enfin,
ce coup d'État qui vous rendra si joyeusement célèbre.
Je vous donne vingt-quatre heures. (il regarde Pinochet faire ce qu'il a à
faire)
LE GENERAL PINOCHET - Très bien, je prends les choses en main…
Et tout d'abord, à minuit, je fais sauter le siège du parti communiste
avec tous les salauds qui sont dedans (on entend une explosion). Ensuite, dans
la nuit, je fais placer des mitrailleuses sur le toit des bâtiments publics.
Maintenant il est six heures du matin et je vais tirer sur les ouvriers qui,
dans le petit matin, au lieu d'aller gentiment au travail, sont en train de
manifester. Ah, ah, je vous aurai! (on entend les tirs de mitrailleuse) De toute
façon nous procédons aussi à l'arrestation des meneurs
et des syndicalistes. Nous avons les listes! Et si on ne les trouve pas dans
les rues ou à l'usine, on va les cueillir chez eux (on entend des appels,
des piétinements). Allons, allons… pressons: entassez-les dans
le stade de Playa Ancha, passez-les vigoureusement à tabac, jetez-les
tout vivants dans les cales des bateaux (on entend des cris de douleur). Et
n'oublions pas les stations de radio: qu'on en prenne possession et qu'on annonce
que nous, les militaires, avons pris le pouvoir pour sauver la Nation. Insistez
là-dessus: pour sauver la Nation. Qu'on envahisse aussi les services
publics, qu'on occupe les ministères… (on entend des bruits de
voitures, des klaxons, des sifflements de pneus). Bon travail! Maintenant il
est neuf heures, préparez le siège du palais de La Moneda où
s'est réfugié le traître Allende. Que les tanks se mettent
en place, que les avions survolent les lieux… (on entend un sifflement
d'avion à réaction). Maintenant, il est dix heures, ouvrez le
feu sur le palais de La Moneda (on entend des tirs de mitrailleuses et des explosions)…
Halte au feu… Écoutez-moi là-bas dedans: "Pour éviter
de faire couler le sang, nous suspendons notre attaque. Nous donnons aux occupants
de La Moneda jusqu'à onze heures pour se rendre et quitter les lieux.
Faute de quoi le palais sera bombardé par les forces aériennes
du Chili. Les travailleurs, quant à eux, doivent demeurer sur les lieux
de travail avec interdiction d'en sortir, sous peine d'être mitraillés."
(grand silence) Ils refusent de se rendre! Très bien, continuez l'attaque
(on entend un bruit de bataille prolongé, puis soudain tout s'arrête).
Treize heures quarante! Que se passe-t-il? Ils se sont rendus… Alors,
occupez le palais. Treize heures cinquante-huit… (on entend une rafale
de mitraillette). Vous avez entendu, ce chien d'Allende s'est suicidé!
L'annonce officielle en sera bientôt faite… (se retournant vers
le Président Nixon). Ca y est, Président: même pas vingt-quatre
heures! Vite fait, bien fait!
NIXON - Très bien, général Pinochet. Vous avez si bien
maîtrisé les événements que nous vous confions la
suite des opérations. Vous avez les pleins pouvoirs… Naturellement
vous les exercerez selon nos directives. Mais ne vous faites pas d'illusions:
le travail n'est pas fini et vous avez encore à mater tout un peuple
rebelle. Nous vous y aiderons.
LE GENERAL PINOCHET - A vos ordres, président Nixon.
RAPPEL HISTORIQUE
Les Etats-Unis ont derrière eux une longue carrière de prédateurs…
Pour ne rien dire des Indiens dont ils avaient envahi le territoire, ils s'en
prirent d'abord au Mexique auquel ils enlevèrent ce qui est aujourd'hui
les provinces du Nouveau Mexique, d'Utah, d'Arizona, du Nevada. Ensuite ils
débarquèrent dans quelques petites îles du Pacifique, Hawaï,
Midway, Guam… pour faire face à la Chine et au Japon. Et puis Porto
Rico, les Philippines et Cuba, qu'ils arrachèrent à l'Espagne.
Ensuite, dans la première moitié du XXe siècle, ils se
mêlèrent des problèmes du Nicaragua, du Guatemala, du Honduras
et plus généralement de l'Amérique du Sud, dont les peuples
avaient certes besoin de paix, de justice et de liberté, mais surtout
disposaient d'abondantes réserves de matières premières…
Alors, vint la seconde guerre mondiale où ils eurent effectivement en
Europe et an Asie un rôle de libérateurs. Ce qui fit beaucoup pour
leur donner une image rassurante et couvrir ensuite les coups de force auxquels
ils se livrèrent: ils étaient les soldats de la liberté!
Après la seconde guerre mondiale, ce fut donc le tour de la Corée
(1950), puis de l'Iran (1953) où ce fou de Mossadegh voulait nationaliser
le pétrole, puis du Cambodge, du Vietnam et du Laos … terribles
guerres, millions de victimes! (1961-1972). Puis des actions diverses visant
à prendre le pouvoir : Guatemala (53-54, puis 60), Syrie (56-57), Haïti
(59-63), Équateur (60-63), Congo (60-64), Indonésie (65), République
dominicaine(60-66), Cuba (59) Uruguay (64-70), Chili précisément
(64-73), Bolivie (64-75), Congo (60-64), Zaïre (75-78), la Jamaïque
(76-80), Grenade (79-84), Libye (81-89), Irak (72-75), Panama (69-91), Salvador
(90-94), Irak de nouveau (90-91) Afghanistan (79-92), pour la troisième
fois Irak (2002…) … On a écrit – mais comment le vérifier?-
que le nombre des victimes de ces multiples opérations peut être
comparé à celui des grandes catastrophes chinoise (Mao) et russe
(Staline).
Dans ce mouvement de conquête, les Etats-Unis furent portés par
deux phobies. La première fut celle du communisme: dès qu'un pays
en voie de développement s'essayait à une politique sociale de
nationalisation des grandes compagnies ou de redistribution des terres, ils
criaient au communisme et prenaient possession du pays pour lui imposer leur
ordre. Depuis l'attentat du 11 septembre 2001 ils ont trouvé un nouvel
adversaire, le "terrorisme", au nom duquel ils bouleversèrent
leur constitution (Patriot Act) et qu'ils invoquèrent pour justifier
leurs agressions… Dans tous les cas évoqués, leurs intérêts
économiques sont toujours sous-jacents. Le pétrole en particulier,
dont ils sont les plus grands consommateurs au monde. De toute façon
ils l'ont clairement dit : "Les Etats-Unis ont l'intention de dominer le
monde jusqu'à la fin des temps et de détruire toute puissance
qui oserait les défier."