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Déposé à la SACD


CHILI : LA MORT D'ALLENDE
***

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


Les Etats-Unis ont souvent utilisé leur formidable puissance militaire et économique pour asservir de petits pays dans lesquels ils avaient pris ou voulaient prendre des intérêts (on en trouvera une liste approchée dans le rappel historique). Un des cas les plus frappants est celui du Chili où, en 1970-1973, ils renversèrent le gouvernement du président Allende, suspect de menacer les profits des multinationales américaines et coupable à leurs yeux de mener une politique socialiste.


PERSONNAGES
Le président américain Nixon, son conseiller Kissinger.
Le président chilien Allende.
Trois citoyens chiliens représentant le peuple chilien.
Trois agents de la C.I.A.
Le général Pinochet

1 – Le Président Nixon a peur des communistes.
NIXON - Moi, je suis le Président des Etats-Unis et à ce titre j'ai des responsabilités! Vous me comprenez? Des responsabilités vis à vis du monde entier! Kissinger, est-ce que quelqu'un pourrait le contester?
KISSINGER - Non, bien sûr, monsieur le Président… Nous sommes, c'est bien connu, les gardiens de l'ordre de ce monde.
NIXON – Aussi vrai que je m'appelle Nixon, je ne peux donc pas permettre que la main de Moscou s'étende sur l'Amérique du Sud. Or, j'apprends, Kissinger, qu'au Chili…
KISSINGER – Oui, c'est vrai. Nous nous sommes laissés prendre par surprise. Allende a effectivement été élu Président du Chili.
NIXON - Allende est un communiste. S'il réussit, nous verrons le communisme s'étendre progressivement au Brésil, au Pérou, à l'Argentine… et à tous ces petits pays d'Amérique centrale dont je n'arrive jamais à retenir les noms…
KISSINGER - Nicaragua, Panama, Équateur, Colombie, Venezuela…?
NIXON - Oui, c'est ça…!
KISSINGER - J'en oublie moi aussi…
NIXON – Vous avez quand même une meilleure mémoire! Kissinger, ai-je besoin de vous faire un topo? Mondialement, les communistes sont nos ennemis…
KISSINGER – Et réciproquement, tout ce qui s'oppose aux intérêts de l'Amérique ne peut être que communiste!
NIXON – Exactement! Or, si donc nous laissons les communistes s'infiltrer… Vous connaissez la théorie des dominos?
KISSINGER - Oui, bien sûr, c'est moi qui l'ai inventée… Ils tombent les uns après les autres, l'un poussant l'autre, de proche en proche… A la fin, ils sont tous par terre!
NIXON – Et c'en est déjà trop de Cuba, que ce damné Fidel Castro nous a enlevé…
KISSINGER - Mais pour en revenir au Chili, Allende n'est encore que Président. La vraie menace viendrait des élections législatives. La classe ouvrière chilienne est forte et soudée, elle pourrait obtenir une majorité à l'Assemblée.
NIXON – (de plus en plus excité) N'allez pas chercher plus loin… Ce sont des communistes! Je vous le dis, ce sont des communistes…
KISSINGER - Vous avez raison… (il va chercher un message qu'on lui apporte) … D'autant plus raison que cette fois-ci, ils ont tenu leurs élections et… c'est fait: communistes ou pas, ils ont la majorité à l'Assemblée.
LES TROIS CHILIENS - (entrent les trois Chiliens qui représentent le peuple. Ils défilent en levant le poing et en répétant) Viva el Presidente Allende… (plusieurs fois)…
NIXON - (hystérique ) Vous soyez bien! Ce sont des communistes, ce sont des communistes!
KISSINGER - Et voici le Président Allende qui s'adresse à eux…. (Nixon et Kissinger regardent la manifestation chilienne)

2 – Allende parle au peuple chilien.
ALLENDE – (entrant) Mes amis, Voici que le parti de l'Unité Populaire vient d'être élu avec la moitié des voix des citoyens du Chili. C'est une grande victoire qui va nous permettre d'appliquer notre programme… (se tournant vers Nixon et Kissinger) Mais je m'interromps un instant pour dire en passant à nos adversaires que nous ne sommes pas communistes, mais que nous sommes socialistes. La seule chose que nous désirons, c'est d'instaurer au Chili un État qui soit géré par le peuple et pour le peuple.
NIXON – Il a beau dire, ce sont des communistes, ce sont des communistes, c'est clair! Je le sais.
LES TROIS CHILIENS - Viva el Presidente Allende!
ALLENDE - Voici donc notre programme… Nous allons tout d'abord améliorer le sort de nos populations, qui sont parmi les plus misérables de l'Amérique latine. Nous mettrons en place des institutions de santé, d'enseignement, de sécurité, de retraite, de logement qui jusqu'ici nous manquent cruellement.
LES TROIS CHILIENS - Viva el Presidente Allende!
NIXON - Ils sont insupportables de crier comme ça… (imitant) Viva el Presidente Allende, Viva el Presidente Allende… Si le peuple gouverne, qui sera gouverné?
LES TROIS CHILIENS - Viva el Presidente Allende, Viva el Presidente Allende!
ALLENDE - Ensuite, sachant que nous sommes étranglés par les grosses sociétés américaines…
NIXON - Ce culot, non mais ce culot… Étranglés! …Je m'en étrangle!
ALLENDE - … étranglés donc, par les grosses sociétés américaines, qui ont envahi notre économie, nous procéderons à un vaste programme de nationalisations et reprendrons ainsi possession de la richesse nationale dont nous avons été spoliés… Ensuite nous mettrons en route une réforme agraire et redistribuerons les terres des grands propriétaires aux paysans qui les cultivent.
NIXON – Vous voyez bien, je vous le dis, je le répète, ce sont vraiment des communistes. Il faut agir…
LES TROIS CHILIENS - Viva el Presidente Allende, Viva el Presidente Allende…
ALLENDE - Je tiens à ajouter que si la révolution de Cuba s'est faite par la force des armes, la nôtre se fera conformément à la légalité. Vive le Chili nouveau!
NIXON - Légalité, légalité… S'ils croient nous impressionner. Légalité mon cul!
ALLENDE – Allons nous mettre au travail! (il sort)
LES TROIS CHILIENS – (sortent en défilant) Viva el Presidente Allende, Viva el Presidente Allende…
NIXON – Assez comme ça! Ces chiliens nous font… chilier. Que ferons-nous?
KISSINGER - Allez en paix, Président… en paix, si l'on peut dire! Mais pourquoi ne le dirait-on pas? Paix est le mot préféré de celui qui veut partir en guerre! Donc, allez en paix! J'ai convoqué la C.I.A. et nous allons nous occuper sérieusement du problème. (Nixon sort)

3 – Brainstorming à la C.I.A.
KISSINGER - Quand ils débarquèrent sur leur nouveau continent, les Américains étaient animés par un profond amour de la liberté et après avoir courageusement massacré les Indiens, qui entravaient cette liberté, ils décidèrent qu'ils se feraient désormais dans le monde les champions de tous les peuples opprimés. Et comme ils étaient aussi fort religieux ils proclamèrent aussi tout naturellement que toutes les guerres qu'ils feraient au nom de la liberté seraient des guerres justes. Pour mener à bien ces guerres et ramener à la raison les pays rebelles, les Américains, dans leur sagesse, leur bonté et leur sollicitude, les Américains donc disposent des trois moyens… Le premier est tout bêtement de leur faire précisément la guerre et quand il le faut, ils ne s'en privent pas! Le second leur permet, avec l'aide de leurs grandes compagnies internationales, de prendre tout simplement possession sans coup férir de l'économie des pays rebelles. Le troisième enfin consiste, grâce à leurs réseaux d'espionnage et d'intervention, à pourrir les nations de l'intérieur pour y imposer des régimes politiques de leur choix… Holà, C.I.A. à moi!
LES TROIS AGENTS DE LA C.I.A. – (entrant subitement) C.I.A. à votre service!
KISSINGER - Noble et secrète C.I.A., je vous salue! Aujourd'hui, il est question du Chili. Vous le savez, nous autres, Américains, nous serions coupables de rester sans rien faire pendant qu'à cause de l'irresponsabilité de ses dirigeants un pays sombre dans le communisme! Vous connaissez la mission… Maintenant, séance de créativité, brainstorming tous azimuts… Sujet à traiter: comment pourrir la vie du président Allende… Crédits illimités!
PREMIER AGENT C.I.A. - On pourrait prendre le contrôle des journaux chiliens, qui iraient partout crier que le président Allende est une ordure.
DEUXIEME AGENT C.I.A. - On pourrait même financer de nouveaux journaux… plus perfides!
TROISIEME AGENT C.I.A. - Naturellement… Et pourquoi pas soutenir, pendant qu'on y est, les partis d'opposition?
DEUXIEME. - Les partis d'opposition… Oui, je suis sûr qu'il y en a qui sont prêts à commettre des attentats… Mais il faudrait leur fournir des bombes.
PREMIER – Naturellement. Les fascistes sont des têtes brûlées qui ne reculent devant rien.
TROISIEME – Et même organiser des troupes de casseurs.
PREMIER – Autre idée: acheter les hommes politiques… ou les faire disparaître!
DEUXIEME – L'un ou l'autre, au choix. Oui! Mijoter quelques assassinats bien ciblés… Ca fait toujours réfléchir les autres!
TROISIEME - Nous équiperions les extrémistes de mitraillettes. Avec des munitions démarquées, naturellement.
PREMIER - J'ai une autre idée: soudoyer aussi les syndicats et susciter des grèves.
TROISIEME - C'est ça… Paralyser l'économie!

NIXON - (entrant et intervenant subitement) Ca va, ça marche?
KISSINGER - Oui, Président, la machine à démolir commence à bien tourner.
NIXON – Parfait! Tâchez d'être efficaces… (il sort)

PREMIER - Pour paralyser l'économie, il y aurait un moyen bien plus simple… Toutes leur machines, tous leurs camions sont américains… Nous cesserions la livraison des pièces détachées!
TROISIEME - Allez-y carrément: mettre l'embargo sur toutes les fournitures américaines. Ils ne résisteraient pas!
DEUXIEME - Et leur couper aussi les crédits, pendant que vous y êtes!
PREMIER - Oui. Et aussi fermer les banques et les caisses d'épargne.
DEUXIEME - Et comment n'avons-nous pas encore pensé à l'armée… Elle regorge de généraux. Je suis sûr qu'il y en a quelques-uns qu'on pourrait acheter.
TROISIEME - Je verrais aussi une grande campagne alarmiste: le communisme va vous dévorer!
PREMIER -. Il faudrait surtout faire peur aux femmes: …va vous dévorer, vous et vos enfants!
DEUXIEME– Oui, mais faire peur aussi aux hommes pour qu'ils aillent cacher leur fortune à l'étranger!
PREMIER - Les affoler complètement… Des dessins satiriques, des spots radio, des affiches…

NIXON - (entrant et intervenant subitement) Ca va toujours?
KISSINGER - Soyez tranquille, nous aurons bientôt fini.
NIXON – Très bien, dépêchez-vous, ça me démange! (il sort)

DEUXIEME – Et pourquoi ne pas viser aussi le clergé… Important, le clergé! Ce serait facile, il est du côté des bourgeois et de l'ordre établi… Pour eux les communistes sont le diable!
TROISIEME – Nous inventerions une lettre du Pape contre le communisme…
PREMIER – Formidable! Le clergé, oui. Mais j'insiste sur l'armée… c'est sur elle qu'en fin de compte nous devrons nous appuyer pour emporter le morceau. Elle est la seule à avoir des armes…
TROISIEME – Ah, les armes! Oui, c'est vrai, vous avez raison… Les armes!
PREMIER - Nous en revenons donc aux généraux! Quel est celui qui est le meilleur marché?
DEUXIEME – Je dirais plutôt quel est le plus ambitieux?
TROISIEME – J'en connais un… mais vous le connaissez aussi! J'en fais mon affaire. Ce n'est pas le meilleur marché mais c'est le plus ambitieux! En ce qui concerne les armes, il faudrait aussi que l'armée puisse contrôler que personne d'autre n'en a…
PREMIER - Très bonne idée: l'armée contre un peuple désarmé… Comment résister?
KISSINGER - Tout cela est excellent! Il ne faut jamais livrer un combat sans être sûr de le gagner et le meilleur moyen est de désarmer l'adversaire avant la bataille!… Vous irez maintenant mettre en ordre le fruit de vos réflexions et vous préparer à l'action. (ils sortent)

4 – Le Chili en proie aux désordres.
ALLENDE – (revenant seul et parlant à l'assistance) Maintenant donc que nous avons été élus, nous allons entrer fermement dans l'action et reprendre possession de notre pays. Et pour commencer nous proclamons la nationalisation des mines de cuivre, dont les Américains se sont emparés. Le cuivre représente 80% de nos exportations.
DEUXIEME CHILIEN - (entrant et sortant) Les bourgeois ne sont pas contents, ils avaient partie liée avec les Américains.
TROISIEME CHILIEN - (entrant et sortant) Les Américains non plus ne sont pas contents!
ALLENDE - Je m'y attendais… Nous devons serrer les rangs… Courage, nous allons ajouter au cuivre le fer, le ciment, le nitrate, le charbon, le textile… Alors?
PREMIER CHILIEN - (entrant et sortant) Les bourgeois et les Américains trépignent de rage!
DEUXIEME CHILIEN – (entrant et sortant) Trépignent de rage…
TROISIEME CHILIEN – (entrant et sortant) Trépignent de rage…
ALLENDE - J'espère qu'ils vont se calmer. Tout ce que nous faisons, c'est pour le bien du Chili! Et maintenant nous allons redistribuer les terres aux paysans…
PREMIER CHILIEN - (entrant et sortant) Président, ils ont assassiné le général Schneider, qui était un de vos partisans. Et aussi Perez Zujovic, qui était un de vos alliés.
ALLENDE - Nos adversaires sont en train de chercher à nous affaiblir et à nous diviser. Nous, nous n'avons pas d'armes, mais (exalté) nous avons le pouvoir extraordinaire que représente la force de l'ouvrier, du paysan, de l'étudiant aux côtés de l'armée, pilier du régime!
DEUXIEME CHILIEN - (entrant et sortant) Vous êtes dans l'illusion… L'armée n'est pas si sûre que ça et les ouvriers ergotent. Ceux des mines du cuivre, que vous venez de nationaliser, se sont même mis en grève. Ce sont les Américains qui les financent!
ALLENDE - Les ouvriers en grève, il ne manquait plus que ça… Pourtant nous venons de mettre en chantier plus de 80 000 logements! Le peuple devrait en tenir compte…
PREMIER CHILIEN - (entrant et sortant) Et les propriétaires terriens dépossédés se promènent dans la campagnes avec des fusils pour tirer sur les paysans…
TROISIEME CHILIEN - (entrant et sortant) Et les grands éleveurs font passer leurs troupeaux en Argentine: il n'y a plus de viande sur les marchés.
DEUXIEME CHILIEN - (entrant et sortant) Leurs troupeaux en Argentine et leurs capitaux à l'étranger: plus d'argent dans les banques!
ALLENDE - Cela n'empêche pas qu'en deux ans, depuis que nous sommes au pouvoir, l'économie a fait un bond, que le pouvoir d'achat a augmenté… Cependant j'ai peur, j'ai peur que nos alliés du centre ne nous lâchent et que des manifestations violentes ne soient montées par les opposants de droite ou d'extrême droite… Quant à l'armée… Écoutez-moi, nous sommes forts et organisés. La classe ouvrière chilienne ne se laissera pas décontenancer. Nous avons été plus de 700 000 à nous réunir à Santiago pour manifester. (exalté )Je vous le dis: le socialisme ne se construit pas à coups de décrets-lois, mais par un changement dans les relations entre les personnes. Il faut donner naissance à un Homme nouveau.
KISSINGER - (apparaissant) Le pauvre idiot! L'Homme nouveau ne peut rien contre les armes. Le socialisme et la légalité ne peuvent rien contre les canons! Le moment suprême est venu. Il ne croit pas à la force, tant pis pour lui! …Moi, Kissinger, je vous garantis que nous allons jeter tous nos moyens dans la balance! Il y a déjà mille cinq cents agents de la C.I.A. en action dans tout le Chili et nous avons ouvert des crédits illimités. (il sort)
(Le premier, le deuxième et le troisième chilien entrent et restent en scène)
DEUXIEME CHILIEN - Maintenant c'est la grève dans les stations de radio!
PREMIER CHILIEN - Maintenant, c'est la grève de camionneurs! La nation est paralysée.
TROISIEME CHILIEN - De nombreux incendies d'usines, de forêts, de monuments.
DEUXIEME CHILIEN - Le palais du Président a été attaqué.
PREMIER CHILIEN - Les commerçants stockent les produits alimentaires pour affamer la population!
TROISIEME CHILIEN - Quelquefois même ils les brûlent.
DEUXIEME CHILIEN - L'évêché a déclenché une campagne de mensonges et de calomnies.
TROISIEME CHILIEN - Les attentats contre les personnes se multiplient.
PREMIER CHILIEN - Les juges sont corrompus, ils ont relâché l'assassin du Général Schneider.
DEUXIEME CHILIEN – Ils assurent de même l'impunité à tous les criminels de droite.
TROISIEME CHILIEN - Le prix des aliments ne cesse de monter.
PREMIER CHILIEN - L'extrême droite vient de mitrailler un défilé ouvrier.
DEUXIEME CHILIEN - Les groupes fascistes renversent les voitures et incendient les autobus.
PREMIER CHILIEN - Les croiseurs des Etats-Unis. paradent le long de nos côtes.
TROISIEME CHILIEN - Les marins socialistes ont été emprisonnés et torturés.
DEUXIEME CHILIEN - L'armée est de plus en plus tentée de prendre le pouvoir.
TROISIEME CHILIEN - Elle multiplie les fouilles pour s'assurer que les ouvriers n'ont pas d'armes.
ALLENDE – Cette fois-ci, c'est grave! Je vais me réfugier au siège du gouvernement, au palais de La Moneda, dernier refuge de la légitimité. J'y soutiendrai tous les assauts. (il sort suivi des chiliens)

5 – Les pleins pouvoirs au général Pinochet
NIXON - Allez, maintenant les choses ont assez duré. Général Pinochet, vous vous êtes converti à notre cause, vous avez été nommé à la tête de l'armée et le fameux 11 septembre 1973 arrive. Il est temps de passer à l'action et de nous faire enfin, ce coup d'État qui vous rendra si joyeusement célèbre. Je vous donne vingt-quatre heures. (il regarde Pinochet faire ce qu'il a à faire)
LE GENERAL PINOCHET - Très bien, je prends les choses en main… Et tout d'abord, à minuit, je fais sauter le siège du parti communiste avec tous les salauds qui sont dedans (on entend une explosion). Ensuite, dans la nuit, je fais placer des mitrailleuses sur le toit des bâtiments publics. Maintenant il est six heures du matin et je vais tirer sur les ouvriers qui, dans le petit matin, au lieu d'aller gentiment au travail, sont en train de manifester. Ah, ah, je vous aurai! (on entend les tirs de mitrailleuse) De toute façon nous procédons aussi à l'arrestation des meneurs et des syndicalistes. Nous avons les listes! Et si on ne les trouve pas dans les rues ou à l'usine, on va les cueillir chez eux (on entend des appels, des piétinements). Allons, allons… pressons: entassez-les dans le stade de Playa Ancha, passez-les vigoureusement à tabac, jetez-les tout vivants dans les cales des bateaux (on entend des cris de douleur). Et n'oublions pas les stations de radio: qu'on en prenne possession et qu'on annonce que nous, les militaires, avons pris le pouvoir pour sauver la Nation. Insistez là-dessus: pour sauver la Nation. Qu'on envahisse aussi les services publics, qu'on occupe les ministères… (on entend des bruits de voitures, des klaxons, des sifflements de pneus). Bon travail! Maintenant il est neuf heures, préparez le siège du palais de La Moneda où s'est réfugié le traître Allende. Que les tanks se mettent en place, que les avions survolent les lieux… (on entend un sifflement d'avion à réaction). Maintenant, il est dix heures, ouvrez le feu sur le palais de La Moneda (on entend des tirs de mitrailleuses et des explosions)… Halte au feu… Écoutez-moi là-bas dedans: "Pour éviter de faire couler le sang, nous suspendons notre attaque. Nous donnons aux occupants de La Moneda jusqu'à onze heures pour se rendre et quitter les lieux. Faute de quoi le palais sera bombardé par les forces aériennes du Chili. Les travailleurs, quant à eux, doivent demeurer sur les lieux de travail avec interdiction d'en sortir, sous peine d'être mitraillés." (grand silence) Ils refusent de se rendre! Très bien, continuez l'attaque (on entend un bruit de bataille prolongé, puis soudain tout s'arrête). Treize heures quarante! Que se passe-t-il? Ils se sont rendus… Alors, occupez le palais. Treize heures cinquante-huit… (on entend une rafale de mitraillette). Vous avez entendu, ce chien d'Allende s'est suicidé! L'annonce officielle en sera bientôt faite… (se retournant vers le Président Nixon). Ca y est, Président: même pas vingt-quatre heures! Vite fait, bien fait!
NIXON - Très bien, général Pinochet. Vous avez si bien maîtrisé les événements que nous vous confions la suite des opérations. Vous avez les pleins pouvoirs… Naturellement vous les exercerez selon nos directives. Mais ne vous faites pas d'illusions: le travail n'est pas fini et vous avez encore à mater tout un peuple rebelle. Nous vous y aiderons.
LE GENERAL PINOCHET - A vos ordres, président Nixon.


RAPPEL HISTORIQUE

Les Etats-Unis ont derrière eux une longue carrière de prédateurs…
Pour ne rien dire des Indiens dont ils avaient envahi le territoire, ils s'en prirent d'abord au Mexique auquel ils enlevèrent ce qui est aujourd'hui les provinces du Nouveau Mexique, d'Utah, d'Arizona, du Nevada. Ensuite ils débarquèrent dans quelques petites îles du Pacifique, Hawaï, Midway, Guam… pour faire face à la Chine et au Japon. Et puis Porto Rico, les Philippines et Cuba, qu'ils arrachèrent à l'Espagne. Ensuite, dans la première moitié du XXe siècle, ils se mêlèrent des problèmes du Nicaragua, du Guatemala, du Honduras et plus généralement de l'Amérique du Sud, dont les peuples avaient certes besoin de paix, de justice et de liberté, mais surtout disposaient d'abondantes réserves de matières premières…
Alors, vint la seconde guerre mondiale où ils eurent effectivement en Europe et an Asie un rôle de libérateurs. Ce qui fit beaucoup pour leur donner une image rassurante et couvrir ensuite les coups de force auxquels ils se livrèrent: ils étaient les soldats de la liberté!
Après la seconde guerre mondiale, ce fut donc le tour de la Corée (1950), puis de l'Iran (1953) où ce fou de Mossadegh voulait nationaliser le pétrole, puis du Cambodge, du Vietnam et du Laos … terribles guerres, millions de victimes! (1961-1972). Puis des actions diverses visant à prendre le pouvoir : Guatemala (53-54, puis 60), Syrie (56-57), Haïti (59-63), Équateur (60-63), Congo (60-64), Indonésie (65), République dominicaine(60-66), Cuba (59) Uruguay (64-70), Chili précisément (64-73), Bolivie (64-75), Congo (60-64), Zaïre (75-78), la Jamaïque (76-80), Grenade (79-84), Libye (81-89), Irak (72-75), Panama (69-91), Salvador (90-94), Irak de nouveau (90-91) Afghanistan (79-92), pour la troisième fois Irak (2002…) … On a écrit – mais comment le vérifier?- que le nombre des victimes de ces multiples opérations peut être comparé à celui des grandes catastrophes chinoise (Mao) et russe (Staline).
Dans ce mouvement de conquête, les Etats-Unis furent portés par deux phobies. La première fut celle du communisme: dès qu'un pays en voie de développement s'essayait à une politique sociale de nationalisation des grandes compagnies ou de redistribution des terres, ils criaient au communisme et prenaient possession du pays pour lui imposer leur ordre. Depuis l'attentat du 11 septembre 2001 ils ont trouvé un nouvel adversaire, le "terrorisme", au nom duquel ils bouleversèrent leur constitution (Patriot Act) et qu'ils invoquèrent pour justifier leurs agressions… Dans tous les cas évoqués, leurs intérêts économiques sont toujours sous-jacents. Le pétrole en particulier, dont ils sont les plus grands consommateurs au monde. De toute façon ils l'ont clairement dit : "Les Etats-Unis ont l'intention de dominer le monde jusqu'à la fin des temps et de détruire toute puissance qui oserait les défier."