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Déposé à la SACD


RICHELIEU ET LA JOURNEE DES DUPES
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Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
L'historien de service, le roi Louis XIII, la reine Marie de Médicis,
Richelieu, le cardinal de la Valette, le duc de Saint Simon


1 - Marie de Médicis ne supporte plus Richelieu
L'HISTORIEN DE SERVICE - Lorsqu'Henri IV mourut en 1610, son fils Louis XIII n'avait que neuf ans et la régence du royaume fut confiée à sa mère, Marie de Médicis. Celle-ci nomma comme ministre principal celui qui deviendrait le cardinal de Richelieu, en qui elle avait grande confiance. Mais les années ont passé, le roi a maintenant 30 ans et il en est progressivement venu aux affaires. Ce qui fait que pour l'heure le royaume est gouverné par trois personnes, le roi, sa mère et le cardinal. Malheureusement, Marie de Médicis s'est progressivement brouillée avec le cardinal. Le roi cherche à les raccommoder. Nous sommes en novembre1630…
LE ROI - Mais enfin, dites-le moi une bonne fois, ma mère, qu'avez-vous contre Richelieu? C'était votre homme pourtant!
MARIE DE MEDICIS - Il ne l'est plus.
LE ROI - Voilà qui est bien soudain! Vous avez cependant fait le voyage de Lyon jusqu'à Paris en sa compagnie.
MARIE DE MEDICIS - Il s'était invité dans mon carrosse. Il a bien fallu que je le supporte. Maintenant, je lui ai retiré toutes les charges qu'il avait auprès de moi.
LE ROI - C'est une surprise, je n'en savais rien.
MARIE DE MEDICIS - Cela ne date que de tout à l'heure… Et j'ai congédié aussi sa nièce, Mme de Combalet, qu'il avait placée auprès de moi… Des comploteurs!
LE ROI - Vraiment, le croyez-vous?
MARIE DE MEDICIS - Si vous voulez le savoir, je suis très fâchée que le cardinal se soit mêlé des affaires de votre frère Gaston, le duc d'Orléans. Un mariage est une affaire de famille, il n'a rien à y faire.
LE ROI - Ce mariage est aussi une affaire d'Etat!
MARIE DE MEDICIS - Comme si je n'étais pas capable de m'occuper d'affaires d'Etat!
LE ROI - Si je viens à mourir, Gaston montera sur le trône. Cela n'est pas sans importance. Le cardinal ne peut s'en désintéresser.
MARIE DE MEDICIS - Vous voulez toujours me contrarier… J'ai congédié aussi mon capitaine des gardes et quelques demoiselles d'honneur… Ils ne me servaient pas, ils m'espionnaient.
LE ROI - Puis-je savoir, ma mère, quelles sont les raisons exactes ce cette subite intolérance?
MARIE DE MEDICIS - Elle n'est pas subite… Il y a longtemps que… J'ai l'honneur d'être votre mère, c'est-à-dire la mère du roi de France, et aussi la mère de la reine d'Angleterre et aussi la mère de celle d'Espagne, pour ne pas parler de la duchesse de Savoie. Donc, et bien que je touche à la soixantaine, écoutez-moi, monsieur mon fils, et laissez-moi vous dire qu'en sus des problèmes de famille dont il veut se mêler, le cardinal mène une politique toute entière orientée contre l'Espagne, qui est catholique et qui nous est apparentée… Au lieu de s'intéresser aux affaires du royaume dans lequel il laisse les protestants libres de croire et de pratiquer leur religion!
LE ROI - C'est lui pourtant qui vient de mener cette campagne victorieuse du Languedoc contre les dits protestants… Je ne vous comprends pas. Toutes ces villes et tous ces châteaux pris et démantelés. Il a bien affirmé contre eux le pouvoir du roi?
MARIE DE MEDICIS - Il s'est contenté de démolir des murs alors qu'il aurait fallu couper des têtes.
LE ROI - Monsieur le cardinal est chrétien, je vous le rappelle, et vous ne l'êtes guère. Pourvu qu'ils soient de bons sujets, il estime inutile de chagriner les gens sur leur religion.
MARIE DE MEDICIS - Je suis meilleure chrétienne que lui. Et est-ce chrétien, comme il le fait, de s'en prendre aux grands seigneurs et de les empêcher de se battre en duel à leur guise?
LE ROI - Oui, cela est chrétien! Et aussi de les empêcher de conspirer contre moi et d'essayer de me remplacer par mon frère!
MARIE DE MEDICIS - C'est cela, parlons-en… Je ne lui pardonnerai jamais l'exécution de ce pauvre comte de Chalais!
LE ROI - Il le fallait, ma mère… Et c'est à moi qu'il faut demander des comptes, pas à lui.
MARIE DE MEDICIS - Et fallait-il à cette occasion humilier comme vous l'avez fait votre frère et embastiller ses amis?
LE ROI - Le cardinal a bien agi. Il y allait de la stabilité de l'Etat et de l'affermissement de mon pouvoir. Je l'approuve.
MARIE DE MEDICIS - Le cardinal, le cardinal… C'est moi qui l'ai fait, qui l'ai protégé, il me doit la faveur excessive dont il jouit auprès de vous. Et maintenant le cardinal, qui a tant gagné dans votre esprit, voudrait… mais pensez-vous que ce soit possible? le cardinal voudrait me protéger à son tour. En réalité, il me méprise. Surtout depuis ce siège de La Rochelle où il s'est acquis tant de gloire! Et moi, que me reste-t-il? En s'augmentant, il contribue à me diminuer…
LE ROI - Ma mère, vous ne voyez pas les choses comme il faut…
MARIE DE MEDICIS - Et vous voyez que vous aussi vous voulez me diminuer, pis encore, m'y faire consentir. Vous avez pris le parti du cardinal.
LE ROI - Mais je vous assure que…
MARIE DE MEDICIS - Il voudrait me manœuvrer comme si j'étais une marionnette!
LE ROI - Que ce mot est désastreux!
MARIE DE MEDICIS - C'est pourtant celui que certains emploient en parlant de moi.
LE ROI - Ma mère, en dehors de ce mot, je ne vois pas d'où vous vient tant de rancœur. Mais qu'est-ce que ce bruit qu'on entend?

2 - Richelieu se défend
MARIE DE MEDICIS - Ce doit être précisément monsieur le cardinal qui essaye de rentrer. Mais j'ai fait fermer à clef toutes les portes du palais, je ne veux pas le voir.
LE ROI - (allant à la fenêtre) En effet… mais je ne vois pas pourquoi vous ne voulez pas le voir!
MARIE DE MEDICIS - Je viens de vous l'expliquer. C'est un intrigant! Il aura appris que je ne veux plus de lui et il vient probablement me supplier de le garder…
LE ROI - Vous le connaissez mal.
MARIE DE MEDICIS - Au reste j'ai fait savoir que je prendrais médecine et que l'on ne dérange pas.
LE ROI - Si vous en êtes à utiliser ces expédients! Le cardinal est un homme de cœur en qui j'ai placé toute ma confiance. Et la politique qu'il fait, c'est celle que je veux.
MARIE DE MEDICIS - Et c'est celle que moi, je ne veux pas…
LE ROI - Mais à la fin qui frappe à la porte?
RICHELIEU - (entrant) Vos Majestés… Je suis sûr que vous parlez de moi.
LE ROI - Monsieur le cardinal!
MARIE DE MEDICIS - Mais comment avez-vous pu rentrer? J'avais, à dessein de ne pas vous recevoir, fait condamner toutes mes portes.
RICHELIEU - Que Votre Majesté me pardonne. Pour avoir présidé à sa construction, je connais tous les secrets de ce palais. Et il y a justement dans la chapelle une porte secrète qui donne dans un couloir qui mène à votre chambre…
MARIE DE MEDICIS - (dont la colère monte progressivement) Est-ce une façon de forcer ma volonté? Vous vous imposez là où on ne vous veut pas. Non, nous ne parlions pas de vous.
LE ROI - Avouez donc, madame!
MARIE DE MEDICIS - Eh bien oui, nous parlions de vous, et nous parlions de vous comme du plus ingrat et du plus méchant des hommes.
RICHELIEU - (tombant à genoux) Madame…
MARIE DE MEDICIS - Est-ce que tu ne te souviens pas que tu n'es, tout cardinal que tu sois, qu'un vulgaire parvenu, que c'est moi qui t'ai fait monter où tu es. Et tu n'y serais jamais arrivé si je ne t'avais fait cadeau d'un million en or… Je te méprise, tu n'es qu'un scélérat, un faquin, un menteur, un voleur, un ambitieux…
LE ROI - Madame, madame, vous me désobligez, vous me torturez!
RICHELIEU - Je croyais pourtant… J'ai toujours…
MARIE DE MEDICIS - Vous m'avez toujours mal servi. Je vous ai fait connaître ce matin que je vous avais retiré la charge de mes affaires. Mais je souhaite, tellement vous me faites horreur…
RICHELIEU - Madame, n'allez pas plus loin. Souffrez que je m'agenouille à vos pieds… Oui, je suis indigne de vous servir et je prie le roi de bien vouloir accepter que je me retire et que je renonce à toutes les fonctions qu'il m'a jusqu'ici données. Je souhaite aller me cacher quelque part où je me ferai oublier et où je passerai le reste de mes jours loin des affaires. Car il n'est pas possible que je continue à être le ministre du roi contre les volontés de sa mère.
LE ROI - Monsieur le cardinal…
MARIE DE MEDICIS - Eh bien, qu'attendez-vous, mon fils, pour congédier ce lamentable intrigant? Puisqu'il le demande… Allons, allons, préféreriez-vous un valet à votre mère?
LE ROI - Monsieur le cardinal, ne craignez rien, ce n'est pas vous, c'est moi qui suis humilié.
MARIE DE MEDICIS - Je sais, mon fils, vous allez encore vous dérober. Je vous connais trop bien, vous ne répondrez pas, selon votre habitude, et vous irez ensuite vous réfugier quelque part où vous ne m'entendrez pas.
LE ROI - Si vous n'aviez pas, monsieur le cardinal, forcé pour ainsi dire, la porte de ma mère, nous aurions évité cette pénible scène. Mais peut-être est-il bon qu'elle ait eu lieu. Maintenant, levez-vous, je vous en prie. Je vous suis reconnaissant de n'avoir pas répondu par la colère à la colère. Et s'il vous plaît, retirez-vous, … Et allez donc attendre mes ordres à Pontoise.
RICHELIEU - Je me retire… Mais permettez-moi auparavant, madame, de baiser le bas de votre robe. (il le fait puis sort)
MARIE DE MEDICIS - C'est un grand hypocrite!
LE ROI - Madame, n'ajoutez pas un mot… J'en ai assez entendu. Et je vais maintenant me rendre dans ma maison de Versailles.
MARIE DE MEDICIS - C'est bien ce que je disais, vous fuyez!
LE ROI - Si vous tenez à le croire! (il claque la porte et sort à son tour)

3 - Il faut faire face
L'HISTORIEN DE SERVICE - Richelieu avait gouverné la France d'une main très ferme et il avait beaucoup d'ennemis à la cour, en particulier parmi les grands seigneurs dont il s'était efforcé de réduire le pouvoir et l'influence… Dès que Marie de Médicis eut fait savoir ce qu'elle considérait comme la disgrâce de Richelieu, les courtisans accoururent en foule pour la féliciter de son succès et se féliciter eux-mêmes d'être débarrassés de l'intransigeant ministre… Cependant, le dit ministre se préparait à partir pour Pontoise!
RICHELIEU - (entrant en grand désarroi) Cette fois-ci, je suis un homme fini. Jamais je ne me relèverai de ce déshonneur. Jamais le roi ne consentira à se brouiller avec sa mère… Il m'a ordonné d'aller à Pontoise. Je vais m'y rendre et de là je préparerai mon voyage au Havre, dont je suis gouverneur et qui est ma ville… Je m'y réfugierai… Mais voici le cardinal de La Valette, que veut-il?
LE CARDINAL DE LA VALETTE - (entrant) Mon cher ami, vous voulez partir? Mais songez-vous à ce que vous allez faire? N'allez pas au Havre, ce serait reconnaître votre défaite. Celui qui quitte la partie la perd. Je vous en supplie, accrochez-vous, vous ne savez rien des sentiments profonds du roi. Je ne pense pas qu'ils soient ce que vous pensez. Allez à Versailles où il est en train de se rendre, parlez-lui et expliquez-vous.
RICHELIEU - Je ne sais plus que faire! Croyez-vous vraiment? Eh bien, allons…

4 - Conseil au roi
L'HISTORIEN DE SERVICE - Cependant le roi, lui aussi très fâché de ce qui venait de se passer, s'en alla d'abord au palais du Luxembourg. Il était gonflé par la colère à tel point que, s'étant jeté sur son lit, les boutons de son pourpoint sautèrent les uns après les autres.… Le duc de Saint Simon, qui l'avait accompagné, s'efforça de le calmer et de lui rendre confiance.
LE DUC DE SAINT SIMON - Sire, ne vous laissez pas aller. Il vient de se produire un de ces événements qui peuvent changer le cours des choses, si l'on sait bien les utiliser. Voyons, raisonnons calmement. Il était devenu évident que vous ne pouviez pas continuer à gouverner le royaume de cette façon, tiré à hue par votre mère et à dia par le cardinal. Jusqu'ici vous n'avez pas voulu trancher et nous en avons tous supporté les conséquences. Mais voici qu'aujourd'hui votre mère vous en donne l'occasion…
LE ROI - Je suis sûr qu'elle se croit victorieuse et que toute la cour s'est précipitée pour l'acclamer. Je n'ai cependant pas prononcé un mot qui puisse lui faire croire qu'elle l'a emporté.
LE DUC DE SAINT SIMON - C'est pour cela qu'il faut agir vite.
LE ROI - Je n'ai aucune envie et aucune raison de me priver des services du cardinal de Richelieu. Il a une tête politique que ma mère n'a pas, toute gouvernée qu'elle est par ses passions.
LE DUC DE SAINT SIMON - Vous venez de prononcer la phrase qui vous dicte votre conduite. Non votre mère, mais votre ministre! Vous savez que je ne suis pas en particulièrement bons termes avec le cardinal, mais je dois à l'honnêteté de vous dire ce que je pense vraiment. Le cardinal, c'est là le bien du royaume…
LE ROI - Aurais-je donc à briser le cœur de ma mère? Mais oui, votre conseil me paraît le bon. Que ferai-je donc maintenant?
LE DUC DE SAINT SIMON - Puisque vous vouliez aller à Versailles, allez-y donc et envoyez dire au cardinal qu'il vous y rejoigne… Ne tardez pas trop, il pourrait désespérer. Vous y aurez avec lui une de ces conversations qui font l'avenir d'un royaume.
LE ROI - Je ferai comme vous avez dit. Faites avertir le cardinal d'aller où je vais, je l'y aurai précédé.

5 - Victoire de Richelieu
L'HISTORIEN DE SERVICE - Et le roi se rendit à Versailles, qui n'était alors qu'un petit pavillon dans lequel il aimait à se retirer quand l'atmosphère du Louvre était trop pesante. Le cardinal le rejoignit, ne sachant trop que penser…
LE ROI - Monsieur le cardinal, ne craignez rien!
RICHELIEU - Croyez que je me soumettrai à vos volontés…
LE ROI - Monsieur le cardinal, si vous vous en étiez pris à ma mère… et je conviens qu'il y avait largement de quoi… si donc vous vous en étiez pris à ma mère, je ne vous aurais pas pardonné. Mais vous avez su rester calme. Nul ne peut s'en prendre à ma mère, si ce n'est moi. Ce que j'ai résolu de faire…
RICHELIEU - Majesté, vous êtes le meilleur des maîtres et je suis le plus fidèle et le plus respectueux serviteur qui soit au monde. Mais je crains de ne pouvoir répondre à votre bienveillance, car la reine mère est trop prévenue contre ma présence.
LE ROI - Il est vrai qu'il y a toute une cabale de vos ennemis qui ont pris son parti, mais j'ai résolu, envers et contre tous, de vous maintenir au pouvoir.
RICHELIEU - Je vous en supplie, si nous continuons comme nous avons fait jusqu'ici, nous allons naviguer sur un océan de tempêtes. Laissez-moi me retirer, je n'ai rien d'indispensable. Le gouvernement de la France sera alors en paix.
LE ROI - J'ai décidé qu'il n'en serait rien.
RICHELIEU - Je supplie votre Majesté…
LE ROI - Ma mère a joué un coup de trop, un de ces coups auquel je dois répondre par la fermeté sous peine d'avoir à rester sous sa coupe pour le restant de mes jours. Sa colère n'était pas contre vous, mais contre moi, je ne puis la laisser passer.
RICHELIEU - Votre majesté, laissez-moi partir…
LE ROI - Entendez-moi. Je vous commande absolument de rester et de tenir fermement le timon des affaires, parce que telle est mon irrévocable décision.
RICHELIEU - Mais, Sire, de quels yeux le monde verra-t-il votre Majesté me garder et comment pourrais-je faire face au reproche public de vous avoir fait ingrat à l'égard de la reine?
LE ROI - Encore une fois, il ne s'agit pas de la reine, mais de la cabale de telle ou telle de ces coteries qui ont provoqué cette tempête. Je m'en prendrai à eux aussi bien qu'à elle. Je me sens plus d'obligation envers mon Etat qu'envers ma mère.
RICHELIEU - Votre majesté a parlé en roi. Je resterai donc… (il s'agenouille et baise la main du roi)
L'HISTORIEN DE SERVICE - Ce fut le tournant du règne. Louis XIII exclut de son conseil les ministres favorables à sa mère, et les remplaça par d'autres, plus favorables au cardinal. Richelieu avait triomphé… Et les courtisans qui, la veille s'étaient précipités pour féliciter Marie de Médicis, l'abandonnèrent à sa solitude et à sa mauvaise humeur. Ils se retournèrent vers Richelieu et vinrent en foule le congratuler. Cette journée fut appelée la journée des dupes parce que ceux qui avaient pris le parti de la reine s'aperçurent le lendemain qu'ils s'étaient trompés. Richelieu conserva son pouvoir et son poste de ministre jusqu'à sa mort, en 1642. Quant à Marie de Médicis, elle ne supporta pas cette humiliation et peu de temps après s'exila elle-même du royaume.