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Déposé à la SACD


MARIE STUART
***
Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES
L'historien de service, Marie Stuart, Darnley,
Bothwell, Dunbar, Elisabeth, Belleville,
Huntley, Morton, le juge, l'officier de police, du Croc;
Marguerite Douglas

1 - Le contexte
L'HISTORIEN DE SERVICE - Nous sommes en Ecosse au seizième siècle… L'Ecosse est alors un royaume distinct de l'Angleterre, un royaume fruste et violent, composé de clans toujours plus ou moins en guerre les uns avec les autres. En 1542 y naît, de sang royal, une petite fille appelée Marie Stuart, qui six jours plus tard, à la mort de son père Jacques V, devient reine d'Ecosse. Mais comme, de par sa filiation, elle peut aussi prétendre au trône d'Angleterre, le roi d'Angleterre d'alors, le terrible Henry VIII, la demande aussitôt en mariage pour son propre fils, Edouard, ce qui lui permettrait de réunir un jour les deux couronnes d'Ecosse et d'Angleterre. Et pour être bien sûr que dans l'intervalle, elle ne soit pas mariée à quelque autre prétendant, il exige que la petite fille soit, dès son plus jeune âge, confiée à l'Angleterre. Sa mère, Marie de Guise, une française catholique, évidemment refuse cette demande d'un roi protestant et cache sa fille. Elle réussit même, lorsque celle-ci atteint ses six ou huit ans, à l'envoyer à la fastueuse cour de France pour y parfaire son éducation… Et là, la petite fille conquiert tous les cœurs et quelques années plus tard, épouse François II et devient reine de France… Malheureusement, François, de petite santé, meurt après un an de mariage et Marie, âgée alors de dix-huit ans, s'en retourne en Ecosse, dont elle est toujours la reine… Reine catholique au milieu d'un peuple que le prêcheur John Knox a plus qu'à moitié converti au protestantisme, ou mieux au puritanisme, qui est une variante rigoriste du protestantisme. Et John Knox s'est posé tout de suite en adversaire déclaré de la nouvelle reine, dont la morale, effectivement, n'a rien de puritain. Lorsque la pièce commence, il y a trois ans qu'elle est arrivée de France. Après avoir épousé le beau Henry Darnley, qui est devenu roi à ses côtés, elle s'en est dégoûtée et a pris comme amant (oui, c'est ce que beaucoup pensent!) son secrétaire italien David Riccio. Et c'est pratiquement Riccio qui gouverne le pays alors que Darnley, qui est pourtant le roi, se voit refuser tout réel pouvoir. Raison pour laquelle Riccio s'est attiré la haine non seulement de Darnley, mais de nombre de lords écossais. Ceux-ci ont alors organisé une conspiration et ils viennent à l'instant de poignarder Riccio sous les yeux même de la reine… Ce qui est un acte digne de toute louange, dira du haut de la chaire John Knox. Après quoi, Darnley revient dans la chambre de Marie Stuart…

2 - Au château royal d'Holyrood, à Edimbourg.
DARNLEY - Madame, il faut que vous nous signiez une déclaration…
MARIE STUART - Quelle déclaration? Pour dire quoi? Vous me tenez enfermée dans mon propre palais! Et vous, mon mari…
DARNLEY - Mes amis les lords ne vous rendront la liberté que lorsque vous les aurez innocentés. C'est cela que vous devez écrire…
MARIE STUART - Comment! Darnley, vous envahissez ma chambre et mes appartements, vous y bousculez mes hôtes, qui sont en train de souper, vous vous saisissez de mon secrétaire…
DARNLEY - Plus que votre secrétaire, avouez-le! Et catholique comme vous, par-dessus le marché!
MARIE STUART - Je n'avoue rien du tout… Vous le traînez dans la pièce voisine et là, en sauvages protestants que vous êtes, vous le poignardez impitoyablement. Et vous voudriez que…
DARNLEY - Oui, nous le poignardons. Un impudent petit musicien italien! Ne vous plaignez pas, notre projet était de le pendre au matin sur la place publique.
MARIE STUART - Pour sûr, vous serez punis pour cela.
DARNLEY - Non, madame… Ou alors c'est toute l'Ecosse qu'il faudrait punir.
MARIE STUART - Votre poignard à vous était encore planté dans son corps! Quand je pense que vous faites partie des assassins!
DARNLEY - C'était une exécution, pas un assassinat. Les conjurés ont signé un pacte. Ils savent ce qu'ils font, ce n'est que justice! Mais de peur qu'un seul ne soit accusé pour les autres, ils ont tous donné leur accord à la décision de se délivrer de la tyrannie de votre Riccio maudit. Ils ont signé l'engagement. Vous ne pouvez faire autrement, il faut les innocenter. Ecrivez…
MARIE STUART - Jamais! …Et pendant que vos amis l'assassinaient et que je cherchais à aller le secourir, vous m'avez pris par les bras et vous m'en avez empêchée … Jamais je ne vous pardonnerai, et jamais je ne leur pardonnerai… (elle s'arrête, chancelle…)
DARNLEY - Qu'avez-vous soudain?
MARIE STUART - Vous êtes-vous souvenu que depuis cinq mois je porte votre enfant, un fils peut-être! Je dis bien, votre enfant… qui sera l'héritier du trône d'Ecosse, et aussi du trône d'Angleterre… Mon Dieu, je sens que… (elle porte ses mains à son ventre)
DARNLEY - Vous n'allez pas…
MARIE STUART - Mais que vous ai-je donc fait pour que… vous aussi…?
DARNLEY - Ce que vous m'avez fait? Vous êtes la reine… et vous n'avez pas voulu faire de moi un vrai roi.
MARIE STUART - Comment, je vous ai fait couronner!
DARNLEY - Oui, mais vous ne m'avez donné aucun pouvoir. Je suis un roi de comédie. Toujours en représentation. Et vous me délaissez. Je me couche tout seul et je me réveille au milieu de cette cour trépidante comme un grand niais qui ne sait pas que faire de ses dix doigts, sauf à m'asseoir à vos côtés quand vous donnez audience. Et peut-être aussi me trompez-vous…
MARIE STUART - Est-ce le moment de parler de ça? (montrant des signes de grande douleur) Permettez au moins à quelques-unes de mes femmes de venir m'aider, je ne sais pas ce qui va se passer…
DARNLEY - Pardon! Bien sûr, je vais y aller. Etendez-vous au moins…
MARIE STUART - Un médecin aussi… Allez vite… (il va sortir, elle s'étend) Dans ce pays où les hommes se sont toujours considérés comme les maîtres, il est si difficile d'être femme!
DARNLEY - (revenant) Mais ne voulez-vous pas auparavant m'écrire cette lettre innocentant mes amis?
MARIE STUART - (épuisée) Je le veux, mais qu'ils en établissent eux-mêmes le texte. J'en suis incapable. Faites vite…
DARNLEY - Mais ensuite, vous signerez?
MARIE STUART - Oui, je signerai… Je signerai demain, est-ce que cela ne suffit pas? Je suis épuisée. Ma parole de reine… Et la vôtre! Vite, envoyez-moi du secours. Mes femmes et un médecin… Et, sur ma promesse, retirez aussi toutes ces sentinelles que vous avez mises autour du palais. Je n'aime pas cela…
DARNLEY - Puisque vous me donnez votre parole… j'y vais. Surtout, ne quittez pas votre chambre. (il sort)
MARIE STUART - (se relevant, à mi-voix) Darnley, si vous n'étiez pas le père de mon enfant, je vous poignarderais sur le champ de ma propre main.

3 - La reine prépare son évasion
L'HISTORIEN DE SERVICE - Mais Marie Stuart a aussi des amis, L'un d'eux, lord Bothwell, un efficace et ambitieux capitaine qu'elle a nommé à la tête de ses armées, a entendu le bruit et s'est approché de la chambre de la reine…
MARIE STUART - (se relevant précautionneusement et allant ouvrir une porte secrète) Lord Bothwell, je savais que vous étiez là. Vous avez entendu? Chut…
BOTHWELL - J'ai entendu…
MARIE STUART - Je l'ai laissé croire que j'allais faire une fausse couche… Je vais très bien… Ce que Darnley ne sait pas, c'est qu'il vient de se condamner lui-même!
BOTHWELL - Je vous comprends d'autant mieux que, d'après ce que j'ai surpris, je ne suis pas sûr que les conjurés n'en voulaient pas aussi à votre vie. Et qu'ensuite, ils auraient mis Darnley sur le trône.
MARIE STUART - Effectivement, j'ai cru qu'après Riccio, c'est moi qui allais être assassinée…
BOTHWELL - Je ne suis donc pas le seul à le penser! Comment vous sentez-vous? Etes-vous sûre de vraiment bien aller?
MARIE STUART - Je n'ai pas d'autre mal qu'une grande frayeur… en dehors de laquelle je crois que je suis prête à tout… Avant que mes femmes n'arrivent, voyons, que ferons-nous, là, tout de suite?
BOTHWELL - Si vous en avez le courage, la première chose est de vous faire sortir de ce château d'Holyrood, les conjurés y sont trop puissants! Le mieux serait de vous replier dans un des forteresses du voisinage et d'y reprendre votre pouvoir. A Seton, ou à Dunbar, près de la mer.
MARIE STUART - Comment cela…? Vous voudriez que je saute par la fenêtre?
BOTHWELL - Vos fenêtres sont effectivement trop hautes pour que, dans votre état, vous puissiez songer à sauter. Mais moi, je le peux.
MARIE STUART - Sautez donc tout de suite, allez donner l'alerte et faites préparer des chevaux… Je ne me fie pas à leurs promesses. Il y a au départ des cuisines un souterrain oublié… qui me conduira à l'extérieur. Je crois qu'il débouche dans le cimetière. C'est là que je vous attendrai.
BOTHWELL - J'y serai. Pour le moment, restez ici. Lorsque je serai prêt, je vous en donnerai le signal, vous me retrouverez et nous fuirons…
MARIE STUART - Non, nous ne fuirons pas, nous ferons face.
BOTHWELL - Vous avez raison… Plutôt que Seton, visons Dunbar, qui me semble le plus apte à nous recevoir et à nous protéger. Il n'est pas trop loin et le seigneur en est loyal.
MARIE STUART - Allez! J'attendrai votre signal.

4 - Au château de Dunbar: la reine fait face
L'HISTORIEN DE SERVICE - Le plan de lord Bothwell a réussi. D'autre part, la reine est si bien arrivée à retourner Darnley et à le mettre de son côté qu'il accompagne maintenant les fugitifs dans leur randonnée nocturne. Elle les mène, comme prévu, au château de Dunbar.
COMTE DE DUNBAR - (entrant, suivi de Marie) Entrez, Majesté. Bienvenue au château de Dunbar. Il n'y a pas beaucoup de femmes, Madame, qui, étant enceintes, puissent se vanter d'avoir parcouru de nuit vingt-cinq lieues sur la croupe d'un cheval au galop.
MARIE STUART - Le capitaine de mes gardes est un loyal serviteur et un excellent cavalier.
COMTE DE DUNBAR - Je n'en doute pas. Et plein de tact…
MARIE STUART - Deux cents hommes nous ont accompagnés, sous le commandement de notre ami lord Bothwell. Je vous en prie, comte de Dunbar, allez vous occuper d'eux et trouver moyen de les faire manger… et boire… Vous savez ce qui s'est passé à Edimbourg?
COMTE DE DUNBAR - La rumeur en court… un complot pour se débarrasser de… votre… secrétaire.
MARIE STUART - C'est bien cela… Darnley, le roi mon époux, faisait partie des conjurés. Mais j'ai réussi à le convaincre de les abandonner. Il a favorisé notre fuite et s'est joint à nous. Il va arriver dans les minutes qui suivent. Nous vous demanderons tous l'hospitalité quelques jours, le temps de reprendre en main la situation.
COMTE DE DUNBAR - C'est un honneur; Madame…
MARIE STUART - Sans perdre une minute, j'ai quelques lettres à dicter… Envoyez-moi, s'il vous plaît, un secrétaire.
COMTE DE DUNBAR - Vous ne voulez pas vous reposer, après votre chevauchée?
MARIE STUART - Mais non, tout va très bien. La nuit a été longue, mais je ne suis pas fatiguée. Le jour se lève et il est urgent que mes lettres partent. Il faut frapper avant que les conjurés ne se reprennent.
COMTE DE DUNBAR - Je vais donc vous envoyer le meilleur de nos secrétaires. (il sort)

MARIE STUART - (seule) Voyons, qui était de la conjuration? J'ai vu de mes yeux Darnley, naturellement, mais n'y touchons pas pour le moment. Il y avait aussi Ruthwell, qui a porté le coup fatal et aussi Sempill, et aussi Faudonside, qui m'a menacée de son pistolet… Je crois aussi que j'ai reconnu Morton et Lindsay. Quant aux autres, je questionnerai tout à l'heure les hommes de Bothwell, ils doivent savoir quelque chose. Tous ceux-là, nous les déclarerons rebelles. Aux autres, aux fidèles, nous allons écrire pour les prier d'intervenir? Où est le secrétaire?
SECRETAIRE - (entrant) Me voici!;
MARIE STUART - J'ai à vous dicter quelques lettres à envoyer un peu partout dans les châteaux voisins… La reine parle solennellement aux lords du royaume… Je vous prie de composer vous-même l'entrée en matière…
COMTE DE DUNBAR - (rentrant) Madame, il y a là, devant la porte du château, un cavalier qui demande à vous voir. C'est, je crois, lord Sempill… Il veut vous faire signer quelque chose.
MARIE STUART - C'est un des conjurés. Je sais ce qu'ils attendent. Je ne veux pas le voir… Ni lui signer quoi que ce soit. Moi, les innocenter! Surtout n'ouvrez pas la porte. Je vous en prie, donnez les ordres nécessaires. (le comte de Dunbar sort) Ces impudents Ecossais voudraient que j'efface leur crime! Je le laisserai devant la porte sur son cheval jusqu'à ce qu'il tombe de froid et de faim. A nous maintenant. Etes-vous prêt?
SECRETAIRE - Je suis prêt. Mais passons plutôt dans la salle voisine où la lumière est meilleure.

5 - Au château d'Edimbourg. La reine vient d'accoucher…
L'HISTORIEN DE SERVICE - Ayant maîtrisé la rébellion, Marie est rentrée à Edimbourg. Mais comme elle se sent mal à l'aise dans le château d'Holyrood dont elle a dû s'enfuir, elle se réfugie pour terminer sa grossesse dans la forteresse qui domine la ville. Après la naissance, lord Bothwell lui rend visite.
BOTHWELL - Le château d'Edimbourg! Cette sinistre forteresse… Pourquoi vous y êtes-vous enfermée?
MARIE STUART - Je ne voulais pas prendre le moindre risque. Il y a trop de poignards en Ecosse qui volent çà et là, et derrière les murs de cet épais château, je me sentais en sûreté pour accoucher.
BOTHWELL - De toute façon les assassins de Riccio ont tous quitté le territoire. Vous avez si fermement repris la main! Vous n'avez plus rien à craindre… Tous, sauf Darnley, évidemment, avec lequel vous semblez tout à fait réconciliée, mais que moi, j'expédierais volontiers dans l'autre monde.
MARIE STUART - Je vous en prie, laissez-moi Darnley vivant jusqu'à ce qu'il ait abondamment reconnu qu'il est le père de ce fils auquel je viens de donner naissance. Voulez-vous voir l'enfant?
BOTHWELL - Le voir… Oui, pourquoi pas?
MARIE STUART - Payez-moi ce petit tribut d'admiration que demande toute nouvelle accouchée... Prenez-le un instant dans vos bras! Je suis fière de cet enfant, parce que, malgré son sang Tudor, il est un Stuart. Mais je dois avouer que j'en ai honte aussi parce qu'il est le fils de son père et que j'ai honte de son père. En tout cas j'atteste devant Dieu, comme si je me trouvais au jugement dernier, que c'est là le fils de mon mari, le roi Darnley… et c'est tellement son fils que je crains que cela ne tourne mal pour lui…
BOTHWELL - Reprenez-le maintenant.
MARIE STUART - Ce bébé, j'ai besoin de sa légitimité. Il sera Jacques VI d'Ecosse, héritier du trône d'Angleterre. Et peut-être un jour roi d'Angleterre. S'il n'était pas reconnu par Darnley, ce serait un bâtard, et je serais effacée de l'histoire … Mais comment ai-je pu être assez folle pour avoir épousé cet homme? Darnley est mon mari, mais il n'a aucune des qualités d'un homme.
BOTHWELL - Comment avez-vous été assez folle? Tout le monde sait que vous êtes une femme qui résiste mal à ses envies.
MARIE STUART - Hélas…
BOTHWELL - Mais je vais vous faire moi aussi un aveu… Je suis, moi comme vous, emporté par mes passions. Et… puis-je parler?
MARIE STUART - Naturellement!
BOTHWELL - Ce qui fait que nous sommes, l'un et l'autre… Il ne me déplairait pas, un jour, quand le champ sera libre, de vous épouser et de devenir roi d'Ecosse.
MARIE STUART - Bothwell, comment osez-vous… Vous déraisonnez!
BOTHWELL - Ce que j'ai dit, vous l'avez entendu. Je ne le répéterai pas. Et je sais que ce que je veux, vous le voulez aussi. Mais entre vous et moi, pour le moment se tient Darnley. Rassurez-vous, je n'entreprendrai rien sans votre accord.
MARIE STUART - Que voulez-vous dire?
BOTHWELL - N'est-ce pas assez clair? Jusqu'à ce que les circonstances soient devenues favorables, nous devons être au-dessus de tout soupçon… Je vous quitte, remettez ce précieux bébé dans son berceau.

6 - A Londres, au palais de la reine Elisabeth.
L'HISTORIEN DE SERVICE - La cousine de Marie, Elisabeth première, régnait alors en Angleterre. Elle s'intéressait beaucoup aux affaires de l'Ecosse, ce petit royaume indépendant et turbulent dont les Anglais auraient bien voulu s'emparer. A la naissance de son fils, par courtoisie, Marie envoya à sa cousine un messager, Jacques de Melville.
JACQUES DE MELVILLE - Majesté, j'ai tué trois chevaux sous moi pour venir vous annoncer la nouvelle… Il y a loin d'Ecosse en Angleterre! …Votre cousine, la reine d'Ecosse vient d'avoir un fils.
ELISABETH - Vraiment! N'est-ce pas une nouvelle que vous auriez pu garder pour vous, comte de Melville? Vous venez m'annoncer ça en pleine fête… Je dansais!
JACQUES DE MELVILLE - Il sera baptisé Jacques. Et c'est un bel enfant.
ELISABETH - Comment osez-vous encore me parler ainsi. De quelle importance est donc pour nous cette nouvelle? Ignorez-vous que moi, soit que je le désire, soit que je ne le désire pas… je n'ai pas de fils. Je n'ai jamais pu en avoir. Je ne suis qu'un tronc stérile… Je dansais!
JACQUES DE MELVILLE - Cependant, si vous veniez à disparaître, ainsi que sa mère… ce fils de Marie Stuart serait l'héritier de votre trône. Il règnera peut-être un jour.
ELISABETH - Vous insistez? Faut-il vraiment venir me jeter ça à la figure? L'héritier de mon trône! Ce n'est que trop vrai. Marie d'Ecosse parade, avec son fils dans les bras. Et moi…
JACQUES DE MELVILLE - Ne devait-elle pas vous le faire annoncer.
ELISABETH - Elle aurait dû faire elle-même à genoux la route qui mène à Londres. Je ne pourrai jamais lui pardonner. Monsieur de Melville, vous n'avez aucune des qualités d'un ambassadeur. Voici que vous avez fait monter entre ma cousine et moi des paroles de rupture…
JACQUES DE MELVILLE - Majesté…
ELISABETH - Avec quelles précautions vous auriez dû procéder… De façon à ce que je devine la chose… L'instiller plutôt, me la laisser pressentir… Et il faut que je vous dise… La nouvelle, je la connaissais déjà, je la connaissais depuis longtemps. J'ai mes espions et y a-t-il quelque chose que je ne sache pas? Que je suis malheureuse! Vous pouvez vous retirer… Je dansais… Et je vais me retirer aussi… J'avais toujours refusé qu'elle épouse Darnley… Le beau coq! Et naturellement, il faudra que je sois la marraine! Je le serai. Et j'enverrai un beau cadeau. Un bassin d'argent finement ciselé… Portez-vous bien

7 - Le complot.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Cependant, Lord Bothwell, comme il l'a dit à Marie, veut l'épouser et devenir lui-même roi s'Ecosse. Il faut pour cela supprimer Darnley. Darnley n'est pas aimé et Bothwell n'a pas de peine à recruter des complices parmi les lords écossais…
BOTHWELL - Personnellement, j'ai trois raisons d'en finir avec Darnley. La première que c'est un traître et un couard, la deuxième, c'est que je veux son trône, la troisième que je veux sa femme.
HUNTLEY - Voilà qui est clair. Toi, Bothwell, tu sais ce que tu veux…
MORTON - Pour d'autres raisons, Huntley et moi, nous voulons la même chose. N'oubliez pas cependant que Darnley est pour le moment le roi et le père du futur roi d'Ecosse.
HUNTLEY - C'est aussi de plus le neveu de la reine d'Angleterre. Affaire difficile… Enfin, il sera beaucoup plus difficile de nous mettre à l'abri du bruit que cela fera.
BOTHWELL - C'est pour cela qu'il nous faut monter un plan sans défauts.
MORTON - D'autant plus qu'il se méfie, je le sais.
BOTHWELL - Qui ne se méfie aujourd'hui en Ecosse? Il a préparé à Glasgow un bateau tout armé pour s'enfuir, si besoin était.
HUNTLEY - De toute façon, quand nous l'aurons supprimé, il ne pourra plus se méfier… Non, c'est de tous les autres que nous, nous devrons nous méfier.
BOTHWELL - Ni les peuples ni les princes n'aiment que l'on exécute un roi. C'est un dangereux précédent. De sorte que, pour que nul n'ait de soupçons, il faut que l'affaire soit minutieusement préparée.
HUNTLEY - Devrons-nous demander l'aval de la reine…
BOTHWELL - Tu veux dire qu'elle devrait signer la convention de meurtre que nous ferons, selon l'usage, avant de passer à l'acte?
MORTON - Certes non, c'est trop risqué… Elle doit pouvoir, après le coup, manifester sa douleur et son désespoir. Cela fait partie du jeu.
BOTHWELL - En tout cas elle est avec nous, de tout cœur… Depuis l'affaire de Riccio, elle déteste Darnley.
HUNTLEY - Et toi, elle te désire comme une bête… Il faudrait que cela se passe sans que ce soit nous qui… en notre absence, pour ainsi dire! Comme si c'était un accident.
BOTHWELL - Oui, monter un accident… Le mousquet est chargé et… il se décharge tout seul…
MORTON - Sans même qu'on sache qui l'a chargé!
BOTHWELL - Cela me donne une idée! Mais pour le moment notre condamné est malade…
HUNTLEY - Le crois-tu vraiment?
BOTHWELL - Il a fait dire qu'il avait une quelconque vérole. En tout cas, il s'en est allé dans sa famille, chez son père, à Glasgow. Chez son père et près de son bateau, pour, malade ou non, s'y mettre à l'abri. Difficile de l'en déloger. A moins que… C'est là que nous pourrions avoir besoin d'elle. Je l'ai bien en main. Venez!

7 - Marie va chercher Darnley à Glasgow.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Darnley a beaucoup de raisons de se méfier… Mais la reine, en effet, s'est chargée de faire revenir son mari à Edimbourg où il sera plus facile de le faire disparaître…
MARIE STUART - Mon bien-aimé Darnley, mon roi, je suis venue vous retrouver… Comment va votre santé? Nous nous sommes beaucoup inquiétés.
DARNLEY - Je me suis aussi beaucoup inquiété… Mais pas seulement pour ma santé!
MARIE STUART - Je ne vois pas quel autre souci vous pourriez avoir. Maintenant, notre fils est né, le terrain est dégagé. On vous attend à Edimbourg.
DARNLEY - Je sais, moi qui suis Anglais, que vos lords écossais ne m'aiment pas.
MARIE STUART - Allons donc, vous êtes mon mari. Et depuis la naissance de notre fils, vous êtes protégé.
DARNLEY - Je ne sais pas si au contraire je ne suis pas davantage menacé. Je suis le roi, vous l'avez dit, mais veulent-ils me laisser être ce que je suis… Vous y répugniez vous-même tellement.
MARIE STUART - Tout ceci est passé… Notre seul souci doit être pour le moment votre santé!
DARNLEY - J'ai été très malade, vous savez, une sorte de vérole. Vous pouvez voir sur mon visage ces boutons qui sont en train d'éclater. Il me semble que vous devriez vous-même prendre plus de précautions…
MARIE STUART - Il faut que vous reveniez dans votre capitale. Personnellement, je ne crains rien, mais pour éviter que la contagion ne se répande dans le palais, j'ai fait préparer près des remparts une petite maison, bien chauffée, bien meublée. Revenez et vous y séjournerez quelques jours, entouré de tous les soins nécessaires. Et pour vous ramener de Glasgow à Edimbourg, j'ai là une douce litière où vous serez porté précautionneusement. Quand vous serez installé, je serai là pour guetter votre guérison. Et le réveil de vos sens… Moi-même, je me meurs de désir et dès que ce sera possible…
DARNLEY - Je vous reconnais bien là… Encore une fois, vous m'avez ensorcelé. Eh bien, partons, mais à petites journées…
MARIE STUART - Aussi petites que vous le souhaiterez! …Non, ne me touchez pas encore… je ne pourrais résister. Allons.
DARNLEY - Merci, mon amie… J'ai toujours eu peur de mourir.

8 - Le jugement
L'HISTORIEN DE SERVICE - Quelques jours après son retour à Edimbourg, Darnley a été assassiné… Et comme tout le monde, à Edimbourg, sait que le coupable est lord Bothwell, Marie est obligée de le traduire devant un tribunal.
LE JUGE - Du crime dont il est question est principalement soupçonné précisément le Lieutenant général du royaume d'Ecosse, lord Bothwell, qui s'est présenté devant nous accompagné d'une forte escorte, comme il estime qu'il sied à sa dignité… Asseyez-vous, monsieur, pour entendre les dépositions. Les faits nous sont connus et tous les habitants d'Edimbourg ont pu visiter les lieux du crime. Veuillez, monsieur l'officier nous les rappeler succinctement
L'OFFICIER DE POLICE - Le soir du 4 février, notre reine nous a ramené dans une litière le roi, tombé malade à Glasgow chez son père.
LE JUGE - Quelle était la maladie du roi?
L'OFFICIER DE POLICE - Ayant questionné ceux qui l'ont alors rencontré, j'ai appris qu'il s'agissait de la petite vérole, qui est fort contagieuse et c'est pour cette raison que, lors de son arrivée à Edimbourg, le convalescent a été logé non au palais, mais dans une petite maison hors des remparts, dénommée Kirk O'Field. Il devait y achever sa convalescence…
LE JUGE - Les témoignages concordent?
L'OFFICIER DE POLICE - Ils concordent. Je n'ai malheureusement pas pu vérifier personnellement sur le cadavre l'état des pustules. Tous ceux qui ont vu le roi avant sa mort disent qu'elles étaient en voie de cicatrisation.
LE JUGE - Parlez-nous de cette maison de Kirk O'Field.
L'OFFICIER DE POLICE - C'est une maison très isolée, dans la campagne, cependant proche de la ville. Elle était en très mauvais état et on n'y accédait que par un chemin étroit qu'on appelle le Chemin des voleurs. Dans les jours qui précédèrent, cette maison a été réparée et luxueusement meublée par les soins de l'intendant du château royal.
LE JUGE - L'avez-vous personnellement interrogé?
L'OFFICIER DE POLICE - Oui, votre grandeur. C'est lord Bothwell qui lui a donné les ordres nécessaires.
LE JUGE - Lord Bothwell…! Continuez.
L'OFFICIER DE POLICE - Il semble aussi qu'avant l'arrivée du roi, des personnes mal identifiées aient apporté de nuit de mystérieux tonnelets qu'elles ont entassés dans les caves. Ce pouvait être du vin, mais de fait, ces tonnelets étaient en fait remplis de poudre.
LE JUGE - Des témoins?
L'OFFICIER DE POLICE - Oui, des enfants qui jouaient là, une vieille femme aussi qui ramassait du bois. Elle a déposé sous serment.
LE JUGE - Ensuite…
L'OFFICIER DE POLICE - Ensuite, quand la reine et le roi revinrent de Glasgow, la reine installa donc le roi convalescent dans cette maison et elle y vint très souvent pendant quelques jours. Parfois elle y dormit.
LE JUGE - Cela est avéré?
L'OFFICIER DE POLICE - Oui, votre grandeur. Et aussi de très nombreux lords vinrent faire leur cour à leur roi. J'en tiens la liste à la disposition de la cour… Avec beaucoup de révérence. Ainsi tout le peuple fut témoin de la réconciliation de leurs souverains, qu'on savait jusque-là brouillés.
LE JUGE - Que se passa-t-il ensuite?
L'OFFICIER DE POLICE - Le dernier jour, le 9 février, la reine quitta le roi dans la soirée pour aller assister chez elle, dans son palais d'Holyrood, au mariage de deux de ses serviteurs.
LE JUGE - J'en ai entendu parler… Des témoignages?
L'OFFICIER DE POLICE - Oui, nombreux. Il semble même que la reine eut à cœur de se faire voir et bien voir. D'ailleurs, elle avait fait discrètement rapporter son lit au palais et c'est là qu'elle coucha cette nuit-là. Et c'est précisément cette nuit que, vers deux ou trois heures du matin, retentit dans Edimbourg un bruit terrifiant. Ce fut comme si vingt-cinq canons avaient tiré en même temps.
LE JUGE - J'ai moi-même entendu l'explosion de chez moi… Continuez.
L'OFFICIER DE POLICE - La maison de Kirk O'Field avait été soufflée par l'explosion de la poudre qui était dans les tonneaux. Après l'explosion, le cadavre du roi et de l'un de ses serviteurs furent, inexplicablement, retrouvés étranglés dans le jardin de la maison. C'est du moins ce que nous ont dit ceux qui étaient accourus…
LE JUGE - Cela s'explique mal. Le roi n'aurait pas été tué par l'explosion. Cela est étrange. Avez-vous examiné le corps?
L'OFFICIER DE POLICE - Je n'en ai pas eu le temps… Lord Bothwell était déjà venu sur place et avait fait enterrer les cadavres. Ensuite, la conscience tranquille, après avoir annoncé à la reine ce qui venait de se passer, il était retourné se coucher.
LE JUGE - Toutes ces choses sont bien étranges… Avez-vous, lord Bothwell, quelque chose à ajouter?
BOTHWELL - Non, cette description était parfaite. Elle m'innocente complètement.
LE JUGE - Vous trouvez… Comment feu le roi a-t-il pu… Véritable piège à rat que cette opération!
BOTHWELL - Je n'aurais pas employé cette expression… Le roi n'était pas un rat… tout au plus une souris. De toute façon il n'y a là rien de plus qu'un enchaînement de circonstances malheureuses, avec lesquelles je n'ai évidemment rien à voir. Je ne suis pas un esprit compliqué.
LE JUGE - Maintenant, officier, savez-vous si c'est bien dans son propre lit que lord Bothwell est allé se coucher?
L'OFFICIER DE POLICE - Pardonnez-moi. Pourquoi cette question? Je n'ai pas poussé l'investigation jusque-là. Aux portes du palais s'arrête mon mandat.
LE JUGE - Et encore une question… Lors de vos recherches, la responsabilité de lord Bothwell a-t-elle été éventuellement évoquée?
L'OFFICIER DE POLICE - Jamais, votre honneur. Ou alors, je l'ai mal entendu… Mais non, sincèrement, je ne crois pas. (un temps) La reine ne l'aurait pas supporté.
LE JUGE - Je vous remercie, monsieur, du zèle dont vous avez fait preuve. Lord Bothwell, avez-vous quelque chose à ajouter?
BOTHWELL - Non, votre excellence. Tout est exact, pour autant que je le sache… Cependant, m'adressant maintenant à toute l'audience, j'ajoute pour ma part, que, du fond de mon chagrin, je promets une récompense de deux mille livres à qui découvrirait le coupable.
LE JUGE - Je vous remercie, monsieur. Nous étudierons encore un peu l'affaire avant de rendre notre jugement.

9 - Lettre d'Elisabeth à Marie.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Elisabeth, qui a des espions partout, a été très vite informée de l'attentat. Elle écrit personnellement à sa cousine pour l'exhorter à faire rapidement punir les coupables: "Madame, je suis si stupéfaite et effrayée par la terrible nouvelle du meurtre abominable de votre époux, mon cousin, que je suis à peine capable d'écrire là-dessus… Et quelle que soit la force avec laquelle mon sentiment me pousse à regretter la mort d'un si proche parent, je ne puis pas dissimuler que je suis encore plus triste pour vous que pour lui. Je ne peux pas ne pas avoir entendu ce qu'en disent la plupart des gens, à savoir que vous ne voulez rien faire pour punir ce meurtre et que vous vous garderez de faire arrêter ceux qui vous ont rendu ce service, de sorte qu'il semble que ce crime a été commis avec votre assentiment. Je vous supplie de croire que je ne voudrais pas pour tout l'or du monde nourrir dans mon cœur une telle pensée et jamais je n'aurai une si mauvaise opinion d'un prince quel qu'il fût, et encore moins de celle à qui je souhaite autant de bien que mon cœur en peut imaginer. C'est pourquoi je vous conseille, je vous exhorte, je vous supplie de prendre cette affaire tellement à cœur que vous ne craigniez pas de frapper même celui qui vous est le plus cher, s'il est coupable, et de ne vous laisser détourner par rien de la nécessité de donner au monde une preuve que vous êtes une aussi noble princesse qu'une femme droite et loyale…"
MARIE STUART - Si seulement ma sœur d'Angleterre pouvait éprouver les tourbillons de passion qui ravagent mon cœur, reconnaître l'urgence des désirs qui m'agitent, l'impatience même de mon corps tout entier… elle ne me demanderait pas ce qu'elle me demande. Tantôt je suis envahie par le froid, tantôt je sens un feu qui me brûle, ô Bothwell, tellement j'aspire à toi! Faire justice! Mais quelle justice pourrait l'emporter sur notre indestructible attachement? Pour toi j'ai quitté mes parents et amis, j'ai méprisé mon honneur et ma vertu. C'est notre amour qui est la justice, c'est à l'aune de notre amour que l'univers doit se mesurer lui-même. Périsse l'Ecosse, périsse l'Angleterre, périsse le monde plutôt que notre amour.

10 - Le remariage de la reine
L'HISTORIEN DE SERVICE - Marie éprouve donc une telle passion pour lord Bothwell que, bien loin de le désigner comme coupable et de le faire condamner, elle ne peut se retenir de hâter son projet de mariage avec lui …
BOTHWELL - Il faut maintenant que tu te maîtrises. Quinze jours ne se sont pas encore écoulés et sans aucune pudeur tu me poursuis, tu m'embrasses en public, tu m'attires dans tes appartements… Ne vois-tu donc rien de ce qui se trame autour de nous?
MARIE STUART - Si tu savais la force qui… Je veux ce que je ne veux pas, je sais ce que je dois faire et je ne le fais pas… C'est comme si ma volonté m'avait été soustraite. Il faut nous marier, vite…
BOTHWELL - Tant de libelles qui m'ont désigné comme l'assassin de ton mari!
MARIE STUART - Et tant de suppliques qui me demandent et presque m'enjoignent de découvrir un coupable que tout le monde pourtant connaît. Cela importe peu. Nous effacerons le passé. Ne veux-tu pas devenir roi?
BOTHWELL - Je le veux certainement. Mais je suis déjà marié, tu le sais…
MARIE STUART - Je le sais… Trouve un prêtre quelconque qui vous démariera, toi et ta femme. Autant catholique que protestant! Nous le payerons bien.
BOTHWELL - Et puis, tu es reine, je suis ton vassal… Il existe une coutume selon laquelle nous ne pouvons pas nous marier… La seule façon de procéder serait que je t'enlève et que je te viole. Alors je devrais réparer mes torts en t'épousant.
MARIE STUART - Qu'attends-tu pour le faire, j'en suis impatiente, viole-moi bien tendrement, une fois, dix fois, le mariage effacera l'affront.
BOTHWELL - Quelle femme terrible tu fais! Tout ce que tu veux, tu… Les lords nous ont bien donné leur permission de nous marier, mais il faut aussi que nous obtenions celle du peuple, celle de l'Eglise… John Knox veille!
MARIE STUART - Nous n'en avons pas le temps. Au diable John Knox (long silence) Je suis enceinte à nouveau… Et ce n'est pas de Darnley. Dépêche-toi de m'enlever si tu ne veux pas que l'on crie au scandale. Je pars demain pour Sterling, voir mon fils. Au retour - mon escorte sera avertie - tu pourras au passage m'enlever et me faire toute la violence que tu voudras.
BOTHWELL - Quelle folie!
MARIE STUART - Après nous nous marierons. Manquerais-tu d'audace? Il y a des moments où je voudrais être morte, car je vois tout aller mal!

11 - Après le mariage
L'HISTORIEN DE SERVICE - Le mariage a eu lieu, mais l'indignation des Ecossais est générale et la cérémonie s'est déroulée dans une église presque vide. A la sortie, lord Bothwell quémande l'approbation de ses nouveaux sujets.
BOTHWELL - Allons, allons, amusez-vous, citoyens d'Edimbourg, poussez des cris de joie… Venez, madame, et donnez-moi la main. C'est un jour de mariage, que diable, pas de deuil! Darnley est mort depuis longtemps, deux mois si je ne me trompe… Vive la mariée! Pourquoi l'église est-elle vide? Pourquoi n'y entend-on ni orgue, ni chants, où est notre cour, où sont nos vassaux, nos serviteurs? Le clergé lui-même s'est évanoui. Monsieur du Croc, qui êtes l'ambassadeur de France… j'ai cru l'apercevoir derrière un pilier…Ou était-ce une illusion? Nous sortirons donc à la rencontre de notre peuple… Mais non, les rues sont désertes. Pas de cloches non plus, ni de farandole… Que se passe-t-il donc? Allons, allons, par Dieu nous sommes tous à la fête. Venez, amusez-vous. Nous organiserons un combat naval, un tir aux pigeons, un tournoi de chevaliers… Quoi d'autre? Ce que vous voudrez… Personne! Que peut-il se passer? Holà, nous avons à vous jeter des dragées, des pièces de monnaie… (à la reine) Et si les lords s'étaient tous retirés dans leurs terres pour y lever des troupes? Le jour de nos noces? Ce silence est de mauvais augure… Pourquoi se détournent-ils de nous aussi honteusement? J'ai trop peur de bien comprendre… Venez, madame, il faut se rendre à l'évidence, nous allons nous aussi mobiliser des troupes et nous tenir prêts à tout ce qui pourrait arriver.

12 - Pourparlers avant la bataille de Carberrry Hill.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Effrayés par la tournure qu'ont pris les événements, Marie et Bothwell ont quitté Edimbourg et réussi à lever une petite armée. Elle est maintenant face à celle des lords. L'ambassadeur de France tente d'éviter la catastrophe…
DU CROC - Madame, j'ai pris la liberté…
MARIE STUART - Monseigneur Du Croc, votre visite est la bienvenue.
DU CROC - Je n'étais venu ici qu'en observateur. Mais quand je vois ces deux armées rangées en bataille, mais l'une et l'autre hésitant à attaquer… Les lords écossais ont de bien beaux chevaux et de bien belles armures! Mais votre troupe comprend, sinon beaucoup de chevaliers, du moins de redoutables arquebusiers… Or donc, en tant qu'ambassadeur de France, j'ai proposé mon entremise.
MARIE STUART - C'est une heureuse idée! La France a toujours prêté son concours aux Ecossais.
DU CROC - La France aime autant l'Ecosse que l'Ecosse aime la France.
BOTHWELL - Monsieur l'ambassadeur, êtes-vous porteur de propositions acceptables?
DU CROC - Lord Bothwell, c'est à la reine, non à vous, que je m'adresse et c'est à elle de me questionner ou de me répondre.
MARIE STUART - Monsieur Du Croc, ne nous mettez pas dans une situation embarrassante. Lord Bothwell est le chef de mon armée… A votre question je réponds que, de la part des lords d'en face, il ne peut pas y avoir de "propositions acceptables". Je suis la légitime reine de l'Ecosse et ils ne sont que rebelles et insoumis. Qu'ils se dispersent. Tels sont, non pas mes propositions, mais mes ordres. S'ils se dispersent et rentrent chez eux, peut-être leur pardonnerai-je.
DU CROC - Madame, les choses ne sont pas si simples… Vous n'êtes pas en position de leur demander qu'ils se retirent. En effet, ils ont été indignés par votre mariage avec l'homme que tous, même si le tribunal l'a reconnu innocent, considèrent comme coupable de la mort du roi Darnley.
MARIE STUART - Je suis toujours la reine et je ne permettrai pas que soient portées ici des accusations qui n'ont pas de fondement.
DU CROC - Madame, la seule façon de nous tirer de cette situation est de parler franc. Ces accusations ne sont pas sans fondement… Vous le savez. Vous ne le savez que trop bien, vous qui avez installé votre mari malade dans la maison du crime.
MARIE STUART - Voilà un langage bien peu diplomatique.
DU CROC - Nous en sommes arrivés à un point tel que… Je ne suis pas le mandataire des lords, qui en aucun cas ne sont supposés m'avoir chargé de leurs propositions. Mais les connaissant comme je les connais, permettez-moi de vous dire, parlant de ma propre inspiration, ce qu'il serait sensé de faire pour qu'ils vous obéissent
MARIE STUART - Dites toujours.
DU CROC - Je suis sûr qu'ils vous reconnaissent toujours comme leur reine mais qu'ils vous obéiront d'autant plus volontiers que vous accepteriez de vous séparer de lord Bothwell et de retourner avec eux à Edimbourg.
MARIE STUART - Voilà des sujets soumis qui imposent des conditions pour l'être!
DU CROC - Ils savent que vous êtes une reine fière… et ils sont fiers que vous le soyez.
MARIE STUART - Les compliments ne sont pas de mise. Je refuse votre suggestion. Je n'abandonnerai pas lord Bothwell. Allez le leur dire.
BOTHWELL - Madame, arrêtez. Je suis capable de prendre tout seul les décisions qui me concernent… Et je les ai prises. Je croyais compter de nombreux amis parmi les lords. Mais au point où nous en sommes, je vois qu'il n'y a point d'autre issue que mon départ. Je ne veux pas mettre le royaume d'Ecosse à feu et à sang. Laissez-moi vous quitter.
MARIE STUART - Bothwell, mais que vais-je devenir?
BOTHWELL - Madame, je n'ai pas de crainte, vous avez surmonté d'autres épreuves. Ayant entendu ce que je viens d'entendre… je ne serais qu'un embarras. Embrassons-nous et séparons-nous. Cela résoudra cette crise.

13 - Prisonnière au château de Lochleven
L'HISTORIEN DE SERVICE - Bothwell s'est donc enfui et les conjurés se sont emparés de Marie. Après que Marie, enfermée à l'hôtel de ville, ait été insultée par la foule, ils décident de l'envoyer au château de Lochleven où elle sera étroitement gardée par Marguerite Douglas, sa tante …
MARIE STUART - Voilà plus d'un an que je suis prisonnière au milieu d'un lac, dans ce château entouré d'eau.
MARGUERITE DOUGLAS - Marie, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour adoucir cette captivité.
MARIE STUART - Ma tante, vous avez été une hôtesse parfaite, et je vous en remercie…
MARGUERITE DOUGLAS - Mais aujourd'hui m'arrivent de mauvaises nouvelles… Les lords étaient sur le point de trouver une issue favorable, car il ne leur paraît pas convenable que leur reine soit en captivité…
MARIE STUART - J'ai plaisir à entendre ça…
MARGUERITE DOUGLAS - Malheureusement, ils ont découvert une cassette…
MARIE STUART - Que vont-ils encore imaginer?
MARGUERITE DOUGLAS - …une cassette, donc, que lord Bothwell avait abandonnée à Holyrood et dans laquelle étaient cachés des documents qui paraissent compromettants pour vous.
MARIE STUART - Compromettants pour moi?
MARGUERITE DOUGLAS - Oui, des lettres, qui semblent bien être de Lord Bothwell et de vous, des poèmes aussi….
MARIE STUART - Mon Dieu! Des lettres et des poèmes… (se reprenant) Des faux, à coup sûr. Ils cherchent à justifier leur indigne comportement. Oui, des faux, certainement.
MARGUERITE DOUGLAS - Je le souhaiterais… Mais il semble qu'ils aient été authentifiés. Ils vous mettent en cause! Ainsi que Lord Bothwell. Et très explicitement en ce qui concerne l'assassinat du roi Darnley.
MARIE STUART - Où se trouve dans les saintes Ecritures le passage qui autorise les peuples à destituer leur prince? Dans quelle monarchie chrétienne y a-t-il des lois qui permettent à des sujets de juger et de mettre leurs souverains en prison…?
MARGUERITE DOUGLAS - Marie, ils ne veulent pas vous juger… Ils veulent que vous tiriez vous-même les conséquences pratiques de leur découverte....
MARIE STUART - C'est-à-dire?
MARGUERITE DOUGLAS - C'est dire que, renonçant à approfondir la chose, vous acceptiez de vous séparer définitivement de lord Bothwell, de vous dessaisir de vos pouvoirs de reine et de mettre votre fils sur le trône… Ce serait une issue honorable.
MARIE STUART - Ce serait avouer une culpabilité que je contesterai toujours!
MARGUERITE DOUGLAS - Voyons, Marie… John Knox de son côté est revenu à Edimbourg et, alors que les lords restent prudents, lui tonne en chaire contre la sanglante Jézabel…
MARIE STUART - C'est moi, la sanglante Jézabel?
MARGUERITE DOUGLAS - Hélas oui… Allant même jusqu'à réclamer sa tête.
MARIE STUART - Voilà qu'il a encore trop bu! Ce damné calviniste me poursuivra jusque dans ma tombe. D'autant plus impitoyablement que j'ai le malheur d'être catholique. John Knox et sa bande de prédicateurs avinés…!
MARGUERITE DOUGLAS - Il n'est pas sans reproche. Mais avouez que vous avez bien prêté le flanc à ses imprécations.
MARIE STUART - Il les jette à pleines mains à la figure de fidèles fanatisés. Je le connais.
MARGUERITE DOUGLAS - Il est vrai que je ne l'aime pas non plus… Ceci étant, je vous annonce, de la part des lords, que votre demi-frère Murray viendra demain pour vous entretenir de tout ceci et peut-être trouver une solution.
MARIE STUART - Je me méfie de Murray. Néanmoins je le recevrai… Maintenant tout le pouvoir qui me reste est d'accepter la visite de ceux que m'envoient mes geôliers…! Mais un jour, un jour, je le jure, je m'évaderai.

14 - Lettre de Marie à Elisabeth.
MARIE STUART - "Ma chère sœur Elisabeth, vous avez tellement d'informateurs dans ce pays que vous savez certainement déjà que j'ai réussi à m'évader de Lochleven et qu'ayant réuni une petite armée de sujets fidèles, je les ai menés au combat. Malheureusement les choses se sont tournées contre moi et la bataille que nous avons livrée à proximité de Langside a été perdue. Mon armée s'est dispersée et moi, pour ne pas tomber aux mains des fanatiques qui en veulent à ma vie, j'ai choisi de passer la frontière et de me réfugier à Carlisle dans votre généreuse terre d'Angleterre… Il m'arrive d'être saisie de frayeur quand, me retournant sur le passé, je constate que dans ma lignée, deux rois de mes prédécesseurs sont morts au combat et que deux autres ont été assassinés… devrais-je dire trois? Maintenant je n'ai plus rien au monde, que ma personne, que j'ai sauvée en chevauchant la nuit, comme une folle, sur des milles et des milles…Grâce à Dieu, ma tête est encore sur mes épaules, mais je comprends maintenant que j'aurais mieux fait de suivre les conseils de prudence que vous m'avez donnés. Cependant, je sais qu'étant reine vous n'abandonnerez pas une autre reine à la vindicte de ses sujets et je demande à bénéficier de votre hospitalité. Je vous implore aussi de me recevoir à Londres où je serai très heureuse de pouvoir m'entretenir avec vous de toutes ces affaires, car elles vous concernent presque autant que moi, puisque nous sommes si proches parentes et que, autant que d'Ecosse, je suis d'Angleterre. Pouvez-vous donner les ordres nécessaires pour que je puisse rejoindre rapidement Londres. Je suis impatiente de vous embrasser… "

15 - La fin de l'histoire
L'HISTORIEN DE SERVICE - Marie et Elisabeth descendaient toutes les deux d'Henri VII Tudor, de telle sorte que, comme il a été dit, si Elisabeth venait à disparaître, Marie serait appelée à lui succéder. D'autre part Marie était catholique, Elisabeth était protestante et dans chacun de leurs royaumes la tension était forte entre les deux partis. De plus, l'Ecosse, encore un peu catholique, était très proche politiquement de la France qui la soutenait volontiers contre une Angleterre déjà conquise au protestantisme, cependant que l'Angleterre se tournait elle-même plutôt vers une Espagne hostile à la France. Enfin, pour compliquer encore la situation, Marie avait un fils, devenu à son départ roi d'Ecosse, tandis qu'Elisabeth n'avait pas voulu ou pu avoir d'enfant… Les tensions ne pouvaient qu'être vives entre les deux femmes… Mais voici la fin de l'histoire… Elisabeth refusa de recevoir Marie à Londres. Et au contraire, alors que Marie, française de religion, de langue et d'éducation (et d'autre part reine douairière de France), souhaitait rejoindre la France, elle la garda prisonnière successivement dans plusieurs châteaux du nord de l'Angleterre. Elisabeth avait peur qu'avec le secours des Français ou des Espagnols, Marie ne complote et tente de l'arracher à son trône. Cette captivité fut très longue, elle dura de 1668 à 1687… dix-neuf ans! Il faut cependant dire que Marie n'était pas enfermée dans un cachot, mais au contraire entretenait, aux frais de sa cousine, une petite cour autour d'elle. Même si elle était très surveillée par la police d'Elisabeth, elle pouvait aussi aller chasser dans les environs de sa demeure du moment… A la fin, Elisabeth tendit un piège à sa cousine et réussit à s'emparer d'une lettre dans laquelle Marie s'engageait à soutenir un complot visant à supprimer Elisabeth et à prendre le pouvoir en Angleterre. C'était assez pour décider mettre un terme à la vie de Marie. Elle fut condamnée par le Parlement, transférée au château de Fotheringay et après de longues hésitations, décapitée le 8 février 1687. Plus tard, à la mort d'Elisabeth, ce fut effectivement le fils de Marie Stuart qui monta sur le trône d'Angleterre et régna sous le nom de Jacques I. Quant à lord Bothwell, il s'était réfugié eu Danemark où il fut emprisonné.