Déposé à la SACD
LA COMMUNE DE PARIS
***
Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
L'historien de service, Thiers, le général Vinoy,
deux soldats et un caporal, le général Lecomte, deux femmes et
deux hommes
de Paris, deux fédérés, Mac-Mahon, un capitaine.
1 - Le plan de Thiers
L'HISTORIEN DE SERVICE - Le XIXème siècle a marqué le commencement
des luttes sociales qui ont permis aux dominés, les petites gens, de
relever la tête et d'essayer, non pas de devenir les dominants, mais,
grâce au socialisme, d'occuper dans la société une place
honorable. La Commune de 1871, en dépit de ses échecs, marque
une étape importante de cette démarche... La France vient de perdre
la guerre de 1870 - défaite de Sedan, perte de Metz - et les Prussiens
ont envahi une partie de son territoire. Ils se sont arrêtés devant
Paris, mais maintenant, ils attendent, l'arme au pied, qu'après la chute
de l'Empire, la France se donne un nouveau gouvernement définitif avec
lequel ils pourront traiter... Monsieur Thiers s'en entretient avec le général
Vinoy…
THIERS - J'ai rencontré Bismarck... J'ai eu beau négocier, les
Prussiens ne sont pas fous. Ils ne tiennent pas à continuer la guerre
et ils n'ont pas envie de prendre Paris, mais ils demandent l'Alsace et la Lorraine
et cinq milliards d'indemnité. Général Vinoy, êtes-vous
prêt à faire votre devoir jusqu'au bout?
GENERAL VINOY - Monsieur le président, un militaire ne s'avoue jamais
vaincu...
THIERS - Je sais, je sais, général Vinoy... un général
ne s'avoue jamais vaincu, mais... il y a toujours des mais. Mais... le général...
un général comme vous, Mac-Mahon a été vaincu à
Sedan...
GENERAL VINOY - Ce n'était pas sa faute! Mais c'est précisément
à la suite de cela qu'a été élu un gouvernement
provisoire tout à fait indépendant dont vous êtes le chef,
monsieur Thiers.
THIERS - C'est la victoire du vaincu, ne vous en glorifiez pas! De plus, le
général Bazaine - toujours un général, encore une
fois comme vous! - a capitulé dans Metz. Maintenant, les Prussiens occupent
une partie de la France et ils viennent de faire subir à Paris un siège
terrible, qu'ils ont suspendu mais... qu'ils sont prêts à reprendre
dès qu'ils en auront envie.
GENERAL VINOY - Ce n'était pas une raison pour rendre les armes!
THIERS - Ne faites pas l'enfant! Et en plus ils demandent de venir nous défiler
sous le nez le 1er mars sur les Champs-Elysées!
GENERAL VINOY - Cela, Paris ne l'acceptera pas.
THIERS - C'est bien cela qui me préoccupe. La population de Paris refuse
la paix. Paris s'agite, Paris nous échappe, Paris se veut socialiste
et républicain... Paris ne veut pas être vaincu... Et surtout Paris
nous soupçonne de vouloir rétablir la royauté. Si vous
voulez avoir une dernière chance d'être enfin un général
victorieux...
GENERAL VINOY - Naturellement! Que faut-il que je fasse?
THIERS - Eh bien... Il y a dans Paris deux cent mille gardes nationaux, auxquels
nous avons bien malencontreusement laissé leurs armes. Et ces gardes
nationaux sont des artisans, des ouvriers, des boutiquiers, du petit peuple...
qui ont beaucoup souffert de l'Empire, qui n'ont plus rien à perdre et
parmi lesquels a germé depuis longtemps l'idée de je ne sais quelle
nouvelle "Révolution". Oui, Paris est en quelque sorte en état
de rébellion...
GENERAL VINOY - Excellente analyse, monsieur le président...
THIERS - Il faut donc que nous brisions Paris! Et pour briser Paris, j'ai besoin
de vous. Est-ce une victoire à votre portée?
GENERAL VINOY - Monsieur le président... Mais... Non… Oui.
THIERS - Savez-vous quelle est mon idée?
GENERAL VINOY - Vraiment, je ne vois pas... Briser Paris?
THIERS - Pusillanime, comme tous les autres! Ecoutez-moi... Il nous faut séparer
le bon grain de l'ivraie. Je vais ordonner à tous les membres du gouvernement
et de l'administration - et à tous les citoyens libres! - de quitter
Paris. Il y a déjà longtemps que j'y pense. Et nous irons nous
installer à Versailles, dont l'état d'esprit est excellent...
tout à fait pas socialiste. Nous laisserons donc toute cette vermine
dans la capitale... Ils se dévoreront eux-mêmes et sombreront dans
leur anarchie... Pendant ce temps nous reconstituerons à Versailles une
armée puissante... J'en ai parlé aux Prussiens, ils sont d'accord,
ils veulent signer la paix avec un gouvernement qui se tienne! Nous n'aurons
pas de peine à trouver des soldats. Et quand le fruit sera mûr...
pourri, je devrais dire, ce qui ne saurait manquer, nous viendrons le cueillir.
Etes-vous prêt?
GENERAL VINOY - Ce serait une cruelle victoire...
THIERS - Vous hésitez, général Vinoy?
GENERAL VINOY - Je... non, non… je ne peux pas ne pas accepter...
THIERS - Très bien... Votre mission commence tout de suite.
GENERAL VINOY - A vos ordres...
THIERS - Votre premier travail sera, avant notre départ, de récupérer
en douce les quelques quatre cents canons que les Parisiens ont fabriqués
durant le siège. Ils sont à eux, bien sûr, mais si on les
leur laissait, ils pourraient être tentés d'en faire mauvais usage.
Les canons sont stockés en particulier sur le plateau de Montmartre.
THIERS - Monsieur le président, vous pensez à tout. Je vais m'en
occuper dès cette nuit.
2 - Les canons de Montmartre.
UN SOLDAT - (son fusil sur l'épaule, monte la garde...)
UNE FEMME - (arrivant avec son tout jeune fils) Salut, toi!
UN SOLDAT - Salut!
UNE FEMME - Qu'est-ce que tu fais.
UN SOLDAT - Tu vois, je monte la garde. Il ne faut pas rester ici, va-t'en.
UNE FEMME - Mais, dis-moi, qu'est-ce que tu gardes?
UN SOLDAT - Les canons qui sont rangés là-bas derrière.
Allez, allez, circule.
UNE FEMME - Ah, les canons... Et qu'est-ce que tu leur veux à ces canons?
Ils ne sont pas bien là où ils sont? Il n'y a pas de danger que
les Prussiens viennent les chercher ici!
UN SOLDAT - Les Prussiens, non, mais... Mais il faut qu'on les emmène...
Je ne sais pas trop où! En tout cas il faut qu'on les emmène.
UNE FEMME - Ah, tu vois bien que...
UN SOLDAT - Il faut qu'on les emmène, mais ils ont oublié de faire
venir les chevaux.
UNE FEMME - Les chevaux?
UN SOLDAT - Oui, les chevaux pour traîner les canons. Ils ne sont pas
là... Quelle pagaille cette armée! Et alors on attend... Et on
n'a rien non plus pour crouter.
UNE FEMME - En effet, tu as plutôt une sale mine, tu es tout blanc!
UN SOLDAT - Je suis gelé, oui. Je suis là depuis trois heures
du matin.
UNE FEMME - (à son fils...) Va chercher une tasse de vin chaud pour le
soldat. C'est huit heures, le bistrot d'en bas vient d'ouvrir. Et du pain, si
tu en trouves...
CAPORAL - (entrant) Qu'est-ce que vous faites ici, petite madame, il n'y a
rien à voir, circulez...
UN HOMME - (entrant) Qu'est-ce qui se passe?
UNE AUTRE HOMME - (entrant) Qu'est-ce qu'ils foutent ici, ces militaires?
LE CAPORAL - Et en voilà d'autres qui arrivent... circulez, circulez...
UNE AUTRE FEMME- (entrant) Ce serait un mauvais coup que ça ne m'étonnerait
pas.
UNE FEMME - Ils veulent emmener les canons.
UN HOMME - Mais ce sont nos canons. Pas question qu'ils les enlèvent.
(ils s'avancent)
LE CAPORAL - (criant à la cantonade) A la garde, à la garde...
UNE AUTRE FEMME - Ce sont les canons du peuple! C'est nous qui les avons fait
fondre et qui les avons payés. De nos sous!
LE CAPORAL - (criant à la cantonade) A la garde, à la garde...
DEUX SOLDATS - (entrent deux autres soldats, qui prennent position de chaque
côté de leur camarade) Qu'est-ce qui t'arrive? Nous voilà!
UN SOLDAT - Allez, allez, dispersez-vous.
UNE FEMME - (dont le fils est revenu) Avant qu'on se disperse, tu ne veux pas
ton vin chaud?
UN SOLDAT - Ma foi... (elle sert le soldat) ... Je devrais pas...!
UNE FEMME - Et vous (aux deux autres soldats), vous n'en voulez pas? Allez,
allez... buvez votre vin chaud. Et toi, caporal?
LE CAPORAL - Après tout, c'est pas de refus... Mais après, hein,
vous, vous disperserez. (il boit) C'est vrai qu'on en a plein les bottes, nous
autres... Partis hier matin du Havre...
UN HOMME - Je me disais bien que tu avais un petit accent de là-bas.
Moi, je suis de Coutances!
LE CAPORAL - Oui, c'est pas loin! Salut, pays... Mais c'est pas le moment. Maintenant,
circulez... Vous êtes de plus en plus nombreux, c'est pas permis.
UNE AUTRE FEMME- C'est pas permis, c'est pas permis... Vous vous prenez pour
qui?
UN SOLDAT - On a des ordres. Nous sommes l'armée régulière.
UN HOMME - Et puis après? On voit bien que vous venez du Havre. Ici,
c'est le peuple qui commande. Quatre-vingts jours de siège, qu'on a eu...
et après ça il faudrait... Ce sont nos canons, pas les vôtres.
On se méfie de l'armée régulière, on sait bien que
le bonhomme Thiers n'est pas trop du côté des Parisiens.
UNE AUTRE FEMME- On préfère rester...
LE GENERAL LECOMTE - (entrant) Qu'est-ce qui se passe?
LE CAPORAL - Un attroupement, mon général....
LE GENERAL LECOMTE - Holà vous autres! Je suis le général
Lecomte. Je vous le dis, rentrez chez vous, vous n'avez rien à faire
ici.
LA FOULE - (personne ne bouge)
LE GENERAL LECOMTE - Il y a longtemps qu'ils sont ici?
LE CAPORAL - Oui, il y a déjà plus qu'un moment...
LE GENERAL LECOMTE - Encore une fois, dispersez-vous!
LA FOULE - (un grand silence)
LE GENERAL LECOMTE - Alors... Soldats, trois pas en arrière. Et vous,
si vous ne vous dispersez pas, je vais être obligé de donner l'ordre
de tirer... Attention... Dispersez-vous... Un, deux, trois... Bien!... Epaulez
armes.... Eh bien, qu'est-ce que vous attendez? (après un temps de silence,
les soldats mettent la crosse en l'air)
LE GENERAL LECOMTE - Je répète, préparez-vous à
tirer... (sa voix se perd, dans les cris de la foule)
LA FOULE - Hourrah, hourrah, hourrah... (ils tombent dans les bras les uns des
autres...) L'armée avec nous, l'armée avec le peuple... Vive les
fédérés!
LE GENERAL LECOMTE - (immobilisé par les bras qui le retiennent) Eh,
les fédérés, vous ne perdez rien pour attendre. Nos reviendrons
et nous rétablirons l'ordre.
3 - Paris, ville libre.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Maintenant que les institutions et les "bourgeois"
sont partis pour Versailles, les Parisiens sont libres. Ils ne savent pas encore
que cette liberté ne durera que soixante-dix jours, mais en attendant,
ils sont en effet libres…
UN FEDERE - Oui, nous sommes libres. Toutes les autorités ont quitté
la capitale. Nous allons pouvoir nous fabriquer une république à
notre convenance. Elle s'appellera: La Commune. La commune est la base de tout
Etat politique, comme la famille est l'embryon des sociétés. Elle
doit être autonome, c'est à dire s'administrer elle-même
selon son génie particulier, ses traditions, ses besoins. Pour assurer
son développement, son indépendance et sa sécurité,
elle doit se fédérer avec toutes les autres communes ou groupements
de communes qui composent la Nation. L'autonomie de la commune garantit au citoyen
la liberté et à la cité, l'ordre. La commune implique comme
organisation politique la République, seule compatible avec la liberté
et la souveraineté populaire...
TOUS - Et dans cette République nous voulons…
UN FEDERE - La liberté la plus complète de parler, d'écrire,
de se réunir et de s'associer!
TOUS - Nous voulons…
UN FEDERE - Le respect de l'individu et l'inviolabilité de sa pensée,
TOUS - Nous voulons…
UN FEDERE - La souveraineté du suffrage universel, toujours libre de
se convoquer,
TOUS - Nous voulons…
UN FEDERE - Le principe de l'élection appliqué à tous les
fonctionnaires et à tous les magistrats,
TOUS - Nous voulons…
UN FEDERE - L'établissement de mandats impératifs, précisant
et limitant la mission des mandataires,
TOUS - Nous voulons…
UN FEDERE - La responsabilité des mandataires et par conséquent
leur révocabilité.
TOUS - Hurrah, hurrah…
UN FEDERE - J'ai bien l'honneur...
L'HISTORIEN DE SERVICE - Comme vous le voyez, c'est une véritable révolution.
Jusqu'à présent ils ne font que vouloir, ils n'ont pas encore
fait quoi que ce soit... Mais si on leur avait laissé le temps, peut-être
que...
UN FEDERE - (rentrant avec un autre fédéré) Mon adjoint
me fait remarquer que j'ai oublié des choses importantes. Il a raison....
En ce qui concerne Paris, le mandat de la commune doit être détaillé.
Nous voulons d'abord l'autonomie de la Garde nationale, qui sera formée
de tous les électeurs et qui nommera elle-même ses chefs et son
État-major général.
UN AUTRE FEDERE - Oui! Assez de voir le pouvoir politique se mêler de
nos affaires!
UN FEDERE - Ensuite nous voulons la suppression de la préfecture de police.
UN AUTRE FEDERE - C'est la même idée, la surveillance de la cité
doit être assurée par la Garde nationale.
UN FEDERE - Nous voulons également la suppression à Paris de l'armée
permanente.
UN AUTRE FEDERE - Qui est aussi dangereuse pour la liberté civique qu'onéreuse
pour l'économie sociale.
UN FEDERE - Nous voulons aussi une organisation financière qui permette
à la ville de disposer entièrement de son budget et de répartir
selon le droit et l'équité les charges des contribuables.
UN AUTRE FEDERE - En passant, nous souhaitons aussi la suppression de toutes
les subventions favorisant les cultes, les théâtres et la presse…
UN FEDERE - Quant à l'enseignement, nous le ferons laïque et professionnel...
UN AUTRE FEDERE - Mais respectant la liberté de conscience, les droits
de l'enfant et ceux du père de famille.
UN FEDERE - Nous pensons aussi à l'organisation d'un système d'assurances
communales contre tous les risques sociaux, y compris le chômage et la
faillite...
UN AUTRE FEDERE - Nos idées ne sont pas encore très claires là-dessus,
mais pour nous c'est important.
UN FEDERE - Et enfin il faut que nous trouvions les moyens les plus propres
à fournir au travailleur le capital qui lui est nécessaire pour
produire, afin d'en finir pour toujours avec l'horrible condition du salarié
et les guerres civiles qu'elle entraîne.
UN AUTRE FEDERE - Naturellement ce ne sont que les grandes lignes, il faut deviner
beaucoup de choses, mais vous voyez que tout cela procède de l'essentiel
de nos préoccupations sociales.
4 - La fin de l'espoir
L'HISTORIEN DE SERVICE - La Commune de Paris est donc une tentative désespérée
du peuple de Paris pour échapper au retour d'un empereur, d'un roi, d'une
république autoritaire… et instaurer le socialisme. Malheureusement
pour elle, plusieurs pouvoirs se partagent en son sein des responsabilités
confuses, à savoir les maires d'arrondissement, les commandants de la
Garde nationale, la fédération de la Garde nationale et surtout
de la toute nouvelle Commune de Paris, dont les membres sont élus le
26 mars... sans parler des deux Comités de Salut public qui se succèderont
plus tard. Tous s'efforcent de gérer tant bien que mal la situation très
difficile à laquelle ils ne sont nullement préparés. Mais
surtout La Commune ne réussit pas à produire un "chef"
- mais est-ce bien socialiste? - qui aurait pu prendre des décisions
rapides et efficaces. Elle n'eut que soixante-dix jours de vie. Monsieur Thiers
- un "chef", lui! - et ses amis de la bourgeoisie avaient, avec la
complicité des Prussiens, reconstitué à Versailles une
armée de plus de cent mille hommes qui se décidèrent à
passer à l'attaque…
THIERS - Cela suffit comme ça! Cela fait quarante jours que nous bombardons
Paris et la fumée des incendies monte de partout. Ne faisons pas attendre
Dieu… Maintenant, il faut partir à l'assaut! Général
Mac Mahon, vous avez Sedan à vous faire pardonner! J'ai mis sous vos
ordres une bonne dizaine de généraux et une armée de plus
de cent vingt mille hommes… Vous m'avez dit que ce sont tous de bons soldats?
MAC-MAHON - Certes! Les Allemands nous ont libérés trente ou quarante
mille hommes qu'ils avaient faits prisonniers et qui ont l'expérience
de la guerre, si ce n'est de la victoire. Ils brûlent de se racheter.
De plus, ceux-là même et les autres sont parfaitement entraînés
par leurs sept ans de service militaire obligatoire. Enfin, ils sont pour la
plupart des paysans qui n'aiment pas les gens des villes, en particulier les
ouvriers qui se rebellent.
THIERS - Excellent, ça… Et leur moral?
MAC-MAHON - Ils sont à mon gré un peu trop excités…
On leur en a tellement dit sur les "communards", puisque c'est comme
ça qu'on les appelle… Je préférerais les "fédérés"…
THIERS - On n'en dira jamais assez! Un ramassis de brigands, des socialistes,
destructeurs acharnés de l'ordre, des misérables qui…
MAC-MAHON - N'en faites pas trop quand même!
THIERS - J'espère, général, que tous vos soldats savent
que, s'ils tombent dans leurs mains, ils n'en ressortiront pas vivants. Dût-on
noyer cette insurrection dans le sang, dût-on l'ensevelir sous les ruines
de la ville en feu, il n'y a pas de compromis possible.
MAC-MAHON - Vous allez les rendre intenables… Nous ferons de notre mieux!
THIERS - Avec des troupes aussi convaincues de la justice de leur cause, la
prise de Paris ne devrait être qu'une promenade de santé! Vingt-quatre
heures vous suffiront, je pense.
MAC-MAHON - Je voudrais l'espérer, mais je n'en suis pas absolument sûr!
Ce sont tout de même des Français que nous allons combattre…
THIERS - Me faudrait-il douter de votre patriotisme?
MAC-MAHON - En aucune façon… Venez! C'est ici, au Mont Valérien,
que nous serons le plus à même d'observer l'attaque. J'ai fait
préparer une grande carte de la capitale et nous pourrons suivre de très
près le développement de l'opération. Capitaine…
LE CAPITAINE - Présent, général!
MAC-MAHON - Vous porterez nos ordres et vous nous rapporterez les faits au fur
et à mesure qu'ils se produiront.
LE CAPITAINE - Oui, général... Conformément à notre
plan, après les préparations d'artillerie et les approches des
deux derniers mois, ce samedi 20 mai 1871, trois cents canons de marine et de
siège ont ouvert le feu… Cependant que les portes de Montrouge,
de Vanves, de Vaugirard, du Point-du-jour et de Dauphine semblent avoir été
abandonnées…
THIERS - Comment cela est-il possible?
LE CAPITAINE - Les communards, je veux dire les fédérés,
sont dispersés et fatigués. Ils discutent, ils n'ont pas de vrai
chef… Aucune coordination!
MAC-MAHON - Des portes abandonnées! Alors, attaquez. Attaquez, bon Dieu...
Oh pardon!
LE CAPITAINE - Aujourd'hui, dimanche 21, la porte de Saint-Cloud a été
réduite en miettes et le général Douai s'y est précipité.
D'autre part nos soldats s'introduisent dans Paris par toutes les brèches
qu'ils peuvent trouver. Passy est pris, La porte d'Auteuil a cédé
aussi à l'attaque du général Clinchant. Le lundi 22, le
général Cissey a enfoncé les portes de Sèvres et
de Versailles.
THIERS - Les généraux qui conduisent la reconquête de Paris
sont de grands hommes de guerre… Vous avez parlé de Clinchant,
de Cissey, de Douai. Vous n'avez pas nommé les généraux
Vinoy, Galliffet, qui par la suite s'illustrera à sa façon…
Cissey, Ladmirault, Langourian, Lacretelle… Ils sont tous sur le terrain…
Maintenant l'expiation va commencer.
MAC-MAHON - Au point où ils en sont, il suffirait qu'ils enfilent les
grands boulevards et dans le prolongement, les quais. C'en serait fait!
LE CAPITAINE - Malheureusement, nos généraux, ces grands hommes
de guerre, se sont fait peur à eux-mêmes et ils croient que les
boulevards sont hérissés de barricades, quoiqu'il n'y en ait pas…
Cependant, les fédérés, incertains et déséquilibrés
par les premières attaques, se débandent et vont, chacun dans
leurs quartiers, au plus près de chez eux, se préparer à
combattre.
MAC-MAHON - Pour en arriver à les réduire, il va falloir prendre
une à une et tourner les mille barricades qu'ils vont élever dans
la ville. Ce seront de très durs combats. Ils ont eux aussi beaucoup
de canons.
THIERS - Tout de même, ils sont moins terribles que les Allemands!
MAC-MAHON - Ce n'est pas exactement ce que je dirais… Un peu de délicatesse,
monsieur le président! Et alors, et alors, que se passe-t-il?
LE CAPITAINE - Le mardi 23, Montmartre est pris, Paris s'embrase, des nuages
de fumée s'élèvent au-dessus de la ville, on commence à
fusiller pour de bon. Le mercredi 24, l'Hôtel de ville tombe, le Panthéon
est pris, on continue à fusiller… C'est ce qu'on leur avait recommandé
de faire. Mais hélas, les fédérés fusillent aussi
quelques-uns de leurs prisonniers… dont l'archevêque; de Paris Mgr
Darboy.
THIERS - C'est indigne! Un archevêque…
LE CAPITAINE - D'autant plus indigne que, d'archevêques, nous n'en avons
pas beaucoup… Les incendies se multiplient. Les Tuileries sont en feu…
Ça canonne dur des deux côtés! Le jeudi 25, toute la rive
gauche est occupée par les nôtres. Les Prussiens viennent même
à la rescousse en bloquant le nord de Paris et en occupant Vincennes…
THIERS - Les Prussiens. Oui, c'est moi qui leur ai demandé d'intervenir…
Je sens qu'on va encore me le reprocher! Juste un petit coup de main…
MAC-MAHON - Effectivement, cela ne fera pas une très bonne impression.
LE CAPITAINE - Le vendredi 26, Belleville résiste toujours, la Bastille
tombe. Le samedi 27 Belleville et Ménilmontant sont pris. Les Versaillais
ont fait des milliers de prisonniers qu'ils n'ont pas eu le temps de tous exécuter
au passage. Les fédérés fusillent à leur tour quelques
nouveaux otages… Le cimetière du Père Lachaise est assiégé.
Le samedi soir les fédérés n'occupent plus que des morceaux
du XIème et du XXème arrondissement. Le dimanche 28 mai, le Père
Lachaise est pris et tout est fini.
THIERS - Habitants de Paris, Paris est délivré, la lutte est terminée,
l'ordre le travail et la sécurité vont renaître…
5 – La fin de l'histoire
L'HISTORIEN DE SERVICE - Les Versaillais, donc, se rendirent définitivement
maîtres de la ville le 28 mai 1871. Les combats, de barricade en barricade,
avaient été très violents. Les derniers "Communards"
furent fusillés dans l'enceinte même du cimetière du Père
Lachaise, devant ce que l'on appelle depuis "Le Mur des Fédérés".
Les pertes des Versaillais furent minimes. Quant aux fédérés,
on estime qu'il y eut environ trente mille victimes. Par la suite d'autres suspects,
très nombreux, furent arrêtés, souvent maltraités
et détenus dans des conditions très dures - en particulier à
l'Orangerie à Versailles ou au camp de Satori. Parmi lesquels, trente
mille autres furent jugés, quelques-uns exécutés, treize
mille condamnés à la prison ou à la déportation
à Cayenne. Au nombre desquels Louise Michel, symbole de la part très
importante que les femmes avaient prise dans la lutte. L'amnistie n'intervint
qu'en 1880. Marx, qui vivait alors à Londres, fut très attentif
aux événements de la Commune, dont on peut dire qu'elle inspira
la Révolution d'octobre en Russie... ou plus exactement qu'elle montra
à la Révolution d'octobre quelles fautes il faut éviter
pour arriver au pouvoir. Une importante documentation fut plus tard réunie
par Prosper-Olivier Lissaragay, un ancien fédéré, dont
nous avons fait grand usage.
RAPPEL HISTORIQUE.
Sur le plan politique, la Commune de Paris est une assez étrange affaire...
Il y a de toute évidence une remontée de la grande Révolution
de 1789 que certains estiment inachevée, ou avortée, en dépit
des grandes modifications apportées par elle au fonctionnement de la
société française. Mais si la colère couve, c'est
surtout parce qu'au lieu de la République, les empereurs et les rois
sont revenus, avec tout ce que cela comporte d'arbitraire et d'autoritaire...
De plus, le dix-neuvième siècle est celui de la révolution
industrielle et des abus sociaux qu'elle a entrainés: entre autres salaires
misérables, durée abusive du travail.... D'où les mouvements
sociaux-révolutionnaires qui, dans l'ombre, se forment dans toute l'Europe
et qui, persécutés, cherchent abri dans les démocraties
plus tolérantes que sont la Suisse, l'Angleterre ou les Pays-Bas et dans
une moindre mesure la France. En France même, Proudhon et Blanqui, pour
ne pas parler de Saint-Simon, ont eux-mêmes formés les esprits
à la révolte et donné naissance à des mouvements
ouvriers qui ont déjà produit les révolutions de 1830 et
de 1848. De Londres, Marx lui-même observe attentivement les évènements
de La Commune, qui est la première révolution sociale à
se dérouler sous ses yeux. Il a déjà dans l'esprit le projet
d'une Internationale du monde ouvrier. Il ne faut pas non plus oublier ici le
mouvement anarchiste, en particulier russe, dont deux éminents représentants
vécurent un temps en France, Bakounine et Kropotkine... Les anarchistes
n'étaient pas obligatoirement violents, ils voulaient simplement se libérer
de toute convention et de toute autorité. Enfin cette étrange
idée de "commune" qui est comme une remontée du moyen-âge.
En fait, Paris en tant que ville souffrait de la présence en son sein
du gouvernement de la France, qui faisait peser sur elle le poids et ses institutions
et de ses contraintes. Elle voulait prendre ses distances, être une ville
libre... Mais dans un pays totalement dominé par sa capitale, on ne voit
pas bien où se serait trouvé l'équilibre de la fédération
qu'elle avait en projet.
L'histoire de la Commune de Paris est de toute façon une des plus compliquées
qui soient. En deux ou trois mois... cela dépend d'où l'on part,
se sont déroulés un ensemble d'événements spontanés
et confus tels que peu d'auteurs les décrivent de la même façon...
La guerre de 1870 est encore en cours, l'empereur Napoléon III s'est
rendu, les troupes allemandes occupent une partie du territoire français.
Et surtout elles assiègent Paris qui est entouré de murailles
et qui vient de résister pendant le très rude hiver de 1870. Le
commerce et l'approvisionnement ont été stoppés. Il n'y
a plus un rat dans Paris: les Parisiens les ont tous mangés. Plus un
rat, mais une population affamée et inquiète, une Garde nationale
qui peut compter jusqu'à trois cent mille hommes, composée en
particulier des artisans et des ouvriers qui ont perdu leur travail... S'ils
entrent dans la Garde, ils touchent une petite paye. Ils sont bien armés,
car Paris a des nombreux magasins d'armes. Il y a aussi une centaine de mille
de soldats réguliers que les Allemands ont refoulés dans la ville...
Et naturellement les deux millions d'habitants que compte la capitale... Et,
comme il est dit plus haut, le peuple de Paris, travaillé depuis quelques
dizaines d'années par des courants socialistes ou anarchistes, craint
que la chute de l'empereur ne provoque l'arrivée d'un roi et ne voit
donc d'autre solution que, comme lors de la grande Révolution de1789,
de tenter de prendre le pouvoir...