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Déposé à la SACD


LA COMMUNE DE PARIS
***
Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES
L'historien de service, Thiers, le général Vinoy,
deux soldats et un caporal, le général Lecomte, deux femmes et deux hommes
de Paris, deux fédérés, Mac-Mahon, un capitaine.

1 - Le plan de Thiers
L'HISTORIEN DE SERVICE - Le XIXème siècle a marqué le commencement des luttes sociales qui ont permis aux dominés, les petites gens, de relever la tête et d'essayer, non pas de devenir les dominants, mais, grâce au socialisme, d'occuper dans la société une place honorable. La Commune de 1871, en dépit de ses échecs, marque une étape importante de cette démarche... La France vient de perdre la guerre de 1870 - défaite de Sedan, perte de Metz - et les Prussiens ont envahi une partie de son territoire. Ils se sont arrêtés devant Paris, mais maintenant, ils attendent, l'arme au pied, qu'après la chute de l'Empire, la France se donne un nouveau gouvernement définitif avec lequel ils pourront traiter... Monsieur Thiers s'en entretient avec le général Vinoy…
THIERS - J'ai rencontré Bismarck... J'ai eu beau négocier, les Prussiens ne sont pas fous. Ils ne tiennent pas à continuer la guerre et ils n'ont pas envie de prendre Paris, mais ils demandent l'Alsace et la Lorraine et cinq milliards d'indemnité. Général Vinoy, êtes-vous prêt à faire votre devoir jusqu'au bout?
GENERAL VINOY - Monsieur le président, un militaire ne s'avoue jamais vaincu...
THIERS - Je sais, je sais, général Vinoy... un général ne s'avoue jamais vaincu, mais... il y a toujours des mais. Mais... le général... un général comme vous, Mac-Mahon a été vaincu à Sedan...
GENERAL VINOY - Ce n'était pas sa faute! Mais c'est précisément à la suite de cela qu'a été élu un gouvernement provisoire tout à fait indépendant dont vous êtes le chef, monsieur Thiers.
THIERS - C'est la victoire du vaincu, ne vous en glorifiez pas! De plus, le général Bazaine - toujours un général, encore une fois comme vous! - a capitulé dans Metz. Maintenant, les Prussiens occupent une partie de la France et ils viennent de faire subir à Paris un siège terrible, qu'ils ont suspendu mais... qu'ils sont prêts à reprendre dès qu'ils en auront envie.
GENERAL VINOY - Ce n'était pas une raison pour rendre les armes!
THIERS - Ne faites pas l'enfant! Et en plus ils demandent de venir nous défiler sous le nez le 1er mars sur les Champs-Elysées!
GENERAL VINOY - Cela, Paris ne l'acceptera pas.
THIERS - C'est bien cela qui me préoccupe. La population de Paris refuse la paix. Paris s'agite, Paris nous échappe, Paris se veut socialiste et républicain... Paris ne veut pas être vaincu... Et surtout Paris nous soupçonne de vouloir rétablir la royauté. Si vous voulez avoir une dernière chance d'être enfin un général victorieux...
GENERAL VINOY - Naturellement! Que faut-il que je fasse?
THIERS - Eh bien... Il y a dans Paris deux cent mille gardes nationaux, auxquels nous avons bien malencontreusement laissé leurs armes. Et ces gardes nationaux sont des artisans, des ouvriers, des boutiquiers, du petit peuple... qui ont beaucoup souffert de l'Empire, qui n'ont plus rien à perdre et parmi lesquels a germé depuis longtemps l'idée de je ne sais quelle nouvelle "Révolution". Oui, Paris est en quelque sorte en état de rébellion...
GENERAL VINOY - Excellente analyse, monsieur le président...
THIERS - Il faut donc que nous brisions Paris! Et pour briser Paris, j'ai besoin de vous. Est-ce une victoire à votre portée?
GENERAL VINOY - Monsieur le président... Mais... Non… Oui.
THIERS - Savez-vous quelle est mon idée?
GENERAL VINOY - Vraiment, je ne vois pas... Briser Paris?
THIERS - Pusillanime, comme tous les autres! Ecoutez-moi... Il nous faut séparer le bon grain de l'ivraie. Je vais ordonner à tous les membres du gouvernement et de l'administration - et à tous les citoyens libres! - de quitter Paris. Il y a déjà longtemps que j'y pense. Et nous irons nous installer à Versailles, dont l'état d'esprit est excellent... tout à fait pas socialiste. Nous laisserons donc toute cette vermine dans la capitale... Ils se dévoreront eux-mêmes et sombreront dans leur anarchie... Pendant ce temps nous reconstituerons à Versailles une armée puissante... J'en ai parlé aux Prussiens, ils sont d'accord, ils veulent signer la paix avec un gouvernement qui se tienne! Nous n'aurons pas de peine à trouver des soldats. Et quand le fruit sera mûr... pourri, je devrais dire, ce qui ne saurait manquer, nous viendrons le cueillir. Etes-vous prêt?
GENERAL VINOY - Ce serait une cruelle victoire...
THIERS - Vous hésitez, général Vinoy?
GENERAL VINOY - Je... non, non… je ne peux pas ne pas accepter...
THIERS - Très bien... Votre mission commence tout de suite.
GENERAL VINOY - A vos ordres...
THIERS - Votre premier travail sera, avant notre départ, de récupérer en douce les quelques quatre cents canons que les Parisiens ont fabriqués durant le siège. Ils sont à eux, bien sûr, mais si on les leur laissait, ils pourraient être tentés d'en faire mauvais usage. Les canons sont stockés en particulier sur le plateau de Montmartre.
THIERS - Monsieur le président, vous pensez à tout. Je vais m'en occuper dès cette nuit.

2 - Les canons de Montmartre.
UN SOLDAT - (son fusil sur l'épaule, monte la garde...)
UNE FEMME - (arrivant avec son tout jeune fils) Salut, toi!
UN SOLDAT - Salut!
UNE FEMME - Qu'est-ce que tu fais.
UN SOLDAT - Tu vois, je monte la garde. Il ne faut pas rester ici, va-t'en.
UNE FEMME - Mais, dis-moi, qu'est-ce que tu gardes?
UN SOLDAT - Les canons qui sont rangés là-bas derrière. Allez, allez, circule.
UNE FEMME - Ah, les canons... Et qu'est-ce que tu leur veux à ces canons? Ils ne sont pas bien là où ils sont? Il n'y a pas de danger que les Prussiens viennent les chercher ici!
UN SOLDAT - Les Prussiens, non, mais... Mais il faut qu'on les emmène... Je ne sais pas trop où! En tout cas il faut qu'on les emmène.
UNE FEMME - Ah, tu vois bien que...
UN SOLDAT - Il faut qu'on les emmène, mais ils ont oublié de faire venir les chevaux.
UNE FEMME - Les chevaux?
UN SOLDAT - Oui, les chevaux pour traîner les canons. Ils ne sont pas là... Quelle pagaille cette armée! Et alors on attend... Et on n'a rien non plus pour crouter.
UNE FEMME - En effet, tu as plutôt une sale mine, tu es tout blanc!
UN SOLDAT - Je suis gelé, oui. Je suis là depuis trois heures du matin.
UNE FEMME - (à son fils...) Va chercher une tasse de vin chaud pour le soldat. C'est huit heures, le bistrot d'en bas vient d'ouvrir. Et du pain, si tu en trouves...

CAPORAL - (entrant) Qu'est-ce que vous faites ici, petite madame, il n'y a rien à voir, circulez...
UN HOMME - (entrant) Qu'est-ce qui se passe?
UNE AUTRE HOMME - (entrant) Qu'est-ce qu'ils foutent ici, ces militaires?
LE CAPORAL - Et en voilà d'autres qui arrivent... circulez, circulez...
UNE AUTRE FEMME- (entrant) Ce serait un mauvais coup que ça ne m'étonnerait pas.
UNE FEMME - Ils veulent emmener les canons.
UN HOMME - Mais ce sont nos canons. Pas question qu'ils les enlèvent. (ils s'avancent)
LE CAPORAL - (criant à la cantonade) A la garde, à la garde...
UNE AUTRE FEMME - Ce sont les canons du peuple! C'est nous qui les avons fait fondre et qui les avons payés. De nos sous!
LE CAPORAL - (criant à la cantonade) A la garde, à la garde...
DEUX SOLDATS - (entrent deux autres soldats, qui prennent position de chaque côté de leur camarade) Qu'est-ce qui t'arrive? Nous voilà!
UN SOLDAT - Allez, allez, dispersez-vous.
UNE FEMME - (dont le fils est revenu) Avant qu'on se disperse, tu ne veux pas ton vin chaud?
UN SOLDAT - Ma foi... (elle sert le soldat) ... Je devrais pas...!
UNE FEMME - Et vous (aux deux autres soldats), vous n'en voulez pas? Allez, allez... buvez votre vin chaud. Et toi, caporal?
LE CAPORAL - Après tout, c'est pas de refus... Mais après, hein, vous, vous disperserez. (il boit) C'est vrai qu'on en a plein les bottes, nous autres... Partis hier matin du Havre...
UN HOMME - Je me disais bien que tu avais un petit accent de là-bas. Moi, je suis de Coutances!
LE CAPORAL - Oui, c'est pas loin! Salut, pays... Mais c'est pas le moment. Maintenant, circulez... Vous êtes de plus en plus nombreux, c'est pas permis.
UNE AUTRE FEMME- C'est pas permis, c'est pas permis... Vous vous prenez pour qui?
UN SOLDAT - On a des ordres. Nous sommes l'armée régulière.
UN HOMME - Et puis après? On voit bien que vous venez du Havre. Ici, c'est le peuple qui commande. Quatre-vingts jours de siège, qu'on a eu... et après ça il faudrait... Ce sont nos canons, pas les vôtres. On se méfie de l'armée régulière, on sait bien que le bonhomme Thiers n'est pas trop du côté des Parisiens.
UNE AUTRE FEMME- On préfère rester...

LE GENERAL LECOMTE - (entrant) Qu'est-ce qui se passe?
LE CAPORAL - Un attroupement, mon général....
LE GENERAL LECOMTE - Holà vous autres! Je suis le général Lecomte. Je vous le dis, rentrez chez vous, vous n'avez rien à faire ici.
LA FOULE - (personne ne bouge)
LE GENERAL LECOMTE - Il y a longtemps qu'ils sont ici?
LE CAPORAL - Oui, il y a déjà plus qu'un moment...
LE GENERAL LECOMTE - Encore une fois, dispersez-vous!
LA FOULE - (un grand silence)
LE GENERAL LECOMTE - Alors... Soldats, trois pas en arrière. Et vous, si vous ne vous dispersez pas, je vais être obligé de donner l'ordre de tirer... Attention... Dispersez-vous... Un, deux, trois... Bien!... Epaulez armes.... Eh bien, qu'est-ce que vous attendez? (après un temps de silence, les soldats mettent la crosse en l'air)
LE GENERAL LECOMTE - Je répète, préparez-vous à tirer... (sa voix se perd, dans les cris de la foule)
LA FOULE - Hourrah, hourrah, hourrah... (ils tombent dans les bras les uns des autres...) L'armée avec nous, l'armée avec le peuple... Vive les fédérés!
LE GENERAL LECOMTE - (immobilisé par les bras qui le retiennent) Eh, les fédérés, vous ne perdez rien pour attendre. Nos reviendrons et nous rétablirons l'ordre.

3 - Paris, ville libre.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Maintenant que les institutions et les "bourgeois" sont partis pour Versailles, les Parisiens sont libres. Ils ne savent pas encore que cette liberté ne durera que soixante-dix jours, mais en attendant, ils sont en effet libres…
UN FEDERE - Oui, nous sommes libres. Toutes les autorités ont quitté la capitale. Nous allons pouvoir nous fabriquer une république à notre convenance. Elle s'appellera: La Commune. La commune est la base de tout Etat politique, comme la famille est l'embryon des sociétés. Elle doit être autonome, c'est à dire s'administrer elle-même selon son génie particulier, ses traditions, ses besoins. Pour assurer son développement, son indépendance et sa sécurité, elle doit se fédérer avec toutes les autres communes ou groupements de communes qui composent la Nation. L'autonomie de la commune garantit au citoyen la liberté et à la cité, l'ordre. La commune implique comme organisation politique la République, seule compatible avec la liberté et la souveraineté populaire...
TOUS - Et dans cette République nous voulons…
UN FEDERE - La liberté la plus complète de parler, d'écrire, de se réunir et de s'associer!
TOUS - Nous voulons…
UN FEDERE - Le respect de l'individu et l'inviolabilité de sa pensée,
TOUS - Nous voulons…
UN FEDERE - La souveraineté du suffrage universel, toujours libre de se convoquer,
TOUS - Nous voulons…
UN FEDERE - Le principe de l'élection appliqué à tous les fonctionnaires et à tous les magistrats,
TOUS - Nous voulons…
UN FEDERE - L'établissement de mandats impératifs, précisant et limitant la mission des mandataires,
TOUS - Nous voulons…
UN FEDERE - La responsabilité des mandataires et par conséquent leur révocabilité.
TOUS - Hurrah, hurrah…
UN FEDERE - J'ai bien l'honneur...

L'HISTORIEN DE SERVICE - Comme vous le voyez, c'est une véritable révolution. Jusqu'à présent ils ne font que vouloir, ils n'ont pas encore fait quoi que ce soit... Mais si on leur avait laissé le temps, peut-être que...
UN FEDERE - (rentrant avec un autre fédéré) Mon adjoint me fait remarquer que j'ai oublié des choses importantes. Il a raison.... En ce qui concerne Paris, le mandat de la commune doit être détaillé. Nous voulons d'abord l'autonomie de la Garde nationale, qui sera formée de tous les électeurs et qui nommera elle-même ses chefs et son État-major général.
UN AUTRE FEDERE - Oui! Assez de voir le pouvoir politique se mêler de nos affaires!
UN FEDERE - Ensuite nous voulons la suppression de la préfecture de police.
UN AUTRE FEDERE - C'est la même idée, la surveillance de la cité doit être assurée par la Garde nationale.
UN FEDERE - Nous voulons également la suppression à Paris de l'armée permanente.
UN AUTRE FEDERE - Qui est aussi dangereuse pour la liberté civique qu'onéreuse pour l'économie sociale.
UN FEDERE - Nous voulons aussi une organisation financière qui permette à la ville de disposer entièrement de son budget et de répartir selon le droit et l'équité les charges des contribuables.
UN AUTRE FEDERE - En passant, nous souhaitons aussi la suppression de toutes les subventions favorisant les cultes, les théâtres et la presse…
UN FEDERE - Quant à l'enseignement, nous le ferons laïque et professionnel...
UN AUTRE FEDERE - Mais respectant la liberté de conscience, les droits de l'enfant et ceux du père de famille.
UN FEDERE - Nous pensons aussi à l'organisation d'un système d'assurances communales contre tous les risques sociaux, y compris le chômage et la faillite...
UN AUTRE FEDERE - Nos idées ne sont pas encore très claires là-dessus, mais pour nous c'est important.
UN FEDERE - Et enfin il faut que nous trouvions les moyens les plus propres à fournir au travailleur le capital qui lui est nécessaire pour produire, afin d'en finir pour toujours avec l'horrible condition du salarié et les guerres civiles qu'elle entraîne.
UN AUTRE FEDERE - Naturellement ce ne sont que les grandes lignes, il faut deviner beaucoup de choses, mais vous voyez que tout cela procède de l'essentiel de nos préoccupations sociales.

4 - La fin de l'espoir
L'HISTORIEN DE SERVICE - La Commune de Paris est donc une tentative désespérée du peuple de Paris pour échapper au retour d'un empereur, d'un roi, d'une république autoritaire… et instaurer le socialisme. Malheureusement pour elle, plusieurs pouvoirs se partagent en son sein des responsabilités confuses, à savoir les maires d'arrondissement, les commandants de la Garde nationale, la fédération de la Garde nationale et surtout de la toute nouvelle Commune de Paris, dont les membres sont élus le 26 mars... sans parler des deux Comités de Salut public qui se succèderont plus tard. Tous s'efforcent de gérer tant bien que mal la situation très difficile à laquelle ils ne sont nullement préparés. Mais surtout La Commune ne réussit pas à produire un "chef" - mais est-ce bien socialiste? - qui aurait pu prendre des décisions rapides et efficaces. Elle n'eut que soixante-dix jours de vie. Monsieur Thiers - un "chef", lui! - et ses amis de la bourgeoisie avaient, avec la complicité des Prussiens, reconstitué à Versailles une armée de plus de cent mille hommes qui se décidèrent à passer à l'attaque…
THIERS - Cela suffit comme ça! Cela fait quarante jours que nous bombardons Paris et la fumée des incendies monte de partout. Ne faisons pas attendre Dieu… Maintenant, il faut partir à l'assaut! Général Mac Mahon, vous avez Sedan à vous faire pardonner! J'ai mis sous vos ordres une bonne dizaine de généraux et une armée de plus de cent vingt mille hommes… Vous m'avez dit que ce sont tous de bons soldats?
MAC-MAHON - Certes! Les Allemands nous ont libérés trente ou quarante mille hommes qu'ils avaient faits prisonniers et qui ont l'expérience de la guerre, si ce n'est de la victoire. Ils brûlent de se racheter. De plus, ceux-là même et les autres sont parfaitement entraînés par leurs sept ans de service militaire obligatoire. Enfin, ils sont pour la plupart des paysans qui n'aiment pas les gens des villes, en particulier les ouvriers qui se rebellent.
THIERS - Excellent, ça… Et leur moral?
MAC-MAHON - Ils sont à mon gré un peu trop excités… On leur en a tellement dit sur les "communards", puisque c'est comme ça qu'on les appelle… Je préférerais les "fédérés"…
THIERS - On n'en dira jamais assez! Un ramassis de brigands, des socialistes, destructeurs acharnés de l'ordre, des misérables qui…
MAC-MAHON - N'en faites pas trop quand même!
THIERS - J'espère, général, que tous vos soldats savent que, s'ils tombent dans leurs mains, ils n'en ressortiront pas vivants. Dût-on noyer cette insurrection dans le sang, dût-on l'ensevelir sous les ruines de la ville en feu, il n'y a pas de compromis possible.
MAC-MAHON - Vous allez les rendre intenables… Nous ferons de notre mieux!
THIERS - Avec des troupes aussi convaincues de la justice de leur cause, la prise de Paris ne devrait être qu'une promenade de santé! Vingt-quatre heures vous suffiront, je pense.
MAC-MAHON - Je voudrais l'espérer, mais je n'en suis pas absolument sûr! Ce sont tout de même des Français que nous allons combattre…
THIERS - Me faudrait-il douter de votre patriotisme?
MAC-MAHON - En aucune façon… Venez! C'est ici, au Mont Valérien, que nous serons le plus à même d'observer l'attaque. J'ai fait préparer une grande carte de la capitale et nous pourrons suivre de très près le développement de l'opération. Capitaine…
LE CAPITAINE - Présent, général!
MAC-MAHON - Vous porterez nos ordres et vous nous rapporterez les faits au fur et à mesure qu'ils se produiront.
LE CAPITAINE - Oui, général... Conformément à notre plan, après les préparations d'artillerie et les approches des deux derniers mois, ce samedi 20 mai 1871, trois cents canons de marine et de siège ont ouvert le feu… Cependant que les portes de Montrouge, de Vanves, de Vaugirard, du Point-du-jour et de Dauphine semblent avoir été abandonnées…
THIERS - Comment cela est-il possible?
LE CAPITAINE - Les communards, je veux dire les fédérés, sont dispersés et fatigués. Ils discutent, ils n'ont pas de vrai chef… Aucune coordination!
MAC-MAHON - Des portes abandonnées! Alors, attaquez. Attaquez, bon Dieu... Oh pardon!
LE CAPITAINE - Aujourd'hui, dimanche 21, la porte de Saint-Cloud a été réduite en miettes et le général Douai s'y est précipité. D'autre part nos soldats s'introduisent dans Paris par toutes les brèches qu'ils peuvent trouver. Passy est pris, La porte d'Auteuil a cédé aussi à l'attaque du général Clinchant. Le lundi 22, le général Cissey a enfoncé les portes de Sèvres et de Versailles.
THIERS - Les généraux qui conduisent la reconquête de Paris sont de grands hommes de guerre… Vous avez parlé de Clinchant, de Cissey, de Douai. Vous n'avez pas nommé les généraux Vinoy, Galliffet, qui par la suite s'illustrera à sa façon… Cissey, Ladmirault, Langourian, Lacretelle… Ils sont tous sur le terrain… Maintenant l'expiation va commencer.
MAC-MAHON - Au point où ils en sont, il suffirait qu'ils enfilent les grands boulevards et dans le prolongement, les quais. C'en serait fait!
LE CAPITAINE - Malheureusement, nos généraux, ces grands hommes de guerre, se sont fait peur à eux-mêmes et ils croient que les boulevards sont hérissés de barricades, quoiqu'il n'y en ait pas… Cependant, les fédérés, incertains et déséquilibrés par les premières attaques, se débandent et vont, chacun dans leurs quartiers, au plus près de chez eux, se préparer à combattre.
MAC-MAHON - Pour en arriver à les réduire, il va falloir prendre une à une et tourner les mille barricades qu'ils vont élever dans la ville. Ce seront de très durs combats. Ils ont eux aussi beaucoup de canons.
THIERS - Tout de même, ils sont moins terribles que les Allemands!
MAC-MAHON - Ce n'est pas exactement ce que je dirais… Un peu de délicatesse, monsieur le président! Et alors, et alors, que se passe-t-il?
LE CAPITAINE - Le mardi 23, Montmartre est pris, Paris s'embrase, des nuages de fumée s'élèvent au-dessus de la ville, on commence à fusiller pour de bon. Le mercredi 24, l'Hôtel de ville tombe, le Panthéon est pris, on continue à fusiller… C'est ce qu'on leur avait recommandé de faire. Mais hélas, les fédérés fusillent aussi quelques-uns de leurs prisonniers… dont l'archevêque; de Paris Mgr Darboy.
THIERS - C'est indigne! Un archevêque…
LE CAPITAINE - D'autant plus indigne que, d'archevêques, nous n'en avons pas beaucoup… Les incendies se multiplient. Les Tuileries sont en feu… Ça canonne dur des deux côtés! Le jeudi 25, toute la rive gauche est occupée par les nôtres. Les Prussiens viennent même à la rescousse en bloquant le nord de Paris et en occupant Vincennes…
THIERS - Les Prussiens. Oui, c'est moi qui leur ai demandé d'intervenir… Je sens qu'on va encore me le reprocher! Juste un petit coup de main…
MAC-MAHON - Effectivement, cela ne fera pas une très bonne impression.
LE CAPITAINE - Le vendredi 26, Belleville résiste toujours, la Bastille tombe. Le samedi 27 Belleville et Ménilmontant sont pris. Les Versaillais ont fait des milliers de prisonniers qu'ils n'ont pas eu le temps de tous exécuter au passage. Les fédérés fusillent à leur tour quelques nouveaux otages… Le cimetière du Père Lachaise est assiégé. Le samedi soir les fédérés n'occupent plus que des morceaux du XIème et du XXème arrondissement. Le dimanche 28 mai, le Père Lachaise est pris et tout est fini.
THIERS - Habitants de Paris, Paris est délivré, la lutte est terminée, l'ordre le travail et la sécurité vont renaître…

5 – La fin de l'histoire
L'HISTORIEN DE SERVICE - Les Versaillais, donc, se rendirent définitivement maîtres de la ville le 28 mai 1871. Les combats, de barricade en barricade, avaient été très violents. Les derniers "Communards" furent fusillés dans l'enceinte même du cimetière du Père Lachaise, devant ce que l'on appelle depuis "Le Mur des Fédérés". Les pertes des Versaillais furent minimes. Quant aux fédérés, on estime qu'il y eut environ trente mille victimes. Par la suite d'autres suspects, très nombreux, furent arrêtés, souvent maltraités et détenus dans des conditions très dures - en particulier à l'Orangerie à Versailles ou au camp de Satori. Parmi lesquels, trente mille autres furent jugés, quelques-uns exécutés, treize mille condamnés à la prison ou à la déportation à Cayenne. Au nombre desquels Louise Michel, symbole de la part très importante que les femmes avaient prise dans la lutte. L'amnistie n'intervint qu'en 1880. Marx, qui vivait alors à Londres, fut très attentif aux événements de la Commune, dont on peut dire qu'elle inspira la Révolution d'octobre en Russie... ou plus exactement qu'elle montra à la Révolution d'octobre quelles fautes il faut éviter pour arriver au pouvoir. Une importante documentation fut plus tard réunie par Prosper-Olivier Lissaragay, un ancien fédéré, dont nous avons fait grand usage.

RAPPEL HISTORIQUE.

Sur le plan politique, la Commune de Paris est une assez étrange affaire... Il y a de toute évidence une remontée de la grande Révolution de 1789 que certains estiment inachevée, ou avortée, en dépit des grandes modifications apportées par elle au fonctionnement de la société française. Mais si la colère couve, c'est surtout parce qu'au lieu de la République, les empereurs et les rois sont revenus, avec tout ce que cela comporte d'arbitraire et d'autoritaire... De plus, le dix-neuvième siècle est celui de la révolution industrielle et des abus sociaux qu'elle a entrainés: entre autres salaires misérables, durée abusive du travail.... D'où les mouvements sociaux-révolutionnaires qui, dans l'ombre, se forment dans toute l'Europe et qui, persécutés, cherchent abri dans les démocraties plus tolérantes que sont la Suisse, l'Angleterre ou les Pays-Bas et dans une moindre mesure la France. En France même, Proudhon et Blanqui, pour ne pas parler de Saint-Simon, ont eux-mêmes formés les esprits à la révolte et donné naissance à des mouvements ouvriers qui ont déjà produit les révolutions de 1830 et de 1848. De Londres, Marx lui-même observe attentivement les évènements de La Commune, qui est la première révolution sociale à se dérouler sous ses yeux. Il a déjà dans l'esprit le projet d'une Internationale du monde ouvrier. Il ne faut pas non plus oublier ici le mouvement anarchiste, en particulier russe, dont deux éminents représentants vécurent un temps en France, Bakounine et Kropotkine... Les anarchistes n'étaient pas obligatoirement violents, ils voulaient simplement se libérer de toute convention et de toute autorité. Enfin cette étrange idée de "commune" qui est comme une remontée du moyen-âge. En fait, Paris en tant que ville souffrait de la présence en son sein du gouvernement de la France, qui faisait peser sur elle le poids et ses institutions et de ses contraintes. Elle voulait prendre ses distances, être une ville libre... Mais dans un pays totalement dominé par sa capitale, on ne voit pas bien où se serait trouvé l'équilibre de la fédération qu'elle avait en projet.
L'histoire de la Commune de Paris est de toute façon une des plus compliquées qui soient. En deux ou trois mois... cela dépend d'où l'on part, se sont déroulés un ensemble d'événements spontanés et confus tels que peu d'auteurs les décrivent de la même façon... La guerre de 1870 est encore en cours, l'empereur Napoléon III s'est rendu, les troupes allemandes occupent une partie du territoire français. Et surtout elles assiègent Paris qui est entouré de murailles et qui vient de résister pendant le très rude hiver de 1870. Le commerce et l'approvisionnement ont été stoppés. Il n'y a plus un rat dans Paris: les Parisiens les ont tous mangés. Plus un rat, mais une population affamée et inquiète, une Garde nationale qui peut compter jusqu'à trois cent mille hommes, composée en particulier des artisans et des ouvriers qui ont perdu leur travail... S'ils entrent dans la Garde, ils touchent une petite paye. Ils sont bien armés, car Paris a des nombreux magasins d'armes. Il y a aussi une centaine de mille de soldats réguliers que les Allemands ont refoulés dans la ville... Et naturellement les deux millions d'habitants que compte la capitale... Et, comme il est dit plus haut, le peuple de Paris, travaillé depuis quelques dizaines d'années par des courants socialistes ou anarchistes, craint que la chute de l'empereur ne provoque l'arrivée d'un roi et ne voit donc d'autre solution que, comme lors de la grande Révolution de1789, de tenter de prendre le pouvoir...