Déposé à la SACD
LE PROPHETE JEREMIE
***
Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
L’historien de service, Jérémie, son ami Baruch, le potier,
le roi Joachim, le roi Sédécias,
le grand prêtre, le ou les ministres
1 - Visite de Jérémie au potier.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Nous sommes en Palestine (la Terre Promise!)
dans les années 700 avant J.C. Onze des douze tribus d'Israël ont
déjà été détruites et dispersées par
leurs voisins. Reste seule la tribu de Juda, qui a comme capitale Jérusalem
et qui est gouvernée par des rois dont les plus illustres ont été
David et Salomon, il y a quatre cents ans de cela… Mais la tribu de Juda
ne résistera pas longtemps. En ce temps-là, choisi par Dieu pour
devenir son prophète et essayer de prévenir la catastrophe, Jérémie
rendit visite à un potier...
JEREMIE - C'est toi le potier qui fabriques les vases sacrés du Temple?
LE POTIER - Oui, c'est bien moi.
JEREMIE - Est-ce que je peux entrer et te regarder? Tu es sur le point d'achever
une bien belle pièce!
LE POTIER - Elle est tellement grande qu'elle m'a donné beaucoup de peine.
Et malgré tout, je ne la trouve pas aussi belle que je l'aurais voulu.
JEREMIE - Ah oui, pourquoi…?
LE POTIER - Je n'ai pas pris de l'argile d'assez bonne qualité, et maintenant
je m'aperçois qu'il va m'en manquer un peu pour achever le col…
Tu vois, là c'est moche… Je ne peux pas me permettre de livrer
au Temple un vase qui ne soit pas parfait.
JEREMIE - Que vas-tu faire?
LE POTIER - Je vais l'écraser.
JEREMIE - Tout ce travail!
LE POTIER - Je le réduirai à l'état d'une boule d'argile
sans forme, que je pétrirai de nouveau, que j'humecterai. Et si l'envie
m'en prend, j'en ferai un autre vase.
JEREMIE - Tu es comme Dieu…
LE POTIER - Comme Dieu…? Explique-toi.
JEREMIE - Tu prends, tu laisses! Tu construis, tu démolis… Dieu,
lorsqu'il a raté son coup, je veux parler de sa création ou d'une
partie de sa création, il efface et recommence.
LE POTIER - Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
JEREMIE - Tu ne te souviens pas du Déluge? Il a effacé l'humanité
de la surface de la terre… Et, à voir ce qui se passe pour le moment...
Ce qu'est l'argile dans la main du potier, c'est cela que nous sommes dans la
main de Dieu. Et pour dire vrai, je ne suis pas sûr que Dieu recommencera,
mais je suis sûr qu'il doit se dire qu'il a raté son coup et…
et…
LE POTIER - Et quoi?
JEREMIE - Et qu'il a décidé de nous détruire. Regarde toutes
ces armées qui tournent autour de nous. Qu'importe que ce ne soit pas
un déluge, mais un ouragan: les résultats sont les mêmes.
Que reste-t-il des douze tribus que Moïse avait ramenées d'Egypte?
Dans le nord du pays, elles ont toutes été balayées. Et
en dernier, il n'y a pas si longtemps, la tribu de Benjamin, que les Assyriens
ont déportée. Il ne reste plus au sud que nous, les gens de Juda,
à Jérusalem. Et pris entre les Hittites, les Babyloniens et les
Egyptiens, nous n'allons pas faire long feu.
LE POTIER - Il y a eu le déluge, mais il y a eu Noé…
JEREMIE - Oui, c'est vrai, il y a eu Noé… C'est vrai! Noé…!
Je peux rester encore un peu à te regarder refaire ton vase?
LE POTIER - Tant que tu voudras.
2 - Remontrances au roi Joachim : le peuple ne respecte pas la Loi.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Ensuite Jérémie vint rendre visite
au roi Joachim, le roi de Juda…
JEREMIE - Roi Joachim, il faut que je te parle.
LE ROI JOACHIM - Jérémie, le prophète… N'as-tu pas
dit assez de bêtises comme ça?
JEREMIE - O roi, ne te moque pas… Il est vrai que j'ai beaucoup parlé…
Je voudrais que ce que j'ai dit ne soit pas vrai, car bien souvent, j'ai parlé
de malheur! Mais aujourd'hui, il faut que je parle encore, au risque de déplaire
encore une fois. Et tant pis si tu me fais mettre en prison…
LE ROI JOACHIM - Que les rois doivent être patients, eux qui doivent écouter
les gémissements des prophètes de Dieu! Eh bien, je suis prêt!
JEREMIE - Ton père, le roi Josias, a eu la chance de retrouver dans les
ruines de l'ancien temple un rouleau de parchemin sur lequel était inscrite
la nouvelle loi de Yahvé. Il ne la connaissait pas. Il la fit lire à
haute voix devant le peuple et devant lui-même et, l'ayant entendue, il
déchira ses vêtements pour n'avoir pas connu plus tôt cette
loi et pour ainsi avoir péché. Et, pour se faire pardonner, il
entreprit de reconstruire le Temple du Seigneur.
LE ROI JOACHIM - Me blâmerais-tu pour cela?
JEREMIE - Non pour cela, mais parce que, depuis que ton père est mort,
à trop penser au Temple, toi et ton peuple, vous en avez oublié
le Seigneur. "Temple du Seigneur, Temple du Seigneur…", allez-vous
répétant. Mais vous en omettez d'être bons et justes. Etes-vous
devenus insensés? La loi n'est pas seulement pour le Temple! Le Temple
n'est rien, le Seigneur est tout. Vous avez beau aller au Temple pour y faire
vos processions et y offrir vos sacrifices, si vous ne réformez pas votre
conduite, si vous commettez l'injustice, si vous opprimez l'étranger,
si vous abandonnez la veuve, si vous vous désintéressez de l'orphelin,
vous n’êtes pas dans la voie du Seigneur. Je veux dire par là
que ce n'est pas ceux qui invoquent le nom de Dieu qui seront sauvés,
mais ceux qui agissent bien, même s'ils n'invoquent pas le nom de Dieu.
Telle est la parole de Yahvé.
LE ROI JOACHIM - Est-ce tout ce que tu avais à me dire, Jérémie
le toujours mal content, l'éternel insatisfait? On finirait par en avoir
assez!
JEREMIE - Ecoute encore, ô roi… Vous vous fiez à des paroles
trompeuses et vous-mêmes en prononcez, vous volez, vous tuez, vous commettez
l'adultère, vous faites des faux serments… Et ensuite vous vous
présentez à Dieu dans ce Temple où vous invoquez son nom
et où vous dites: "Nous sommes sauvés! Dans ce Temple de
Dieu nous sommes sauvés!" Et ensuite vous recommencez à commettre
toutes ces abominations. En vérité, vous faites de la maison de
Dieu, où vous invoquez son nom, une caverne de brigands…
LE ROI JOACHIM - Je t'écoute avec patience, bien que tu ne fasses que
répéter ce que tu as déjà dit. Mais je sais que
les prophètes doivent être écoutés et que je n'ai
pas d'autre issue…
JEREMIE - Ceci encore: le père ramasse du bois pour allumer le feu et
la mère pétrit la pâte et ils font cuire des gâteaux
pour les offrir à leurs fausses déesses en même temps qu'ils
répandent des libations en l'honneur des dieux étrangers. "En
réalité, dit Dieu, ils se détruisent eux-mêmes plus
sûrement qu'ils ne me blessent. Pis encore, scandale des scandales, ils
ont osé m'offrir en sacrifice leurs fils et leurs filles, ce que je n'ai
jamais ordonné, ni même songé à ordonner. Je vous
le dis, les cadavres de ce peuple serviront de nourriture aux oiseaux du ciel
et aux bêtes de la terre. Et ensuite, on exposera les restes de ces cadavres
au soleil, à la lune et à toute l'armée des étoiles
qu'ils ont servie, suivie et adorée. Et leurs os, partout où ils
auront été dispersés, serviront d'engrais dans les champs."
Ainsi parle Yahvé, le Dieu des armées…
LE ROI JOACHIM - Nous t'avons écouté avec attention, Jérémie.
Mais nous ne t'avons pas compris. Ainsi, retourne chez toi, de peur que subitement
nous te comprenions et que notre colère se retourne contre toi.
3 - Jérémie est emprisonné.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Ce que Jérémie avait dit au roi
déplut aussi au grand-prêtre…
JEREMIE - Que t'ai-je fait pour que tu me traites ainsi. Voilà que tu
m'as arrêté, que tu m'as fait battre et mettre aux fers près
de la porte de Benjamin. Et maintenant, on me traîne devant toi. Réponds-moi…
LE GRAND PRËTRE - Je n'ai pas de réponse à te donner, sinon
que le grand prêtre de la tribu de Juda ne peut tolérer que de
telles choses soient dites devant le peuple.
JEREMIE - Ce n'est donc plus "grand prêtre" que je te nomme
mais "prince de la terreur". Et voici ce que dit le Seigneur: "Je
vais faire de toi un objet d'épouvante pour toi-même et pour tes
amis. Et je vous ferai périr par l'épée de vos ennemis.
Et je livrerai tout Juda aux mains de Nabuchodonosor, qui le déportera
à Babylone. Je livrerai aussi toutes les richesses de cette ville, tout
le produit de son travail, tous ses bijoux précieux, tous ses trésors.
Et toi, prince de la terreur, tu seras emmené à Babylone en captivité
avec toute ta famille. Tu iras à Babylone pour y mourir et y être
enterré… Si vous ne m'écoutez pas, je ferai table rase de
ce Temple, et de cette ville je ferai un exemple. Et tous les peuples de la
terre la maudiront."
L’HISTORIEN DE SERVICE - Jérémie était très
en colère. Mais ce qu'il disait lui était inspiré par Dieu.
Or les prêtres et tous les faux prophètes qui les entouraient,
et tout le peuple, entendirent ces paroles de Jérémie. Et ils
le saisirent en criant : "A mort, à mort, pourquoi prétends-tu
au nom du Seigneur raser ce temple et détruire cette ville?" Mais
à ce moment, les officiers du roi arrivèrent à la Porte
Neuve du Temple. Et les prêtres et les prophètes leur dirent encore:
"C'est la mort que mérite cet homme, car il a prophétisé
contre cette ville, vous l'avez entendu de vos propres oreilles." Jérémie
reprit:
JEREMIE - Je suis entre vos mains et vous me ferez ce que bon vous semblera.
Mais sachez que si vous me mettez à mort, c'est de sang innocent que
vous souillerez cette ville et ses habitants.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Mais les officiers du roi s'interposèrent
et dirent: "Cet homme ne mérite pas la mort. C'est au nom du Seigneur
notre Dieu qu'il a parlé." Il y eut un grand silence et le grand
prêtre, bien qu'avec regrets, laissa aller Jérémie…
5 - Nouvelles prophéties de Jérémie : la destruction de
Jérusalem.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Jérémie n'osait pas se montrer
lui-même, car beaucoup le maudissaient et il aurait été
arrêté et mis à mort, tellement il avait prophétisé
contre Juda et ses rois. Aussi, plutôt que de venir lui-même, il
dicta ses prophéties à son ami Baruch qui vint sur le parvis du
Temple pour en donner lecture. Et la lecture fut faite du rouleau sur lequel
elles étaient écrites devant les ministres du roi, dans le bureau
du secrétaire Gamarias, près de la Porte Neuve du Temple. Et les
ministres dirent à Baruch…
LE MINISTRE - Comment ces choses ont-elle été écrites sur
ce rouleau? D'où viennent-elles?
BARUCH - Elles m'ont été dictées par votre serviteur Jérémie,
qui est allé se cacher après m'avoir prié de venir les
lire dans le temple.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Les ministres dirent alors:
LE MINISTRE - Il faut que le roi entende cette lecture. Il ne peut l'ignorer.
Mais après cela, toi, Baruch, tu iras toi aussi te cacher, comme Jérémie,
de peur qu'on ne t'arrête aussi.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Et Baruch prit ce rouleau et vint devant le roi
en présence de tous ses ministres.
LE ROI JOACHIM - Eh bien, Baruch, si vraiment il le faut, donne-nous lecture
de ce rouleau.
BARUCH - Voici, Seigneur, ce qui est écrit dur ce rouleau:
Ainsi parle Yahvé…
Le péché de Juda est inscrit avec un stylet de fer,
Il est gravé avec une pointe de diamant sur la tablette de leur cœur…
Aussi je livrerai au pillage ta montagne; tes biens, tes trésors
Et je détruirai tous les autels où tu sacrifies aux faux dieux.
Voici qu'un peuple terrible arrive du nord et se lève du bout du monde.
Ils manient l'arc et le javelot, ils sont cruels et sans pitié,
Ils font un fracas semblable au mugissement de la mer,
Comme un seul homme, ils sont prêts à combattre mon peuple.
Et toi, mon peuple, tu ne survivras pas aux assauts de tes ennemis,
Car tous, du plus petit jusqu'au plus grand, vous volez votre prochain,
Et depuis le prophète jusqu'au prêtre, vous pratiquez le mensonge!
Etalons bien nourris, chacun hennit après la femme de son voisin!
Et leurs maisons de la cave au grenier sont pleines de leurs rapines.
Aucun ne s'occupe des douleurs des pauvres parmi mon peuple,
Ils disent : "Tout va bien, tout va bien!" alors que tout va mal.
Ils disent aussi : "Il n'y a pas de Dieu, nous n'avons rien à craindre."
Ils ne connaissent pas la honte, ils sont incapables de rougir…
Et je ne les punirais pas pour ces crimes? Je ne les châtierais pas pour
leurs méfaits?
Et je ne leur montrerais pas que je suis, et qui je suis vraiment, dit Dieu?
Aussi tomberont-ils. Ils s'écrouleront au temps où je l'aurai
décidé.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Mais le roi Joachim n'eut pas l'air d'être
impressionné. Il avait déjà entendu tant de fois cette
chanson. Il dit:
LE ROI JOACHIM - C'est tout?
L’HISTORIEN DE SERVICE - Et comme c'était l'hiver et que le roi
Joachim se chauffait auprès d'un petit brasero, il se fit apporter un
canif et découpa le rouleau en morceaux. Et il le fit brûler, morceau
après morceau…
6 - Nouvelle prophétie: la ville de Jérusalem sera détruite
et son peuple déporté.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Puis, le roi Joachim étant mort, le roi
Sédécias lui succéda. Et il arriva que les gens de Babylone
mirent le siège devant la ville de Jérusalem. Et Jérémie
dit au peuple:
JEREMIE - Les soldats de Babylone assiègeront la ville, ils l'enlèveront
et la livreront aux flammes.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Et Jérémie voulut sortir de la
ville. Mais les habitants de la ville le soupçonnèrent de trahison
et le jetèrent dans une sorte de cave voûtée qui était
sous la maison de Jonathan. Il y resta dans l'obscurité plusieurs jours.
Puis le roi Sédécias, en secret, le fit venir et lui demanda s'il
avait quelque chose à lui dire de la part du Seigneur. Jérémie
répondit:
JEREMIE - Malgré tous les faux prophètes qui te disent le contraire,
oui, tu seras livré aux mains du roi de Babylone, si c'est ce que tu
veux savoir... Mais en ce qui me concerne, écoute ma requête: ne
me fais pas reconduire sous la maison de Jonathan, car j'y mourrais…
L’HISTORIEN DE SERVICE - Et Sédécias ordonna qu'il fût
gardé dans la cour de la prison, où les conditions de vie étaient
meilleures. Cependant les Babyloniens étaient toujours en train d'assiéger
la ville et Jérémie recommença à prophétiser:
JEREMIE - Ainsi parle le Seigneur: "Je vais vous obliger, avec toutes vos
armes, à vous rabattre à l'intérieur des remparts de la
ville. Et moi, de toute la force de ma colère et de mon courroux, je
combattrai contre vous. Je frapperai les habitants de cette ville, hommes, femmes,
enfants et animaux. Après quoi, Sédécias, le roi de Juda
et tous ceux qui auront échappé à l'épée
et à la famine, je les livrerai à Nabuchodonosor, roi de Babylone.
Et les soldats de Nabuchodonosor les passeront au fil de l'épée,
sans pitié, sans merci…" Et le Seigneur dit encore cela: "Voici
que je vous mets à la croisée des chemins de la vie et de la mort.
Celui qui restera dans la ville périra. Mais celui qui sortira pour se
rendre aux Babyloniens vivra. Sa vie sera sa part du butin et il aura encore
bien de la chance de la conserver. Acceptez votre châtiment comme une
œuvre de justice. Car je porte mes regards sur cette ville pour son malheur
et non pour son bien. Je vous le dis, de cette ville qui était à
mes yeux aussi précieuse que la forêt des cèdres du Liban,
de cette ville il ne restera plus trace sous le soleil."
7 - Jérémie est emprisonné pour la troisième fois.
Nabuchodonosor prend Jérusalem.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Les chefs de l'armée dirent alors au roi:
"Qu'on supprime cet homme! En tenant de pareils propos, il décourage
tout ce qu'il nous reste de soldats. Cet homme ne cherche pas le salut mais
la perte du peuple." Ils prirent alors Jérémie et le descendirent
avec des cordes dans une citerne qui était une fosse profonde. Il n'y
avait point d'eau dans la citerne, mais au fond une épaisse couche de
vase, dans laquelle Jérémie enfonça. Alors Abdémélech,
qui craignait Dieu, vint trouver le roi et lui dit: "Seigneur, ils vont
faire mourir le prophète Jérémie. Il mourra d'autant plus
que non seulement il a les pieds dans la vase, mais qu'il n'aura pas de pain."
Car le pain, à cause du siège, commençait à manquer.
Et le roi envoya Abdémélech avec trente hommes pour retirer Jérémie
de la fosse. Ils lui lancèrent des cordes avec des morceaux d'étoffe
pour mettre sous ses aisselles de façon à empêcher les cordes
de le blesser. Ensuite, le roi voulut questionner Jérémie. Et
Jérémie dit au roi:
JEREMIE - Je sais bien que tu n'écoutes pas les conseils que je te donne,
mais au moins, si je te réponds m'épargneras-tu la mort?
LE ROI SEDECIAS - Par ma vie et par la vie de ce Dieu qui nous a donné
la vie, je ne te ferai pas mourir et je ne te livrerai pas aux mains de ceux
qui veulent te mettre à mort.
JEREMIE - Alors, je te répondrai. Voici ce que dit le Dieu des armées,
le Seigneur d'Israël: "Si tu te rends aux officiers de l'armée
du roi de Babylone, tu auras la vie sauve et la ville ne sera pas brûlée.
Mais si tu ne le fais pas, la ville tombera entre leurs mains et ils y mettront
le feu. Et toi, tu ne leur échapperas pas…"
LE ROI SEDECIAS - Si je me rends, ce que je crains surtout ce sont les traîtres
qui ont passé du côté de l'ennemi et qui pourraient me maltraiter
et me livrer à Nabuchodonosor.
JEREMIE - Ils ne le feront pas. Ecoute plutôt la voix du Seigneur qui
te dit de te rendre: tu t'en trouveras bien et tu auras la vie sauve. Mais si
tu refuses, je peux te prédire que des choses épouvantables vous
arriveront, à vous et à vos femmes. Et toi, tu n'échapperas
pas à tes ennemis, tu seras fait prisonnier et la ville sera abandonnée
aux flammes. Ecoute bien ce que te dis le Seigneur: "Moi, ton Dieu, j'en
ai assez d'avoir pitié." Et le reste du peuple sera emmené
à Babylone et leur exil durera trois générations avant
que le Seigneur, de même qu'il nous a fait rentrer d'Egypte, nous fasse
revenir de Babylone… Mais, ô roi Sédécias, ne permets
pas qu'ils me ramènent dans la citerne où ils m'ont tout d'abord
jeté. Elle est pleine de vase, et mes pieds étaient pris dans
la vase. S'ils m'y ramènent je mourrai certainement.
LE ROI SEDECIAS - J'ai entendu ce que tu m'as dit… De toute façon,
je donnerai des ordres pour qu'ils ne te ramènent pas dans cette citerne
et tu recevras chaque jour du pain en provenance de la rue des boulangers. En
revanche, si on t'interroge, tu ne révéleras rien de ce qui a
été dit entre nous.
L’HISTORIEN DE SERVICE - Et en effet, les officiers du roi interrogèrent
Jérémie qui leur répondit: "J'ai simplement demandé
au roi de ne plus me mettre dans la citerne." Et ils le laissèrent
aller. Et, comme Jérémie l'avait prédit, la ville de Jérusalem
fut prise et livrée aux flammes. Mais avant d'enchaîner le roi
Sédécias pour l'emmener en captivité, le roi de Babylone
Nabuchodonosor fit mourir tous ses enfants devant lui. Et ensuite il lui creva
les yeux. Et, de sourd à l'appel de Dieu, il devint aveugle.
RAPPEL HISTORIQUE.
Les Européens, ou plutôt les chrétiens, connaissent Jérémie
à travers le mot "jérémiades", qui signifie:
plaintes ou reproches incessants. Cela vient de ce qu'ils ont été
impressionnés (dans les plus anciennes générations) par
la lecture répétée, dans la liturgie catholique du Vendredi
Saint, des "Lamentations du prophète Jérémie".
Mais, contrairement aux indications des Bibles officielles, il ne semble pas
que ces lamentations aient été réellement écrites
par Jérémie. Quant au Livre de Jérémie lui-même,
il a été copieusement retouché et remanié au cours
des temps. Et comme, dans l'état où il nous est parvenu, il est
fait d'une juxtaposition de passages, tantôt prophétiques (des
prophéties, des malédictions, des menaces, des plaintes…
et parfois des chants d'espérance!), tantôt historiques (en particulier
biographiques), et que ces passages ne sont pas placés dans l'ordre chronologique,
il est, quoique très attachant, d'une lecture particulièrement
difficile.
Essayons de remettre un peu d'ordre…
Dans les environs de l'an 1000 David devint le roi du peuple que Moïse
et Josué avaient ramené d'Egypte. Lui succède Salomon (970-931)
qui construisit le premier Temple de Yahvé et dont le royaume était
effectivement divisé en douze circonscriptions (correspondant aux douze
tribus). Le peuple d'Israël est théoriquement séparé
des autres peuples par le culte de Yahvé, son dieu exclusif, et par l'observation
de la loi de Moïse. Les rois d'Israël se succèderont pendant
plus de trois siècles (jusqu'en 587) au cours desquels ils se montrèrent
plus ou moins fidèles et à leur morale et à leur Dieu…
Il faut les comprendre: ils étaient entourés de faux dieux qui
leur paraissaient parfois plus puissants que Yahvé et dont les peuples
se sentaient tellement plus libres dans leurs comportements! Leurs femmes en
particulier étaient si tentantes… Sous le roi Manassé, l'impiété,
dans tous les sens du mot, atteignit son maximum. C'est peut-être pour
cette raison que durant cette période onze des douze tribus du nord disparurent,
absorbées dans leur environnement ou déportées, la dernière
de la liste étant celle de Benjamin, capturée par les Assyriens.
Heureusement vint le bon Roi Josias, roi de Juda, la douzième tribu,
qui se retourna vers Yahvé et reconstruisit son Temple, lequel, au milieu
de tout cela, avait été démoli.
Malheureusement, Josias fut tué par les Egyptiens en 610 au cours d'un
obscur engagement à Megiddo. Jérémie, qui comprend qu'il
a été, malgré lui, choisi par Dieu pour être la conscience
de Juda, devient particulièrement sensible à la situation très
difficile de son peuple, un tout petit peuple qui se trouve assez exactement
au point de rencontre de deux puissants empires, l'Egypte et la Perse. Jérémie,
fils d'un prêtre de l'ancienne tribu de Benjamin, était devenu
de plus en plus certain que Juda n'échapperait pas à l'invasion
et à la destruction. Et comme il fait un lien entre les péchés
du peuple et la menace qui plane sur lui, il essaye, tout en étant convaincu
qu'il n'y arrivera pas, de ramener Juda à l'obéissance à
Yahvé. Et progressivement, Nabuchodonosor, roi de Babylone devient dans
l'esprit de Jérémie, l'agent du châtiment de Yahvé…
Evidemment, le trop clairvoyant, le désespéré, l'exaspérant
Jérémie n'est pas bien vu à Jérusalem où
il est persécuté. Mais ce qu'il clame avec tant d'insistance finit
par arriver. En 587, Jérusalem tombe devant les troupes de Nabuchodonosor,
une partie du peuple est déportée à Babylone… Jérémie,
lui, finira obscurément et douloureusement sa vie, exilé semble-t-il
en Egypte. Histoire évidemment très simplifiée!
La tradition chrétienne fait volontiers de Jérémie une
préfiguration de Jésus, comme lui prêchant l'obéissance
à la volonté de Dieu et comme lui, persécuté par
les autorités religieuses… En tout cas, Jérémie se
place naturellement dans la longue lignée des prophètes qui ont
tenté d'écarter les peuples de la seule "pratique" des
actes religieux (les temples, leurs sacrifices, les offices, les rites, la liturgie,
les processions, les jeûnes, la pénitence…) pour les ramener
tout simplement vers une vie juste et charitable. Et, parmi ceux qui vinrent
à sa suite, Jérémie donc, puis Jésus, Jean Hus,
François d'Assise, Wycliffe, Erasme, Luther… La liste est longue,
aussi longue que la tentation des Eglises officielles de mettre en avant "leurs
règles et leurs cultes".
Quant à la tribu de Juda, comme tout le monde le sait, après soixante
ans elle reviendra à Jérusalem avec une religion encore plus ritualisée
que la précédente (judaïsme) et la vie reprendra son cours…