Déposé à la SACD
FREUD ET L'INCONSCIENT
***
Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
L'historien de service, Freud, Charcot, la malade,
le Ça de Freud, le Sur-moi de Freud,
Jung, Adler, Breuer, le patient, l'ami du patient
1 - Introduction
L'HISTORIEN DE SERVICE - La psychanalyse est une pratique thérapeutique
discutée et Freud n'a pas toujours bonne presse. Mais sa renommée
et son influence sont incontestables… Lorsque commence la pièce,
nous sommes en 1885. Sigmund Freud a trente ans. Il a fait ses études
de médecine à Vienne en Autriche où il est chargé
d'un cours de neuropathologie. Attiré par la réputation du professeur
Charcot, à Paris, il vient en écouter l'enseignement… Vous
voyez, docteur Freud, c'est l'hôpital de la Salpetrière…
Charcot y enseigne. Entrons…
FREUD - Je vous suis.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Autrefois on les aurait brûlées. C'était
le diable!
FREUD - Le diable…? De qui parlez-vous, qu'est-ce que vous voulez dire?
L'HISTORIEN DE SERVICE - Je veux dire qu'en des temps obscurs, l'hystérie,
maladie réputée féminine, qui se manifeste par des épisodes
violents suivis de conséquences anormales, était souvent considérée
comme une sorte de possession diabolique… Par exemple, l'hystérie
peut provoquer l'insensibilité de certaines parties du corps et c'est
là que les inquisiteurs plantaient leurs aiguilles en disant: "Vous
voyez, elle ne sent rien, c'est la preuve qu'elle est une sorcière…"
FREUD - Oui, je me souviens, j'ai lu ça quelque part… Je n'avais
pas très bien compris.
L'HISTORIEN DE SERVICE - C'est le grand mérite de Charcot d'avoir arraché
l'hystérie au monde de la superstition pour la faire entrer dans le domaine
de la médecine… Mais le voilà! Je vous laisse.
2 - L'enseignement de Charcot.
CHARCOT - (s'installant) Messieurs, bonjour. Avant de commencer, je voudrais
d'abord répéter que l'épilepsie et l'hystérie dont
deux maladies différentes, bien que la crise par laquelle elles commencent
toutes les deux soit tout à fait identique. Mais l'épileptique,
une fois la crise passée, récupère normalement ses facultés,
tandis qu'au contraire l'hystérique présente ensuite des symptômes
anormaux de souffrance, d'insensibilité, de paralysie… C'est aux
hystériques que je m'intéresse. Entrez, madame… Beaucoup
d'hystériques sont des femmes. Mais certains hommes n'y échappent
pas… Je vous remercie, madame, de bien vouloir vous prêter à
cette démonstration…
LA MALADE - Mais pas du tout, monsieur le médecin… Puisque c'est
dans l'intérêt de la science!
CHARCOT - Voilà, je vous présente Denise… Vous comprendrez
que je ne fasse pas état de son nom de famille. Donc, Denise! J'ai examiné
Denise… Aucune lésion des nerfs périphériques, aucune
lésion des masses centrales. Ce dont elle souffre n'est d'autre part
ni un ramollissement du cerveau, ni une hémorragie cérébrale,
ni la moindre atteinte physiologique décelable et nous épuiserions
notre science à vouloir trouver dans cette femme quelque anomalie que
ce soit. Et pourtant elle est malade! Je m'en porte garant, elle est malade.
Comment est-elle malade? C'est tout à fait comme si il se passait en
elle quelque chose qui empêcherait… Voulez- vous lever votre bras
gauche, madame…
LA MALADE - (elle lève son bras gauche)
CHARCOT - Très bien… Le bras droit, maintenant...
LA MALADE - Vous savez bien que ne peux pas… je ne peux pas!
CHARCOT - Elle ne peut pas! Vous voyez bien qu'elle est malade. Encore une fois,
il n'y a aucune raison physiologique pour qu'elle ne puisse pas lever le bras
droit… Essayez encore…
LA MALADE - Pas davantage… Je regrette… Vous le savez bien.
CHARCOT - Je vous prends à témoin… Or vous le savez, il
n'y a pas d'effet sans cause. Cela est un principe constant. Mon hypothèse…
je devrais dire ma certitude, est tout simplement qu'elle s'est interdit à
elle-même de lever son bras droit. Pourquoi, comment, nous ne le savons
pas. C'est cela l'hystérie… Dans d'autres cas le malade se sera
malgré lui-même donné à lui-même l'ordre d'avoir…
de violents mots de tête, ou des douleurs dans le ventre, ou encore de
marcher avec le dos courbé, à moins que cela ne soit de se laisser
pousser des furoncles, ou plus souvent de sentir de profondes angoisses…
Ici, c'est le bras droit. Encore une fois aucune cause biologique… Elle
n'a pas une maladie du corps, mais une maladie de l'esprit, de l'esprit qui
tourmente son corps. Je dirais presque une maladie de l'âme… Mais
je ne crois pas à l'âme! Maintenant, vous allez voir… Ne
craignez rien, Denise…
LA MALADE - Je n'ai pas peur, monsieur le médecin…
CHARCOT - Merci!… Je vous ai expliqué ce qu'est l'hypnose…
Je vais prendre possession de votre esprit, me mettre aux commandes, pour ainsi
dire, et je m'efforcerai de vous guérir… Regardez-moi dans les
yeux…Je compte jusqu'à 20… (il compte lentement jusqu'à
17) Avez-vous vu? Il a suffi de dix-sept! Maintenant je suis à l'intérieur
de la forteresse… Levez-vous, madame, faites trois pas devant vous, avancez,
reculez, levez la jambe gauche, agitez la tête... Vous voyez que c'est
vrai que je suis aux manettes. Et pour le prouver… Madame, dites à
votre esprit de libérer votre bras droit… Maintenant, remuez-le
dans tous les sens… (elle le fait) Je lui ai demandé de lever l'interdit…!
Encore une fois. Très bien. C'était la première partie
de ma démonstration. Elle est réussie. Nous allons voir si la
seconde partie sera à la hauteur… Maintenant, Denise, revenez à
vous… Doucement, doucement… Là, messieurs, je ne sais pas
réellement ce qui va se passer. La théorie est une chose, mais
elle n'empêche pas la réalité d'exister. Parfois les malades
ont tout effacé de ce qu'ils ont vécu pendant l'hypnose et sont
de nouveau victimes de leur dysfonctionnement initial. Parfois - il y a tant
de choses qui nous échappent! - ils sont guéris. Denise, maintenant
que vous êtes réveillée… Votre bras?
LA MALADE - Il me semble que… (elle fait une tentative pour lever le bras…)
CHARCOT - Je ne suis absolument pas sûr que…
LA MALADE - Si, si… oui, je sens que… oui, je peux (elle lève
son bras)! Ça y est! (elle l'agite triomphalement)
CHARCOT - Je ne suis pas un thaumaturge et j'ai toujours un moment d'angoisse,
mais cette fois-ci donc, ça a marché. Messieurs, je suis bien
sûr content d'avoir guéri cette malade - qui ne l'est donc plus!
- mais je suis encore plus content de vous avoir démontré qu'il
y a des maladies de l'esprit. Non, la neurasthénie, pour ne prendre qu'un
exemple au hasard, n'est pas le résultat d'une tumeur cérébrale…!
Maintenant, vous me demanderez peut-être: est-ce que toutes les maladies
sont des maladies de l'esprit? Je vous répondrai volontiers, et cela
sera ma conclusion: oui, je ne suis pas loin de le penser!
FREUD - Il est étonnant… Les maladies de l'esprit… Je veux
en savoir plus, je reviendrai.
3 - Freud en proie à son Ça
L'HISTORIEN DE SERVICE - Pendant quelques mois, Freud suivit les conférences
de Charcot. Puis, encore indécis sur sa vocation, il rentra à
Vienne… Mais il végéta longtemps…
FREUD - Jusqu'ici, il faut bien que je me l'avoue à moi-même, je
suis un raté… J'ai trente-cinq ans, j'ai mis douze ans à
obtenir un poste à la faculté de médecine. Je viens d'ouvrir
mon cabinet à Vienne, ma ville d'adoption, mais j'ai peu de malades…
Ils m'ennuient et d'ailleurs beaucoup ne me payent pas. Pourtant j'ai été
l'élève de l'illustre Charcot… Evidemment, je n'ai pas un
sou et je dois même de l'argent à mon excellent maître le
professeur Breuer. Je viens aussi de me marier, enfin! avec Martha, que j'ai
courtisée pendant cinq ans, mais je ne sais pas comment faire vivre ma
famille. Je ne suis qu'un vieux juif, plutôt miséreux… La
seule chose que j'ai, ce sont quelques idées, mais si troublantes! On
se moque de moi, je suis désespérément seul...
LE ÇA DE FREUD - Tu n'es pas seul.
FREUD - Qui es-tu?
LE ÇA DE FREUD - Je suis ton ÇA.
FREUD - Mon quoi?
LE ÇA DE FREUD - Ton Ça. Ne me dis pas que…
FREUD - Je ne vous connais pas!
LE ÇA DE FREUD - Tu ne parlerais pas ainsi si tu ne me connaissais pas
déjà.
FREUD - C'est une phrase insensée. Je ne suis pas fou.
LE ÇA DE FREUD - Nier, c'est avouer!
FREUD - Je me croirais devant le tribunal de l'Inquisition!
LE ÇA DE FREUD - Bien plus terrible… L'Inquisition était
dehors, je suis dedans. Et je ne dors jamais. Surtout quand toi, tu dors.
FREUD - Et alors, qu'est-ce que c'est que… Comment dis-tu, mon Ça?
C'est bien ça?
LE ÇA DE FREUD - Peu m'importe le nom sous lequel je me suis désigné.
Mais puisque c'est celui que tu viens d'employer…
FREUD - Moi? J'ai dit: Ça?
LE ÇA DE FREUD - Tu viens de le répéter trois fois. Ces
petits écarts de langage sont inévitables et ce sont des aveux!
Donc, ton Ça… Une présence à l'intérieur de
toi, qui est toi, plus toi-même que toi… A moins que je ne sois
plutôt une vaste nuée qui t'enveloppe de toutes parts. A laquelle
tu ne peux pas échapper!
FREUD - Terrifiant… Si je croyais ce que tu dis!
LE ÇA DE FREUD - Prenons notre temps… Nous ne faisons que commencer
une conversation… je dirais même une conversion… qui n'aura
jamais fini d'en finir.
FREUD - Mon dieu, où allons-nous?
LE ÇA DE FREUD - Donc, Sigmund… Au fait, pourquoi n'as-tu pas conservé
ton véritable nom, qui est me semble-t-il Sigismond?
FREUD - Sigismond était un roi de Pologne, catholique évidemment,
qui mourut noyé dans un puits.
LE ÇA DE FREUD - Le puits de la vérité?
FREUD - Ou de l'erreur! Je n'avais pas envie de…
LE ÇA DE FREUD - Tu t'es aussi débarrassé de ton second
prénom, qui était Schlomo Un héritage bien encombrant pour
un Juif!
FREUD- Ne me parle plus de ça…!
LE ÇA DE FREUD - Oui, je sais, tu ne veux pas savoir.
FREUD - Il y a beaucoup de choses que nous ne voulons pas savoir! Sigmund me
va beaucoup mieux.
LE ÇA DE FREUD - Sigmund, un héros nordique tueur de dragons!
L'importance des détails! Tu ne t'es jamais posé la question?
FREUD - Evidemment… pas vraiment! Les dragons, je n'y avais jamais pensé…
Mais qu'as-tu à me dire, car je suppose que tu veux aller plus loin?
LE ÇA DE FREUD - Oui, Sigmund, ton Ça a beaucoup à te dire
et jusqu'à présent, tu ne l'as guère entendu. Tu as mené
jusqu'ici une vie beaucoup trop raisonnable, petit bourgeois coincé dans
un univers parfaitement… conventionnel. Et tes études de médecine,
quel manque d'imagination! Et ce vaste appartement, le mariage, les enfants…
Bref, effectivement un pauvre vieux juif… Maintenant, va te coucher. C'est
pendant que tu dors que je suis le plus éloquent…. Et dès
lors que je t'ai ce soir averti, peut-être que cette nuit tu m'auras entendu…
peut-être que tu auras entendu tes instincts te parler…. Tes instincts
que te permettront de trouver en toi de quoi te développer de manière
originale et indépendante, de transformer ou d'assimiler les choses passées
ou étrangères, de guérir tes blessures, d'écarter
tes faiblesses et de ressusciter enfin, de devenir un homme de grande influence!
Le tueur de dragons! Ah, "que tu coures dans les forêts vierges,
reniflant d'envie et de désir parmi les fauves bigarrés, bien
portant, haut en couleur et beau comme le péché, avec des babines
lascives, divinement moqueur, divinement infernal, divinement altéré
de sang…" comme l'a dit ce Nietzsche que, selon tes dires, tu n'as
pas encore découvert … Mais je me laisse emporter! Va, Sigmund,
écoute ton Ça, le monde est à toi…
- 4 - Réunion fondatrice
L'HISTORIEN DE SERVICE - Après quelques années d'ingrate pratique
et d'obstinée réflexion, Freud découvrit donc les prémisses
de ce qu'il estimait être une nouvelle façon de traiter les malades
de l'esprit. A l'aube du vingtième siècle, il réunit autour
de lui quelques collègues. Vu de très haut et en compressant le
temps, voici la conversation, tout à fait surréaliste, qu'ils
auraient pu avoir… Freud, donc, son maître Breuer, son futur adversaire,
Jung, et l'un de ses collègues, Adler.
FREUD - Je vous ai réunis dans mon salon. L'endroit est discret et nous
serons plus confortables. Nous sommes en train de faire de grandes et nouvelles
choses, j'en ai la certitude… Installez-vous, servez-vous. Si vous voulez
des cigares, honni soit qui mal y pense! Il y en a dans cette boite… Qui
veut se charger de faire le point de la situation? Mon maître le professeur
Breuer, peut-être…
BREUER - Je veux bien, docteur Freud. Nos dernières réunions ont
été fécondes, il y a beaucoup de choses à dire…
Nous sommes donc ici quatre médecins qui n'aimons pas la vue du sang
ni la pratique quotidienne et vulgaire d'une médecine de boyaux et de
tripes, dans l'ensemble fort peu appétissante…
JUNG - Médecins qui d'autre part, cher professeur, n'avons pas non plus
envie de nous battre pour trouver des malades, bien souvent désargentés…
N'oublions pas cet aspect des choses!
FREUD - Je vous rejoins, docteur Jung… Oh, combien! Si peu dignes de notre
science…
BREUER - Et pour sortir de ces déplaisantes contraintes, nous avons imaginé
la dernière fois - mais en fait il y a déjà longtemps que
nous y pensons tous - d'exploiter une sorte de nouvelle maladie… ou plutôt
une mine inexplorée de nouvelles maladies, celles de l'esprit. Qui se
peuvent soigner sans scalpel ni effusion de sang. C'est bien ça, docteur
Freud?
FREUD - C'est tout à fait ça.... C'est Charcot qui nous en a donné
l'idée! Ajoutez cependant, je vous prie, qu'il s'agit là de maladies
presque complètement ignorées, mais paradoxalement tellement communes
et tellement multiformes que le premier passant dans la rue peut en être
porteur de trois ou quatre à la fois!
ADLER - Je suis nouveau parmi vous… Expliquez-vous plus clairement…
BREUER - Merci, docteur Adler, de vous être joint à nous. Notre
ami veut dire que les symptômes de ces maladies sont partout… Précisément
comme des filons de minerai qui affleurent… Nous n'aurions qu'à
cueillir!
ADLER - Soyez plus concret encore... Des filons? Nous sommes des hommes de science
et nous ne pouvons nous satisfaire d'une comparaison, si frappante soit-elle.
FREUD - C'est facile… Tous les gens qui sont tristes, obsédés,
mélancoliques, découragés, agressifs, distraits, oublieux,
frustrés, sexuellement ou d'autre façon, rancuniers, mesquins,
optimistes - quelles raisons ont-ils de l'être, cela empoisonne leur vie?
- ou pessimistes, épuisés… les fous aussi, naturellement,
au sens large… Ou encore ceux qui sont jaloux, revanchards, suicidaires,
amnésiques, dépressifs, kleptomanes, menteurs, paresseux, procéduriers…
Tous sont des malades de l'esprit.
ADLER - Merci de vos éclaircissements, je vois mieux maintenant ce que
vous vouliez dire. Mais ce que vous proposez là est un énorme
chantier.
JUNG - Il peut même arriver qu'à ce compte-là, nous soyons
clients de nous-mêmes!
BREUER - Ne plaisantez pas, docteur Jung… Oui, cela peut arriver, car
nous ne sommes pas à l'abri… surmenés comme nous le sommes…
ou plutôt comme nous le serons!
FREUD - En fait, c'est toute l'humanité que nous voulons prendre en charge…!
En tout cas, un gisement colossal…
JUNG - N'êtes-vous pas un peu… Je veux dire... Colossal, vraiment?
BREUER - Jusqu'à présent, les gens ne savaient pas… Et,
je ne me fais pas d'illusions, ils ne sauront pas tous d'un seul coup. Tant
mieux d'ailleurs, car je ne vois pas comment nous ferions face… Mais il
faudra que lentement, les uns après les autres, posément, scrupuleusement,
nous amenions les malheureux à la conscience de leur malheur.
FREUD - Quel mot admirable: amener le malheureux à la conscience de son
malheur! Je vous l'emprunterai.
JUNG - N'est-ce pas un peu révolutionnaire? Si je ne me trompe, c'est
ce que disent les techniciens de la révolution… Nous en avons tellement
en Suisse! Pour qu'elle éclate, la révolution, il ne faut pas
seulement que les gens soient misérables, il faut aussi qu'ils sachent
qu'ils sont misérables.
ADLER - Vaste programme! Cette lucidité est admirable… C'est un
peu comme si nous venions de découvrir une épidémie dont
nous aurions à déclencher l'éruption…
JUNG - L'effet et la cause…
ADLER - Tout à fait. Mais qui vous dit que c'est en leur faisant prendre
conscience de leur malheur que vous les rendrez heureux?
FREUD - Messieurs, messieurs, je vous rappelle à l'ordre. Il n'est pas
question de renverser la société. Nous ne sommes pas officiellement
des révolutionnaires. Il n'est pas non plus question de faire le bonheur
de l'homme. Nous cherchons des clients, tout simplement! Et riches, si possible.
JUNG - Ce qui n'exclut pas que nous leur fassions du bien.
FREUD - Naturellement! Et que le bien que nous leur ferons ne les incite à
revenir nous voir.
BREUER - De toute façon, j'y ai pensé à la suite de notre
dernière réunion... ce sont ces maladies, maladies de l'âme,
qui sont à l'origine de toutes les autres. Charcot le pensait déjà!
Songez par exemple aux troubles que la jalousie peut provoquer dans l'esprit
d'un mari ou d'un amant: vasoconstriction générale, perte d'appétit,
insomnies, production de bile, maux de tête, saignements… Guérissez-le
de sa jalousie et il peut entrevoir de se retrouver mieux portant qu'il n'aurait
jamais pu l'imaginer. Alors que toute notre médecine de plombier ne s'attaque,
elle, qu'à l'insomnie, aux saignements …etc.: non aux causes, mais
aux symptômes.
JUNG - Je pose une question d'importance: les gens veulent-ils vraiment guérir?
FREUD - Je n'en suis pas certain… Mais c'est une hypothèse qu'il
ne faut pas ignorer… En tout cas, elle laisse deviner une pratique qui
toucherait au sublime de l'infini. Un traitement toujours recommencé,
une guérison indéfiniment repoussée. Le chantier est encore
plus vaste que je ne l'imaginais
ADLER - Cependant, de ce qui vient d'être dit nous pouvons craindre que
les médecins du rang, dont nous allons kidnapper les malades, ne s'opposent
violemment à nous...
FREUD - Cela est à craindre… Nous ferons face.
JUNG - Ou plutôt, ces médecins du rang finiront par devenir nos
auxiliaires… Il y aura toujours des plaies et des bosses, des jambes cassées,
des appendicites… Ils nous en débarrasseront.
FREUD - De toute façon ils s'occuperont des pauvres, qui ont si peu d'esprit.
Les riches sont naturellement mieux préparés à nos soins.
Professeur Breuer, quel sera notre prochain pas…
BREUER - Les méthodes, les méthodes, mes maîtres…
Qu'en pensez-vous, docteur Freud?
FREUD - Ce sera pour notre prochaine réunion. J'en suis personnellement
très curieux… et j'ai quelques idées là-dessus. Tout
homme est une forteresse qu'il faut prendre et je crois que nous devrons renoncer
à nous adresser aux dieux lumineux de l'intelligence pour essayer de
nous appuyer sur les puissances cachées qui bouillonnent en eux…
BREUER - Ce sera notre dernier mot pour aujourd'hui…
5 - Freud en face de son Sur-moi
L'HISTORIEN DE SERVICE - A peine avait-il ainsi parlé que Freud eut des
scrupules et le génie qui veillait sur la rectitude de ses pensées,
son Sur-moi, vint le trouver… En d'autres temps on aurait dit sa "conscience",
mais c'est un peu ringard. Donc, son Sur-moi!
LE SUR-MOI DE FREUD - Je trouve, docteur Freud, que tu vas un peu loin…
FREUD - Qui es-tu?
LE SUR-MOI DE FREUD - Je suis ton Sur-moi.
FREUD - Qu'est-ce que c'est que ça… ? Je veux dire: encore une
fois qui es-tu?
LE SUR-MOI DE FREUD - Mais je suis toi. Ne me cherche pas ailleurs qu'en toi.
Encore une fois, je suis ton Sur-moi … Et la tâche qui m'a été
assignée est de te dire chaque jour et le bien et le mal. Mieux, de contrôler
chaque jour que tu fais l'un et fuis l'autre. Même dans les détails.
Cet après-midi, par exemple, après avoir reçu la veuve
Frish, tu es allé fumer un cigare…
FREUD - Tu m'as vu? Pourtant…
LE SUR-MOI DE FREUD - Où que je sois, je suis comme Dieu, rien ne m'échappe.
FREUD - Oui, j'avoue… Cette histoire de cigare me travaille. Je la condamne
moi-même, mais il faut bien trouver une issue. La Pulsion, ça existe
aussi… Et si ma seule pulsion était de fumer le cigare!
LE SUR-MOI DE FREUD - Je sais que tu prends d'autres libertés, je veux
dire que tu te permets d'autres écarts… De la cocaïne même!
FREUD - Je ne suis qu'un homme.
LE SUR-MOI DE FREUD - En as-tu jamais douté?
FREUD - Non, non, pas vraiment. Mais toi, ne peux-tu admettre que les humains
sont aux prises avec des forces psychiques qui leur demeurent inconnues, et
à plus forte raison incompréhensibles, des forces qui les envahissent
sans même qu'ils le perçoivent et qui les obligent à...
C'est une sorte de torrent furieux…
LE SUR-MOI DE FREUD - Je vois vraiment que tu as déjà eu un entretien
avec mon collègue, ton redoutable Ça, ce désastreux inspirateur
qui cherche à t'écarter du droit chemin et qui te propose de faire
des folies. Prenant le risque d'un cancer, on commence par un innocent cigare
et ensuite on peut s'attendre à tout. Et déjà tu couches
avec ta belle-sœur…
FREUD - Tu as raison. Je ne suis pas raisonnable. C'est vrai. Il m'a parlé,
mon Ça, et il m'a vaincu… non, convaincu… De même que
le cavalier, s'il ne veut pas être désarçonné par
son cheval, n'a souvent rien d'autre à faire que de se laisser conduire
là où le cheval veut aller, de même je me sens obligé
de me conformer aux forces intérieures qui me m'insufflent la vie. Je
n'y peux rien… C'est mon cheval qui me mène!
LE SUR-MOI DE FREUD - Prends garde aux chevaux, surtout sauvages… Dois-je
te rappeler la loi de ton éducation…? Nous sommes à Vienne,
au début du nouveau siècle, en pleine décadence bourgeoise…
J'essaye de maintenir… Je maintiendrai! Je maintiendrai les règles
et les bonnes moeurs! Et quand je vous entends, comme vous venez de le faire
tout à l'heure, mépriser tous la tradition de votre profession,
violer, oui violer - si tu ne l'as déjà fait, cela ne saurait
tarder - le serment d'Hippocrate… T'en souviens-tu au moins?
FREUD - Oui, plus ou moins… C'est si loin!
LE SUR-MOI DE FREUD - "Je ferai de mon mieux pour guérir mes malades
et en tout cas je ne leur nuirai pas."
FREUD - Oui, je me souviens…
LE SUR-MOI DE FREUD - Donc, prendre le risque de leur nuire en rompant le mur
des convenances en explorant des territoires interdits, en lâchant les
chiens sauvages… je devrais dire les Ça sauvages, qui veillent
en eux, cherchant qui dévorer! Rentre au bercail, ne va pas te mettre
en tête de chercher rien de nouveau et conforme-toi à la tradition…
Le droit chemin! Tu ne peux pas te tromper. Ce que tu sais, tu le sais, même
si ce n'est pas grand-chose, mais ce que tu ne sais pas, tu ne le sais pas,
reconnais-le.
FREUD - Non, ce que je ne sais pas, je veux le découvrir…
LE SUR-MOI DE FREUD - En d'autres temps, je t'aurais peut-être soutenu.
Mais à l'aube de ce vingtième siècle je sens tellement
de puissances de mort qui n'ont qu'une envie, c'est de déferler sur le
monde… Tous ces peuples, tous ces tyrans dont les instincts dévastateurs
menacent de se déployer! Ne leur donne pas une légitimité
qui serait terrifiante. J'ai eu tant de mal à brider la société,
à lui conserver une morale…! De grâce, ne découvre
rien.
FREUD - Aucune raison, aucune loi n'a jamais fait progresser l'homme…
LE SUR-MOI DE FREUD - Pourquoi veux-tu le faire progresser?
FREUD - Nous en serions encore à ramper dans les cavernes! Tout ce que
l'homme a fait, c'est à sa sauvagerie qu'il le doit… Mais rassure-toi,
mes ambitions, quoique sauvages, sont toutes intellectuelles. Je veux simplement
"savoir…" Quoi de plus noble? Je suis un conquistador, un aventurier,
un découvreur… oui, mais de la pensée.
LE SUR-MOI DE FREUD - Les sauvageries intellectuelles sont encore plus dangereuses
que les quelques massacres ou génocides qui pourraient se produire ici
et là. Il ne faut pas essayer de "savoir". Il ne faut pas "découvrir".
Il ne faut pas rompre l'ordre des choses connues, il faut se conformer…
C'est ça la civilisation!
FREUD - Un monde immobile, c'est stupide… Il y a d'autres mondes que nous
ne connaissons pas. L'inconscient est un continent à découvrir.
Je suis Copernic, je suis Christophe Colomb, je suis Darwin… et, avec
la volonté de faire faire à l'humanité un nouveau pas en
avant, je m'embarquerai pour des terres inconnues…
6 - La découverte de l'inconscient
L'HISTORIEN DE SERVICE - Quelles étaient ces terres inconnues? Celles
de l'Inconscient, naturellement… Déjà, au dix-neuvième
siècle, nombre de philosophes, d'écrivains et de chercheurs avaient
prudemment mentionné ce que, les premiers, ils avaient aussi appelé
"l'inconscient". En particulier Schopenhauer, Marx, Dostoïevski,
d'autres encore… et surtout Nietzsche, toujours paradoxal: "La conscience
est la dernière acquisition de l'humanité et la moins performante.
Si l'inconscient, les "instincts", ne jouaient pas le rôle d'un
stimulateur, l'humanité succomberait fatalement sous le poids des jugements
absurdes de son conscient." Passionnément critiqué pour certaines
de ses conceptions thérapeutiques, Freud fut cependant, le grand entrepreneur
(eh oui, c'était une véritable entreprise, presque commerciale,
que montèrent les psychanalystes!) qui donna à l'inconscient une
"renommée" universelle…. Avec ses amis il avait monté
une sorte d'association internationale chargée de propager et de défendre
la psychanalyse et dans laquelle on n'entrait pas sans avoir montré patte
blanche. Grâce à ses livres, grâce à une propagande
bien menée, grâce aussi au secret ou plutôt au mystère
dont elles s'entouraient, la gloire de l'Inconscient et la renommée de
Freud envahirent le monde… Le conquistador, l'aventurier! Dans les années
vingt il fut aussi populaire qu'Einstein… Freud pensait donc que la maladie
mentale était la conséquence d'épisodes "refoulés",
en particulier de l'enfance et de l'adolescence. Son traitement, la psychanalyse,
consistait à inviter le malade à s'allonger sur son fameux divan
et à le laisser longuement parler pour renouer avec son "inconscient".
Au fil de sa "confession" il avait toute chance de faire remonter
à sa conscience les mésaventures primitives qui étaient
supposées être à l'origine de ses troubles. Les séances
de psychanalyse duraient généralement une heure, avaient lieu
souvent plusieurs fois par semaine et pouvaient s'étendre sur des mois
et des années. Elles coûtaient très cher.
7 - Le traitement psychanalytique
L'AMI - Vous avez suivi une de ses cures?
LE PATIENT - Je ne parlerais pas de cure… Un traitement plutôt,
une série de séances d'analyse… Il appelle ça une
psychanalyse.
L'AMI - Et ça vous a fait du bien?
LE PATIENT - Je n'étais pas bien malade, je passais par une légère
phase de dépression. J'en ai profité pour aller voir de quoi il
s'agissait. On en parlait beaucoup! J'ai eu l'impression que ça me guérissait…
Mais peut-être ma dépression aurait-elle passé toute seule…
Je n'en sais rien.
L'AMI - Je croyais que les malades de Freud ne guérissaient jamais!
LE PATIENT - D'après ce qu'on dit, il a eu à traiter des cas lourds
dont il n'est pas venu à bout, même après des années
et des années de traitement… .Moi, je me suis vite dit que je me
sentais mieux et je n'ai pas insisté.
L'AMI - Combien de fois l'avez-vous rencontré?
LE PATIENT - Cinq ou six… Il me faisait m'allonger sur son célèbre
divan, il s'asseyait derrière moi, Je ne pouvais pas le voir… et
il me faisait parler.
L'AMI - Parler, de quoi?
LE PATIENT - De tout et de n'importe quoi. Le tout, c'était que "ça"
parle! De mes rêves surtout.
L'AMI - Pendant longtemps?
LE PATIENT - Ça durait bien une bonne heure chaque fois.
L'AMI - Il fallait que vous parliez pendant une heure! Et vous trouviez des
choses à lui dire?
LE PATIENT - Oui, c'était un peu laborieux, mais c'est incroyable tout
ce qu'on peut trouver à dire quand on se laisse aller!
L'AMI - Et lui?
LE PATIENT - Il écoutait. Du moins, je le pense.
L'AMI - Et si vous tombiez en panne…?
LE PATIENT - Il continuait à écouter… Ou à ne pas
écouter. Il prétend même que les silences sont aussi éloquents
que les mots. Et qu'en tout cas, ce qu'on lui disait, il n'avait pas même
besoin de l'écouter si attentivement que ça. Etonnant, non?
L'AMI - Mais il vous répondait?
LE PATIENT - Non, jamais. Pas un mot… Quand l'heure était passée,
il se levait… Si, quelquefois il me donnait son interprétation
d'un rêve.
L'AMI - Et c'était ça, le traitement…?
LE PATIENT - Oui. L'important c'était que je dise… Et effectivement,
je lui racontais des choses que je ne savais pas que je savais, des souvenirs
enfouis si loin que je n'aurais jamais eu l'idée de les évoquer.
Je parlais… Et je sentais qu'il était content.
L'AMI - Mais il ne faisait rien, il ne se passait rien? Il n'avait pas de gestes
guérisseurs plus ou moins magiques, de l'hypnose? Ou de l'électricité,
ou de l'hydrothérapie? Pas de drogues non plus… De la cocaïne
peut-être? Ou de l'opium?
LE PATIENT - Non. Pas avec moi, en tout cas.
L'AMI - Il ne vous donnait pas de conseils?
LE PATIENT - Non, jamais!
L'AMI - Mais alors qu'est-ce qui était censé vous guérir?
LE PATIENT - Mais de parler, de parler… Et c'est vrai qu'on prend conscience
de… trucs qui… Oui, c'est vrai. C'est intéressant, un peu
étonnant parfois.
L'AMI - Et c'est ça qui guérit! Et vous n'auriez pas pu le faire
tout seul?
LE PATIENT - Je n'en aurais jamais eu l'idée seul… Il était
là, me semble-t-il, comme une sorte de catalyseur… En sa présence,
je parlais.
L'AMI - Et alors…? Je n'arrive pas à comprendre comment ça
marchait.
LE PATIENT - Je vais vous donner un exemple. Supposez que vous avez un caillou
dans votre soulier… Mais vous êtes tellement occupé par votre
vie de tous les jours que vous ne sentez pas votre caillou. Et ce caillou pourtant
vous blesse, vous irrite, vous fait marcher de travers, vous déséquilibre,
vous fait tomber peut-être. Mais vous ne le sentez toujours pas et vous
ne pensez pas que… Et puis un jour, vous prenez le temps et vous vous
mettez à le sentir. Oui, il est là, ça y est, c'est ça
qui n'allait pas, c'est le caillou, j'en ai pris conscience… Hein, c'est
ça: "prendre conscience"! Jusque-là, c'était
"inconscient", maintenant c'est "conscient". C'est comme
ça, la psychanalyse… Et bon, une fois que ce caillou, vous l'avez
"conscienti", ou "conscientisé", ou peut-être
"consenti", comme vous voudrez, vous enlevez votre chaussure et vous
jetez le caillou. Il n'y a pas besoin d'une ordonnance pour ça!
L'AMI - Et vous l'avez trouvé, vous, ce caillou?
LE PATIENT - Pas vraiment. Mais j'aurais dû… Un jour il m'a suggéré
que tous mes ennuis venaient de ce que, tout petit, j'avais dû voir le
caniche du voisin jouer avec le soutien-gorge de ma mère, qui était
tombé de la corde à linge.
L'AMI - Vous l'aviez vu?
LE PATIENT - Non, mais j'aurais dû. Il attendait que je le lui dise.
L'AMI - Vous n'étiez pas vraiment malade!
LE PATIENT - Pas assez, probablement… Lui disait que je refoulais. Et
qu'on ne peut rien faire avec un refouleur. Et puis je dois avouer qu'au bout
d'un moment… oui… je n'ai pas eu envie d'aller plus loin.
L'AMI - Réflexe de survie, peut-être.
LE PATIENT - Peut-être… Oui, je ne suis pas persuadé qu'il
faut se souvenir de tout.
L'AMI - C'est ce que j'allais vous demander!
LE PATIENT - Je partage vos doutes. Pourquoi serait-il bon de se souvenir? Oublier,
cela compte aussi… autant que de se souvenir. L'oubli! Est-ce que les
mécanismes psychologiques qui nous font oublier ne sont pas des mécanismes
naturellement salvateurs… Pourquoi vouloir aller à l'encontre,
remonter le courant? Quoi qu'il en soit, j'ai fait une expérience intéressante.
L'AMI - Mais tout ce qu'on raconte… Le complexe d'Œdipe, la séduction,
la horde primitive, le meurtre du père, l'envie de pénis, le refoulement,
la pulsion de vie, la pulsion de mort…
LE PATIENT - Oh mais dites donc, vous en savez un bout!
L'AMI - Tout le monde en parle! Comment l'ignorer? Tout cet arsenal de concepts
nouveaux… Cette extraordinaire boite à outils avec laquelle il
tente de dépanner la mécanique des esprits?
LE PATIENT - J'y ai aussi beaucoup réfléchi. Vous savez, entre
nous, Freud est surtout un poète, un poète bien plus qu'un médecin.
Un prophète, un illuminé, un conquérant. Vous ne trouvez
pas que tous ces concepts sont de superbes images?
L'AMI - Superbes et terrifiantes!
LE PATIENT - L'un va avec l'autre. Un poète, je vous dis! Un créateur
de mythes. Il a ensorcelé les esprits des hommes. La voûte de l'univers
en a retenti mille fois… Un poète maudit, peut-être…
Que voulez-vous de plus? Prenez-le comme tel. Nous n'en avons plus beaucoup.
8 - En guise de conclusion
L'L'HISTORIEN DE SERVICE - En effet, la valeur thérapeutique des traitements
psychanalytiques, même de ceux que Freud administra lui-même, n'a
jamais été éclatante. Lui-même le reconnaît.
De mauvaises langues ont même avancé que la psychanalyse était
une maladie qui ne se guérissait que par la psychanalyse. Mais Freud
avait effectivement découvert comme un nouveau continent, l'Inconscient.
L'homme n'est pas qu'ordre, mesure et raison, mais au fond de lui, sans qu'il
s'en doute, s'agite un monde de souvenirs oubliés, de passions, de pulsions,
d'interdits, de douleurs… négligées jusque là - il
dit: refoulés - mais qui tout à coup surgissent et bousculent
tout sur leur passage. Ces éruptions de l'inconscient ont évidemment
toujours existé dans l'Histoire, mais personne ne les avait clairement
reconnues comme telles. Les applications pratiques de cette découverte,
au-delà de la psychanalyse même, se sont étendues à
tous les domaines de l'activité humaine, arts, littérature, politique,
morale, justice, sciences, recherche… et aussi bien dans la connaissance
que dans l'action. Ayant pris "conscience" de la puissance de son
inconscient, l'homme de fit plus rien comme avant. Tout apparut sous un éclairage
nouveau. Par exemple, il ne devint plus possible de juger un homme pour un crime
comme s'il avait été une pure machine totalement responsable:
il y a en lui trop de pulsions inconscientes qu'il faudrait analyser avant de
décider d'une sentence… Il ne fut plus non plus possible d'écrire
un roman, de prononcer un discours politique, d'organiser une campagne de publicité,
de mener une négociation, de calmer un conflit, d'apaiser des angoisses,
de faire une recherche… sans en appeler à l'inconscient. C'est
cela la vraie conquête de Freud. A quoi il faut ajouter que Freud libéra
la parole et reconnut sa valeur thérapeutique. C'était au moins
aussi important. Avant Freud, ni le malade ni le médecin ne parlaient…
Autre chose: Freud s'en serait bien passé, mais il fut lui-même
victime, avec des millions d'autres, de la plus fantastique poussée d'inconscient
que le monde ait jamais connue, la Seconde Guerre mondiale, que les mythes germaniques
(la race, le territoire, la force, la destruction, la guerre…) firent
éclater et qui dévasta le monde. Peut-être Freud y était-il
pour quelque chose! Le piquant est que la psychanalyse avait été
déclarée par les nazis "science juive" et par conséquent
bannie des territoires qu'ils occupèrent. Ils ne voulaient pas entendre
parler de l'inconscient! Mais le leur était terrible!