telecharger au format word

Déposé à la SACD


ELIZABETH D'ANGLETERRE ET LE COMTE D'ESSEX

Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
L'historien de service - Elizabeth, reine d'Angleterre - le comte d'Essex – Lord Cecil,
secrétaire d'Elisabeth.- Francis Bacon, ami d'Essex - Thomas Windebank,
un conseiller – lord Southampton et Christopher Blount, amis d'Essex.

1 - Préparation de l'expédition navale contre Cadix.
HISTORIEN DE SERVICE - En 1588 la tempête a eu raison de la terrible Armada que l'Espagne avait envoyée contre l'Angleterre de la grande Elizabeth. Quelques années plus tard - la vengeance est un plat qui se mange froid! elle envoya le vieil amiral Howard et l'encore jeune lord Essex diriger une expédition punitive contre l'Espagne… Pour lors, avec son ministre lord Cecil, elle s'assure que les préparatifs sont achevés…
LA REINE ELIZABETH - Eh bien, mon ami, tout est-il prêt?
CECIL - Oui, madame. Quarante vaisseaux de guerre, cent vaisseaux de transport, six mille quatre cents marins, six mille cinq cents soldats… et pour commander tout cela, milord Essex et milord l'amiral Howard d'Effingham, escortés par nos seigneurs Walter Raleigh, Thomas Baskerville et Francis Vere… Et aussi l'amiral hollandais Vandervoorde. La destination de l'expédition, qui est Cadix, un port espagnol du sud, ne leur sera donnée que lorsqu'ils auront quitté les eaux anglaises. Nous espérons un gros butin, un très, très gros butin.
LA REINE ELIZABETH - J'y compte beaucoup. Veillez aussi à ce qu'à leur départ ils récitent la prière que voici, que j'ai composée pour cette circonstance : "Dieu tout-puissant, toi qui connais le fond des cœurs, sache que ce qui nous pousse n'est pas l'appât de l'or mais la nécessité de nous défendre contre ceux qui veulent notre ruine et notre destruction…" Nous savons que Dieu ne se mêle pas de nos affaires, mais il est convenu de l'en prier…" Aussi, agenouillés devant toi, nous te supplions de favoriser cette entreprise, de la guider par des vents favorables, de lui donner le succès pour la gloire de ton nom et la sûreté de ce royaume qui est le tien. Amen!"
CECIL - Cela sera fait, je vous le promets.
LA REINE ELIZABETH - Portez aussi, très confidentiellement, mon plus affectueux souvenir à mon cher…
CECIL - A Lord Essex?
LA REINE ELIZABETH - Oui, à Lord Essex

2 - Récit de l'expédition de Cadix
HISTORIEN DE SERVICE - Bien que tout n'y fût pas réussi, Robert, comte d'Essex se couvrit de gloire dans cette expédition, qui fut une sorte de grande razzia. Son ami de toujours, Francis Bacon, qui sera plus tard reconnu comme un philosophe important, vient au retour s'enquérir de ce qui s'était passé…
BACON - Et alors, et alors…? Dites-moi tout…
COMTE D'ESSEX - Mon cher Bacon… Attendez, je débarque… Vous voulez dire, Cadix?
BACON - Oui, naturellement. Puisque Cadix était finalement le but de votre expédition. J'aimerais l'entendre de votre bouche.
COMTE D'ESSEX - Ma foi…
BACON - Entre nous, comment cela s'est-il exactement passé?
COMTE D'ESSEX - Donc, nous fûmes devant Cadix avec toute la flotte anglaise. L'Espagne ne nous attendait pas. Howard aurait voulu que nous attaquions par la terre. Je le convainquis que ce soit par la mer. J'y allai moi-même. En entrant dans le port, je jetai mon chapeau par-dessus bord en signe de défi… Entramos, entramos… Et nous débarquâmes et tout céda devant la vaillance des troupes d'Angleterre. Naturellement, j'y fus pour plus de quelque chose! On m'acclama… Nous pillâmes soigneusement la ville, mais nous épargnâmes sa population. Elle nous en fut reconnaissante, et bien qu'hérétiques nous fumes considérés comme de généreux conquérants.
BACON - Je vous y vois parfaitement. Et Howard, l'amiral Howard d'Effingham…?
COMTE D'ESSEX - Il resta, par devoir je pense, avec la flotte pendant que nous prenions la ville. Il était accoudé à la rambarde de son bateau amiral et il nous regardait de loin en se mordant les doigts…
BACON - Pourquoi, en se mordant les doigts?
COMTE D'ESSEX - Parce que, lui, il aurait voulu attaquer par la terre.
BACON - Et la flotte marchande des Espagnols, dont on m'a dit qu'elle portait tant d'or et d'argent, qu'est-elle devenue?
COMTE D'ESSEX - Elle fut assez heureuse pour aller se mettre à l'abri je ne sais où, et si certains de mes subordonnés n'avaient pas hésité à les rattraper, nous aurions mis la main sur les millions qu'elle transportait… Mais, serré à la gorge, le malheureux duc de Medonia Sidonia, qui la commandait, préféra y mettre le feu.
BACON - Quel dommage. Et Howard de son côté ne put rien faire?
COMTE D'ESSEX - Naturellement non…
BACON - C'est une chose que la reine regrettera. Elle est très attachée à l'aspect économique de ses expéditions, elle aime toucher l'or de ses propres mains.
COMTE D'ESSEX - Elle le regrettera d'autant plus que, alors que j'étais d'avis d'attendre sur place, l'amiral décida que nous devions repartir tout de suite. Peu de temps après, comme nous l'apprîmes par la suite, arrivèrent les convois chargés d'or qui rentraient des Amériques. Si nous avions attendu deux jours, nous les aurions capturés. Deux jours…!
BACON - J'espère que la reine n'en sera pas informée.
COMTE D'ESSEX - Difficile de lui cacher quelque chose!

3 - Bacon conseille Essex
HISTORIEN DE SERVICE - De toute façon, Essex était tellement infatué de ses succès militaires, qu'il était à craindre que la reine, à qui devait revenir toute gloire, en fût indisposée…
BACON - Milord Essex, laissez-moi vous donner un conseil…
COMTE D'ESSEX - Mais très volontiers… Bien que vous soyez encore très jeune, j'aime votre sagesse.
BACON - Alors, écoutez ce qu'elle vous dit. Vous êtes grand et beau, de figure avenante, d'un mérite très au dessus de votre condition. Plus grave encore, vous aimez l'aventure et votre nature ne souffre pas de joug. Et surtout depuis votre retour de Cadix, vous avez telle réputation dans le peuple et prestige dans l'armée…
COMTE D'ESSEX - Mon excellent Bacon, qu'y puis-je?
BACON - Comment ne sentez-vous pas, qu'auprès d'une reine, elle-même très jalouse de sa gloire, mais qui aime la paix autant qu'elle déteste les dépenses que lui impose la guerre, ne sentez-vous pas que, malgré la très sincère affection qu'elle vous porte, une position trop avantageuse pourrait être mal perçue. Elle a passé la soixantaine et c'est un âge où les femmes deviennent… disons susceptibles, et peut-être soupçonneuses. Ne laissez pas s'exprimer sa jalousie. Croyez-moi, faites un effort pour chasser les soupçons de son âme, soyez discret, humble et appliqué, blâmez la popularité et les mouvements populaires autant que vous le pouvez et surtout fuyez devant elle toute apparence d'afficher votre prestige militaire… Une certaine modestie vous servirait plutôt… je veux dire, une certaine modestie vous préserverait peut-être de…
COMTE D'ESSEX - De quoi, maître Bacon?
BACON - Ah, je vous l'ai dit, c'est une femme! (un temps) Mais souvenez-vous: elle vous aime et vous l'aimez. La voici…

4 - Elizabeth demande des comptes à Essex.
LA REINE ELIZABETH - Milord Essex, je ne comprends pas. Vous êtes censé avoir pillé la ville de Cadix… Bravo! J'ai entendu le peuple vous applaudir…
COMTE D'ESSEX - Oh, si peu, Madame, si peu!
LA REINE ELIZABETH - Mais maintenant que je regarde les comptes, je suis surprise de voir que le seul profit que j'en retire s'élève à 12 838 livres. De plus, il y avait dans la flotte marchande qui vous a échappée plus de vingt millions de ducats… Sans compter que j'avais personnellement engagé dans votre entreprise deux bateaux qui m'ont coûté au moins quatre mille livres…?
COMTE D'ESSEX - Votre Majesté, il se peut que quelques soldats… Ils ont tous, après les pillages, même autorisés, de grandes poches qu'il est difficile de retourner, sauf à les rendre grognons…
LA REINE ELIZABETH - Tout de même, une ville comme Cadix… si riche, si peuplée, 12 838 livres! Vous n'avez aucune autorité sur vos hommes.
COMTE D'ESSEX - Majesté, je les ai conduits à la victoire! Qu'allez-vous vous chipoter sur quelques livres qui vous manqueraient.
LA REINE ELIZABETH - Je comprends maintenant pourquoi il est apparu sur les marchés de Londres de grandes quantités d'argenterie, des diamants, des meubles, des bijoux, du soufre, de l'étain… D'où sortent-ils? Milord Essex, je suis en charge de l'Etat! Bien que nous vous ayons écrit pour vous mettre en garde contre les inconvénients de cette expédition, nous voyons maintenant que tout s'est passé sans que la dépense fût couverte!
COMTE D'ESSEX - Majesté, vous êtes la glorieuse reine de ce siècle, la maîtresse incontestée de toutes mers et…
LA REINE ELIZABETH - Assez! On ne me paye pas de mots. Et il n'est pas non plus question que je paye à vos marins l'arriéré de leurs soldes…. Ils se sont bien assez servis.
COMTE D'ESSEX - Madame, je me suis longtemps absenté pour votre service et je sais que les absents sont toujours exposés aux calomnies de leurs ennemis. Mais comme votre Majesté est juste, elle sait aussi qu'aucun homme n'est et ne sera jamais plus plein de zèle et plus attaché à elle que moi, comte d'Essex, je ne peut l'être.
LA REINE ELIZABETH - Lord Robert, mon tendre ami, oubliez tout ceci. Oui, vous avez raison. Passez maintenant en mes appartements privés où nous pourrons prolonger cette… conversation… plus agréablement!
COMTE D'ESSEX - Majesté, nous nous comprendrons tellement mieux…
LA REINE ELIZABETH - J'avais tel désir de vois revoir! Mais, j'allais oublier… Pour tout de même récompenser cette victoire, que penseriez-vous d'élever votre excellent serviteur l'amiral Howard à la dignité de comte de Nottingham.
COMTE D'ESSEX - De comte de Nottingham!
LA REINE ELIZABETH - Mais oui. Il vient d'atteindre l'âge de soixante ans, c'est un ancien serviteur de la couronne et il a autant qu'un autre pris sa part de nos expéditions navales. Je veux l'honorer. Qu'en pensez-vous, Bacon?
BACON – C'est une idée d'une grande justice.
COMTE D'ESSEX - Mais alors, comte et amiral… il aurait le pas sur moi!
LA REINE ELIZABETH - Je n'y avais pas pensé. Mon Dieu, quel ennui… Mais qu'est-ce que cela? Vous avez, vous, cher Robert, l'amour de votre reine. Laissez les préséances à l'amiral… Faites-le donc appeler, que nous lui annoncions la nouvelle.
COMTE D'ESSEX - Madame, je ne puis croire que ceci ne soit une insulte délibérée.
LA REINE ELIZABETH - Je vous assure, mon ami… qu'il n'en est rien. Vous êtes d'un susceptible!
COMTE D'ESSEX - Je provoquerai l'amiral Howard en duel et je vous assure que…
LA REINE ELIZABETH - Je vous assure que vous n'en ferez rien.
COMTE D'ESSEX - L'amiral … Bien, madame. J'en pourrais dire long sur l'amiral, mais je ne veux pas m'abaisser… non, madame, et je préfère me retirer. Toutes ces expéditions lointaines m'ont fatigué et je serai mieux quelque temps chez moi.
LA REINE ELIZABETH - Eh bien, monsieur, allez, allez, allez…. Allez vous coucher puisque c'est à cela que se limitent vos ambitions. Retirons-nous, Bacon.

5 - Essex mécontent se retire.
HISTORIEN DE SERVICE - Essex se retira dans son château des faubourgs, à quelques pas de Londres. Pour certains il était vraiment malade. Il le fut probablement. De fureur! D'autres prétendirent qu'il boudait. Simplement! Ou encore fut-il aperçu à la fenêtre de quelques belles… Il n'était peut-être pas si malade que ça! En tout cas, il ne parut point aux cérémonies d'anniversaire du couronnement.
LA REINE ELIZABETH - (entrant et sortant) Il est ridicule. Mon couronnement! La grande fête du royaume! Pourquoi n'est-il pas venu? Que craint-il? S'il avait fait quelque faute durant l'expédition de Cadix, je l'aurais fait déjà décapiter!
HISTORIEN DE SERVICE - Un orage était comme suspendu au-dessus de la cour! Le lord chancelier écrivit à Essex pour l'avertir de la gravité de la situation… Mais il n'entendit pas. Le bruit courut même que dans l'intervalle il aurait fait de ci de là quelques bâtards. Puis il annonça qu'il allait partir inspecter ses propriétés de l'ouest. Et qu'il serait accompagné de quelques gentilshommes revenus des combats, dont le mérite n'avait pas été reconnu… Il finit par revenir. Quelques mois s'étaient écoulés quand éclata une stupéfiante nouvelle!

6 - Le conseil privé.
CECIL - Madame, je viens de recevoir…
LA REINE ELIZABETH - Qu'est ce que c'est que cette lettre que vous osez à peine me montrer?
CECIL - Des nouvelles d'Irlande, madame…
LA REINE ELIZABETH - Ah! A vous voir, je ne présume rien de bon?
CECIL - Madame j'ai fait savoir à Lord Essex et à sir Thomas Windebank; qu'ils nous rejoignent ici, au conseil privé, pour que nous en délibérions…
LA REINE ELIZABETH - Allons, allons, dites-moi…
CECIL - Les affaires d'Irlande ne sont pas bonnes. Le comte de Tyrone, dont nous ne savions pas bien jusque là si c'était du lard ou du cochon… Eh bien finalement il s'est déclaré pour l'Espagne, il en a reçu des renforts et, comme nous tentions de reprendre le fort de Blackwaters, il vient de massacrer nos soldats à Yellowford.
LA REINE ELIZABETH - Ah, c'est une terrible humiliation. Quelles sont les pertes?
CECIL - Seulement 1 500 hommes sur 6 000 ont pu rentrer à Dublin. D'autre part, leur commandant, lord Bingham, qui avait échappé à Tyrone, vient tout juste de mourir de maladie.
LA REINE ELIZABETH - C'est trop m'annoncer… Dieu a donné ce beau et fertile pays d'Irlande aux Anglais, comme il a jadis donné la Terre promise aux Hébreux, car il ne peut vouloir qu'il soit possédé par des peuples barbares…
CECIL - Oui, mais comme la Terre promise, Dieu ne nous l'a pas exactement donnée, mais plutôt donnée à conquérir!
LA REINE ELIZABETH - Vous avez raison. Un contrat de dupes, diraient certains. Mais je ne le dis pas.
CECIL - Dieu n'est pas toujours compréhensible. Mais voici Essex et Windebank.
LA REINE ELIZABETH - Sont-ils au courant de la catastrophe?
CECIL - Oui, Madame.

7 - Essex perd son sang-froid.
HISTORIEN DE SERVICE – Dans l'intervalle Essex avait donc fait un retour boudeur… Mais les affaires d'Irlande étaient toujours en suspens…
LA REINE ELIZABETH - Je vous en prie, asseyons-nous. (ils s'assoient autour d'une table).Et bien, que dites-vous de tout cela, vous, Essex? Et vous, Windebank…
COMTE D'ESSEX - J'en dis qu'il nous faut promptement remplacer à Dublin le lord député Russell, qui a remplacé lui-même lord Bingham, mais qui n'est pas à la hauteur.
LA REINE ELIZABETH - Sans doute.
COMTE D'ESSEX - Et nommer là-bas quelque chose comme un Vice-roi qui soit capable de rétablir votre royale autorité.
THOMAS WINDEBANK - C'est aussi mon opinion. Un Vice-roi. Avec tous les pouvoirs.
LA REINE ELIZABETH - Et à qui songez vous? J'ai, moi, mon idée là-dessus…
CECIL - Vous avez votre idée…! Madame, il me semble que Lord Mountjoy…
COMTE D'ESSEX - Non, non, cela ne va pas. Non, pas Lord Mountjoy… Je serais plutôt d'avis d'envoyer là-bas mon ami Georges Carew. Il n'y a pas meilleur soldat.
THOMAS WINDEBANK - Pourtant Mountjoy est… Il est vrai que Carew n'est pas non plus…
COMTE D'ESSEX - Est-ce là tout ce que vous avez à nous dire, Windebank?
CECIL - Je maintiens Mountjoy.
COMTE D'ESSEX - Et moi Carew.
THOMAS WINDEBANK - Mais Madame, vous ne nous avez pas dit… Quel est votre homme?
LA REINE ELIZABETH - Moi, je pense à Guillaume Knollis.
THOMAS WINDEBANK - C'est un excellent choix.
COMTE D'ESSEX - Y avez-vous vraiment pensé? Knollis est un noble gentilhomme, il est d'ailleurs mon oncle, mais…
LA REINE ELIZABETH - Mais…? Dites-le, monsieur, dites-le… Mais…
COMTE D'ESSEX - Mais je trouve que Knollis est bien risqué et j'avance que Carew est un administrateur aussi bien qu'un soldat. C'est ce dont nous avons besoin.
CECIL - Je vous demande pardon. Rien ne peut égaler Mountjoy. Pour se battre comme pour administrer.
LA REINE ELIZABETH - C'est bien, messieurs… Vous, Windebank, vous dites Mountjoy, et vous, Essex et Cecil, vous dites Carew.
CECIL - Oui, madame.
COMTE D'ESSEX - Oui, madame. En effet.
LA REINE ELIZABETH - Eh bien, cela sera Knollis. Je n'aime pas être contredite.
COMTE D'ESSEX - (se levant) C'est ridicule!
LA REINE ELIZABETH - (se levant aussi) Monsieur, quoi, qu'est-ce qui est ridicule?
COMTE D'ESSEX - Ce que vous proposez. Je ne peux le supporter. J'aime mieux me retirer. (il tourne le dos)
LA REINE ELIZABETH - (souffletant Essex) Tenez, monsieur. N'est-ce pas ridicule, cela aussi? Le diable vous emporte!
COMTE D'ESSEX - (portant la main à son épée et la tirant à moitié) Madame, fût-ce de votre père, le grand Henry VIII, je n'aurais pas souffert une telle indignité…
LA REINE ELIZABETH - Monsieur, ai-je bien vu cela, vous alliez tirer votre épée?
COMTE D'ESSEX - (un temps) Vous voyez bien que je l'ai rentrée…
CECIL - Essex, je vous en prie, laissez cela, retirez-vous… Retirez-vous s'il vous plait…
COMTE D'ESSEX - (se retire avec un geste d'énervement - Grand silence)
LA REINE ELIZABETH - Pour aujourd'hui, cela suffira.

8 - Essex est nommé à la tête de l'armée d'Irlande
HISTORIEN DE SERVICE - Un jour passa… La reine ne bougea pas. Son père aurait déjà fait couper la tête de l'insolent… Deux jours, trois jours… rien. Que se passait-il? Essex, lui, s'était retiré chez lui, à Wanstead, et refusait de demander pardon ou même de s'excuser. "Je sais ce que je dois à sa Majesté comme sujet et pair du royaume, mais j'ignore tout des devoirs d'un esclave, écrivit-il à Elizabeth. J'ai reçu offense et je le ressens, ma cause est bonne, je le sais." Il osa même ajouter qu'il ne souhaitait à Sa Majesté d'autre punition, pour ses torts envers lui, que de découvrir la fidélité de celui qu'elle avait perdu…. Et, le temps s'écoulant, on entendit dire qu'il complotait avec quelques gentilshommes, mécontents depuis longtemps d'être au pouvoir d'une femme. D'autant plus que cette femme n'avait pas d'enfant pour lui succéder et que son héritier naturel était Jacques VI, le roi d'Ecosse, qu'ils appréciaient peu et qui était d'autre part le fils de Marie Stuart, qu'Elizabeth avait fait décapiter quelques années auparavant… Situation très étonnante. Enfin, après des mois, sans que l'on n'y comprenne rien, Elizabeth rappela Essex et lui confia la charge de reconquérir l'Irlande. Essex, toujours aussi superbe - fallait-il qu'il soit sûr de son pouvoir! - lui tint la dragée haute.
COMTE D'ESSEX - Je veux bien risquer mon nom et ma réputation dans l'expédition que vous me proposez, mais… je suis pour le moment légèrement endetté et je voudrais partir la tête libre.
LA REINE ELIZABETH - Voulez-vous que je vous prête ces 5 shillings que j'ai justement dans ma poche?
COMTE D'ESSEX - Sa Majesté est d'humeur badine. C'est 10 000 livres qu'il me faut.
LA REINE ELIZABETH - Oh, je vois, vous êtes sérieux! 10 000 livres… J'accorde.
COMTE D'ESSEX - Je veux également une lettre de vous m'autorisant à rentrer d'Irlande lorsque je le jugerai nécessaire. On ne sait jamais.
LA REINE ELIZABETH - Bien, mon ami! J'écrirai cette lettre.
COMTE D'ESSEX - Je veux également recevoir une très large délégation de pouvoirs…
LA REINE ELIZABETH - Que suis-je en train de faire?
COMTE D'ESSEX - Et, pour battre lord Tyrone, conquérir l'Irlande et la ramener à la vraie religion, il me faut au moins 16 000 fantassins, et 1 500 cavaliers.
LA REINE ELIZABETH - C'est une grosse dépense…
COMTE D'ESSEX - Madame, il faut ce qu'il faut!
LA REINE ELIZABETH - Je pensais qu'avec vos talents militaires et votre ardeur, il aurait suffi de… Oui, ce que vous voudrez, mais à la condition que vos dépenses ne dépassent pas 150 000 livres par an.
COMTE D'ESSEX - Il est difficile d'être le maître de ces choses-là… Et naturellement, je veux choisir ceux qui m'accompagneront et nommer moi-même mes officiers. Et encore une chose, avoir la liberté d'armer autant de chevaliers que je voudrai… Le tout évidemment sans nuire aux intérêts de Sa Majesté.
LA REINE ELIZABETH - Vous êtes bien bon, Lord Essex… Faut-il que j'aie besoin de vous…? Ou faut-il que j'aie de la tendresse pour vous? A moins que cela ne soit de la faiblesse. Allez.

9 - Les conseils de Bacon à Elizabeth
HISTORIEN DE SERVICE - Lord Essex avait un très grand prestige aux yeux du peuple. Lorsqu'il traversa l'Angleterre pour se rendre en Irlande, il fut acclamé. Conquérir l'Irlande était une mission difficile. Elizabeth n'avait peut-être pas pesé toues les conséquences de sa décision. Si Essex échouait, il serait politiquement perdu. Mais s'il réussissait…
LA REINE ELIZABETH - Mon excellent Bacon, j'ai besoin de votre sagacité. J'espère que vous ne l'avez pas perdue en chemin!
BACON - Madame, je ne suis pas venu avec beaucoup de bagages, mais je dois tout de même avoir apporté tant soit peu de ce que je ne sais pas bien que j'ai, mais que vous nommez sagacité.
LA REINE ELIZABETH - C'est bien ce que je pensais… Nous nous mettons à faire de l'esprit, comme dans les comédies de notre insaisissable Shakespeare… pour l'imiter tant soit peu! Mais passons... Je sais que vous êtes grand ami de lord Essex et comme vous le connaissez bien je voudrais faire avec vous le point de nos affaires d'Irlande. Et vous pourrez m'éclairer.
BACON - Ah, je vous vois venir, madame.
LA REINE ELIZABETH - Point n'était besoin pour cela d'être grand clerc… Je suis inquiète. Je ne le comprends pas bien. Je me demande si j'ai bien fait d'envoyer là-bas le comte d'Essex?
BACON - Vous ne pouviez pas prévoir ce qu'il allait faire. Je suis inquiet moi aussi!
LA REINE ELIZABETH - A peine arrivé à Dublin il m'inonde de lettres se plaignant de l'état de ses troupes et de leur ravitaillement… Je n'aime pas les plaintes. Et il n'en fait qu'à sa tête. Je lui avais par exemple expressément défendu de nommer à la tête de la cavalerie lord Southampton, qui a séduit une de mes dames d'honneur…
BACON - La raison n'en était pas tout à fait militaire. Mais cela compte aussi...
LA REINE ELIZABETH - J'ordonne rarement, mais quand je le fais je veux être obéie.
BACON - Je serais, pour moi, plus troublé de tous ces chevaliers qu'il a armés en quantité, une soixantaine, dit-on… comme s'il voulait conquérir non l'Irlande mais sa propre armée.
LA REINE ELIZABETH - Moi aussi, cela me trouble fort! Tant d'amis qu'il s'est fait! Je lui avais recommandé d'être parcimonieux!
BACON - Justement. Et, au lieu de poursuivre lord Tyrone, ce qui est le but que vous lui aviez fixé, il décrète que ce qui est urgent, c'est la conquête du Munster, une province qui est déjà conquise, où il va épuiser ses hommes et ses provisions à remporter quelques minuscules victoires contre des va-nu-pieds.
LA REINE ELIZABETH - Il est difficile de trouver des arguments pour le défendre. Il est cependant depuis parti en guerre contre Tyrone, comme nous le lui avions de nouveau commandé.
BACON - Oui, mais du bout des lèvres et à petites marches… Et même en concluant à tout moment des sortes de trêves. Et l'hiver sera bientôt là! Comprenez-vous cela?
LA REINE ELIZABETH - Je ne le comprends pas… Seraient-ils complices, Tyrone et lui? Bacon, je vais mettre à l'épreuve ce que vous m'avez apporté de sagacité… Il ne se peut pas que vous ne sentiez une petite odeur de brûlé et je trouve, moi, dans cette armée d'Irlande quelque chose qui ne me va pas…
BACON - Madame, vous sentez bien les choses. Je sais votre affection pour lord Essex, et je n'aurais pas osé formuler ma crainte le premier, sans compter mon amitié pour lui… Mais, sagacité contre sagacité, il y a là-bas des risques qu'il ne faut pas sous-estimer.
LA REINE ELIZABETH - Dites-moi ce que vous en pensez, là, sur le fond…
BACON - Cela mérite de savoir par quel bout je vais le prendre… Madame, si vous aviez Milord Essex ici avec ses habits de cour et que vous l'entreteniez toujours près de vous pour votre compagnie, pour faire l'honneur et l'ornement de votre maison aux yeux du peuple et des ambassadeurs étrangers, là il serait dans son juste élément. Mais l'affliger de lettres sévères et le piquer comme vous le faites, et ensuite mettre un pouvoir et des armes entre ses mains, cela peut être une sorte de tentation qui l'induise à se montrer impatient de toute règle. C'est pourquoi je pense que le meilleur parti serait de le faire revenir et qu'il reste tranquillement auprès de vous avec tous les honneurs que vous souhaiteriez lui rendre… Je crois en ceci me montrer un ami fidèle du comte d'Essex et un bon serviteur de la couronne
LA REINE ELIZABETH - Le pouvoir et des armes… avez-vous dit?
BACON - Oui, madame.
LA REINE ELIZABETH - Le pouvoir et les armes. Vous avez raison! Comment ai-je pu être aussi aveugle? Donc, vous vous demandez si, en sus du fait qu'il ne fait pas là-bas ce qu'il doit y faire, il pourrait au contraire être en train d'y préparer son retour en Angleterre. Avec l'idée d'y prendre le pouvoir.
BACON - Madame, ce n'est pas moi qui l'ai dit.

10 – Retour inattendu d'Essex.
MESSAGER - C'est une lettre urgente…
LA REINE ELIZABETH - Elle vient du Comte d'Essex, précisément… Bacon, lisez-la moi, je vous prie.
BACON – "D'une âme trouvant plaisir à sa peine, d'un esprit consumé par le travail, les soins et le chagrin, d'un homme qui se hait soi-même et toutes choses qui le tiennent en vie, quel service votre Majesté peut-elle recueillir? Dés lors que mes services passés ne méritent que bannissement et proscription dans la région du monde la plus maudite qui soit, pour quel espoir et pour quelle fin vivrais-je plus longtemps? Non, non, l'orgueil du rebelle irlandais et ses succès doivent me donner moyen de me racheter moi-même, je veux dire mon âme, de cet odieux emprisonnement de mon corps. Et, s'il en est ainsi, votre Majesté peut bien croire qu'elle n'aura pas lieu de désapprouver la façon de ma mort, quoique le cours de ma vie puisse ne pas lui plaire. De votre Majesté… etc."
LA REINE ELIZABETH – Qu'en vous pensez?
BACON - Elle ne brille pas par le bon sens.
LA REINE ELIZABETH - Vous voulez dire qu'il est complètement fou. Imaginez un général à la tête de son armée me balançant des sornettes pareilles. Et je devrais en être émue… Il est dangereux, oui. Il peut passer d'un extrême à l'autre. Nous allons prendre toutes les dispositions nécessaires… Mais qu'est-ce que ce bruit?
BACON - (allant regarder par la fenêtre…) Ce bruit… Savez-vous, Madame que c'est lord Essex lui-même qui se fraye un chemin parmi les gens de votre cour… Suivant de peu sa lettre. Il arrive…
LA REINE ELIZABETH - Mon Dieu… Quel désordre mental! Est-il accompagné de soldats?
BACON - Non, il est seul. Pour le moment! Le voici…
COMTE D'ESSEX - Votre Majesté… Elizabeth!
LA REINE ELIZABETH - (dissimulant ses pensées) Mon Dieu, Robert, que vous êtes beau et comment se fait-il qu'à peine avez-vous apparu, je tombe sous le charme… Nous parlions de vous.
COMTE D'ESSEX - (ouvre les bras dans lesquels tombe la reine) Elizabeth!
LA REINE ELIZABETH - Mon Robert! (ils de désenlacent)
COMTE D'ESSEX - Vous parliez de moi? Tiens donc, en quels termes?
LA REINE ELIZABETH - Qu'importe… Il s'est passé tellement de choses entre nous… (se reprenant) Lord Essex, que faites-vous ici?
COMTE D'ESSEX - J'ai conclu une trêve avec lord Tyrone.
LA REINE ELIZABETH - Vous ne l'avez pas vaincu?
COMTE D'ESSEX - Mon Dieu, si vous saviez ce que c'est que cette Irlande… un pays hors du monde!
LA REINE ELIZABETH - Oui, vous me l'avez dit. Vous avez abandonné votre commandement?
COMTE D'ESSEX - Vous m'aviez expressément autorisé à revenir ici quand je le voudrais.
BACON - (à part) Madame, je vais aller m'informer pour savoir si lord Essex est revenu vraiment seul ou s'il est accompagné de quelque troupe. Et demander à sir Cecil de prendre éventuellement quelques arrangements.
LA REINE ELIZABETH - Allez… C'est une bonne précaution. Nous ne saurions être trop prudents. (à Essex) Oui, je vous avais autorisé à cela, mais je ne pensais pas que vous en feriez mauvais usage.
COMTE D'ESSEX - Point mauvais usage, madame. Je voulais vous revoir et m'expliquer…
LA REINE ELIZABETH - Etes-vous revenu seul ou avec votre armée…?
COMTE D'ESSEX - Avec quelques gentilshommes.
LA REINE ELIZABETH - Oui, Bacon est parti les compter…
COMTE D'ESSEX - Ah, Madame, vous défiez-vous de moi…? Je reviens pour…
LA REINE ELIZABETH - Ne le dites pas. Vous êtes entré dans ma chambre la cravache à la main et encore tout crotté de votre chevauchée. Et moi, je ne suis pas même habillée… Je vous prie d'aller dans vos quartiers et de vous y changer. N'en bougez pas. Je vous y ferai appeler quand il sera temps. Vous êtes bien impulsif, lord Essex. (il sort)
BACON - (rentrant) Oui, madame. Pas toute l'armée, mais quelques cavaliers que dans sa hâte de vous revoir il a semés sur la route. Ils vont arriver sans tarder. Le peuple les acclame comme il a acclamé Essex…
LA REINE ELIZABETH - Dites à Cecil de doubler la garde et… Où plutôt dites-lui de venir me retrouver ici. Nous arrangerons cela ensemble.
BACON - Madame, puis-je vous suggérer la modération… Le plus simple serait peut-être tout simplement de renvoyer lord Essex en Irlande?
LA REINE ELIZABETH - Mon Dieu, Bacon, quand cela arrivera, je vous épouserai!
BACON - Madame…!
LA REINE ELIZABETH - Par Dieu, ce n'est pas pour le voir revenir que je l'avais envoyé là-bas, je ne suis plus reine si cet homme s'élève au-dessus de moi!

11 - Essex complote de prendre le pouvoir.
HISTORIEN DE SERVICE - Cette fois-ci, l'affaire était grave. La reine posa anxieusement le pour et le contre, elle consulta longuement Bacon et Cecil… Le lendemain, Essex fut convoqué devant le conseil privé où il fit figure d'accusé. Ensuite, et pour prévenir les manifestations publique en sa faveur, il fut maintenu au secret. Cela dura une bonne année pendant laquelle il eut une crise de coliques néphrétiques… Puis Elizabeth le fit comparaître devant une commission spéciale chargée de le juger. Essex resta à genoux, tête nue, pendant la lecture de l'acte d'accusation. Les délibérations durèrent neuf heures. Au bout de quelque temps, on lui permit cependant de s'asseoir. Pour un peu il aurait été envoyé à la terrible prison de la Tour de Londres! Finalement, il fut seulement déchu de ses fonctions officielles. Ensuite on le libéra, mais la Cour lui fut interdite… La Cour, où à quelques centaines de mètres de sa demeure se tenaient cette année de splendides fêtes. Mais la reine éprouvait pour lui une effrayante rancœur. Et de longs mois passèrent encore. Essex était devenu enragé.
COMTE D'ESSEX - Lord Southampton, mon ami, elle se moque de moi. Non contente de m'avoir fait ce qu'elle m'a fait, elle me supprime aussi le privilège des vins doux…
SOUTHAMPTON - Qu'est ce que c'est que ça?
COMTE D'ESSEX - Elle est si avare qu'elle n'aime pas faire de cadeaux sur sa cassette. Elle les fait souvent faire par l'intermédiaire de l'Etat et elle m'avait accordé tous les droits de douane sur les vins doux qui rentrent en Angleterre… Oui, aussi trivial que ce soit, les vins doux, vous savez bien, ces vins sucrés que nous aimons faire servir au dessert… Elle me les supprime! Je suis complètement ruiné, sur la paille. Je lui ai écrit, elle ne m'a même pas répondu. Je suis comme une charogne abandonnée dans un coin, je suis jeté en pâture aux plus viles créatures… Mais je sais ce que je vais faire… Non, je ne le sais pas…
CHRISTOPHER BLOUNT - Milord, reprenez vos esprits!
SOUTHAMPTON - Nous faudra-t-il supporter plus longtemps la tyrannie de cette vieille femme capricieuse.
COMTE D'ESSEX - Elle a l'esprit aussi tordu que le corps. Il y en a que la vieillesse arrange, mais pour celle-là…
CHRISTOPHER BLOUNT - Messeigneurs, vous passez la mesure.
COMTE D'ESSEX - Oui, je vous demande pardon. C'est l'effet de ma colère.

LA REINE ELIZABETH - (entrant et sortant, au public) Je crois qu'il est en train de devenir complètement fou. Tantôt il est furieux et il m'injurie, tantôt il m'écrit des lettres délirantes… Tenez, écoutez: "Hâte-toi, ô ma lettre, vers cette présence heureuse de qui, solitaire et malheureux, je suis banni. Baise ces belles mains rigoureuses qui appliquent de nouveaux emplâtres sur mes moindres maux, mais qui sur ma plus douloureuse plaie ne posent rien. Dis-lui, ô ma lettre, que tu viens de quelqu'un qui soupire, languit et désespère…" Shakespeare encore une fois! Son esprit est dérangé. Je crois qu'il va falloir que je m'occupe de sa folie… Je vais demander à sir Cecil, comme une fourchette qui s'en va extraire l'huître de sa coquille, d'envoyer un messager au comte d'Essex.

COMTE D'ESSEX - Maintenant, venons-en aux actes…
CHRISTOPHER BLOUNT - Vraiment? Mettons-nous d'accord avec lord Mountjoy, auquel vous avez en partant laissé le commandement de l'armée d'Irlande… Imaginez ce qu'il arriverait s'il débarquait en Angleterre! La reine pourrait être immédiatement déposée et vous, je suis sûr que le peuple vous ferait monter sur le trône
COMTE D'ESSEX - Oui, mais cela serait bien long… Elle m'a réduit dans un tel état d'impatience…
CHRISTOPHER BLOUNT - Nous pourrions aussi écrire en Ecosse: ils se prêteraient volontiers à notre jeu. Cela ferait deux armées qui en même temps envahiraient l'Angleterre.
COMTE D'ESSEX - L'Ecosse nous a déjà envoyé un ambassadeur, pour étudier le projet. Mais encore une fois, il faudrait patienter et je ne le peux…
SOUTHAMPTON - Monseigneur, il faut savoir attendre la montée de la vague se laisser porter par elle. Il y a un temps pour attendre et un temps pour agir…
COMTE D'ESSEX - Non, non, le temps d'agir est venu. Je décide que le temps d'agir est venu.
SOUTHAMPTON - Si telle est vôtre décision, eh bien, allons. Chaque soir se réunissent chez moi nombre de vos partisans. Ils viennent habituellement en armes. D'autres vous rendent visite à vous-même et campent dans les environs… Ne laissons pas à la Cour le temps d'en organiser la dispersion. Réunissons-les en une seule troupe et marchons.
CHRISTOPHER BLOUNT - Excellente idée! Il est trop tard pour nous en prendre à la Cour, sir Cecil en a renforcé toutes les gardes, mais marchons sur la Cité. Londres est déjà vôtre et vous acclamera. Et on ne saurait résister à trois cents gentilshommes bien équipés… Bien que je ne croie pas qu'ils aient à se servir de leurs armes. De là, soutenus par la foule, nous pourrons nous imposer à la reine… A la reine qui, si notre complot réussit, ne l'est déjà plus.
COMTE D'ESSEX - Eh bien le sort en est jeté. Demain nous marcherons…
SERVITEUR – La reine vous envoie un messager…
COMTE D'ESSEX - Mon Dieu… un contretemps… Faut-il le recevoir?
SOUTHAMPTON - Certainement. Et tout de suite le neutraliser.
COMTE D'ESSEX - Il arrive bien mal… Introduisez-le.
SOUTHAMPTON - Surtout ne le laisser repartir, tout serait perdu
MESSAGER - (entrant) Milord d'Essex, la reine vous prie de bien vouloir immédiatement vous rendre à la réunion du conseil. Elle y désire votre présence.
COMTE D'ESSEX - Monsieur, comment le pourrais-je. Ma vie est en danger, on complote contre moi, mes ennemis ont forgé de fausses lettres pour me perdre…
SOUTHAMPTON – (à Essex) Ne parlez pas comme ça, ne laissez pas transparaître votre inquiétude, prenez-le par la ruse et enfermez plutôt ce messager, pour qu'il ne puisse pas donner l'alerte.
COMTE D'ESSEX - Vous avez raison… (au messager) J'ai bien entendu l'ordre de la reine, mais voulez vous, s'il vous plaît, milord, entrer dans cette chambre, nous serons plus au calme pour parler de cette affaire. (il entrouvre une porte et enferme le messager dans la chambre voisine, puis se retourne vers ses amis) Et maintenant, le sort en et jeté. Allons.

12 –Soulèvement et exécution d'Essex.
HISTORIEN DE SERVICE - Et maintenant, le sort en est en effet jeté. Lord Essex descend retrouver la troupe de ses amis en délire. Ils décident de se rendre à la Cité en criant: trahison, trahison, au secours… Déjà la bande arrivait à la cathédrale Saint-Paul. Mais lord Cecil, prévoyant, avait pris ses dispositions. Personne ne répondit à leurs cris. Le mot terrible de trahison frappait tout le monde de terreur. Ils traînèrent un peu partout dans la ville, sans plus de succès. Seul un lourd silence leur fut opposé… Ils frappèrent à plusieurs portes sans qu'on leur ouvrît. Et lorsqu'Essex décida qu'à la fin, il fallait rentrer, les troupes de la reine encerclaient sa maison… Il y avait même des canons. Il se rendit. Il ne put faire autrement. Une centaine de ses compagnons fut aussi arrêtée. L''issue du procès ne faisait de doute pour personne: il était, avec ses complices, entré en armes dans la capitale pour y prendre le pouvoir. C'était une trahison et une rébellion. Bacon dut témoigner. "Les faits sont clairs, dit-il, et tout ce que peut dire le comte d'Essex n'a que la consistance des ombres." Cinq jours après, Essex eut la tête coupée. La reine ne s'y était pas opposée. Christopher Blount fut ensuite aussi exécuté. D'une façon tout à fait inattendue, Southampton fut épargné. Ces choses se passèrent en les années 1600 et 1601. Elizabeth mourut en 1603, après un règne de quarante-quatre ans.