Déposé à la SACD.
CORTÈS ET LA CONQUETE DU MEXIQUE
Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Cortès, Ordas, le capitaine, le boucher, Montezuma, le grand prêtre,
le messager,
Velasquez, Narvaez, Alvarado, Bernal Diaz, l'historien de service,
1 - Cortès prend s'apprête à partir.
L'HISTORIEN DE SERVICE - En 1492, Christophe Colomb partit explorer le nouveau
monde. A sa suite, les Espagnols, ne sachant pas encore très bien où
ils étaient, établirent des bases dans l'île d'Espagnola
(Haïti) et dans l'île de Cuba, qu'ils croyaient être le continent.
Ils aménagèrent dans cette dernière une ville, Santiago
de Cuba, qui devint le point de départ de tous les conquistadors envoyés
pour continuer l'exploration. Trois expéditions s'étaient mal
terminées, celle de Hojeda en1514, celle d'Hernandez de Cordoba et celle
de Grijalva en 1517. Hernan Cortez, un seigneur de petite noblesse mais de haute
apparence, qui était à Cuba depuis 1505, qui s'y ennuyait à
exploiter ses terres et qui avait soigneusement observé ce qui se passait
alors prit, presque clandestinement, la tête d'une quatrième expédition
en 1519. Officiellement pour trouver de l'or, mais surtout pour essayer de se
tailler un royaume dans le nouveau monde…
LE CAPITAINE - Seigneur Cortès, j'ai fait l'appel… Cela fait onze
navires, cinq cent huit soldats, cent deux marins, seize chevaux, un moine,
dix canons de bronze, quatre fauconneaux et treize mousquets…
CORTÈS - Très bien, nous nous en contenterons… Allez vérifier
que tout est en ordre. Je vais bientôt donner le signal de départ.
A vous, seigneur Ordas… Vous arrivez à temps, pour un peu j'étais
parti!
ORDAS – (qui vient d'arriver) Cortés, ce voyage, c'est une folie!
CORTÈS - Allons donc… une folie! Jamais personne ne s'est senti
plus raisonnable que moi. Il y a quinze ans que je traîne ici et…
Mais vous n'avez pas tort, c'est une folie et ce sont des choses qu'il vaut
mieux faire sans trop y penser.
ORDAS - Pour tout dire, j'ai ici une lettre de Vélasquez qui m'ordonne
de vous arrêter…
CORTÈS - Mon Dieu, je ne vois pas ce qu'il peut trouver à redire
à ce que je parte en expédition. Nous étions d'accord…
Je ne sais pas ce qu'il lui prend.
ORDAS - Velasquez est le gouverneur de Cuba…
CORTÈS - Il n'est qu'un petit seigneur tatillon qu'il me faut bousculer
tant soit peu pour aller mon chemin. Je lui répondrai moi-même…
LE BOUCHER - (entrant) Seigneur Cortez…
CORTÈS - (parlant au boucher) Ah, vous voilà, boucher! J'ai cru
que vous ne viendriez pas.
LE BOUCHER - Je vous avais promis…
CORTÈS - Vous avez tout ce que je vous ai demandé?
LE BOUCHER - Oui, de la viande pour trois semaines.
CORTÈS - Salée?
LE BOUCHER - Oui, bien sûr.
CORTÈS - C'est la dernière chose qui nous manquait. Demandez à
mes hommes de vous aider à la décharger…
LE BOUCHER - C'est que…
CORTÈS - Et pour payer l'amende que vous vous verrez infliger pour avoir
livré de la viande en cachette, l'intendant vous remettra ce qu'il faut
en même temps que le prix de votre viande.
LE BOUCHER - Merci, seigneur Cortès (il sort)
ORDAS - Cortès, j'en reviens à Vélasquez… Il était
en accord avec votre projet d'expédition, il vous a aidé à
l'organiser…
CORTÈS - Il m'a aidé…? Vous savez que j'ai payé une
bonne partie des vaisseaux sur mes deniers!
ORDAS - A plus forte raison! Pourquoi partir secrètement de nuit, comme
un voleur…
CORTÈS - La raison, vous l'avez dans votre poche: il voudrait m'arrêter…
Partir comme un voleur…? En réalité, nous sommes tous des
voleurs… Que croyez-vous que nous soyons venus faire ici? Pas autre chose
qu'une sorte de grande larcinade. Croyez-vous que les voleurs aient besoin de
permission, que les voleurs aient besoin de la permission d'autres voleurs?
ORDAS - Ne pensez-vous pas qu'il vous aurait laissé partir au grand jour,
officiellement, dans le déploiement des trompettes et des étendards?
CORTÈS - Vous avez confiance en Vélasquez?
ORDAS - A vrai dire, s'il n'était pas le gouverneur, je serais tenté
de…
CORTÈS - Je n'ai aucune confiance en lui. C'est un homme mou et cupide.
Il a un trop gros ventre pour faire lui-même quoi que ce soit. Il compte
sur les autres… Alors, pourrir dans cette île du Cuba, dont il se
fait l'empêcheur de vivre et le gardien méticuleux…! De toute
façon, il m'aurait fait des conditions auxquelles je ne veux pas me soumettre.
Maintenant, je suis assez grand pour faire les choses "sans la permission
de". J'en ai assez d'obéir! Si vous appelez ça folie, je
le veux bien…
ORDAS - Je vous envie… Et cette lettre…?
CORTÈS - Je vous ai dit que j'y répondrais… Non, jetez-la…
A quoi bon y répondre après tout? Seigneur Ordas, j'ai une grande
estime pour vous, et il me vient une idée… Laissez-moi le temps
d'y réfléchir… Jetez cette lettre et embarquez avec moi.
Dans le nouveau monde, il y a de la place.
ORDAS - Vous dites cela sérieusement?
CORTÈS - En doutez-vous?
ORDAS - Cortès, vous avez tellement l'air de quelqu'un auquel on peut
faire confiance… Oui! J'irai avec vous… Voleur parmi les voleurs!
CORTÈS - Non, conquistador parmi les conquistadors. La conquête
est notre métier, à nous autres Espagnols… Nous nous sommes
si bien fait la main en Espagne, contre les Maures… Pour Dieu et pour
le roi! Mais pour nous d'abord… Nous partons à deux heures après
minuit, dans trois quarts d'heure… Assez tard pour que tout le monde dorme,
assez tôt pour que l'on ne puisse pas nous rattraper. Allez chercher vos
affaires.
ORDAS - Et nous allons où…?
CORTÈS - Je ne le sais pas encore. Nous le découvrirons peut-être
un jour…
2 – Montezuma, empereur du Mexique s'informe.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Il ne pouvait pas le savoir! Justement, puisqu'il allait
découvrir des terres inconnues. Il mit donc à la voile pour aller
"plus avant"! Ses vaisseaux touchèrent terre une première
fois sur une côte où sera plus tard construit Tabasquo, mais comme
ils ne jugèrent pas que cet endroit leur convienne, ils allèrent
un peu plus loin, jusqu'à ce qu'ils voient au loin les montagnes enneigées,
ce qui montrait qu'ils avaient atteint un grand continent. Ils fondèrent
là une ville qui deviendra Veracruz. Les Indiens qui habitaient ces rivages
les reçurent plus ou moins amicalement et se montrèrent en tout
cas très curieux de savoir qui ils étaient. Ces Indiens leur révélèrent
d'autre part qu'ils appartenaient à un grand pays, qui était le
Mexique, et dont l'empereur Montezuma, intrigué, avait tout de suite
envoyé des messagers pour s'informer…
MONTEZUMA - Réponds-moi, toi qui les as vus. Qui sont-ils, que veulent-ils?
MESSAGER - Seigneur, ils ont l'apparence d'hommes, mais ils sont très
grands et très forts et leur peau est blanche et ils ont les yeux bleus.
Quant à leur visage, il est couvert de poils… et ils en ont aussi
un peu partout. Et il y en a un qui est leur chef et qui jouit de beaucoup prestige.
Quant à ce qu'ils veulent…? Ils s'intéressent beaucoup à
nos objets d'or!
MONTEZUMA - A nos objets d'or! Tout ceci me laisse songeur… Mais tu as
bien dit peau blanche et yeux bleus?
LE MESSAGER - Oui, et une barbe aussi
MONTEZUMA - Cela ne te dit rien, à toi, grand prêtre?
LE GRAND PRETRE - Non vraiment. Non, rien du tout.
MONTEZUMA - Je ne peux m'empêcher, moi, de me souvenir qu'un de nos anciens
dieux, j'en ai un vague souvenir, à promis qu'un jour il reviendrait
nous voir… Il avait effectivement l'apparence d'un homme à la peau
blanche et il avait une barbe… Comment déjà s'appelle-t-il…?
LE GRAND PRETRE - Est-ce de Quetzalcóatl que tu veux parler? Je ne crois
pas que… Il faudrait que je consulte nos écritures.
MONTEZUMA - Tu n'as pas l'air enthousiaste. Moi, il me semble me souvenir, en
fouillant dans ma mémoire, que ces écritures, précisément,
nous disent qu'il avait de grandes vertus et qu'il était venu dans notre
pays pour nous sauver du vice et nous appendre la vertu.
LE GRAND PRETRE - La vertu, c'est très vague… Qu'est-ce que la
vertu?
MONTEZUMA - Et qu'il nous avait donné des lois et une bonne doctrine.
Et qu'il nous avait aussi enseigné à pratiquer le jeûne…
C'est bien ce que disent nos anciens textes… ?
LE GRAND PRETRE - Oui, oui, peut-être… Oui, c'est vrai qu'ils disent
quelque chose comme ça, mais…
MONTEZUMA - Décidément, tu lui en veux! …Mais comme nous
ne l'avions pas écouté, ce dieu, il était reparti vers
l'est en disant que peut-être un jour il reviendrait et que nous accepterions
sa doctrine… Peut-être est-ce lui qui revient?
LE GRAND PRETRE - Ce serait une extraordinaire nouvelle! Mais, je ne sais pourquoi,
elle me laisse sceptique…
MONTEZUMA - Moi, je suis plutôt effrayé! … (au messager)
Je t'avais ordonné de préparer à ces étrangers un
repas mexicain. Pour voir s'ils en mangeraient?
LE MESSAGER - Ils l'ont mangé avec grand plaisir!
MONTEZUMA - Alors, ils sont peut-être Quetzalcóatl! Je t'avais
aussi ordonné que tu t'offres toi-même en sacrifice et que s'ils
voulaient goûter à ta chair tu ne te dérobes pas aux couteaux
de leurs prêtres.
LE MESSAGER - Seigneur, ils ne l'ont pas désiré.
MONTEZUMA - Peut-être n'as-tu as assez insisté? J'aurais pris soin
de ta femme et de tes enfants, je te l'avais promis.
LE MESSAGER - Ils m'ont laissé revenir vivant auprès de toi. Car
ils ont une si grande estime de toi…!
MONTEZUMA - Comment cela?
LE MESSAGER - Ils ont quelques interprètes, on leur a beaucoup parlé
de toi. Ils parlent par gestes, aussi! On leur a décrit la grandeur de
ton empire.
MONTEZUMA - Et leur as-tu bien offert les présents que je t'avais confiés.
LE MESSAGER - Oui, Seigneur, un grand soleil d'or et le disque d'argent de la
lune. Ils les ont beaucoup admirés.
LE GRAND PRETRE - S'ils sont Quetzalcóatl, hélas, nous devons
avoir pris toutes les précautions…
MONTEZUMA - Pourquoi? Combien sont-ils?
LE MESSAGER - Je dirais quatre cents et un peu plus… Mais je n'ai pas
encore tout dit… Après le repas, ils m'ont mené sur la plage,
où se trouvait toutes leurs affaires, en particulier une dizaine de grands
tuyaux supportés par… cela, c'est très étrange, non
pas des pieds comme ceux sur lesquels nous posons nos tables ou nos autels,
mais sur des sortes… cela a la forme du disque du soleil, c'est tout rond,
oui, la forme de disques, et il y en a deux pour chaque tuyau et lorsqu'on veut
déplacer les tuyaux, les soleils tournent… et sans effort ils les
mènent où ils veulent.
MONTEZUMA - Tout cela est bien étrange …
LE MESSAGER - Mais ce qui est plus étrange encore, c'est que peu après,
pour me le montrer, ils ont apporté du feu à l'un de ces tuyaux
et cela a fait un bruit terrifiant qui a retenti dans la montagne, cependant
qu'en même temps s'envolait dans un éclair un énorme ballon
de pierre qui s'en alla atterrir quelque cent brasses plus loin.
LE GRAND PRETRE - Je ne crois pas que ce soit là des miracles qui nous
prouveraient que c'est Quetzalcóatl qui revient.
LE MESSAGER - Attends, grand-prêtre, ce n'est pas tout. Ils m'ont aussi
montré un de leurs monstres à quatre pattes… Ils l'ont amené
devant mes yeux et tout à coup le monstre s'est mis à bondir et
à sauter en agitant ses pattes et en lançant des cris terrifiants!
LE GRAND PRETRE - Il nous faut vraiment être très prudents…
LE MESSAGER - Mais ce n'est pas encore tout… Ils ont avec eux une femme
de notre race qui parle leur langage aussi bien que le nôtre et ils m'ont
fait dire qu'ils sont les envoyés d'un grand Seigneur qui veut étendre
sa protection sur nos terres. Et ils ont dit aussi qu'ils désiraient
venir jusqu'à toi, notre empereur, pour te rendre hommage! Et te remercier
de tes cadeaux.
LE GRAND PRETRE - Que va-t-il advenir de nous, que signifie cette visite, que
diront nos dieux d'aujourd'hui à l'arrivée d'un nouveau dieu qui
semble d'une toute autre nature! Je suis très angoissé…
LE MESSAGER - Et aussi… Je n'ai pas encore pensé à te dire
que ces étrangers sont arrivés sur d'énormes montagnes
qui flottent sur la mer… Mais comment ai-je pu oublier: je t'en ai fait
faire des peintures sur un rouleau de coton, pour que tu puisses voir toi-même
à quoi ils ressemblent… Tu vois, là ce sont les montagnes
dont je te parlais, là sur la mer… Ils les attachent avec des sortes
de chaines, pour qu'elles ne puissent pas s'enfuir. Et là, ce sont leurs
tuyaux qui éclatent… et là, leurs monstres… ils en
ont au moins une douzaine… Et là, ce sont leurs portraits…
Tu vois à quoi ils ressemblent… Et là, le portrait du chef!
Il s'appelle Cortès.
MONTEZUMA - Grand prêtre, que dis-tu de cela?
LE GRAND PRETRE - Je dis que cet étranger, dont nous ne savons pas exactement
qui il est… S'il s'appelle Cortès, il n'est pas Quetzalcóatl…
et il nous faut le renvoyer à celui qu'il dit être son Seigneur,
lui aussi un grand roi, de l'autre côté de la mer, là-bas,
bien loin… Nous n'avons pas besoin d'un autre dieu. Et qu'il porte à
ce roi nos cadeaux. Il ne faut pas troubler le pays!
LE MESSAGER - Et aussi, il faut que je dise qu'après avoir mangé,
ils se sont tous réunis devant la statue d'une femme vêtue d'un
grand manteau bleu et qui tient dans ses bras un enfant, et ils se sont mis
à genoux et ils ont écouté avec beaucoup d'attention et
de douceur l'un des leurs, qui devait être quelque chose comme un prêtre…
Je pense que c'était une cérémonie de leur religion.
LE GRAND PRETRE - Et ils n'ont pas immolé un ou deux les leurs à
leur dame en bleu?
LE MESSAGER - Non, cela ne semble pas être une coutume de leur religion?
LE GRAND PRETRE - Religion très primitive en tout cas. Ils ne savent
pas ce que nous savons, que le soleil demande du sang pour réapparaître
chaque matin… Ils mourront bientôt. Oui, il faut qu'ils s'en aillent,
au plus vite…
MONTEZUMA - Mais si c'est vraiment Quetzalcóatl, auquel cas…
LE MESSAGER - Mais j'ai aussi oublié de dire qu'ils sont tellement désireux
de te rendre visite, grand empereur, qu'ils se sont tous déjà
mis en route pour venir ici te voir.
MONTEZUMA - Ici, à Mexico?
LE MESSAGER - Oui, à Mexico. Et comme cela fait une longue distance,
ils ont pris avec eux, pour les aider à porter toutes leurs affaires,
quelques milliers de nos protégés de Cholula, avec lesquels ils
ont passé des traités. Cela fait comme une longue colonne qui
s'étend sur le chemin.
MONTEZUMA - Je n'aime pas ça. Nos relations avec Cholula sont très
mauvaises. Ils refusent de nous payer les tributs qu'ils nous doivent…
LE GRAND PRETRE - Maintenant, s'ils ont fait alliance avec ces diables…
MONTEZUMA - Ne dis pas cela encore! Combien sont-ils?… Oui, tu me l'as
déjà dit, plusieurs milliers… Peu de chose en réalité!
LE GRAND PRETRE - Et si ces diables tentent de faire alliance avec d'autres
de nos vassaux mécontents!… Et des mécontents, il y en a!
Un peu partout… tout autour de nous, à Cholula, bien sûr,
mais aussi à Tlaxcala, parmi les Totomacs et aussi à Cempoa et
aussi à Texcoco… qui ne paient pas ce qu'ils nous doivent, à
qui nous avons dû faire des guerres qu'ils n'ont pas aimées. Dans
lesquelles nous leur avons fait beaucoup de prisonniers, que nous avons immolés
ensuite sur la grande pyramide et dont nous sommes régalés. Ce
qu'ils n'ont pas aimé non plus.
MONTEZUMA - C'est la loi! Je ne sais pas s'ils sont des diables, mais à
les traiter comme tels, j'aurais peur que… S'ils étaient vraiment
des dieux? Il nous faut agir avec beaucoup de circonspection. Et d'abord les
voir, les toucher…
LE MESSAGER - De toute façon, je pense qu'ils ne tarderont pas à
arriver. Sache aussi, Seigneur, que pour qu'aucun d'entre eux n'ait envie de
repartir, leur chef a rendu leurs vaisseaux inutilisables, soit qu'il les ait
coulés, ou échoués, ou peut-être même brûlés,
je n'ai pas pu savoir exactement.
MONTEZUMA - Ils ne viennent donc pas simplement pour échanger des marchandises.
Ils veulent s'installer dans le pays… Ah! Les choses sont vraiment sérieuses…
Puisqu'ils viennent, nous n'avons rien à perdre à les accueillir
amicalement, nous aurons toujours le temps de les massacrer ensuite. Ils sont
en trop petit nombre. J'irai même à leur rencontre aux portes de
la ville. Nous finirons bien par savoir qui ils sont. Et nous les tiendrons
dans notre main.
3 – Velasquez, gouverneur de Cuba, fait poursuivre Cortès
L'HISTORIEN DE SERVICE - Les Espagnols furent donc reçu à Mexico
avec beaucoup d'honneurs et d'amabilité. Qui étaient-ils, on en
doutait encore. On leur donna pour s'y installer le palais de l'ancien empereur,
qui était très vaste et très confortable. Et chaque jour
on leur apportait la quantité de nourriture dont ils avaient besoin.
On leur fournit aussi des serviteurs et des femmes, avec lesquelles il refusaient
de coucher avant qu'elles aient été baptisées. Et ils exhortaient
les Mexicains à ne plus faire de sacrifices humains, mais sans beaucoup
de succès. Il faut savoir que dans la religion des Mexicains la coutume
était d'implorer chaque soir le retour du soleil en lui offrant régulièrement
du sang frais. Les victimes – souvent des prisonniers de guerre - après
avoir été engraissées dans des cages de bois, étaient
hissées au sommet des grandes pyramides qui s'élevaient ici et
là et les prêtres, couverts de sang séché, leur ouvraient
la poitrine avec un couteau d'obsidienne. Puis, ils faisaient brûler leur
cœur en l'honneur de leurs dieux et ils précipitaient ensuite les
corps en bas de la pyramide pour qu'ils y soient dépecés et mangés
rituellement… Ce qui horrifiait les Espagnols, qui cependant n'étaient
pas complètement innocents! On raconte qu'un jour de grande fête,
quarante mille victimes avaient été immolées… mais
faut-il faire confiance aux mémorialistes espagnols? Cependant, cela
fit bientôt sept mois que Cortès était parti de Cuba et
son ennemi Velasquez, le gouverneur, enrageait de ne pas savoir où il
était ni ce qu'il faisait. Il finit cependant par apprendre ce qui s'était
passé…
VELASQUEZ - Mon cher seigneur Pánfilo de Narváez, courageux capitaine,
je vous donne onze bateaux et huit cents hommes et vous allez me partir à
la poursuite de ce maudit Cortès. Il a abordé au fond du golfe
du Yucatan et sans ma permission il vient d'y fonder une ville. Vous lui mettrez
les fers aux pieds et vous me le ramènerez.
NARVAEZ - Comment savez-vous qu'il est où vous dites?
VELASQUEEZ - Il a eu l'imprudence d'envoyer à notre roi Charles Quint
les superbes cadeaux que lui avaient faits les Indiens: un soleil d'or et une
lune d'argent! Le capitaine de la caravelle qui les transportait a eu envie,
au passage, d'aller embrasser sa femme, restée à Cuba. Je l'ai
rencontré et il m'a tout dit! …Il m'a surtout dit que Cortés
avait non seulement fondé une ville, mais aussi découvert un empire,
dont il était en train de se rendre maître. Votre mission donc
sera d'y mettre le holà. S'il y a là-bas un empire, il est pour
moi.
NARVAEZ - C'est fort clair. Je partirai dès que les bateaux seront prêts.
4 – Cortès reçu à Mexico par Montezuma
L'HISTORIEN DE SERVICE - Cependant Cortès s'était installé
confortablement à Mexico et ses soldats ne pouvaient que remercier leur
Dieu à eux de les avoir si providentiellement aidés: ils étaient
au cœur de leur conquête… Mais leur situation était
incertaine, les Mexicains les suspectaient de plus en plus de n'être pas
des dieux et ils avaient découvert que malgré leur courage on
pouvait les tuer. De plus, les Mexicains étaient particulièrement
irrités de voir que leurs hôtes voulaient les empêcher de
faire des sacrifices au soleil, comme ils avaient l'habitude d'en faire chaque
jour… Et ils furent encore plus violemment indignés lorsque Cortès
leur imposa, au sommet d'un de leurs temples pyramidaux, de remplacer la statue
d'un de leurs dieux sanglants par – encore une fois – une statue
de la Vierge Marie. Dans ce climat d'incertitude, pour assurer leur sécurité,
les Espagnols décidèrent de persuader l'empereur de quitter son
palais et de venir s'installer dans celui qu'ils occupaient… Ils y mirent
tant de savoir-faire et de courtoisie que Montezuma, on ne sait trop comment,
accepta. De cette quasi-prison, il continuerait à gouverner son peuple,
mais sous le contrôle des envahisseurs. Montezuma se laissa faire, comme
saisi d'un sentiment de fatalité dont le mysticisme n'était pas
absent: telle devait être probablement la volonté des dieux. Cela
dura quelques mois, les rapports entre les Espagnols et leur prisonnier se dégradaient
progressivement… Mais soudain, des choses imprévues se produisirent…
MONTEZUMA - Seigneur Cortès, vous n'êtes pas encore venu me voir
aujourd'hui. Je m'inquiétais et j'en étais tout triste…
Vous venez si régulièrement chaque jour me faire votre cour…
CORTÈS - Votre majesté me pardonne… J'ai dû régler
quelques problèmes parmi mes soldats, qui ne sont pas toujours très
obéissants
MONTEZUMA - Oui, je suis au courant… En particulier, ils ont forcé
quelques portes secrètes et ils ont découvert les trésors
de notre nation. Tout cet or entassé, tous ces bijoux, ces statues…
CORTÈS - En effet… Et j'ai eu de la peine à…
MONTEZUMA - Savez-vous que si cela les intéresse, je leur permets bien
volontiers de se servir.
CORTÈS - Je ne suis pas de cet avis…. Et à vous, je peux
le dire, s'ils touchaient leur part du butin, ils s'estimeraient, avec leurs
richesses, libres de repartir pour l'Espagne…
MONTEZUMA - Vous ne croyez pas si bien dire. Justement… Seigneur Cortès,
vous êtes un homme exceptionnel, un très grand seigneur et j'ai
été flatté de voir que vous vous êtes si respectueusement
intéressé à moi, qui ne suis devant vous qu'un très
humble personnage. Malheureusement… non, ce n'est pas un malheur –
sinon peut-être pour moi – je dois vous dire que si, jusqu'à
maintenant nos dieux traditionnels ont bien supporté cette situation…
cette nuit…
CORTÈS - Cette nuit, que s'est-il passé?
MONTEZUMA - Eh bien, cette nuit, ils ont parlé à nos grands-prêtres
qui s'étaient réunis… Quel crève-cœur que j'aie
à vous transmettre leur réponse… Il semble que nos dieux
ont été très irrités lorsque vous avez fait nettoyer
leur sanctuaire et placé sur leurs autels la statue de cette femme au
manteau bleu, et au dessus cette croix, dont, ni les uns ni les autres, nous
n'avons bien compris la signification. Jusqu'ici nous vous avons reçus,
nous vous avons nourris, nous vous avons donné de l'or, nous vous avons
montré notre pays… Et nous n'en avons pas été mécontents.
Mais cette fois-ci, vous avez touché à nos dieux, en particulier
à Huitchilobos. Il est clair que vous n'êtes pas Quetzalcóatl
et nous avons maintenant l'obligation de vous combattre et de vous détruire:
ce qui fait que, comme nous n'avons pas envie de porter la main sur vous, il
serait meilleur que, de votre propre initiative, vous repartiez chez vous.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Heureusement Cortès avait une très grande
présence d'esprit…La nouvelle retentit comme un coup de tonnerre
dans un ciel jusque là très serein. Il ne broncha pas!
CORTÈS - Seigneur Montezuma, Cette nouvelle m'étonne et me navre.
Mais croyez que je n'en ai pas moins d'estime et d'admiration pour vous. Ceci
étant, comment voulez-vous que nous repartions. Vous savez bien que nous
avons détruit nos bateaux.
MONTEZUMA - La demande des dieux est ce qu'elle est, mais elle n'est pas urgente
et nous pouvons vous tolérer encore quelque temps parmi nous… Aussi
nous vous demandons d'envoyer vos charpentiers, qui en sont tout à fait
capables, vous construire sur le rivage de nouveaux bateaux avec lesquels vous
pourriez ensuite partir pour toujours.
CORTÈS - En effet…
MONTEZUMA - Je n'en attendais pas moins de vous… De toute façon,
j'ai reçu ce matin des nouvelles… Je m'étonne que vous ne
m'en ayez pas parlé le premier. Mais peut-être n'êtes vous
pas encore au courant?
CORTÈS - Quelles nouvelles? Je ne sais rien…
MONTEZUMA - Cela m'étonne. Vous êtes d'ordinaire si bien informé!
Des Espagnols inconnus, vos compatriotes, ont débarqué sur notre
côte. Une vingtaine de bateaux, avec tout ce qu'ils peuvent contenir de
soldats et beaucoup de chevaux, des canons aussi et de la poudre. Infiniment
plus que vous n'en aviez! Vraiment, vous ne le saviez pas?
CORTÈS - Non, vraiment…
MONTEZUMA - Ils ont déjà fait quelques dégâts. Des
coureurs sont arrivés cette nuit... Mais j'y pense tout à coup…
Si cela est confirmé, vous n'aurez même pas à attendre que
vos charpentiers aient terminé leur ouvrage.
CORTÈS - Que voulez-vous dire?
L'HISTORIEN DE SERVICE - Cette fois-ci, on annonçait à Cortès,
non seulement qu'il devait partir, ce qu'il aurait certainement réussi
à ne pas faire, mais surtout que d'autres Espagnols étaient arrivées,
probablement pour contester sa conquête. Ah! si seulement il avait obtenu
de Charles Quint un mandat en bonne forme pour conquérir le Mexique!
Heureusement, il n'avait pas épuisé sa réserve de sang-froid.
CORTÈS - Que voulez-vous dire?
MONTEZUMA - Mais tout simplement que, si vous réussissez à vous
emparer de leurs bateaux, ou si simplement ils acceptent de vous y faire une
petite place, vous avez maintenant tout ce qu'il faut pour rentrer chez vous.
CORTÈS - Cher Montezuma, c'est une merveilleuse idée. Merci de
nous l'avoir soufflée. Cela nous épargnerait en effet beaucoup
de peine. Remercions Dieu de nous avoir fourni juste au bon moment ce dont nous
avions besoin
MONTEZUMA - Cette idée est d'autant plus merveilleuse que… j'ose
à peine le rapporter… ces Espagnols ne sont pas tendres à
votre égard. Ils disent que vous êtes des voleurs et des bandits
et que vous vous êtes enfuis sans en avoir l'autorisation de votre roi…
Naturellement, je n'en crois rien, mais il me semble que vous devriez de toute
façon aller faire un tour là-bas pour éclaircir tout ça,
si possible les détruire, et donc prendre possession de leurs bateaux…
CORTÈS - Vos conseils me sont précieux. En effet! Je vais mettre
mes hommes sur le pied de guerre…
MONTEZUMA - Je suis très ennuyé pour vous de ce qui se passe.
Mais je sais que vous êtes homme à vous tirer des pires situations…
J'allais oublier: ils ont même osé me demander de vous livrer à
eux pieds et poings liés. Naturellement, je n'ai pas pensé le
faire un seul instant.
CORTÈS - Seigneur Montezuma…. Je vous remercie de vos bons avis…
Je vais rester encore quelques instants à bavarder avec vous. C'est toujours
un plaisir. Et puis j'irai tranquillement prendre les dispositions qui s'imposent.
5 – La Noche trista
L'HISTORIEN DE SERVICE - Le caractère de Montezuma était complexe.
Si Cortez avait réussi à la manipuler, il ne l'avait pas vaincu
et la volonté des Mexicains, exaspérés par l'occupation
espagnole, venait de se manifester clairement. La décision de Cortès
fut vite prise. Il retournerait sur le bord de la mer avec sa troupe, ce qui
faisait environ cinq cents kilomètres de route, et se rendrait maître
des nouveaux arrivants. Cependant, comme il ne pouvait abandonner complètement
Mexico, où il était si bien implanté, il décida
d'y laisser une petite troupe d'environ quatre-vingt hommes, sous le commandement
de l'impétueux Alvarado. Il partit, lui, avec trois cent cinquante hommes,
ce qui était peu pour faire face à Narvaez, qui disposait de plus
de huit cents soldats, de quatre-vingt cavaliers et d'une vingtaine de canons….
Mais, grâce à son esprit de décision et à son incroyable
audace, Cortez les surprit une nuit, alors qu'ils étaient paresseusement
cantonnés dans le village mexicain de Cempoal, leur tua trois ou quatre
soldats et retourna les autres, qui se joignirent à lui pour reconquérir
Mexico. Ils avaient semble-t-il plus de confiance en Cortès qu'en Narvaez
pour les conduire à l'or et à la gloire! Narvaez, lui, avait perdu
un œil au combat et avait été fait prisonnier… Narvaez
était un avare qui conservait pour lui tout ce qu'il pouvait capturer
de richesses, Cortès, lui, avait envers ses soldats le geste très
large…Ceci explique peut-être cela. Cependant, en l'absence de Cortès,
à Mexico – qui était une ville d'au moins 250 000 habitants
- les choses se gâtaient… Alvarado, un peu nerveux vint trouver
Montezuma…
ALVARADO - Seigneur Montezuma, qu'allez-vous faire? Je sens que dans la ville
il se prépare quelque chose de peu ordinaire…
MONTEZUMA - Je suis toujours votre prisonnier… Mais je peux vous assurer
qu'il n'y là rien que de très habituel… A moins que vous
ne vouliez faire allusion aux fêtes de Tetzcatlipuca et d'Uitzilopotchli..
Une cérémonie annuelle à laquelle nous tenons beaucoup…
Mais rien qui puisse vous inquiéter.
ALVARADO - J'ai cependant vu des préparatifs quasi militaires…
Oui, militaires… Une foule énorme, armée…
MONTEZUMA - Oui, nos soldats viennent danser avec de jeunes femmes, c'est charmant.
Vous ne pouvez y être hostile… Ils y sont très nombreux.
Vous-mêmes… pourquoi ne danseriez-vous pas?
ALVARADO - Le temps n'est pas à la danse. J'ai aussi vu, de mes yeux
vu, que vous êtes en train d'engraisser deux jeunes victimes, sans doute
vouées à l'immolation au sommet de vos pyramides…
MONTEZUMA - Vraiment? Vous nous avez pourtant interdit ce genre de cérémonies…
Se peut-il que… nous n'ayons pas obéi? Seigneur Alvaro, je me renseignerai.
ALVARADO - Et pourquoi sont faits ces poteaux qui sont dressés dans la
cour des temples?
MONTEZUMA - Ces poteaux? Mais, Seigneur Alvarado, c'est pur y fixer vos têtes
d'imbéciles lorsque… Je vous demande pardon, je plaisantais!
ALVARADO - C'est une fort mauvaise plaisanterie. Je sais que vous avez projeté
de nous tuer tous.
MONTEZUMA - Pouvez-vous vraiment le croire? Que dirait Cortès? Ce sont
des fêtes qui durent une vingtaine de jours, nous avons le temps…
ALVARADO - Que voulez-vous dire? Je ferai arrêter quelques-uns d'entre
vous et je les questionnerai. Je les torturerai s'il le faut.
MONTEZUMA - Vous n'en aurez pas le loisir. On vient de me dire qu'à la
suite d'une simple altercation au marché, vos soldats ont déjà
massacré de nombreux citoyens…
L'HISTORIEN DE SERVICE - En effet, le point de rupture était atteint…
Les Espagnols s'enfermèrent dans leur palais forteresse où ils
furent assiégés par une foule immense. Comme Montezuma était
toujours en leur pouvoir, ils essayèrent, le troisième ou le quatrième
jour, de le faire monter sur la terrasse du palais pour appeler ses concitoyens
à rentrer chez eux. Mais la colère était trop forte et
les Mexicains lancèrent des pierres sur leur empereur. Montezuma fut
blessé, autant moralement que physiquement. Il s'alita. Cependant, Cortès
revenait à marches forcées, après avoir incorporé
à ses armées les soldats de Narvaez. Et bien que Mexico soit bâtie
sur un lagune asséchée et qu'on ne puisse y entrer ou en sortir
que par des chaussées étroites coupées de nombreux ponts,
il réussit quand même à passer et vint retrouver Alvarado,
toujours retranché dans son palais…
ALVARADO - C'est une merveille que vous ayez pu venir nous secourir dans Mexico.
CORTÈS - Vous avez eu, Alvarado, une conduite stupide…
ALVARADO - Qu'auriez fait à ma place?
CORTÈS - Bien sûr, il ne faut pas que les Mexicains se livrent
à leurs honteux sacrifices. Encore faut-il y mettre y mettre un peu de
finesse et savoir, quand cela est nécessaire, ne pas les voir faire…
ALVARADO - Je ne suis pas de cette espèce-là, le mal est le mal.
Il faut l'empêcher à tout prix.
CORTÈS - Espèce d'Espagnol à courte vue, chrétien
à la manque. Cela risque de nous coûter notre conquête.
ALVARADO - Mais cela sauve nos âmes!
CORTÈS - Ne parlez pas de nos âmes, Dieu n'est pas stupide. Maintenant,
nous sommes pris au piège. Je ne vois pas comment nous pourrions échapper
à l'immense foule qui nous assiège… Nous n'avons plus de
vivres… Et ils sont trop nombreux pour que nous les massacrions tous!
Et, s'il nous faut fuir, ce sont eux qui nous massacreront, car ils ont démoli
les ponts sur lesquels nous aurions à passer. Que devient Montezuma…
Je n'ai pas envie aujourd'hui d'aller lui faire la cour.
ALVARADO - C'est inutile, en effet. Il est mort… D'une flèche que
lui a envoyée son peuple, exaspéré par sa complaisance
à notre égard.
CORTÈS - Il est mort! Terrifiante nouvelle… Nous n'avons maintenant
plus d'autre ressource que nous-mêmes. Retirons-nous, allons-nous-en.
Les ponts… nous les passerons comme nous pourrons! Et nous nous reformerons
à quelque distance.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Les Espagnols n'avaient plus qu'à tenter leur
percée. Ils y déployèrent des trésors de courage
et d'imagination… Mais les ponts ayant effectivement été
démolis, les Espagnols qui avaient échappé à la
foule n'eurent comme ressource que de tenter de les passer comme ils pouvaient
– avec leurs armes et tout chargés de l'or qu'ils avaient volé
– et souvent de les passer à la nage. Beaucoup se noyèrent
avec leurs trésors. Ainsi que beaucoup d'Indiens, de chevaux, de canons…
Alvarado, lui, réussit à sauter en s'appuyant sur sa lance comme
sur une perche. Ceux qui avaient réussi à passer parvinrent à
se regrouper à quelque distance. Ces choses se passèrent pendant
la nuit. De plus, il pleuvait. Les Espagnols, qui avaient tout perdu, appelèrent
cette nuit la Noche trista (30 juin 1520)
6 - La victoire finale de Cortès
BERNAL DIAZ – Malheureusement, la suite de l'histoire est tellement complexe
et riche de tellement de faits et de personnages que nous n'allons pas pouvoir
vous la jouer, mais seulement vous la raconter… Je suis Bernal Diaz. On
me dit mémorialiste et en effet je passerai une partie de ma vieillesse
à retracer l'aventure de Cortès et en particulier le siège
de Mexico, que nous avons vécu ensemble… Voici donc mon ami, mon
maître, Cortès repoussé de la ville avec des troupes en
lambeaux… Mais il n'était pas homme à se complaire dans
son malheur. Dès l'instant où il fut chassé de Mexico,
il entreprit de le reconquérir. Mais comme il était aussi un homme
avisé, il prit son temps et commença par reconstituer son armée,
qui avait beaucoup souffert.
CORTÈS - Mes amis, dit-il à sa troupe, Nous ne reprendrons jamais
Mexico avec nos seules forces. Il nous faut des alliés. Heureusement,
les Aztèques de Mexico se sont montrés si tyranniques, à
la tête de leur empire, que leurs vassaux, un peu partout sur le territoire,
sont en état de révolte: en particulier Tlaxcala, Cholula et Guaxocingo….
Je ne les mentionnerai pas tous! Si nous parvenons à les fédérer
– ceux que j'ai nommés et beaucoup d'autres! – nous serons
capables de reprendre la capitale et d'en chasser les Aztèques.
BERNAL DIAZ - C'est à cela que Cortès employa les mois suivants…
Cependant, avant de convaincre complètement les populations environnantes,
il eut souvent à livrer combat contre elles. … Mais comme Cortès
avait dans le pays une grande réputation d'homme très juste et
très courageux, il s'imposa progressivement comme chef et les Espagnols
purent s'installer en paix à Tlaxcala, ou ils se reposèrent et
se remirent de leurs blessures. Comme Mexico était une ville construite
sur une lagune et entourée d'eau, où les Mexicains avaient beaucoup
de pirogues, il fit aussi construire par maître Martin Lopez et ses charpentiers
une vingtaine de brigantins, c'est-à-dire de petits bateaux à
voile et à rame pouvant contenir une vingtaine d'hommes. Il les fit préparer
à Tlaxcala et ensuite les différentes pièces dont ils étaient
composés furent assemblées sur les bords du lac qui entourait
Mexico… Avant de les lancer à l'assaut, il dit encore à
ses troupes;
CORTÈS - Et surtout rappelez-vous que l'objectif souverain de nos combats
est la conversion des Indiens. Si la guerre était menée dans un
autre but, ce serait une guerre injuste et tout ce qui y serait gagné
serait exposé à être rendu…
BERNAL DIAZ - Je ne sais pas si Cortès était un très bon
chrétien, mais il avait besoin de le paraître et il le fit très
soigneusement… Pour prendre Mexico donc, il avait sa disposition plus
de 700 fantassins, 118 archers, 86 cavaliers, une vingtaine de canons. Quant
aux troupes des "alliés", elles se montaient à plusieurs
dizaines de milliers, très remontées contre les Mexicains qui
avaient longuement exploité leurs populations. L'attaque fut conduite
de deux côtés opposés, par Alvarado d'une part et par Cortès
de l'autre… Cortès, comme s'il avait connu les préceptes
de Zun-Tzu, laissa sagement une troisième sortie libre pour permettre
aux Mexicains de s'enfuir. Mais ils n'en profitèrent pas. L'assaut dura
quatre-vingt treize jours. Chaque jour les Espagnols essayaient de forcer les
passages, mais souvent les Mexicains avaient détruit les ponts, et quand
les Espagnols, les ayant rafistolés comme ils pouvaient, s'avançaient
dans la ville, les Mexicains les détruisaient à nouveau derrière
eux, de sorte que les Espagnols avaient beaucoup de difficulté à
battre en retraite. Les pirogues de Mexicains ainsi que les brigantins des Espagnols
jouèrent un rôle important, soit dans le ravitaillement, soit dans
l'attaque ou la défense des ponts. Quant aux prisonniers qui furent faits
de côté et d'autre… Les Mexicains, au son lugubre des tambours
sacrés, les immolaient au sommet de leurs pyramides, visibles de tous
les côtés, avant de les manger. Et les Alliés des Espagnols
en faisaient autant de leur côté. Les têtes des victimes
étaient ensuite plantées sur des pieux face à leurs anciens
compagnons. Les lois du dieu de la guerre aztèque l'emportaient sur celles
du Dieu des nouveaux arrivants. Si l'on ajoute à cela que les Mexicains
furent en proie à la vérole, et qu'à la fin, malgré
les prisonniers qu'ils firent, ils mourraient de faim, on aura une idée
de l'horreur de ces quatre-vingt-treize jours. Sans parler de l'épouvantable
odeur des cadavres pourrissants un peu partout …Finalement les Mexicains
refusèrent de se rendre, malgré les offres des Espagnols. Quant
à leur ville, elle avait été complètement démolie
par leurs ennemis qui se servaient des déblais pour colmater les brèches
des ponts… A la fin les vainqueurs se trouvèrent comme hébétés!
Et si vous voulez mon témoignage personnel, à moi, Bernal Diaz….
"C'était en plein milieu des combats, j'étais un bon soldat
et je me sentais obligé d'en faire autant et plus que les autres, mais
lorsque je voyais mes camarades emmenés chaque jour pour être sacrifiés,
et comment on leur sciait la poitrine et on leur arrachait le cœur tout
pantelant, et comment on leur sciait les bras et les jambes, et comment il y
en eut soixante-deux qui furent mangés, j'ai craint la mort plus que
jamais et avant d'aller à la bataille, je jeûnais et priais, recommandant
mon âme à Dieu et à sa sainte mère bienheureuse…
" J'en ai assez dit!
7 – Retour en Espagne
L'HISTORIEN DE SERVICE - Cortès avait conquis le Mexique… C'était
un nouvel empire rattaché à la couronne d'Espagne. Le roi finit
par le reconnaître comme tel. Mais comme Cortès était de
petite noblesse, il ne fut pas honoré comme il l'aurait dû…
Il rentra en Espagne et pour continuer à servir, il participa à
une expédition contre les pirates d'Alger. Mais son avis fut méprisé…
CORTÈS - Savez-vous ce que je suis et qui je suis: je suis Cortès,
le vainqueur du Mexique… J'ai autrefois, avec quatre cents hommes et huit
chevaux, conquis un empire. Mes services ont été tels qu'aucun
serviteur n'en a rendu de semblables au roi d'Espagne. Et aujourd'hui, devant
la ville d'Alger, vous, l'armée d'Espagne, vous renâclez... Après
mon retour, j'ai voulu, tout grisonnant que je sois, participer avec vous à
cette expédition. Que pensez-vous que je puisse dire, moi, devant le
spectacle honteux de cette débandade? Mes maîtres, reprenez-vous…
Je sais ce que sont les hasards de la guerre. J'ai couru d'autres périls
et j'ai affronté d'autres menaces… Il est encore temps, la bataille
n'est pas perdue… Alger est à portée de main. Je vous offre
de prendre le commandement de l'opération… Je sais ce que c'est
que de conduire le siège d'une place, j'en ai tellement pris… Vous
ne voulez vraiment pas! J'en rougis pour vous…
L'HISTORIEN DE SERVICE – Il rougit, rentre chez lui et vieillit tristement…
CORTÈS - Bien! J'irai donc, moi, le conquérant, finir ma vie à
ne rien faire… L'Espagne s'est-elle abâtardie à ce point?
Passant le temps à dormir sans repos, à manger sans faim, à
gaspiller des journées vides, ponctuées de paisibles siestes,
que seul trouble le tic-tac de l'horloge, inépuisable divertissement!
Manger, boire et dormir… Et encore manger, boire, dormir. Sans que rien
ne puisse attaquer la monotonie des jours. Ne sachant pas ce qui m'anime, ni
en tout cas l'ambition ni la cupidité, mais peut-être simplement
m'abandonnant moi-même à quelque lâche contentement de ce
que j'ai pu faire… Oublié, misérable, suspecté…
Dieu sera donc le seul avec qui j'aie à régler mes comptes aujourd'hui.
Mais heureusement ses jugements sont justes.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Il mourut en 1547. En 1942, Salvador de Madariaga,
éminent diplomate espagnol, écrivit à sa gloire un livre
magnifique, dont nous nous sommes fortement inspirés.