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Déposé à la SACD


LE RETOUR D’ULYSSE.
*
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
Athéna, déesse protectrice d’Ulysse, Ulysse, roi d’Ithaque,
Eumée le porcher, la vieille nourrice d’Ulysse, la reine Pénélope,
Antinoüs, le premier des prétendants, les prétendants (figurés par les spectateurs).
Éventuellement, des servantes (à défaut leur intervention sera simulée),
l’historien de service.


Prologue
L’HISTORIEN DE SERVICE - Ulysse, roi d'Ithaque... Ithaque est une petite île de la Méditerranée! Ulysse donc, a participé à la prise de Troie. Ensuite, il a voulu rentrer chez lui, mais la colère du dieu des mers, Poséidon, l'a détourné de son chemin et il a erré pendant dix ans de côte en côte. Quand il revient enfin, il découvre que sa femme Pénélope, lasse de l'attendre, s'apprête à céder elle-même et ses biens à l'un des prétendants qui, depuis dix ans, lui font en vain la cour. Quand la pièce commence, Ulysse, enfin de retour, vient misérablement de débarquer à Ithaque, où il s'est réfugié dans la cabane de son vieux serviteur, le porcher Eumée...

- 1 -
ATHENA - Moi, la déesse Athéna aux yeux pers, je te le dis, Ulysse: pendant dix ans tu as voyagé aux quatre coins du monde à tel point qu’on t’a cru mort. Et maintenant que tu es revenu dans ta patrie d’Ithaque, si tu veux reconquérir ton royaume à l'abandon, il te faut ruser. Tu vas donc prendre l’allure d’un vieux mendiant (elle donne à Ulysse un déguisement). Tu passeras ainsi inaperçu et je t’aiderai le moment venu à te défaire de tes ennemis. (elle sort)
ULYSSE - Grâces te soient rendues, ô ma protectrice.
EUMEE - (entrant avec un cochon de lait sous le bras) Encore un de ces mendiants qui hantent trop volontiers ma porcherie… Enfin! Je suis un homme bon et ils savent qu’ils peuvent trouver ici le gîte et le couvert. Entre, qui que tu sois…
ULYSSE - Merci, ô Eumée, ô charitable porcher…
EUMEE - Si tu veux passer la nuit ici, je te donnerai une couverture, car il fait froid. Mais auparavant je te ferai cuire un de ces cochons de lait. D’où viens-tu, mendiant?
ULYSSE - Je viens de… Mais regarde-moi plutôt, Eumée… (il entrouvre son déguisement) Ne me reconnais-tu pas?
EUMEE - (stupéfait) Mon maître Ulysse, comment cela est-ce possible? Toi, de retour?
ULYSSE - Mais oui, je viens d'arriver et la déesse Athéna m’a dissimulé sous cette guenille pour que je puisse approcher du palais sans être reconnu. Je me débarrasserai alors par la ruse de tous ces prétendants qui, depuis dix ans, cherchent à me prendre ma femme et mes biens…
EUMEE - Ô mon bon maître, puisses-tu réussir dans ton entreprise!
ULYSSE - Sitôt que je serai restauré et reposé, tu me mèneras au palais.
EUMEE - Viens, suis-moi. Tu mangeras, tu boiras et nous partirons. (ils sortent)

- 2 -
L’HISTORIEN DE SERVICE - Et voici qu'Ulysse arrive par la petite porte dans son palais. Personne encore ne l'a reconnu...
ULYSSE - Ma nourrice bien-aimée, regarde, c’est moi, Ulysse. (il montre son pied)
LA NOURRICE - La cicatrice de ton pied, je la reconnais… Ô Ulysse, c'est donc toi! Mais cache-toi bien, car tu sais que ta demeure est occupée par tes ennemis. Et ta femme, Pénélope, à bout de résistance, va ce soir leur offrir un grand banquet au cours duquel elle sera contrainte de se choisir un nouveau mari... Mais maintenant que tu es revenu...
ULYSSE - Je sais qu’elle n'a pas pu faire autrement. Mais j'ai mon plan et pour commencer, nourrice, je vais te demander d'aller discrètement cacher toutes les armes qui traînent par ici. Je veux surprendre les prétendants désarmés.
LA NOURRICE - Je comprends… et ensuite, j’ordonnerai aux servantes, lorsque le banquet aura commencé, d'aller fermer les portes sur les convives, de sorte qu'aucun ne puisse s’échapper. Car tu veux les tuer tous, n’est-ce pas?
PENELOPE - (entrant) Quel est ce mendiant?
LA NOURRICE - Mais tu ne vois pas que c’est…
ULYSSE - Chut, garde le silence. Il ne faut pas qu’elle sache encore.
LA NOURRICE - …Ni plus ni moins qu’un autre mendiant.
PENELOPE - Veille à ce qu’il soit bien traité. (la nourrice donne à Ulysse une écuelle) Et pendant qu'il mange va me chercher l’arc d’Ulysse, celui qu’il était le seul à pouvoir bander: tu verras la surprise que, lors du festin, je réserve aux prétendants…
LA NOURRICE - J‘y vais, maîtresse. (elle sort)
ULYSSE - (mangeant) Oui, j'avais encore un petit creux…

- 3 -
L’HISTORIEN DE SERVICE - Et le soir du même jour, les prétendants arrivent en foule pour prendre part au banquet offert par Pénélope.
PENELOPE - (faisant face aux spectateurs et s'adressant à eux) Eh bien, princes prétendants, vous voulez m’épouser. Toi, toi et toi, et tous les autres. Très bien. Mais pouvez-vous bander cet arc? C’était l’arc d’Ulysse, et maintenant que je crois qu’il ne reviendra plus jamais, je veux prendre un mari qui soit au moins aussi fort que lui. Je veux un costaud… Qui veut essayer?
ULYSSE - (sur le côté de la scène) Nourrice, je ne veux pas encore me montrer… Raconte-moi ce qui se passe.
LA NOURRICE - Le premier prétendant se saisit de l’arc… Mais il est trop lourd, il renonce avant même d’avoir essayé.
ULYSSE - Trop lourd! C’est une mauviette…
LA NOURRICE - Pénélope le regarde avec mépris. Un second maintenant… Mais il ne peut rien faire, l’arc est trop puissant. Un troisième, un quatrième… Pénélope a fait disposer l’un derrière l’autre des fers de hache et les prétendants doivent envoyer leurs flèches de sorte qu’elles passent à travers tous les trous des fers… (elle montre un point hors de la scène).
ULYSSE - Où en sont-ils?
LA NOURRICE - Voici maintenant qu’un grand nombre ont essayé et que se présente le plus redoutable d’entre eux, Antinoüs… C’est un colosse, il s’acharne, il bande ses muscles d’acier, le sang lui monte à la tête. Quel spectacle impressionnant….
ULYSSE - Et alors?
LA NOURRICE - (faisant signe aux spectateurs de crier avec elle) Ah, ah, ah, tous l'encouragent! Mais lui non plus ne peut pas bander l’arc. Ils ont tous des mines défaites. (de même) Oh, oh, oh…. Que tu étais fort, mon Ulysse!
ULYSSE - Je le suis encore.

- 4 -
L’HISTORIEN DE SERVICE - Cependant, les prétendants sont furieux de n'avoir pas réussi à bander le terrible arc d'Ulysse.
ANTINOÜS - (entrant avec l'arc, la mine défaite) Tiens, reine, ton arc est certainement ensorcelé!
ULYSSE - Ô reine Pénélope, me permets-tu d’essayer à mon tour?
ANTINOÜS - Toi, pauvre mendiant… Attrape plutôt cet os que je te jette, si tu en es capable. Je ne comprends pas pourquoi la dame de ces lieux t’a autorisé à assister à ce banquet.
PENELOPE - Tu n’es pas le maître ici: laisse-moi juge de mes actions. Vieil homme, veux-tu essayer, si tu ne crains pas le ridicule?
ULYSSE - Je ne crains ni rien, ni personne (grand silence, il prend l'arc, pose sa flèche, bande l'arc, tire... et sa flèche traverse toutes les haches)
ANTINOÜS ET TOUS LES PRETENDANTS - (allant vérifier) AAAah… (admiratif, trois fois)
ULYSSE - Ne vous étonnez pas. En réalité, je suis Ulysse, revenu de ses longs voyages (il se découvre). Et avec l’aide d’Athéna aux yeux pers (Athéna apparaît), je vais vous exterminer, voleurs que vous êtes…
PENELOPE - Est-ce possible? Est-ce bien toi, mon Ulysse? Comment pourtant ne pas douter?
ULYSSE - Mais oui, c’est bien moi, chère femme, et je te dirai tout à l’heure un de nos secrets qui te convaincra définitivement. Mais en attendant, faisons justice…
LA NOURRICE - Je vois qu’il avait eu bien raison de faire enlever les armes et de fermer les portes: ils ne peuvent ni sortir, ni se défendre ! Vengeance, vengeance…
ATHENA - A toi de jouer, Ulysse, le temps n’est plus à la parole mais aux actes. (Athéna lui fait passer les flèches et Ulysse, prenant tout son temps, extermine les uns après les autres tous les prétendants)
ULYSSE - Ai-je bien terminé… Je veux dire, exterminé ? (il fait des yeux le tour des spectateurs)
LA NOURRICE - (allant examiner tous les cadavres) Il n’en reste plus un seul qui respire encore…
ULYSSE - Alors, appelle maintenant les servantes pour qu’elles nettoient les flots de sang qui coulent partout… (elles le font). Et qu'elles me lavent moi-même… (elles le mettent dans une cuvette). Allez, ne craignez pas, frottez.

- 5 -
L’HISTORIEN DE SERVICE - Et lorsque les servantes eurent fini de rendre à Ulysse sa beauté passée, Pénélope voulut encore s'assurer que c'était bien lui.
PENELOPE - Ô Ulysse, te voici donc de retour. Que j’ai eu raison de t’attendre, défaisant chaque nuit la tapisserie que j’avais confectionnée pendant le jour. Mais puis-je vraiment être sûre que c’est toi? J’ai été tellement trompée… Dis-moi ce secret que tu m’as promis.
ULYSSE - Il est simple. Te souviens-tu que c'est ton mari, Ulysse, qui façonna, en bois précieux soigneusement poli, le lit où, avant son départ, il passa avec toi toutes ses nuits?
PENELOPE - Oui. Bienheureuses nuits! Eh bien?
ULYSSE - Eh bien, ce lit, je l’ai ajusté selon de tels secrets que nul ne peut le défaire, puisque je l’ai construit autour d’un rameau d'olivier vivace que personne ne peut déplacer.
PENELOPE - Oui, à ce trait je te reconnais: tu es bien Ulysse. Servantes, maintenant que votre maître est dignement récuré, allez nous préparer ce lit et mettez-y amoureusement des draps nouvellement tissés…
ULYSSE - Et dès qu’il sera fait, nous irons nous y retrouver. Et je jure que j’y resterai jusqu’à la fin de ma vie. Et en attendant, qu'on ne nous réveille pas demain avant qu'il soit bien tard. Et vous nous ferez un grand festin car j'aurai très faim!

RAPPEL HISTORIQUE

La prise de Troie (au XIIIème siècle av. J.C.) est le grand fait (historique ou mythique?) qui domine l’histoire grecque et qui a fourni à la mythologie de la littérature occidentale une grande partie de ses héros et de ses archétypes (Achille, Pénélope, le Cyclope, Achille, Hector, Andromaque...).
La ville de Troie a existé dans ce qui est maintenant la Turquie d’Asie, ou Asie mineure. C’était une ville proche de la mer, dont les ruines attestent qu’elle fut construite et détruite au moins sept ou huit fois. Laquelle fut la bonne, je veux dire, quelle sont les ruines qui correspondent à l’expédition grecque d’Agamemnon: peut-être celles dans laquelle l'archéologue Schlieman découvrit ce qu'il a appelé "le trésor de Priam" (Priam étant le roi de Troie). Mais au fond, cela n’a pas d’importance. Ce qui est dominant, ce sont les deux épopées que ce haut-fait indécis inspira quelques siècles plus tard, l’Iliade et l’Odyssée, attribuées à Homère. L’Iliade raconte les combats qui eurent lieu autour de la ville, l’Odyssée raconte les aventures d’Ulysse tentant de rentrer dans sa patrie d’Ithaque, une des îles grecques de la Méditerranée.
Après la chute de Troie, Ulysse s’embarque donc avec ses compagnons et cingle vers Ithaque, lorsque, saisi par une effroyable tempête, il est tout à coup entraîné à travers la mer vers une série d'aventures totalement fantastiques. Il sort du réel, et c’est alors comme un roman de science-fiction à la grecque qui nous est magiquement présenté. Il rencontre un géant avec un œil (Polyphème, le Cyclope), une magicienne (Circée), passe près de l’île aux Sirènes, fait halte chez des peuples qui se nourrissent de la plante de l’oubli, traverse des détroits éminemment dangereux, descend au pays des morts, fait un naufrage dont il parvient à réchapper… Le tout sous la protection de la déesse Athéna et malgré la haine dont le poursuit Poséidon, dieu de la mer.
Et puis, après dix ans d'errance, une nouvelle tempête ramène miraculeusement Ulysse à sa réalité, c'est à dire à Ithaque. Il y découvre que, pendant tout ce temps, sa femme Pénélope a dû lutter pied à pied contre une foule de prétendants qui, la persuadant qu’Ulysse était mort, cherchaient à l’épouser et à devenir ainsi propriétaires de ses biens… C’est là que notre histoire commence. Et c'est là que, naturellement, Ulysse va massacrer ses rivaux, retrouver sa femme et reprendre possession de ses biens.
Quelques détails que nous n’avons pas insérés dans le texte, faute de place, mais qui valent la peine d’être mentionnés… Ithaque est une petite île: des porcs, des moutons, des olives et quelques autres cultures, un tout petit royaume. Ulysse est réputé être très fort et très rusé: il en donne ici la preuve; d’ailleurs Homère l’appelle "l’astucieux Ulysse". Pendant l’absence d’Ulysse, les princes des îles voisines (les prétendants) se sont donc installés chez lui pour faire la cour à sa femme, Pénélope. Celle-ci leur disait qu’elle choisirait parmi eux lorsqu’elle aurait fini sa tapisserie, mais chaque nuit, elle défaisait ce qu’elle avait fait le jour: ce qui est devenu un mythe universel. En attendant, les prétendants font bombance à ses frais. Quant à l'histoire du lit, elle est bien dans Homère, mais elle n'est pas très claire. Télémaque, le fils d’Ulysse, arrivé à l’âge d’homme est parti à la recherche de son père; il rentre de son voyage juste au moment où celui-ci arrive et, dans Homère, il l'aide à massacrer les prétendants.