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Déposé à la SACD

LES FIANCAILLES DE SISSI
*
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES :
Elisabeth, dite Sissi, 17 ans, d’une beauté éclatante et un peu sauvage,
Sa mère, très anxieuse de marier sa fille aînée, la sœur de Sissi, Hélène, dite Néné, 20 ans, jolie,
sérieuse et équilibrée, mais un peu froide,
l’empereur d’Autriche François-Joseph, élégant jeune homme de 23 ans,
l’aide de camp de l’empereur, le comte Grünne, l'historien de service.


- 1 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - La scène représente un salon dans une ville d’eau. Le jeune et séduisant empereur d’Autriche François-Joseph doit y faire la connaissance de sa cousine germaine Hélène, fille de la duchesse de Bavière, à laquelle sa propre mère, une femme fort autoritaire, veut le marier. Naturellement la mère d’Hélène tente de faire valoir les charmes de sa fille. Mais c’est la jeune Sissi, sa sœur cadette, resplendissante de beauté, qui attire l’attention d’un empereur pas tellement fâché pour une fois de désobéir à sa mère…
LA MERE - Sissi… Sissi…Sissi…
SISSI - Oui… Me voilà, maman…
LA MERE - Où étais-tu encore? Aux écuries, je parie, avec tes chevaux… D’où te vient cette passion pour les chevaux! Et en plus, tu sens le chien mouillé…
SISSI - Mais, maman, comment veux-tu…
LA MERE - Va te changer tout de suite: François-Joseph va arriver. Trouve une robe propre, fais-toi peigner, demande à Amélie de t’aider. Pour une fois, sois présentable. Moi, je vais m’occuper de Néné. (elle sort)
SISSI - Je déteste ces petits noms qu’on nous donne. Sissi, passe encore, mais Néné, c’est particulièrement ridicule. (elle sort à son tour)

2.
L’EMPEREUR - (entrant suivi de son aide de camp) En ce qui me concerne, comte Grünne, je vous avoue que ça me démange.
L’AIDE DE CAMP - Je vous comprends, Majesté. On a beau être empereur, on n’en est pas moins homme. On dit que votre cousine Néné, je veux dire la princesse Hélène, de la maison royale de Bavière, est une jeune fille accomplie.
L’EMPEREUR - Je n’en doute pas. J’ai dû la rencontrer autrefois, quand nous étions enfants, mais j’avoue que je ne m’en souviens plus du tout…
L’AIDE DE CAMP - N’oubliez pas que c’est une entrevue tout à fait fortuite... Personne n’est censé savoir quoi que ce soit. Madame votre mère a tenu à ce qu’avant tout vous puissiez vous rendre compte par vous-même… de la qualité de la marchandise
L’EMPEREUR - Madame ma mère est trop bonne. Mais je commence à en avoir assez de faire ses quatre volontés. C’est ici que nous devons la rencontrer?
L’AIDE DE CAMP -. Oui, en principe. Mais nous sommes un peu en avance et comme il ne sied pas qu’un empereur ait l’air d’attendre, allons faire un tour de jardin avant qu’elle n’arrive. (ils sortent)

3.
LA MERE - (entrant suivie de Hélène) Ma chère Néné, il va venir dans un instant… Naturellement, tu ne sais rien, tu ne fais aucune allusion. Tu comprends bien que si tu ne lui plais pas, il ne faut pas qu’il puisse te faire l’affront de te refuser. Et le meilleur moyen de ne pas se faire refuser, c’est de ne pas s’être proposée.
HELENE - Maman, j’ai peur, je suis toute tremblante: s’il me choisit, je serai impératrice et je règnerai sur l’Autriche…
LA MERE - Pas seulement sur l’Autriche, mais sur la Hongrie, la Bohème, une partie de l’Italie. Ce n’est pas rien que de rentrer dans la famille des Habsbourg.
HELENE - Oui, mais s’il me refuse…
LA MERE - Il n’en est pas question ! Tiens-toi droite, montre ce que tu as… Les hommes sont très sensibles à… Souviens-toi de tes leçons de maintien. Mais où est donc Sissi? Sissi, Sissi…
SISSI - (dans la coulisse) Une minute, maman, j’arrive, j'arrive…
LA MERE - J’ai jugé bon que ta sœur assiste à cette entrevue. Cela fera plus famille, plus spontané. (Sissi entre) Sissi, tu te mettras là, un peu en retrait… pas trop cependant. Et tiens-toi tranquille. Considère-toi comme une potiche, une simple potiche, pour la décoration… Le voilà !

4.
L’EMPEREUR - (revenant avec son aide de camp) Ma chère tante, je vous baise les mains.
LA MERE - François-Joseph ! Comme tu es magnifique dans ton uniforme de général !
L’EMPEREUR - Merci, ma tante. Quel plaisir de vous revoir… Mais il me semble que j’aperçois… C’est Hélène? Quelle surprise ! Néné, tu es ravissante.
HELENE - (fait la révérence) Je suis votre humble servante…
L’EMPEREUR - Allons, pas de manières. Puis-je t’embrasser, en cousin, sur les deux joues. (il l’embrasse gauchement et soudain voit Sissi) Et… Mais non, c'est un rêve… C’est Sissi, là? Je veux dire Elisabeth…
LA MERE - Oui, bien sûr. Qui veux-tu que ce soit?
SISSI - (fait la révérence, un peu ironique) Votre splendide Majesté!
L’EMPEREUR - Qu’elle est devenue belle, avec cette magnifique chevelure sauvage! Ah ça, quelle surprise! Je suis ébloui!
LA MERE - Mon Dieu, mais Sissi n’est encore qu’une gamine, un chat écorché…
SISSI - Maman!
L’EMPEREUR - Je l’embrasse aussi (il le fait, fougueusement). Sissi! Je ne m’attendais pas…
LA MERE - (revenant à Hélène) Par contre, Hélène, depuis que tu l’as rencontrée pour la dernière fois, est devenue une jeune femme accomplie. Elle devrait pouvoir faire un très beau mariage. Elle pourrait épouser un prince… Mais nous n’en sommes pas là… Ou même un empereur. Si seulement j’en trouve un …
L’EMPEREUR - (qui a gardé les yeux fixés sur Sissi) Un empereur, diable! Mais il me semble que notre cousine Sissi pourrait aussi prétendre…
LA MERE - Il lui reste beaucoup de chemin à faire. Hélène, elle, est intelligente, volontaire…
L’EMPEREUR - Mais Sissi ne l’est-elle pas aussi?
LA MERE - Ce n’est pas exactement ce que je dirais… Hélène parle plusieurs langues, dont le français…
L’EMPEREUR - Et Sissi, ne parle-t-elle pas aussi le français?
LA MERE - Laisse donc Sissi dans son coin. Hélène est soignée de sa personne, bien habillée, elle a beaucoup de prestance, elle danse à merveille…
L’EMPEREUR - Et Sissi?
LA MERE - Je te l’ai dit, ce n’est qu’un sauvageon. Hélène est en plus bien lunée, va chaque matin à la toilette… Pas l’ombre d’une constipation… Excellente dentition…
HELENE - Maman! Je ne suis pas une jument sur le marché…
LA MERE - Bien sûr que non, ma chérie. Mais justement, à propos de jument, elle monte à cheval aussi.
SISSI - (pouffe de rire) Ah oui, ça… on peut le dire, comme un sac de patates.
HELENE - Sissi, je t’en prie.
L’EMPEREUR - Qui monte à cheval, Hélène? Hélène monte à cheval?
LA MERE - Oui, naturellement. Et très bien…
L’EMPEREUR - Et Sissi, elle, elle ne monte pas à cheval ?
LA MERE - Si. Et je dois dire que c’est le seul point sur lequel elle surpasse sa sœur. Un vrai petit cosaque. On en oublie que c’est une femme. Mais qu’est-ce que monter à cheval?
L’EMPEREUR - C’est beaucoup, ma tante, c'est même l'essentiel. (à son aide de camp). Décidément, ma cousine Sissi me tape dans l’œil. Au diable ma mère et ses volontés. Je n’y résiste pas. (à Sissi) Princesse Elisabeth, je vous prie ce soir au bal de me réserver le premier quadrille.
SISSI - Mais, François-Joseph, tu ne crois pas que… Et Néné? Ça va faire des histoires…
L’EMPEREUR - Ne vous faites pas de souci. Vous arrangerez ça, comte Grünne.
L’AIDE DE CAMP - Bien, Majesté. (à la mère) S’il danse un premier quadrille avec la princesse Elisabeth, cela sera pure courtoisie. Si par hasard il en réclame un second, cela voudra dire: "fiançailles prochaines" (ils sortent)

5.
L’EMPEREUR - (entre en dansant avec Sissi. On entend le brouhaha du bal, puis la musique s’arrête et ils se séparent) Princesse Élisabeth, faites-moi l’honneur d’un second quadrille.
SISSI - Sire, que va dire madame votre mère?
L’EMPEREUR - Justement, il va falloir qu'elle s'y fasse. Et en attendant… (Il l'attire à lui…)
SISSI - Mais, François-Joseph, tu ne vas pas…
L'EMPEREUR - Je ne vais pas … quoi? Je suis l'empereur (il l’embrasse longuement).
SISSI - (protestant) François-Joseph, François-Joseph… Et le protocole?
L'EMPEREUR - (la retenant dans ses bras) Au diable le protocole. Et plutôt qu'un quadrille, ce sera une valse. Orchestre! (la valse commence) C'est plus tendre! (ils commencent à danser en se serrant de très près).
HELENE - (entrant et les regardant) Et moi, qu’est-ce que je deviens, dans tout ça?
SISSI - (se dégageant) Néné, je t’assure que je ne le voulais pas. Et crois-moi, je ne vois pas du tout, mais pas du tout où je vais… (ils sortent en dansant)
HELENE - La peste soit des jeunes sœurs. J'ai bien peur qu'il ne me reste plus, à moi, que mes yeux pour pleurer.


RAPPEL HISTORIQUE

Le dernier empereur d’Autriche-Hongrie, François-Joseph, régna longtemps, de 1848 à 1916. Il accéda au pouvoir à la suite des révolutions libérales qui se produisirent un peu partout en Europe en 1848. A cette époque il avait dix-huit ans et se trouvait sous la forte influence de sa mère, l’archiduchesse Sophie. Quand il eut vingt-trois ans, celle-ci jugea qu’il était temps de le marier et fit choix pour cela de la fille aînée de sa sœur, la duchesse Ludovica de Bavière. Celle-ci s’appelait Hélène, mais dans l’intimité on l’appelait Néné. L'empereur lui préféra sa sœur Elisabeth.
La Bavière est un état voisin de l’Autriche: c’était donc de bonne politique que de préparer ainsi par un mariage un rapprochement qui semblait inscrit dans la nature des choses. L’Autriche, qui avait déjà absorbé la Hongrie, la Bohème et une partie de l’Italie, aurait en outre volontiers envisagé de réunir à sa couronne, non seulement la Bavière, mais aussi la Prusse: ce qui aurait formé un vaste empire, majoritairement de langue allemande.
Mais l’empereur, qui était à vingt-trois ans un très séduisant jeune homme, n’avait pas la taille de cette ambition. Il manquait de volonté et d’imagination. Sous son règne, qui fut dangereusement centralisateur (écrasement des minorités), l’Empire partit doucement en morceaux et perdit en particulier les provinces italiennes (défaite de Solferino, traité de Villafranca) et connut ensuite de graves difficultés en Hongrie. De plus la Prusse avait engagé en 1859 une guerre contre l’Autriche et la Bavière, alliées l’une à l’autre. Cette guerre s’était terminée pour les alliés par la défaite de Sadowa. Bismarck, le chancelier allemand se révélait être, bien plus que François-Joseph, l’homme de l’unification allemande, ce qu’il confirmera par sa victoire sur la France en 187O. Plus tard, la guerre de I914 fera voler en éclats l’empire austro-hongrois.
Quant à Sissi, une fois mariée, elle découvre rapidement que, malgré son affection très réelle pour François-Joseph, elle n’est pas la femme de la situation. Les cérémonies officielles l’ennuient au delà de toute description, le faste et l’étiquette de la cour impériale l’insupportent… Elle fuit ses obligations et sa vie se passe en voyages et en croisières au cours desquelles elle s’adonne à son plaisir favori: l’équitation. En 1890, à Mayerling, son fils aîné, l’archiduc Rodolphe se suicide: échec d’une éducation dont sa belle-mère, l’archiduchesse Sophie, a voulu autrefois prendre la charge. A la fin, en août 1898, l’impératrice Élisabeth, errante et désespérée, sera assassinée à Genève par un anarchiste italien, alors qu’elle se rendait de son hôtel au bateau qui devait la mener à Lausanne… Étrangement le nom de Sissi est plus connu pour le film qui porte son nom que pour ce qu'elle fut réellement.