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Déposé à la SACD

MARIE-ANTOINETTE A VARENNES.
*
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES :
Marie-Antoinette, 36 ans, très belle, anxieuse et énergique.
Louis XVI, corpulent, hésitant et apathique.
Le comte de Fersen, ami de la Reine, qui a préparé l’évasion.
Drouet, maître de poste (chargé de renouveler les chevaux) à Sainte-Menehould.
Un cocher curieux. L'historien de service.
Monsieur Sauce, épicier à Varennes, dans la maison duquel s’abritera
la famille royale.


- 1 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - Après la prise de la Bastille et la Nuit du 4 août, le roi et la reine ont été ramenés de Versailles à Paris, aux Tuileries. Ils sont comme prisonniers dans le château des Tuileries et craignent de plus en plus pour leur vie. Louis XVI, toujours indécis, ne sait que faire, mais la reine Marie-Antoinette, "le seul homme qu’ait le roi" (disait Mirabeau!), décide qu’il faut s’enfuir. Le comte de Fersen prépare leur évasion. Malheureusement, pour n’avoir pas pris assez de précautions, ils sont arrêtés à Varennes. La pièce commence au Palais des Tuileries...

MARIE-ANTOINETTE - Cela passe les limites du tolérable. Nous sommes comme en prison…
LOUIS XVI - Allons, allons, ne sommes-nous pas bien installés, ici au palais des Tuileries?
MARIE-ANTOINETTE - Mais, Louis, ne comprenez-vous rien à ce qui nous arrive? Nous étions à Versailles à peu près en sécurité, loin de Paris et de sa menaçante agitation et ils nous ont ramenés dans la capitale… Rappelez-vous: le boulanger, la boulangère et le petit mitron!
LOUIS XVI - Que voulez-vous, ma bonne, ils voulaient du pain. Qu’ils nous aient sacrés boulangers, je trouve cela plutôt flatteur. Ils ont de l’affection pour nous.
MARIE-ANTOINETTE - De l’affection ! Vous ne verrez donc jamais la réalité des choses ! Vous mangez, vous dormez, vous ronflez comme si tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes!
LOUIS XVI - Oui, c’est vrai que je m’accommode facilement de ce qui m’arrive. Mais je suis encore le roi après tout.
MARIE-ANTOINETTE - Ah oui ! Cela me fait plaisir de vous l’entendre dire. En tout cas vous êtes un roi prisonnier et si bien prisonnier qu’il est obligé d'en passer par les quarante volontés de son peuple.
LOUIS XVI - Allons, allons! Ce n’est pas parce que, dans leur enthousiasme, ils viennent de retenir pendant trois heures notre carrosse… Une petite manifestation d’attachement!
MARIE-ANTOINETTE - Une véritable émeute, vous voulez dire! Nous voulions simplement passer l’après-midi à Meudon: ils nous en ont empêchés… Les Français viennent de conquérir leur liberté et vous êtes le seul Français à ne pas pouvoir faire usage de cette liberté. Ce qui vient d'être proclamé aux yeux de tous… L’Europe entière sait maintenant clairement quel est notre misérable sort.
LOUIS XVI - Ma bonne amie, un peu de patience. Il n’est pas d’exemple que les choses ne s’arrangent, et parfois toutes seules. Remettez-vous en à la volonté de Dieu.
MARIE-ANTOINETTE - Très bien, mon ami, rendez les armes: moi, je continuerai à lutter.

- 2 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - Et la reine en effet demande à son ami le comte de Fersen de les aider à s'enfuir de leur prison...
MARIE-ANTOINETTE - Ô mon seul véritable ami! Maintenant, il nous est légitime de nous enfuir.
LE COMTE DE FERSEN - Madame, quelle chance que j’aie pu aller et venir dans le palais sans éveiller les soupçons! Tout est prêt. J’ai fait fabriquer une berline spéciale à huit chevaux. Pour ne pas attirer l’attention, elle nous attendra aux portes de la ville…
MARIE-ANTOINETTE - Mais comment faire pour la rejoindre? Tout doit être gardé secret.
LE COMTE DE FERSEN - Demain soir, sous un prétexte quelconque, vous irez tout d’abord réveiller vos deux enfants et vous me les confierez. Je les ferai sortir du château et les conduirai en lieu sûr.
MARIE-ANTOINETTE - Mon Dieu, me séparer d’eux…
LE COMTE DE FERSEN - Il le faut, Madame. Pendant ce temps-là vous donnerez le change en confirmant vos ordres pour la journée du lendemain. Ensuite, dès que vous aurez été mise au lit par vos femmes, vous vous relèverez et enfilerez une robe grise. Un garde, qui est dans la confidence et qui sera caché dans le placard, vous aidera à sortir à votre tour par des passages secrets et vous procurera une voiture.
MARIE-ANTOINETTE - Et le roi ?
LE COMTE DE FERSEN - C’est le plus délicat, Un valet dort dans sa chambre, relié à lui par un mince fil de soie, pour qu’il puisse l’appeler en cas de besoin. Le roi devra couper le fil, se glisser hors du lit sans faire de bruit, s’habiller en laquais… Un fiacre l’attendra, que je conduirai moi-même
MARIE-ANTOINETTE - Vous savez quel don extraordinaire il porte en lui pour manquer ce qu’il fait.
LE COMTE DE FERSEN - Hélas! Prions pour que cette fois, il veuille vraiment réussir. Ensuite, vers minuit nous nous retrouverons tous à la berline. Et fouette cocher: en route pour rejoindre les troupes fidèles. Quand au matin, on découvrira votre départ, vous serez loin.

- 3 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - La famille royale s'est donc enfuie en direction de l'Allemagne. Mais pendant qu'ils changent de chevaux, au relais de Sainte-Menehould, ils sont reconnus par un maître de poste...
DROUET - T’as vu cette grande berline?
UN COCHER - Je n’ai vu qu’elle. Des grandes comme ça, on n’en rencontre pas souvent.
DROUET - Et avec ces drôles de voyageurs dedans, ce gros laquais et cette jolie petite dame, et les deux petites… Et il m’a semblé qu’une, c’était un garçon déguisé en fille ! Et ils ne voulaient même pas descendre pour se dégourdir les jambes, comme tout un chacun.
UN COCHER - Et les postillons nippés de neuf, comme des princes, tu les as remarqués?
DROUET - Moi, j’ai eu des doutes et j’ai bien regardé le gros laquais quand il s’est penché par la fenêtre. Je crois bien maintenant que c’est le roi. Le roi qui s’enfuit.
UN COCHER - Penses-tu! Le roi… Toi, t’as jamais vu le roi, comment peux-tu savoir que c’est lui? Sûr que c’est de la haute racaille, mais le roi, t’en sais rien!
DROUET - C’est lui. J’en suis sûr. Je le vois tous les jours. (il tire un louis d’or de sa poche) Regarde!
UN COCHER - Eh bien quoi? C’est un louis.
DROUET - Oui. Et dessus, qu’est-ce qu’il y a? Le portrait du gros laquais.
UN COCHER - C’est ma foi bien vrai qu’il y aurait peut-être quelque chose du gros laquais.
DROUET - Tu sais ce qu’on va faire? On va prendre deux bons chevaux, et on va galoper jusqu’au prochain relais, à Varennes. Par les chemins de traverse on y arrivera avant la berline. Et là on alertera les autorités. Et on leur demandera leurs passeports, aux voyageurs.
UN COCHER - Tu as raison. Des fois que si c’était lui…
DROUET - Comme ça on en aura le cœur net.


- 4 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - La famille royale était sur le point de rejoindre les troupes autrichiennes, sous la protection desquelles ils voulaient se mettre. Mais ils ont été rattrapés et arrêtés à Varennes, où ils se sont réfugiés dans la maison de l'épicier Sauce...
LOUIS XVI - (est attablé et mange) Que dites-vous, ma chère amie ?
MARIE-ANTOINETTE - On nous a arrêtés, on nous a reconnus, on voudrait nous faire rentrer à Paris. Mais tout n’est pas encore perdu. Les dragons autrichiens qui devaient venir à notre rencontre sont certainement par là… Ils nous cherchent, ils nous délivreront. Et de toute façon, si nous ne voulons pas attendre l’escorte, leur commandant nous offre des chevaux pour nous enfuir sous sa protection. Il insiste…
LOUIS XVI - Des chevaux, avec les enfants, je trouve cela bien dangereux. Et puis en nous enfuyant, on pourrait se faire tirer dessus et nous risquerions de recevoir un mauvais coup. Je préfère attendre l’escorte…
MARIE-ANTOINETTE - Mon Dieu, encore une fois vous préférez attendre. Vous avez toujours préféré attendre. Et d’attentes en attentes, voilà où nous en sommes!
LOUIS XVI - Ma foi! Mais au fait, où sommes-nous ici?
L'EPICIER SAUCE - A Varennes, sire. Une bien petite bourgade… et dans ma pauvre maison, toute honorée de… de… enfin de recevoir le roi.
LOUIS XVI - Honorée de recevoir le roi … Savez-vous mon bon ami que j'en suis à me demander s'il y a encore un roi en France…
L'EPICIER SAUCE - Moi, je m’appelle Sauce, Majesté, je suis épicier.
LOUIS XVI - Quoiqu'il en soit, monsieur Sauce, je vous suis très reconnaissant de votre hospitalité... Mais qu'est-ce que c'est que ce bruit, qui est-ce qui arrive?
ROMEUF - (entrant) Votre Majesté, je m'appelle Romeuf. Je suis un émissaire de l’Assemblée nationale et j’ai été envoyé à la poursuite du roi qui s’est échappé. Je suis porteur d’un décret m’ordonnant de vous ramener à Paris… Sire, s’il vous plaît de voir (il tend un papier).
LOUIS XVI - (lit et passe à la reine) N’avais-je pas raison ? Il n’y a plus de roi.
MARIE-ANTOINETTE - (lit à son tour et froisse le papier) Les misérables, comment ont-ils osé!
ROMEUF - Sire, il vous faut repartir d’urgence, rentrer à Paris: le peuple l'exige.
MARIE-ANTOINETTE - (bas, au roi) Les dragons peuvent encore arriver. Si vous voulez avoir encore une chance, gagnez du temps, mon ami, gagnez du temps… faites n'importe quoi.
LOUIS XVI - Mais volontiers… Ah oui! Mon bon monsieur Sauce, je me sens encore une petite faim: pourriez-vous me trouver un petit morceau de fromage...
ROMEUF - Non, Sire, vous ne temporiserez pas. Veuillez vous rembarquer tout de suite.
LOUIS XVI - Me rembarquer tout de suite… Vous avez entendu, Madame, qu'y puis-je? Me rembarquer… Mais volontiers, mais volontiers… (il se lève)
L'EPICIER SAUCE - Je vous fais un petit paquet avec le fromage…?
LOUIS XVI - S'il vous plaît…
L'EPICIER SAUCE -Je vous mettrai aussi un peu de lard frais…?
LOUIS XVI - Ce serait parfait…
MARIE-ANTOINETTE - Hélas, cette fois-ci, c’est pour notre vie qu’il va falloir que je me batte.


RAPPEL HITORIQUE

La France des Bourbon et l’Autriche des Habsbourg, qui avaient été si souvent en guerre au XVIIème et au XVIIIème siècle (sous Louis XIV en particulier), décidèrent un beau jour de faire la paix et, pour sceller leur alliance, de marier le petit-fils de Louis XV, roi de France, avec une fille de Marie-Thérèse, impératrice d’Autriche. Le fiancé s’appelait Louis, il était le dauphin et devait succéder à son grand-père sous le nom de Louis XVI; la fiancée s’appelait Marie-Antoinette.
Marie-Antoinette était une toute jeune fille lorsqu'elle fut mariée en 1770. Elle n’avait que 15 ans. Elle était très jolie et surtout pleine de charme, mais elle était aussi très superficielle, incapable de soutenir un effort intellectuel prolongé. Elle ne songeait qu’à jouer comme une enfant et à se distraire. Jusqu’à la mort de Louis XV, elle fut "la Dauphine". Elle ne devint donc la Reine qu’à l'avènement de Louis XVI.
Son premier enfant ne naquit qu'en 1778. Pendant ces huit années de mariage, son mari (tout le monde le savait!) s’était avéré incapable de remplir son devoir conjugal. Cette frustration ne fit qu’exaspérer son besoin de jeu et de divertissement. En particulier, pour échapper au lourd cérémonial de Versailles, qui l’ennuyait, elle fit bâtir à grands frais le Petit Trianon, où elle pouvait mener, en compagnie de la jeunesse de la cour, une vie libre, fastueuse et fantaisiste. Les dépenses qu’elle y fit lui furent par la suite beaucoup reprochées. De plus, en 1785 éclata "l’affaire du collier", où elle n'était, semble-t-il, pour rien, mais qui scandalisa et divisa l’Europe entière.
Cependant la naissance de trois autres enfants, dont le nouveau dauphin (grande liesse populaire!), contribua à transformer son caractère et à lui donner un sens grandissant de ses responsabilités. Lorsque commença la période révolutionnaire, c'était une autre femme. Elle fit preuve, à côté de son faible et indécis mari, de beaucoup de sérieux et de fermeté. Malheureusement, élevée dans un univers absolutiste, elle fut incapable de comprendre le vaste mouvement de liberté qui portait le peuple français. Elle s'y opposa de toutes ses forces et avec un entêtement qui finit par la conduire, elle et le roi, à leur perte. La fuite et l'arrestation à Varennes font partie de cette tentative pour forcer le sort.
Les États Généraux ayant été convoqués en 1788, la Bastille est prise le 14 juillet I789 et les privilèges sont abolis pendant la nuit du 4 août de la même année. En octobre, la famille royale est ramenée par le peuple aux Tuileries, à Paris. En juin I791 elle tente de s'échapper mais est reprise à Varennes. La République est proclamée le 21 septembre 1792. En août, la famille royale est emprisonnée au Temple. Enfin Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 93: il était le symbole de la royauté de droit divin et les révolutionnaires estimèrent qu'il devait être définitivement écarté de leur voie. Marie-Antoinette voulut continuer la lutte et surtout inciter les rois d'Europe à la continuer avec elle. Elle fut elle aussi broyée par la machine révolutionnaire et exécutée quelques mois après.