telecharger au format word

Déposé à la SACD

LA MORT DE MOZART
*
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES:
Mozart, fatigué et appauvri, mais toujours l'esprit vif,
Constance, sa femme, dépassée par la situation,
Schikaneder, directeur d'un théâtre de banlieue à Vienne,
le vénérable de la loge maçonnique, un franc-maçon.


- 1 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - Nous sommes à Vienne en 1791. Mozart a trente-cinq ans. Il a écrit mille chefs-d'œuvre mais il vit dans une grande pauvreté et il va bientôt mourir. Il entreprend, à la demande d'un de ses vieux amis, de composer un opéra populaire qui s'appellera La flûte enchantée. Cet opéra reprend les thèmes de la Franc-Maçonnerie, à laquelle appartient Mozart: l'amour, le bonheur, la justice, le combat de la lumière contre les ténèbres, de la vie contre la mort… Voici donc que dans le misérable logis des époux Mozart, rue des Juifs, à Vienne, on frappe à la porte…
MOZART - On frappe…
CONSTANCE - Je vais ouvrir… Entrez, monsieur.
MOZART - Quelle surprise: Schikaneder!
SCHIKANEDER - Lui-même. Mon cher Mozart, que je suis content (ils s'étreignent)!
MOZART - Constance, je te présente monsieur Schikaneder…Nous nous sommes connus autrefois à Salzbourg. Monsieur Schikaneder est un homme de théâtre.
CONSTANCE - C'est bien ce qu'il me semblait.
MOZART - Un grand homme de théâtre! Il dirige maintenant un théâtre populaire dans les faubourgs de Vienne… C'est bien ça?
SCHIKANEDER - Mais oui. Pourquoi n'y êtes-vous jamais venus me voir?
CONSTANCE - Hélas, le pauvre Wolfgang croule sous le travail.
SCHIKANEDER - Vous croulez sous le travail! Et est-ce que vous croulez aussi sous l'argent?
MOZART - Hélas, non. Ni mes Noces de Figaro, ni mon Don Juan n'ont connu de succès durable.
SCHIKANEDER - Oui, je suis au courant…
MOZART - Et maintenant… je bricole. Je travaille beaucoup, mais on me paye très mal.
CONSTANCE - Voyez comme ce petit appartement est misérable et comme il y fait froid. Et je suis enceinte pour la quatrième fois! La vie est difficile…
SCHIKANEDER - Chère madame... (il lui baise les mains) J'ai des problèmes, moi aussi. Mes folies m'ont ruiné. Mais écoutez-moi, Mozart, j'ai une idée qui peut nous tirer d'affaire tous les deux.
MOZART - Vraiment?
SCHIKANEDER - J'ai à ma disposition un grand théâtre avec des tas de machines, des trappes, des poulies, de quoi faire de la pluie, du tonnerre et des éclairs, des apparitions… Tout à fait extraordinaire! Associons-nous. Quittez les scènes officielles, où l'on reconnaît très mal votre génie, et faites pour moi un opéra populaire. Du genre féerique! Mon théâtre et votre musique attireront les foules.
CONSTANCE - Oh, Wolfgang… quelle chance ce serait!
MOZART - Hum… Du genre féerique! Vous avez une idée du sujet…?
SCHIKANEDER - J'ai un sujet! Un sujet et même un livret.
MOZART - Ah vraiment!
CONSTANCE - Vous ne voulez pas venir prendre un peu de café. Il m'en reste.
MOZART - C'est une bonne idée… Un sujet donc et un livret? (ils sortent)

- 2 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - De l'opéra qui va voir le jour, on parle déjà. Deux amis de Mozart, francs-maçons comme lui, s'en entretiennent dans un café de Vienne.
LE VENERABLE - Mozart vous a parlé?
LE MAÇON - Non. Pas spécialement… De quoi?
LE VENERABLE - Il veut faire un opéra.
LE MAÇON - Oui? C'est très bien, il sait faire. Pourquoi m'en aurait-il parlé?
LE VENERABLE - Parce que le sujet de son opéra… Je parie que vous ne devinerez pas!
LE MAÇON - Je ne cherche même pas. Je n'ai pas autant d'imagination que lui.
LE VENERABLE - Le sujet de son opéra, ce sont nos rites et nos croyances.
LE MAÇON - Nos rites et nos croyances! Il veut mettre la Franc-Maçonnerie en chansons?
LE VENERABLE - Oui, c'est à peu près cela.
LE MAÇON - Mais nos cérémonies sont secrètes.
LE VENERABLE - Un secret de polichinelle, vous le savez bien. Et pour ma part, je pense que ce ne serait pas une mauvaise chose que l'on parle un peu de nous. Après tout, c'est le bonheur de l'humanité que nous recherchons, il n'y a rien de honteux ni de secret à cela.
LE MAÇON - Attendez, je ne suis pas sûr de comprendre: un "opéra", pour le jouer "en public" dans un "théâtre"…?
LE VENERABLE - Ils ont eu cette idée tous les deux, Mozart et Schikaneder, nos frères en maçonnerie… Un opéra qui représenterait comment l'homme, malgré les tentatives des puissances du mal, recherche l'amour, le bonheur et la vertu et comment nous, frères maçons, nous pouvons l'y aider.
LE MAÇON - Comme cela, c'est acceptable. Ils ne trahiraient aucun secret. Mais ça va être mortellement ennuyeux.
LE VENERABLE - Non; parce qu'ils veulent en faire un spectacle populaire, avec beaucoup d'humour et de fantaisie… Il y aurait énormément d'aventures, des monstres, des oiseleurs, des fées, un château fort, des anges qui descendraient du ciel, des diables qui surgiraient du fond de la terre, le chœur des bienheureux. Une sorte de fable ou de parabole. Et tout se terminerait par un double mariage…
LE MAÇON - C'est tout de même une étrange idée. Mais la musique de Mozart est si belle!
LE VENERABLE - Je suis sûr qu'elle fera plus pour la Franc-Maçonnerie que toutes nos bonnes œuvres et nos grands discours.

- 3 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - Quelques mois plus tard, Schikaneder, inquiet de n'avoir pas de nouvelles du compositeur, fait irruption dans le logis des Mozart.
SCHIKANEDER - (entrant) Madame Mozart, où est votre mari?
CONSTANCE - Il est parti.
SCHIKANEDER - Parti! Mais… Et La flûte enchantée? Nous sommes au mois d'août et les répétitions doivent commencer au mois d'octobre… Où est-il donc allé?
CONSTANCE - Il est à Prague. On lui a commandé un nouvel opéra…
SCHIKANEDER - J'aurais dû m'en douter. Il est incapable de résister à une commande. Quel opéra?
CONSTANCE - La clémence de Titus, pour le couronnement de Léopold, roi de Bohème, le six septembre.
SCHIKANEDER - Mais c'est de la folie. Un opéra en six semaines!
CONSTANCE - Vous savez, il travaille très vite.
SCHIKANEDER - Et alors, moi, il me laisse tomber?
CONSTANCE - Mais non, il ne vous laisse pas tomber. Il a presque fini votre Flûte… Et encore, si vous saviez tout…
SCHIKANEDER - Quoi donc?
CONSTANCE - Un peu avant son opéra, il a aussi reçu commande d'un Requiem.
SCHIKANEDER - Mon Dieu! De qui cette commande?
CONSTANCE - Il ne sait pas. Un homme en noir qui n'a pas voulu dire qui il était. Il s'était déjà mis au travail, mais l'homme en noir lui a dit ensuite qu'il pouvait prendre son temps.
SCHIKANEDER - Ah, tout de même! Dès qu'il rentrera, faites-le moi savoir, je viendrai le surveiller. C'est un pari colossal que nous avons fait, lui et moi, avec La flûte enchantée. Il faut le gagner.

- 4 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - Le pari est gagné... Mais Mozart ne se sent pas bien. Il reçoit la visite de Schikaneder...
SCHIKANEDER - Mozart, merci. C'est un immense succès. Et cela fait deux mois que cela dure…
MOZART - Vous voyez que vous n'aviez pas de raisons de vous faire du souci.
SCHIKANEDER - J'avais mille raisons… Mais chaque soir le théâtre est plein. Ils aiment beaucoup… Et pour la plupart, ce sont des gens simples, des artisans, des ouvriers. Les choses que vous leur dites les enchantent.
MOZART - Est-ce que cela va me rapporter un peu d'argent?
SCHIKANEDER - Vous aurez votre part, naturellement, mais ça ne va pas aller bien loin car je vous ai déjà fait toutes les avances que je pouvais. Ah, si je n'avais pas tous ces frais… En particulier ces excellents chanteurs que vous avez voulu que j'embauche! (détournant la conversation) Et vous, vous travaillez toujours à votre Requiem?
MOZART - Oui. C'est une autre façon de parler de la vie et de la mort, moins joyeuse. Mais j'ai de la peine à finir… Je suis fatigué. (silence) Schikaneder, tu crois que Dieu est bon?
SCHIKANEDER - Je crois, je crois… Qu'importe ce que je crois, ça n'est pas moi qui vais rendre Dieu meilleur, ni même l'empêcher d'être ce qu'il est!
MOZART - Ô mon ami, j'ai poursuivi le bonheur, comme dans la Flûte, mais je n'ai trouvé que le malheur? Et il me semble que, loin de monter vers la lumière, je descends vers les ténèbres. J'ai mal, Schikaneder… (il se tient le ventre et les reins) Si seulement je pouvais avoir une idée du Paradis. Dis-moi, toi qui me connais, est-ce que je n'ai pas manqué ma vie, est-ce que j'ai fait tout ce que j'avais à faire?
SCHIKANEDER - Vous avez splendidement réussi votre vie, votre musique va combler de joie les générations à venir…
MOZART - Non, ma musique n'est rien. Je n'ai pas assez aimé, le Royaume m'est fermé… Schikaneder, la tête me tourne… Oh, quelle douleur… J'ai mal aux reins. Vite, Schikaneder, vite (il s'effondre).
SCHIKANEDER - Mozart, qu'avez-vous? Je vais faire venir un docteur… En attendant, je vous porte sur votre lit. Ce ne sera rien.
MOZART - Demandez un prêtre, plutôt… J'ai bien peur qu'au contraire ce soit la fin. Je le sens en moi, je le sais. Ce Requiem, c'était le mien et je n'ai même pas eu le temps de l'achever. (long silence) Mon Dieu, mon Dieu, il ne me reste plus qu'à espérer en votre miséricorde.

RAPPEL HISTORIQUE

Mozart a vécu de I756 à 1791, ce qui correspond, pour la France, au règne de Louis XVI et au commencement de la Révolution. Il a donc vécu trente-cinq ans seulement, cependant qu'il laisse derrière lui une des œuvres les plus importantes de l'histoire musicale. Il naît et passe son enfance et son adolescence à Salzbourg en Autriche, ce qui ne l'empêche pas, en tant qu'enfant prodige et sous la conduite de son père Léopold, de beaucoup voyager en Europe. Il séjourne particulièrement en Italie, où on l'accueille magnifiquement. Il est, dans l'intervalle, entré au service de l'évêque Colloredo à Salzbourg.
Mais l'état de valet d'un prince le révulse. En 1780, à vingt-quatre ans, il quitte brusquement son évêque et s'installe à Vienne pour son propre compte. Suivent onze années de vie féconde et difficile, souvent entrecoupée de voyages, jalonnée d'échecs et de succès. Mais les succès sont souvent éphémères. Il travaille beaucoup, écrit un grand nombre de pièces, mais progressivement il sombre dans un semi-oubli. Sa vie devient misérable. Il perd trois des quatre ou cinq (?) enfants que lui a donné sa femme Constance… C'est à ce moment que se situe l'épisode Schikaneder décrit dans la pièce ci-dessus.
Mozart avait assimilé toutes les traditions musicales de son temps et, comme il était d'une rapidité et d'un acharnement extraordinaire, il produisit en sa courte vie un bon millier d'œuvres parfaitement originales et infiniment variées (au total plus de 625 numéros du catalogue Köchel, sachant que le même numéro peut recouvrir plusieurs œuvres).
Les principales œuvres de Mozart sont:
des opéras: les Noces de Figaro, Don Juan, Cosi fan tutte, La Flûte enchantée…
des symphonies: une bonne cinquantaine…
des concertos pour piano: vingt-deux, dont le concerto du couronnement.
des sonates: pour piano, pour piano et violon et bien d'autres.
des trios, quatuors et quintettes de musique de chambre.
de la musique religieuse: des cantates et des messes, et bien entendu le fameux Requiem…
et de nombreuses autres pièces dont le détail ne peut être énuméré ici.

Partie d'Angleterre, la Franc-Maçonnerie se développe, dans une Europe marquée par l'absolutisme politique et religieux, comme une sorte de contre-pouvoir occulte. Les francs-maçons sont des notables dont les "loges" (les diverses sections) se réunissent dans ce qu'on appelle des temples maçonniques. Ils s'y soumettent à un cérémonial précis dont le caractère confidentiel contribue à souder les membres. Ils sont déistes et, en dehors de toute Eglise, prétendent œuvrer pour le bien et la justice. Ils forment aussi un réseau secret d'hommes influents qui ne manquent pas de s'aider les uns les autres dans leurs entreprises respectives et pèsent sur les décisions politiques. Il n'est pas étonnant que Mozart, qui ne nourrissait pas de sympathie particulière pour les Eglises et qui cherchait désespérément à saisir des mains secourables, se soit affilié à la Franc-Maçonnerie. Et c'est en effet sous ses auspices que Schikaneder vint le trouver pour lui proposer le livret de La flûte enchantée.