Pour lui donner une date et le protéger littérairement,
ce texte a été déposé en février 2004 à
la SACD
(Société des auteurs et compositeurs dramatiques).
Mais vous pouvez le copier et l'utiliser librement.
Seules les représentations publiques sont à déclarer.
GALILEE DEVANT L'INQUISITION
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES:
Deux citoyens de la ville de Rome, Deux cardinaux,
Le Pape, Son secrétaire,
Le grand inquisiteur, Galilée.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Au dix-septième siècle, on croyait encore
majoritairement que la terre était plate et située au centre du
monde. Passant outre aux interdictions de l'Église, Galilée se
permit d'affirmer que la terre au contraire était ronde et tournait sur
elle-même et autour du soleil. Parce qu'il remettait en cause les certitudes
des théologiens, Galilée, jugé par le tribunal de l'Inquisition,
fut condamné. Lorsque la pièce commence, deux citoyens de Rome
discutent dans la rue des théories de Galilée.
- 1 -
PREMIER CITOYEN - Savez-vous ce qu'il dit?
SECOND CITOYEN - Non… Qui?
PREMIER CITOYEN – Galilée! Que nous ne sommes que des taupes et
que nous n'y voyons pas plus loin que le bout de notre nez.
SECOND CITOYEN - Taupe lui-même! Moi je vois très bien: je vous
vois, je vois le paysage, je vois même la lune dans le ciel.
PREMIER CITOYEN - Justement. Il s'est fabriqué une lunette astronomique
et il dit qu'il voit la lune mille fois mieux que nous.
SECOND CITOYEN - Mille fois mieux! Il raconte n'importe quoi.
PREMIER CITOYEN – Et comme preuve, il dit que sur la lune on aperçoit
des montagnes.
SECOND CITOYEN - Allons donc, des montagnes! La lune est toute ronde et toute
plate.
PREMIER CITOYEN - Il voit aussi la planète Mars et il dit qu'il y a autour
de Mars des astres qui tournent comme la lune tourne autour de la terre.
SECOND CITOYEN - Des lunes? Il est vraiment cinglé… Il les a vues
clairement?
PREMIER CITOYEN - Non, pas très clairement, bien qu'il ait déjà
tenté de les montrer à plusieurs grands savants. Mais tout de
même…
SECOND CITOYEN - Et qu'ont-ils dit, ces savants? Je voudrais bien savoir.
PREMIER CITOYEN – Ils ont dit…Vous savez que chaque planète,
selon ce qu'on enseigne généralement, ne peut se mouvoir dans
le ciel que grâce à des anges qui la poussent.
SECOND CITOYEN - Oui, naturellement, tout le monde sait cela.
PREMIER CITOYEN - Eh bien, ce qu'a vu Galilée, s'il a vu quelque chose,
ce n'est, disent ces savants, que le battement des ailes immenses de ces anges.
SECOND CITOYEN - C'est en effet la seule explication possible. (ils sortent,
puis rentrent)
PREMIER CITOYEN - Et comme il a cru voir quatre lunes, c'est probablement qu'il
y a un attelage de quatre anges.
SECOND CITOYEN - Conduits naturellement par un archange… Et fouette, cocher…
(ils sortent définitivement.)
- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Et ailleurs, dans un église de la ville
de Rome, ce sont deux cardinaux qui se font part de leur indignation.
PREMIER CARDINAL - Il nous a fallu naguère, Monseigneur, reconnaître
bien malgré nous que la terre était ronde comme une boule.
SECOND CARDINAL – Oui, mais sans ce maudit Magellan, Monseigneur, nous
aurions pu tenir encore quelques années sans reconnaître quoi que
ce soit. Quel dommage!
PREMIER CARDINAL - Ne chipotez pas: nous ne sommes pas des ignorants, nous ne
sommes pas des attardés…
SECOND CARDINAL - Vous m'effrayez!
PREMIER CARDINAL - La terre est ronde. Admettons-le? Mais maintenant, c'est
un comble, on voudrait nous faire croire qu'elle tourne!
SECOND CARDINAL - Qu'elle tourne! Jusqu'où ira-t-on?
PREMIER CARDINAL - Je vous le demande, Monseigneur. Cette fois-ci, nous allons
nous cramponner à la doctrine, qui relève d'ailleurs du simple
bon sens.
SECOND CARDINAL – Oui et cette bataille-là, nous la gagnerons…
Vous avez des preuves?
PREMIER CARDINAL – Je vais vous les donner. Vous voyez ce ballon que je
tiens dans mes mains. Si la terre tourne elle va, moi qui ai les pieds sur terre,
m'entraîner en même temps que mon ballon dans son mouvement…
D'accord?
SECOND CARDINAL - Je ne vois pas bien, Monseigneur…
PREMIER CARDINAL - C'est à dire qu'elle va, comme vous d'ailleurs, qui
avez aussi les pieds sur terre, nous transporter d'un point A à un point
B, comme disent les mathématiciens. Et mon ballon avec vous et moi. (ils
font ensemble quatre pas de côté pour mimer le fait qu'il seraient
entraînés par la terre).
SECOND CARDINAL - Sans doute. (ils reviennent)
PREMIER CARDINAL - Cependant que, l'ayant élevé au dessus de ma
tête, si je lâche mon ballon, il ne sera plus relié à
la terre et par conséquent ne sera plus entraîné par elle,
tandis que nous, nous nous en irons comme tout à l'heure.
SECOND CARDINAL - C'est une démonstration par l'absurde?
PREMIER CARDINAL - Exactement. Je vais donc lâcher mon ballon: s'il atterrit
sur vos pieds, la terre tourne; s'il atterrit sur les miens, il est évident
que la terre ne tourne pas. Attention, je lâche… (le ballon tombe
sur ses pieds) Vous voyez! Si la terre tournait, il aurait dû faire comme
ceci (il lance le ballon de côté sur les pieds de son interlocuteur).
Mais du moment qu'il a fait comme cela (il le fait retomber à ses pieds),
c'est que la terre ne tourne pas.
SECOND CARDINAL – C'est magnifiquement clair. La cause est entendue. (ils
sortent)
3 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Cependant que le pape, au Vatican, prend connaissance
de la gravité de la situation...
LE PAPE - Bon: résumez-moi les positions de cet affreux Galilée.
LE SECRETAIRE - C'est simple: premièrement, la terre tourne autour du
soleil, deuxièmement: la terre tourne sur elle-même.
LE PAPE - En somme, tout tourne. Cela ne tient pas debout!
LE SECRETAIRE - Votre Sainteté, comme si vous et moi… quand elle
aurait fait son demi-tour quotidien, la terre, nous aurions la tête en
bas, comme des mouches sur un plafond!
LE PAPE - Quel vertige! Écoutez: je n'ai rien contre les poètes
lorsqu'ils nous décrivent les amours païennes de Vénus et
de Jupiter, ni contre les savants lorsqu'ils font leurs charmantes hypothèses
sur le fonctionnement des astres. Mais maintenant, puisqu'ils veulent être
pris au sérieux, cela suffit, il faut mettre le holà. Que dit
la saine doctrine de l'Église?
LE SECRETAIRE - Votre Sainteté, que Rome est immobile au centre de la
terre, laquelle est immobile au centre du monde… Et naturellement que
le soleil tourne autour de la terre... Nous concédons qu'il faut bien
qu'il y en ait un qui tourne!
LE PAPE - Tenons-nous en là. Nous devons mettre un frein à l'imagination
des astronomes. L'autorité de l'Église est en jeu. Convoquez Galilée
devant le tribunal de l'Inquisition et que la foi l'emporte pour toujours sur
la science. Empaquetez-moi ça vivement…
LE SECRETAIRE – Ce sera fait le plus tôt possible.
LE PAPE - J'avais pourtant de l'estime pour cet homme, mais à trop vouloir
fantasmer… (il sort)
- 4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Et quelques année plus tard, l'affaire
se termine effectivement devant le tribunal de l'Inquisition.
LE GRAND INQUISITEUR - Galilée, votre procès a duré huit
mois… et nous savons maintenant que vous êtes coupable. Mettez-vous
à genoux.
GALILEE - Ca me pose des problèmes! Mes jointures craquent! (il se met
à genoux) Aie…
LE GRAND INQUISITEUR - Vous aussi, vous allez craquer… Reconnaissez-vous
avoir soutenu, pas seulement pour rire mais pour de vrai, que la terre tourne
sur elle-même et accomplit également une révolution annuelle
autour du soleil.
GALILEE - Euh… Monseigneur le Grand Inquisiteur, ce n'est pas exactement
ce que j'avais voulu dire…
LE GRAND INQUISITEUR - Mais vous l'avez dit quand même.
GALILEE - Je l'ai dit quand même…? Oui, peut-être… Emporté
par la passion!
LE GRAND INQUISITEUR - Cependant que vous aviez reçu autrefois l'interdiction
expresse d'aborder ces sujets.
GALILEE - Pas formellement… pas formellement!
LE GRAND INQUISITEUR - Tss, tss… Allons, allons, avouez.
GALILEE - Si, formellement, je le reconnais. On ne se maîtrise pas toujours…
LE GRAND INQUISITEUR - Bien. Vous êtes donc condamné.
GALILEE - Pitié pour un vieil homme qui n'en peut plus…
LE GRAND INQUISITEUR - Condamné premièrement à reconnaître
publiquement vos erreurs…
GALILEE - Oh, pas ça! Moi, le grand Galilée, mes erreurs…
Je ne peux pas!
LE GRAND INQUISITEUR - Eh oui, vous le grand Galilée, vos erreurs. Vous
ferez un effort. Deuxièmement… Non, nous ne vous brûlerons
pas, mais il faut bien que vous soyez puni: vous finirez le reste de votre vie
en prison.
GALILEE - En prison pour le reste de ma vie…
LE GRAND INQUISITEUR - Justement, avec votre grand âge, vous n'y durerez
pas trop longtemps.
GALILEE - Vous êtes impitoyable. (long silence. Il se relève et
s'apprête à sortir, puis se reprenant) Monseigneur, avec tout le
respect que… Et pourtant si, je vous assure, elle tourne.
LE GRAND INQUISITEUR - Allons, je ne veux plus rien entendre, on vous condamnerait
à nouveau. Qu'on l'emmène. Je n'ai rien entendu.
RAPPEL HISTORIQUE
Galilée fut condamné par l'Inquisition pour ses opinions sur
les mouvements de la terre. Elle tournait sur elle-même et autour du soleil,
disait-il: ce qui fut par la suite universellement reconnu… Le procès
eut lieu à Rome en 1633, sous le règne du pape Urbain VIII, quelques
années après la mort de Shakespeare en Angleterre, du vivant de
Descartes et de Corneille, quelques années avant le début du règne
de Louis XIV en France… On vivait pourtant dans une Europe "raisonnable"…
Au XVIIème siècle, en attendant Newton, qui devait établir
pour longtemps les lois de fonctionnement de l'univers, deux systèmes
d'explication du monde se trouvaient en présence: celui de Ptolémée
qui mettait la terre au centre de tout (géocentrisme), et celui de Copernic
qui prenait pour hypothèse que c'était au contraire le soleil
qui occupait une position centrale (héliocentrisme) et que la terre tournait
autour de ce soleil. La théorie de Ptolémée datait de l'antiquité,
celle de Copernic, chanoine polonais, était beaucoup plus récente
(1543).
La théorie de Ptolémée avait été spontanément
adoptée par l'Eglise. D'une part elle n'était pas en opposition
avec les quelques passages de la Bible qui font allusion à la cosmologie
et surtout elle correspondait à la pensée de tous les Pères
de L'Église, qui considéraient le monde où Dieu avait voulu
s'incarner comme le centre immuable de l'univers. Cependant, dans les milieux
avancés, en particulier grâce aux astronomes de la Compagnie de
Jésus, qui s'en allaient l'enseigner jusqu'en Chine, le système
de Copernic progressait. Sans oublier que dans l'intervalle Kepler avait découvert
les lois mathématiques qui président à la circulation des
planètes… Mais bien peu en avaient pris clairement conscience.
Galilée avait 70 ans lorsqu'il fut condamné. Il avait acquis jusque-là
une renommée universelle par ses travaux sur le mouvement des corps,
la mécanique et l'optique. Il était de fait le fondateur, avec
l'anglais Bacon, de la fameuse "méthode expérimentale"
(quand la cause varie, l'effet varie), grâce à laquelle fut construit
le monument de la science moderne. Naturellement, Galilée s'était
intéressé à l'astronomie, qui n'est autre que la mécanique
des corps célestes, et il était un fervent partisan de la théorie
de Copernic. Les observations toutes nouvelles qu'il avait faites dans le ciel
grâce à sa fameuse "lunette astronomique" n'avaient pu
que le conforter dans son opinion… En particulier la découverte
de l'existence de quatre satellites qui tournaient autour de Mars de la même
façon que la lune tournait autour de la terre.
Pendant de longues années l'Église avait toléré
que toutes les explications du monde soient données, pourvu qu'elles
soient présentées comme des "HYPOTHESES". Mais le tort
de Galilée, fort de son immense renommée, fut de présenter
le système de Copernic non comme une possibilité, mais comme la
réalité même du monde, mettant ainsi l'Église au
défi d'abandonner Ptolémée et de réviser sa théologie.
Déjà en 1616, on lui avait interdit amicalement de présenter
ou de soutenir ses idées. Mais vingt-sept ans après, ayant peut-être
escompté que l'interdiction était oubliée, il écrivit
un "Dialogue sur les deux grands systèmes" où il renouvelait
officiellement son soutien à Copernic.
Le pape s'étrangla et décida que cette fois c'en était
assez et que ce qui était du domaine de la foi ne devait pas être
touché par les savants. Il fit convoquer Galilée devant l'Inquisition
et après un procès de huit mois, en 1633, le savant fut condamné
pour avoir désobéi et, naturellement, pour ses opinions sur le
mouvement de la terre et du soleil… Qui furent depuis et très rapidement
universellement reconnues. Ce procès marqua, entre l'Église et
le monde de la science, une très grave rupture. Il pesa très lourd
pendant les siècles qui suivirent. L'Église ne reconnut son erreur
que dans les dernières années de vingtième siècle!
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