Déposé à la SACD
MACARTHUR
ET LA RECONQUETE DU PACIFIQUE
*
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Le général MacArthur, l'historien de service
le général américain Eichelberger, chef d'état-major
de MacArthur;
l'empereur du Japon, le premier ministre du Japon.
- 1 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - La Seconde Guerre mondiale. Pendant que le principal
de l'effort des alliés se porte en l'Europe contre Hitler, une seconde
bataille prend place dans le Pacifique contre les Japonais, qui sont entrés
en guerre avec les États-Unis à Pearl Harbor. Cette opération
reposa essentiellement sur les épaules du général MacArthur,
qui dans un premier temps dut reculer jusqu'en Australie et qui ensuite reprit
le terrain perdu sur les 6 000 km qui séparent l'Australie du Japon.
A la fin, MacArthur se chargera de donner au Japon vaincu des institutions démocratiques...
Vous allez le voir à présent dans son quartier général
en Nouvelle Calédonie, au fond du Pacifique.
MACARTHUR - Je vous ai fait venir spécialement. Vous, spécialement,
général Eichelberger.
EICHELBERGER - De quoi s'agit-il, mon général?
MACARTHUR - Vous ne devinez pas? …Les Japonais nous ont chassés
des Philippines et nous ont balayés à travers le Pacifique jusqu'à
l'Australie. Six mille kilomètres de retraite! Très bien: mais
maintenant, c'est fini, nous nous retournons et nous combattons… Nous
les reconduirons chez eux. Et vous allez tout de suite me reprendre la Nouvelle
Guinée. En commençant pas Buna.
EICHELBERGER - Mais, mon général…
MACARTHUR - Vous avez des objections?
EICHELBERGER - Moi, je n'ai pas d'objections: c'est la Nouvelle Guinée
qui en a...
MACARTHUR - Ah oui! Lesquelles? Dites-moi tout.
EICHELBERGER - La Nouvelle Guinée est une île de 2 500 kilomètres
de long avec une barrière montagneuse de 4 000 mètres d'altitude,
couverte d'une terrible jungle tropicale, pleine d'animaux sauvages, de plantes
vénéneuses, d'insectes dangereux… Il n'y a pas de pistes,
il y pleut un jour sur deux, on y attrape des fièvres, la moindre plaie
s'infecte… Telles sont les objections!
MACARTHUR - C'est ça qui vous arrête, Eichelberger? Indiquez-moi
un autre moyen d'atteindre les Japonais qui se sont fortifiés de l'autre
côté de l'île… Il n'y en a pas.
EICHELBERGER - Devrais-je conduire une opération désespérée?
Je veux dire…
MACARTHUR - Ce que vous vouliez dire, ne le dites pas! Si vous ne conduisez
pas cette opération, qui la conduira? J'ai besoin de quelqu'un qui repousse
les limites de l'impossible.
EICHELBERGER - (hésitant) Eh bien, je pense que si vous m'avez fait venir,
c'est pour que j'accepte.
MACARTHUR - Exactement… (un silence)
EICHELBERGER - Donc, j'accepte. Nous repousserons les limites de l'impossible…
comme vous le dites si bien.
MACARTHUR - Parfait! Quand vous aurez pris Buna, vous verrez, vous serez décoré
et les journaux parleront de vous.
EICHELBERGER - Croyez, mon général, que je suis terriblement impatient
de voir ça!
MACARTHUR - Bob, prenez Buna ou ne revenez pas vivant. (Eichelberger sort) Je
veux le voir mort s'il ne prend pas Buna.
- 2 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - Les Américains ont entamé leur spectaculaire
remontée. Dans le palais de l'empereur du Japon, on commence à
s'inquiéter...
L'EMPEREUR - Monsieur le premier ministre, nous avons des millions d'hommes
engagés dans la bataille du Pacifique et nous reculons devant les troupes
américaines, qui sont ridiculement moins nombreuses. Puis- je vous faire
part de mon étonnement?
LE PREMIER MINISTRE - Votre Majesté, il y a, très respectueusement,
beaucoup de raisons à cela. Mais la principale est que ce général
MacArthur est diabolique. Il refuse d'attaquer.
L'EMPEREUR - Que voulez-vous dire? Il n'attaque pas et il nous bat! Comment
fait-il?
LE PREMIER MINISTRE - Il nous tourne. Je vous donne un exemple. Nous nous étions
fortifiés dans la citadelle de Rabaul… Dans un combat à
la loyale il ne serait jamais venu à bout de nos casemates, de nos tranchées,
de nos fortins, truffés de canons, de mitrailleuses… ou alors il
aurait passé trois ans à nous réduire! Nous l'attendions
et il n'est pas venu.
L'EMPEREUR - Et que s'est-il passé?
LE PREMIER MINISTRE - Il a simplement opéré quelques débarquements
sournois sur nos arrières et construit dans la jungle des pistes d'atterrissage.
Et avec ses avions il a coupé nos lignes de communication: nous ne pouvions
plus recevoir de renforts ou d'approvisionnements, ni même évacuer
la place… Toutes nos fortifications ne servaient plus à rien…
Nos hommes sont devenus fous de famine, de maladie… Et d'exaspération:
ils voulaient se battre? A la fin, ils se sont réfugiés dans la
jungle où ils ont péri misérablement.
L'EMPEREUR - Je vois… C'est la technique de l'encerclement. On ne s'attaque
pas à la forteresse mais on l'isole. Et ensuite, elle tombe comme un
fruit mûr.
LE PREMIER MINISTRE - C'est bien cela. On dirait que ce damné Américain
a pompé tout le savoir des vieux maîtres orientaux de la stratégie.
L'EMPEREUR - Ne me faites pas croire qu'il en connaît plus que nos généraux…
Maintenant, qu'ils l'arrêtent! Qu'ils trouvent en eux-mêmes les
ressources nécessaires pour l'arrêter. Cela aussi fait partie de
notre tradition. Allez!
- 3 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - Maintenant, nous sommes sur un croiseur américain.
MacArthur continue sa progression vers le japon...
MACARTHUR - Et maintenant les Philippines… Les Philippines sont un long
chapelet d'îles beaucoup plus vastes que la Grande-Bretagne et l'Irlande
réunies. Capitale: Manille! Avant d'accéder au Japon, il nous
faut prendre les Philippines. Mais il y a 400 000 Japonais qui l'occupent!
LE CHEF D'ETAT-MAJOR - Comment allons-nous faire?
MACARTHUR - Si l'ennemi avance, reculer, s'il se dérobe, attaquer…
C'est Sun-Tsu qui dit ça. Et en tout cas ne jamais l'attaquer là
où il est fort, mais là où il est faible.
LE CHEF D'ETAT-MAJOR - C'est la théorie du ventre mou?
MACARTHUR - Exactement! C'est grâce à cela que nous épargnons
les vies de nos soldats… Mais cette fois, les Japonais sont sur leurs
gardes et lorsque nous avons débarqués à Leyte, dans le
ventre mou des Philippines, ils se sont hâtés de rassembler toute
leur flotte pour nous anéantir… (l'action commence) Qu'est-ce que
vous voyez, avec vos jumelles?
LE CHEF D'ETAT-MAJOR - (regardant au loin) Je vois se dérouler sous mes
yeux la plus gigantesque bataille navale de l'Histoire… La flotte américaine
et la flotte japonaise rassemblent plus de 350 vaisseaux. Ils dansent autour
des îles un ballet de mort…
MACARTHUR - Et alors, qui gagne… qui gagne… qui a gagné?
LE CHEF D'ETAT-MAJOR - Attendez, attendez… Le combat est indécis!
(un temps) Finalement nous avons pris un léger avantage et, officiellement,
les Japonais sont vaincus. Mais comme ils savent bien que le sort des Philippines
dépend de cette bataille, ils continuent à nous harceler. Ils
sont désespérés et ils nous font beaucoup de mal avec leurs
avions kamikazes…
MACARTHUR - Il faut tenir, tenir à tout prix…
LE CHEF D'ETAT-MAJOR - Nous tenons, nous tenons, nous tenons… Mais avec
quelles difficultés! De plus, il nous tombe du ciel des trombes d'eau!
MACARTHUR – (un temps) Bien! Maintenant que les pluies ont cessé,
faites débarquer la 77ème division sur les arrières de
l'ennemi. Ce sera décisif.
LE CHEF D'ETAT-MAJOR - Oui, vous aviez raison, ça y est, c'est fait!
Regardez, ils sont pris au piège. C'est la fin. Nous avons coupé
en deux les forces japonaises des Philippines. Les pertes ennemies s'élèvent
à 80 500, les américaines à 3 300!
MACARTHUR - Vous voyez, la théorie du ventre mou, ça paye…
Mais le travail n'est pas fini et notre prochain objectif, c'est Manille, la
capitale. Allons-y! Et après Manille, ce sera le Japon.
- 4 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - Les Japonais se sont rendus... Bombes atomiques ou
pas, on n’en sait rien… De toute façon, à Tokyo, l'empereur
du Japon, immense hommage, est venu rendre visite à MacArthur...
L'EMPEREUR - Général MacArthur, vous êtes notre vainqueur
et, nous autres orientaux, nous respectons les vainqueurs. C'est la raison pour
laquelle j'ai, moi, Hiro Hito, empereur du Japon, sollicité d'être
reçu par vous.
MACARTHUR - Votre Majesté… C'est un grand honneur. Puis-je vous
offrir une cigarette… américaine, pardonnez-moi?
L'EMPEREUR - Je vous remercie… Je suis venu pour me reconnaître
comme seul responsable de toutes les atrocités perpétrées
par mon peuple pendant toute la conduite de la guerre.
MACARTHUR - Cette déclaration est la preuve que vous êtes un véritable
chef et que vous ne vous dérobez pas à vos responsabilités.
Nous jugerons les criminels de guerre, mais nous avons décidé
de ne nous livrer à aucune opération de représailles contre
le Japon. Les bombes de Nagasaki et Hiroshima vous ont assez éprouvés.
L'EMPEREUR - Cette attitude est généreuse. Nous vous en remercions.
MACARTHUR - Nous souhaitons seulement voir naître un Japon nouveau qui
renonce à sa tradition belliqueuse et s'ouvre aux pratiques de la démocratie.
L'EMPEREUR - Général MacArthur, l'Occident nous a démontré
sa supériorité. Nous sommes très désireux de recevoir
de lui les enseignements qui nous permettront d'améliorer notre condition.
MACARTHUR - Je suis heureux des dispositions d'esprit dans lesquelles je vous
vois. Nous sommes décidés à vous aider de toutes nos forces.
Mais puis-je en particulier vous suggérer de promulguer une nouvelle
constitution?
L'EMPEREUR - C'est bien notre intention et nous comptons justement vous demander
votre aide. En attendant, pour vous prouver notre volonté de changement,
sachez que je ne veux plus que l'empereur soit considéré à
l'avenir comme le Dieu vivant. Je désire au contraire que le peuple japonais
sache qu'il n'a pas d'autre maître que lui-même. Je vous remercie
de m'avoir reçu.
MACARTHUR - Majesté, permettez-moi de vous reconduire.
RAPPEL HISTORIQUE
A la bataille de Pearl Harbor (la baie des perles!) à Hawaï, le
8 décembre 1941, les avions de la flotte japonaise attaquèrent
par surprise et détruisirent une partie de l'escadre américaine
ancrée dans la baie. Cette attaque marqua le commencement de la bataille
du Pacifique contre l'alliance germano-nippone. L'Amérique rejoignait
ainsi ses alliés européens en guerre contre Hitler depuis 1939.
Le général MacArthur était à ce moment commandant
en chef des forces américaines en Extrême-Orient et résidait
aux Philippines, pays qui s'était placé sous protection américaine.
Il n'était plus tout jeune, puisque, ayant pris sa retraite en 1935 (après
avoir été chef d'état-major des forces américaines),
il avait été rappelé en 1941, à 61 ans, pour exercer
ses nouvelles fonctions.
Dès avant Pearl Harbor, les Japonais avaient entrepris la conquête
du Sud-Est asiatique: Corée, Mandchourie, Chine, Formose. Aussitôt
après Pearl Harbor, ils continuèrent: Philippines, Thaïlande,
Birmanie, Bornéo, Sumatra, Nouvelle Guinée… Ils pouvaient
ainsi disposer de très importantes quantités des matières
premières qui leur manquaient sur leur île. Ils avaient jeté
dans la bataille environ douze millions de soldats et une flotte puissante et
moderne. Ils furent d'autant plus efficaces que les Alliés avaient décidé
de se battre prioritairement en Europe et ne pouvaient leur opposer dans le
Pacifique que des forces très réduites.
MacArthur et ses quelques soldats commencèrent par résister longtemps
aux Philippines, en particulier dans la forteresse de Corregidor… Mais
à la fin, MacArthur reçut l'ordre de se replier personnellement
sur l'Australie, d'où il se chargerait d'organiser la reconquête
des territoires occupés par les Japonais. Il s'évada de nuit sur
une vedette rapide, laissant derrière lui des troupes qui furent en grande
partie massacrées par les Japonais.
MacArthur avait dit aux Philippins écrasés sous la domination
japonaise: "Je reviendrai!". Comme il avait participé en France
à la Première Guerre mondiale et y avait vécu l'horreur
des tranchées, il ne tenta pas d'attaquer les Japonais dans de grandes
batailles frontales. Très soucieux au contraire d'épargner la
vie de ses hommes, il appliqua une stratégie toute en souplesse, tournant
les forces japonaises et les attaquant à l'improviste, avec l'aide de
la marine et de l'aviation, là où elles étaient faibles.
Ce qui n'empêcha pas qu'il y eut cependant de terribles batailles! Mais
ainsi, de sauts de puce en sauts de puce, il remonta tout le Pacifique jusqu'aux
Philippines et au Japon… Cette reconquête victorieuse en fait un
des plus grands généraux de l'Histoire.
Il était prêt à attaquer le Japon lorsque, sans qu'il en
ait été informé, furent lancées les deux bombes
atomiques de Hiroshima et Nagasaki, qui provoquèrent la reddition de
l'ennemi. Il reçut alors tous les pouvoirs et pendant les quelques années
qui suivirent aida le Japon à se redresser et à se doter d'une
constitution et de lois démocratiques. Il fut ainsi aussi grand dans
la paix que dans la guerre.