Déposé à la SACD
LA BATAILLE DE DIEN BIEN PHU.
***
de Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Le général en chef Navarre, son adjoint le général
Cogny,
le colonel, puis général de Castries,
le général viet Giap, le président de la république
populaire
du Vietminh Ho Chi Minh, deux officiers viets, l'historien de service.
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L'HISTORIEN DE SERVICE - La bataille de Dien Bien Phu est un événement
important dans l'histoire de la "Décolonisation" qui a suivi
la seconde guerre mondiale. Bien qu'elle n'ait concerné qu'un nombre
limité de combattants, elle a tout de suite pris un caractère
symbolique: un peuple colonisé, les Indochinois, venait de se libérer
par lui-même. D'autres allaient l'imiter. Cette bataille mythique illustre
aussi la défaite des armées organisées en face de la mobilisation
de soldats aux pieds nus luttant pour leur indépendance. Sous-tendant
le tout, la lutte pour et contre le communisme… Mais nous sommes maintenant
dans les bureaux du général Navarre à Saigon...
GENERAL COGNY - Mon général, j'ai à dire qu'ils sont insaisissables…
Ils vous attaquent, on se précipite… ils prennent le temps de vous
tirer quelques hommes… mais déjà ils ne sont plus là!
Les Viets! Une innombrable armée d'ombres… Ils se cachent dans
les rizières, ils se cachent dans la jungle, ils se cachent dans les
montagnes… On a beau courir… Ils nous coulent entre les doigts.
C'est comme s'il fallait puiser de l'eau avec une passoire.
GENERAL NAVARRE - Je pense, général Cogny, que nous, Français,
nous sommes faits pour les grosses batailles! Savez-vous ce que nous ferons?
Moi, général en chef Navarre, je le décide… Nous
leur planterons dans la jungle, en plein milieu de leur pays, une vraie forteresse
hérissée de tous les côtés de canons et de mitrailleuses.
Ils ne pourront pas résister à la tentation, ils viendront nous
attaquer et nous les embrocherons sur nos piquants. Cela s'appelle la tactique
du hérisson.
GENERAL COGNY - Et s'ils ne viennent pas?
GENERAL NAVARRE - S'ils ne viennent pas, nous irons les chercher. Dans tous
les cas nous sommes gagnants.
GENERAL COGNY - Et où donc avez-vous choisi d'implanter ce hérisson?
GENERAL NAVARRE - A Dien Bien Phu.
GENERAL COGNY - A trois cent kilomètres de Hanoi… Mais, général,
mais…
GENERAL NAVARRE - Et c'est vous qui superviserez cette opération.
GENERAL COGNY - Ah… Bien, mon général. (ils sortent)
- 2 -
L'HISTORIEN DE SERVICE -Les événements dont nous parlons ont eu
lieu dans les années 1953-1954. Nous sommes ici en Indochine, une vieille
colonie française, longtemps pacifique et somnolente… Mais depuis
la fin de la seconde guerre mondiale, les nationalismes se sont réveillés
et les rebelles du Viet Minh se manifestent. Ils sont soutenus matériellement
et idéologiquement par la Chine communiste et combattent pour prendre
possession du pays ou, selon les points de vue, pour le libérer. La guerre
dure déjà depuis huit ans… La scène se transporte
maintenant dans une tranchée Viet Minh, à Dien Bien Phu...
UN CAPITAINE VIET - Tu es nouveau, toi, ici?
UN LIEUTENANT VIET - Oui, camarade capitaine, je viens d'arriver du camp d'entraînement
des officiers.
UN CAPITAINE VIET - Bienvenue, camarade lieutenant, bienvenue à Dien
Bien Phu… Notre mission est de surveiller les Français. Nous avons
fait une tranchée couverte et à ras de terre nous avons une meurtrière…
Tu vois?
UN LIEUTENANT VIET - Je vois! Passe-moi les jumelles, que je voie mieux…
Quel chantier!
UN CAPITAINE VIET - C'est "le hérisson", comme ils disent!
Je vais t'expliquer… Ils ont commencé un beau jour par parachuter
dans cette cuvette une équipe de terrassiers avec tout leur matériel.
UN LIEUTENANT VIET - Des terrassiers?
UN CAPITAINE VIET - Oui, pour préparer les opérations. Avec leurs
haches et leurs scies, les terrassiers ont abattu les arbres, avec leurs pelles,
leurs pioches, ils ont aplani le terrain.
UN LIEUTENANT VIET - Pourquoi faire?
UN CAPITAINE VIET - Pourquoi faire… Ce qu'il faut bien comprendre, c'est
qu'un hérisson, ça ne peut pas vivre de l'air du temps. Et comme
par définition il n'y a pas de route pour arriver dans ce coin de jungle,
la première opération consiste à construire une piste d'atterrissage.
Tu la vois, la piste?
UN LIEUTENANT VIET - Oui, ça y est, ça y est… J'en vois
un bout!
UN CAPITAINE VIET - Il faut dire qu'ici, à Dien Bien Phu, il y en avait
déjà une petite. Ils n'ont fait que l'agrandir. Et ensuite, c'est
facile. Les avions sont arrivés et ont débarqué de la troupe…
des troupes d'élite, capables de faire n'importe quoi. Ils ont pris possession
de la place et construit une véritable forteresse. Avec des tranchées,
des points d'appui, des postes de commandement, des salles de réunion,
des dortoirs, une infirmerie, des cuisines…
UN LIEUTENANT VIET - Et tout le matériel est réellement arrivé
par avion?
UN CAPITAINE VIET - Naturellement. Je te rappelle qu'il n'y a pas de route.
En temps habituel on compte quatre-vingt rotations par jour. Et aussi les vivres,
l'eau, les petites fournitures, le fil à coudre, le dentifrice, les timbres-poste,
des cercueils… hé oui, il faut penser à tout! des rouleaux
de barbelé… Tu n'imagines pas tout ce qu'il faut pour faire marcher
un pareil camp retranché. Et naturellement les armes: les canons, les
tanks, les mitrailleuses, les fusils, les grenades, les munitions. Un bulldozer
même. Et aussi encore de la troupe, encore de la troupe, toujours de la
troupe... Les avions ne cessent de vrombir dans le ciel.
UN LIEUTENANT VIET - Et nous avons laissé faire…?
UN CAPITAINE VIET - On a été pris par surprise et on n'a pas eu
le temps de réagir. Ou plutôt, je crois que notre général
a ses idées et qu'il les a bien laissé arriver. Exprès!
UN LIEUTENANT VIET - Le général Giap est d'une grande intelligence.
UN CAPITAINE VIET - Tu l'as dit! On s'est contenté de creuser tout autour
des tranchées comme celle-ci. Et on observe… Ils sont complètement
cernés. Et de temps en temps quand ils s'aventurent hors de leur camp
on les flingue… Attends que je jette un coup d'œil… (il reprend
les jumelles et regarde) Tout va bien, il y a un avion qui vient d'arriver,
la ruche ronronne, pas de sortie en vue. Tiens, à toi ! Regarde "Calot
rouge" qui se promène. (il rend les jumelles)
UN LIEUTENANT VIET - Je vois. Qui est Calot rouge?
UN CAPITAINE VIET - C'est le grand chef. Le colonel de Castries.
UN LIEUTENANT VIET - Ah… C'est un communiste, avec ce calot rouge?
UN CAPITAINE VIET - Mais non, idiot! C'est un grand aristocrate qui veut faire
voir qu'il l'est.
UN LIEUTENANT VIET - Mais je vois aussi qu'ils y a des blessés qui sont
alignés le long de la piste.
UN CAPITAINE VIET - Oui… Ils vont les évacuer. Combien y en a-t-il?
UN LIEUTENANT VIET - Pour moi, j'en vois cinq. Et Calot rouge est là
en personne. Maintenant ils déchargent l'avion qui vient d'arriver…
Des rouleaux de fil de fer barbelé, des caisses de munitions…
UN CAPITAINE VIET - Ils ne nous oublient pas. Mais attends (reprenant les jumelles)
…Je n'avais pas vu. Il y a aussi des visiteurs… des officiers, plusieurs!
Et aussi un civil… Ils lui montrent beaucoup de respect.
UN LIEUTENANT VIET - S'ils savaient que nous sommes ici à les observer…
UN CAPITAINE VIET - Calot rouge emmène ses visiteurs dans sa petite jeep
et pendant ce temps ils chargent les blessés… En vitesse, car ils
ont toujours peur de se faire allumer.
UN LIEUTENANT VIET - (reprenant les jumelles) Et regarde, Calot rouge montre
ses installations aux visiteurs… J'ai l'impression qu'ils vont faire le
tour des sept points d'appui.
UN CAPITAINE VIET - Tout va bien, pour le moment nous pouvons nous retirer.
- 3 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - Pendant ce temps, dans le poste de commandement du
général Giap, la stratégie du Viet Minh s'organise. Le
général discute avec le président Ho Chi Minh...
HO CHI MINH - Général Giap, c'est évident, avec leur hérisson
les Français nous provoquent! J'avais fait des ouvertures de paix et
voilà qu'ils repartent en guerre sur tous les fronts. Il me semble pourtant
que Paris avait donné à ses troupes des ordres de modération!
GENERA GIAP - Président Ho Chi Minh, quand on a un corps expéditionnaire
un peu entreprenant et qu'on ne sait pas bien soi-même ce qu'on veut…
HO CHI MINH - Je sais, je sais, ce n'est pas commode de tenir les militaires
français, surtout quand il y a de l'héroïsme dans l'air et
qu'ils ont de beaux jouets avec lesquels s'amuser. Quant à la libération
des peuples et à la décolonisation, c'est le dernier de leurs
soucis. Général Giap, qu'en pensez-vous? Cette forteresse dans
la brousse ne vous effraie pas trop?
GENERA GIAP - Au contraire… D'abord ils sont trop loin de leurs bases…
A trois cents kilomètres de Hanoi, cela fait vraiment loin. Ensuite ils
se sont installés dans une cuvette d'où ils sont dominés
de tous les côtés. Quelle aberration! En réalité,
mais les Français ne le savent pas encore, Dien Bien Phu n'est pas une
base d'où ils vont partir à la conquête du pays, mais un
piège dans lequel ils sont venus se faire capturer.
HO CHI MINH - Se faire capturer! Mais, général, vous êtes,
vous, à cinq cents kilomètres de vos bases et vous n'avez pas
d'artillerie.
GENERA GIAP - Si, ils ne le savent pas mais nous avons des canons. Un cadeau
des Chinois. Vingt-quatre beaux canons de 105 pris aux troupes de Tchang Kaï-chek,
qui les tenait lui-même des Américains! Et ces canons, nous les
traînons secrètement derrière des camions Molotova en provenance
de Russie. Quant aux routes, ce sont nos paysans qui les ont creusées
en secret dans la montagne.
HO CHI MINH - Et votre ravitaillement?
GENERAL GIAP - C'est vrai que nous sommes à cinq cents kilomètres
de nos bases, mais il y a deux cent cinquante mille paysans qui travaillent
pour nous approvisionner. Et savez-vous que nous avons non seulement des camions
Molotova, mais aussi des bicyclettes! Vingt mille bicyclettes! Des bicyclettes
qui ont été achetées à la Manufacture d'armes et
cycles de Saint-Etienne. Nous les chargeons comme des bêtes de somme et
elles nous servent à acheminer le riz et les obus. Sans les bicyclettes
nous ne pourrions rien.
HO CHI MINH - Je me réjouis de votre optimisme… Et Comment allez-vous
vous y prendre?
GENERA GIAP - J'ai le choix entre deux solutions: "attaque éclair
et solution risquée"… c'est à dire que j'attaquerais
avant qu'ils n'aient eu le temps de finir leurs travaux. Mais là, je
ne suis sûr de rien. Ou bien: "attaque retardée en vue d'une
solution sûre"… Et alors je prends mon temps pour une préparation
rigoureuse et je mets toutes les chances de mon côté.
HO CHI MINH - Parfait, Général Giap, je vous souhaite de réussir…
Je vous rappelle en tout cas le grand principe: ne jamais attaquer une place
sans être sûr de pouvoir s'en emparer. Allons voir les troupes…
- 4 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - Du côté français, on commence à
s'inquiéter. Le colonel de Castries, enfermé dans Dien Bien Phu,
téléphone au général Cogny, à Hanoi...
COLONEL DE CASTRIES - Mon général, nous sommes le 13 mars…
Voici trois mois que nous avons planté notre forteresse dans la jungle,
mais cette fois-ci je crois bien que les Viets vont attaquer…
GENERAL COGNY - Je suis persuadé, colonel de Castries, que vous et les
vôtres ferez votre devoir.
COLONEL DE CASTRIES - Belle phrase, mon général. Mais puisque
c'est vous qui supervisez cette opération, j'aurais mieux aimé
une centaine d'avions de plus. On ne nous a pas donné les moyens dont
nous avions besoin et maintenant… Ca y est: nous perdons Béatrice…
Nous avons donné des noms de femmes à nos principaux postes. C'est
plus concret, et puis ça manquait de femmes par ici… Donc aujourd'hui
13 mars, les Viets viennent de nous arracher Béatrice, défendue
par la Légion étrangère.
GENERAL COGNY - Pourquoi ne tentez-vous pas une contre-attaque?
COLONEL DE CASTRIES - Je n'ai pas de troupes de réserve… c'est
ce que je vous disais, manque de moyens… Et maintenant, le 15 mars c'est
le tour de Gabrielle, à l'extrême nord, Gabrielle qui était
défendue par des tirailleurs algériens.
GENERAL COGNY - Mais, colonel, c'est très grave…
COLONEL DE CASTRIES - Je suis bien placé pour le savoir… Et aujourd'hui,
16 mars, les combattants thaïs d'Anne-Marie lâchent prise.
GENERAL COGNY - Donc, maintenant la piste d'atterrissage est sous le feu de
l'ennemi?
COLONEL DE CASTRIES - Effectivement! …Et aujourd'hui 20 mars, la piste
d'aviation devient progressivement inutilisable. Comme nous ne pouvons pas tenir
sans être approvisionnés par les airs, tout ce que nous avions
construit menace de s'écrouler.
GENERAL COGNY - Allons donc… Tenez, tenez… Pour des raisons politiques
il faut tenir… C'est le prestige de la France qui est en jeu. Le monde
entier a les yeux fixés sur vous.
COLONEL DE CASTRIES - Ils feraient mieux de regarder ailleurs… Aujourd'hui
24 mars, dernier vol. Maintenant, nous ne pouvons plus évacuer les blessés,
que nous sommes obligés d'entasser dans des abris de fortune. C'est une
situation horrible. Et pour recevoir notre matériel, nous devrons avoir
recours aux parachutages… Je suis très pessimiste
GENERAL COGNY - Ne le montrez pas. Veillez au moral de vos hommes.
COLONEL DE CASTRIES - Il est paradoxalement excellent… Aujourd'hui 30
mars, les Viets donnent un second grand assaut sur les collines de l'ouest:
Françoise, Huguette… Huguette est reprise brillamment par Bigeard.
Mais nous n'arrivons pas à la conserver…
GENERAL COGNY - Et maintenant, où en êtes-vous?
COLONEL DE CASTRIES - Je n'en sais rien… Nous sommes en avril et les Viets
ont creusé partout des tranchées en zigzags. Elles leur permettent
de s'approcher de nous sans être vus… Ils ont bien fait mille kilomètres
de tranchées! C'est une fantastique toile d'araignée dans laquelle
nous sommes pris.
GENERAL COGNY - Colonel de Castries, vous venez d'être nommé général.
Je vous félicite. C'est un encouragement.
GENERAL DE CASTRIES - Ce n'est pas d'encouragements dont j'ai besoin! …Aujourd'hui,
20 avril: nous sommes à bout de force, la saison des pluies est arrivée
et nous avons parfois de l'eau jusqu'à la ceinture… notre forteresse
est lentement grignotée.
GENERAL COGNY - Courage, général de Castries! Nous vous envoyons
des renforts!
GENERAL DE CASTRIES - C'est bien tard! …Aujourd'hui 6 mai: nous manquons
de munitions et les Viets menacent Éliane, où se trouve mon poste
de commandement. Ils se préparent à donner le dernier assaut.
Cette conversation est probablement la dernière que nous pourrons avoir…
GENERAL COGNY - Général de Castries, je sais que vous résisterez
jusqu'à la fin. Mais pour l'honneur de la France, surtout ne vous rendez
pas, ne hissez pas le drapeau blanc. C'est un ordre du général
en chef.
GENERAL DE CASTRIES - Raisons politiques? Très bien… Mon général,
faites-moi l'amitié de prévenir ma femme. Qu'elle ne se fasse
pas de souci, je reviendrai.
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L'HISTORIEN DE SERVICE - Ce qui devait arriver est arrivé... Les Viets
se sont emparés de Dien Bien Phu et ils pénètrent dans
le poste de commandement du général de Castries...
UN CAPITAINE VIET - (entre brusquement avec son fusil, couvert par le lieutenant
viet)
GENERAL DE CASTRIES - (assis à sa table) Ne tirez pas… Vous nous
avez complètement encerclés, nous n'avons plus de munitions, nous
sommes obligés de cesser le combat.
UN CAPITAINE VIET - Vous vous rendez?
GENERAL DE CASTRIES - Non, nous ne nous rendons pas, non, pas de drapeau blanc.
Simplement, nous ne pouvons plus nous battre.
UN LIEUTENANT VIET - Qui êtes-vous?
GENERAL DE CASTRIES - Je suis le général de Castries.
UN CAPITAINE VIET - Le général de Castries! Il ne suffit pas d'avoir
un calot rouge sur la tête. Vous êtes vraiment le grand chef?
GENERAL DE CASTRIES - Plus chef de rien du tout! … Oui, le grand chef.
UN LIEUTENANT VIET - Pouvez-vous nous montrer vos papiers d'identité…
Il ne faudrait pas qu'ils nous jouent un tour!
GENERAL DE CASTRIES - Tenez, voilà… Croyez bien que je n'ai pas
envie de jouer la comédie. Je suis bien le général de Castries!
UN LIEUTENANT VIET - Ça a l'air d'être lui. Il est ressemblant.
UN CAPITAINE VIET - Général de Castries, votre armée compte
encore plus de dix mille combattants. Vous donnez donc l'ordre de cesser le
feu?
GENERAL DE CASTRIES - Je l'ai donné. Nous sommes vos prisonniers.
UN CAPITAINE VIET - Va planter notre drapeau rouge sur le sommet de la colline
(le lieutenant sort). Je vous félicite, général de Castries…
Vous avez combattu vaillamment, mais cette décision est une bonne décision.
Le peuple vous en sera reconnaissant.
GENERAL DE CASTRIES - (ironique) Je vous remercie…
UN CAPITAINE VIET - La bataille est donc terminée. Les soldats aux pieds
nus ont dominé leurs adversaires… Général, en tant
que prisonniers vous serez bien traités. Et nous prendrons soin de vos
blessés…
UN LIEUTENANT VIET - (revenant) Voilà, ça y est. Aujourd'hui,
7 mai 1965 à 17.30, le drapeau du Viet Minh s'est mis à flotter
sur Dien Bien Phu.
UN CAPITAINE VIET - Saluons ce grand moment! (ils saluent)… Non seulement
vous serez bien traités, général de Castries, mais surtout
nous prendrons soin de vos intelligences. Nous vous apprendrons à discerner
la vérité du mensonge et le bien du mal. Nous extirperons de vos
esprits la marque du colonialisme bourgeois et de l'impérialisme américain.
Et vous nous serez reconnaissants de vous avoir enfin ouvert les yeux. Les peuples
libres sont l'avenir du monde. En attendant, général, pour vous
c'est la prison. En route!
RAPPEL HISTORIQUE
L'Indochine (Vietnam, Cambodge, Laos) passa progressivement sous influence
française pendant le Second Empire et la Troisième République.
En 1897 la situation fut stabilisée et l'Union indochinoise constitua
une fédération de territoires où vivaient plus de vingt
millions d'habitants de langues et de cultures différentes.
En 1945 l'Indochine fut occupée par les Japonais, ce qui n'empêcha
pas les indépendantistes vietnamiens, avec Ho Chi Minh à leur
tête, de s'emparer du pouvoir en août 45. Puis les Français
revinrent et les huit années qui suivirent furent marquées par
une longue lutte militaire et diplomatique entre le Viet Minh de Ho Chi Minh
et les Français, parmi lesquels l'amiral Thierry d'Argenlieu et le général
Leclerc…
Il faut souligner que l'enjeu n'était pas seulement la possession d'une
colonie mais aussi la lutte contre le communisme, dont se réclamait Ho
Chi Minh et dans lequel la Chine, limitrophe du Vietnam, venait de basculer.
Cette lutte avait un caractère mondial et, en ce point du monde, la France
était considérée comme la championne du monde libre.
En 1953 le général Navarre devint commandant en chef avec la mission
de contenir la poussée du Vietminh et de préparer une négociation
devant aboutir à une certaine forme d'indépendance. La France,
fatiguée de cette lointaine guerre coloniale, y était prête…
Mais, non content de maintenir les positions françaises (une multitude
de points d'occupation en butte au harcèlement des indépendantistes),
Navarre décida d'attirer le Viet-Minh dans un piège et de tenter
de lui livrer une bataille frontale dont l'issue serait définitive.
Malgré tous les avis contraires, il choisit pour cela l'emplacement de
Dien Bien Phu, en plein pays Viet, Dien Bien Phu dont l'histoire est relatée
dans la pièce… Ajoutons que, dans leur malheur, les soldats français
firent preuve d'une endurance et d'un courage exceptionnel, qui donnèrent
à la défaite une sorte de prestige paradoxal.
Quelques données complémentaires: des tensions importantes existaient
entre le général en chef Navarre et le général Cogny,
son adjoint chargé de Dien Bien Phu… Navarre y croyait, Cogny n'y
croyait pas! Les Français n'avaient pas une aviation suffisante pour
approvisionner convenablement leur camp retranché. Quant à appuyer
les combats au sol par l'aviation, les distances étaient telles que,
une fois arrivés sur le site, les avions n'avaient plus assez de carburant
pour effectuer des interventions précises.
Les Viets furent fortement appuyés par la Chine, d'où ils réussirent
à acheminer armes et vivres. Sur une distance de 500 kilomètres
de mauvaises routes ils avaient organisé un système de transport
et de portage qui fut un véritable exploit. De plus, des conseillers
chinois assistèrent les troupes de Giap. Quant aux Américains,
ils faillirent intervenir pour desserrer l'étau de Dien Bien Phu (bombardiers
B.29). Mais ils ne le firent pas de peur de provoquer l'intervention chinoise
et d'internationaliser le conflit.