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Déposé à la SACD

SIEGFRIED
LE HEROS MYTHIQUE

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
Le roi des dieux Wotan, la déesse de la Sagesse Erda,
le héros blond Siegfried, la walkyrie Brünnhilde
le forgeron Mime, le Dragon, le traître Hagen


L'HISTORIEN DE SERVICE - Siegfried est le héros germanique dont Wagner a fait le principal personnage de sa Tétralogie. Il en a emprunté les traits à la légende nordique et en particulier à La chanson des Nibelungen, un poème épique du moyen-âge. Cependant Wagner, qui était un révolutionnaire en politique et en art, a transformé cette épopée en une fable qui annonce la chute du monde bourgeois des années 1850-1870, fondé sur la violence et la richesse. Cent ans avant l'événement, on a voulu y voir aussi une sorte de prophétie de la montée et de la chute du régime nazi.

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ERDA - Je suis Erda, la déesse de la Sagesse... Du haut du ciel je regarde les hommes et les dieux se débattre misérablement sur la terre. Les uns et les autres, ils ont déjà commis beaucoup de bêtises et provoqué beaucoup de catastrophes… Mais voici soudain qu'apparaît parmi eux un être jeune, libre et conquérant, qui ignore la peur. Peut-être est-ce de lui que viendra le salut… Il s'appelle Siegfried.
SIEGFRIED – Ô Erda, il faut maintenant que je me procure une épée!
ERDA – Retourne-toi!
MIME - Noble Siegfried, moi, Mime, qui suis forgeron de profession, je vais te guider dans la confection de ton épée. Car, pour obéir à ton destin, tu dois te la forger toi-même.
SIEGFRIED - Comme ceci? (il forge longuement) J'ai fait de mon mieux…
MIME - Oui, excellent, Siegfried. Maintenant va monter la poignée et la garde de l'épée et quand tu l'auras affûtée, tu pourras partir à la conquête du monde… (ils sortent)

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ERDA - Et Siegfried, ayant affûté son épée, se mit en route… Cependant, voilà qu'arrive Wotan, le dieu des dieux… (entre Wotan) Regardez bien, Wotan porte un bandeau sur son œil droit. C'est que Wotan, pour obtenir le don du savoir, a consenti à sacrifier un de ses yeux. Et ainsi Wotan, bien que borgne, connaît toutes choses…
WOTAN – Maintenant que moi, le dieu des dieux, j'ai la connaissance, il faut aussi que je m'empare du pouvoir. Voici l'arbre sacré qui soutient le monde… Je vais couper une de ses branches et je m'en ferai une lance. Et avec l'aide de cette lance, j'imposerai aux hommes des lois qu'ils seront obligés de respecter. (il coupe une branche et s'en fait une lance)
SIEGFRIED - (entrant) Ô dieu des dieux, qui t'a permis de porter la main sur les choses de la terre, de toucher à l'arbre sacré qui soutient le monde et d'en détacher une branche pour en faire un instrument d'oppression?
WOTAN - Je suis le maître du monde et j'ai le droit de prendre dans la nature tout ce qui m'est nécessaire pour asseoir mon pouvoir. Ôte-toi de mon chemin, Siegfried.
SIEGFRIED - Je ne te permettrai pas d'asservir les hommes … Déjà, par violence tu t'es fait construire ton palais-paradis du Walhalla et tu refuses de payer les ouvriers qui ont travaillé pour toi.
WOTAN - Ce sont mes esclaves…
SIEGFRIED - Tu vois, tu avoues que tu fais des hommes tes esclaves. Je vais te détruire. En garde…
WOTAN - Tu n'as pas peur de moi? Je suis le roi des dieux!
SIEGFRIED - Moi, je suis Siegfried et je n'ai peur de rien. (ils se battent et Siegfried brise la lance de Wotan) Retire-toi maintenant, Wotan, car ton pouvoir vient d'être anéanti. Tu n'es plus que le roi de rien du tout.
WOTAN – Oui, j'avoue ma défaite. Je me retire et te confie l'univers… Ô Siegfried, puisses-tu réussir mieux que moi. (il sort)

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ERDA - Cependant Wotan n'était pas le seul à oppresser les hommes. L'exploiteur Alberich les faisait travailler à extraire l'or de la terre où il était enfoui. Il en avait accumulé des quantités énormes. Mais à force charrier de lourds sacs d'or dans les profondes galeries des mines, les hommes qu'il employait étaient devenus des nains tout bossus. Les trésors d'Albérich étaient gardés par un terrible dragon.
SIEGFRIED - Ô dragon, sors de ta caverne!
LE DRAGON – (voix terrifiante) Me voilà! Ô impudent jeune homme, les trésors de la terre ne sont pas pour toi. Je suis le dragon qui souffle la mort et, crois-moi, je vais t'apprendre la peur.
SIEGFRIED - Les trésors de la terre me sont destinés et ce n'est pas toi qui vas m'apprendre la peur. (il plonge longuement son épée dans la poitrine du dragon) Qu'as-tu à dire à cela?
LE DRAGON - Tu m'as frappé au cœur et je meurs… Mais laisse-moi te regarder: qui es-tu, jeune homme aux yeux clairs et aux cheveux blonds, qui n'a pas eu peur de moi?
SIEGFRIED - Je m'appelle Siegfried. Je ne sais pas encore bien qui je suis si ce n'est que, maintenant, je suis celui qui a tué le dragon…
LE DRAGON - Hélas, je ne verrai pas comment finit l'histoire, elle va continuer sans moi. (il meurt)
ERDA - Et Siegfried retira son épée de la poitrine du dragon et il en jaillit un flot de sang qui le recouvrit. Et le sang du dragon durcit la peau de Siegfried et la transforma en une sorte de carapace de telle sorte qu'il devint invincible. Et Siegfried s'empara de l'or d'Albérich qu'il mit en lieu sûr, ne gardant avec lui qu'un anneau d'or, l'anneau des Nibelungen, et une armure qui le rendait invisible. Il se frappa la poitrine et dit:
SIEGFRIED - Et maintenant, c'est moi qui suis le maître du monde!

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ERDA - Et Siegfried partit en brandissant son épée… Il marcha dans la forêt et il entendit le chant des oiseaux. Depuis qu'il avait vaincu le dragon, il était devenu capable de comprendre le chant des oiseaux… Cependant après quelques jours de marche il s'arrêta et dit:
SIEGFRIED - J'ai la puissance de l'épée, j'ai le pouvoir de la richesse, je comprends les choses de la nature et cependant il me manque quelque chose. Il me manque l'amour, l'amour de la femme. (il sort)
ERDA - Et Siegfried partit à la recherche de l'amour de la femme… Or il arriva qu'en ces temps-là, la redoutable Walkyrie Brünnhilde, la fille de Wotan, le dieu des dieux, se brouilla avec son père auquel elle avait désobéi. La voici justement!
BRÜNNEHILDE - (entrant) Je suis pleine de rage et de crainte. J'ai désobéi au roi mon père et pour me punir d'avoir désobéi, lui, le dieu des dieux, m'a privée de l'immortalité et m'a condamnée à devenir une simple femme.
ERDA - Cependant, comme il l'aimait infiniment, le dieu des dieux l'autorisa, revêtue de son armure, à s'endormir sur terre entourée d'une barrière de flammes…
BRÜNNEHILDE – Que mon sort est cruel! (elle s'étend et s'endort)
ERDA - …de façon à ce que seul un homme n'ayant peur de rien et capable de passer à travers les flammes puisse s'approcher d'elle et prétendre à sa main.
SIEGFRIED – (entrant) Et justement, cet homme, c'est moi! Je le sais, je le sens… Et voici, je franchis la barrière de feu. Mais je croyais trouver ici une femme! Quel est ce guerrier que je vois ici étendu sur le sol et dormant d'un profond sommeil. Il est revêtu d'une splendide armure! Je veux en avoir le cœur net et je lui enlèverai son armure (il le fait). Mais ce n'est pas un homme, c'est bien une femme! C'est la femme que je cherchais! Ô femme réveille-toi (il l'embrasse)
BRÜNNEHILDE - (se réveillant) Qui est-tu, ô homme mortel? Que tu es beau!
SIEGFRIED - Je suis Siegfried, celui auquel tu es destinée. Le feu dont tu étais entourée brûle maintenant dans mes veines: je t'aime! Lève-toi et allons ensemble accomplir notre mission: l'amour règnera sur le monde. (ils restent au fond de la scène en se tenant par la main)

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HAGEN - Moi je suis Hagen, le Germain. Je ne ris jamais, j'observe les lois et je suis opposé à toute nouveauté! Donc il n'est pas possible que maintenant Siegfried domine le monde, car il se prétend libre et il ne respecte pas les lois. Il doit mourir… D'ailleurs ne voilà-t-il pas qu'il est maintenant en possession du pouvoir, de la richesse et de l'amour, ce qui est interdit. On ne peut pas avoir les trois à la fois! Siegfried, ne voudras-tu pas venir à la chasse avec moi?
SIEGFRIED - Je viendrai volontiers, ô noir Hagen…
HAGEN - Je vais en profiter pour le tuer. Car moi, je sais que Siegfried n'est pas totalement invincible car une feuille de tilleul qui s'était collée sur son épaule a empêché le sang du dragon de le protéger complètement. C'est là que je le frapperai quand il se penchera pour étancher sa soif après la chasse… La chasse a été épuisante, n'as-tu pas soif, Siegfried?
SIEGFRIED - Si, j'ai grand soif. Merci, Hagen.
HAGEN - Alors penche-toi et désaltère-toi avec l'eau de ce frais ruisseau qui coule à nos pieds. (Siegfried boit et Hagen le frappe à l'épaule)
SIEGFRIED - (se relevant) Aaah! Hagen, tu connaissais donc mon secret!
HAGEN - Oui, je le connaissais. (Siegfried tombe et meurt)
BRÜNNEHILDE - Hagen, toi, le traître, qu'as-tu fait?
HAGEN - J'ai préservé le monde d'un grand malheur, car il ne peut vivre libre et sans lois.
BRÜNNEHILDE – Hagen, tu seras puni de ta traîtrise…
ERDA - Et Brünnhilde fit allumer un grand brasier dans lequel on brûla le corps de Siegfried… Et ensuite, de désespoir, elle se jeta elle-même dans le brasier. Et ensuite le feu du brasier se communiqua au Walhalla, qui était le palais de Wotan. Et le monde des dieux, construit sur la richesse et la violence, périt tout entier dans les flammes. Et Hagen avec lui! (un temps…) Moi, Erda la Sagesse, j'ai vu cela de mes yeux. Et maintenant, je dois l'avouer, je ne sais pas ce qui va se passer. Car en tant que Sagesse et je n'interfère ni avec les affaires des dieux ni avec les affaires des hommes.


RAPPEL HISTORIQUE

Wagner est un des grands compositeurs allemands du XIXe siècle. Il naquit à Leipzig en 1813 et mourut à Venise en 1883. Ce ne fut d'ailleurs pas seulement un compositeur, mais aussi un intellectuel et un poète qui écrivait lui-même le texte de ses opéras. D'un tempérament indépendant et puissant il avait pris part à la révolution de 1848 en Allemagne aux côtés de l'anarchiste russe Bakounine. Il fut pour cela exilé d'Allemagne (le pays des règles!) où il ne put rentrer avant une douzaine d'années. Vint ensuite à Munich le grand épisode de la faveur de Louis II de Bavière, qui le soutint longtemps, puis l'installation à Bayreuth où il fonda un théâtre spécialement conçu pour la représentation de ses œuvres.
Wagner fut le créateur d'un opéra d'un genre nouveau dont la puissante musique collait exactement au texte et en soulignait les moindres nuances. De plus à chaque personnage était attribué un motif musical particulier (leitmotiv). Il puisa le sujet de ses opéras dans les mythes germaniques et mit en scène les dieux, les héros, les monstres et les rois dont ils sont peuplés. Il écrivit en particulier Lohengrin, Tannhäuser, Tristan et Iseult, Parsifal et surtout la Tétralogie, dont nous allons spécialement parler.
La Tétralogie est un bouquet de quatre opéras (L'or du Rhin, La Walkyrie, Siegfried, Le crépuscule des dieux) dans lequel Wagner s'est servi de la mythologie germanique pour critiquer la civilisation de l'époque (1840-1970) qui ignorait "l'amour" et qui vivait sous le signe de l'enrichissement et de la violence. Wotan est le dieu chancelant de cet univers, le nain Albérich en est l'exploiteur, Brünnhilde est la femme dont l'amour est impossible, Siegfried enfin est la figure lumineuse du héros par lequel le salut aurait pu venir s'il n'avait succombé à la trahison… Beaucoup d'autres personnages s'agitent encore dans les méandres d'une intrigue pittoresque et compliquée, qui met au moins une bonne douzaine d'heures pour arriver à son terme: c'est la raison pour laquelle nous avons, dans le texte ci-dessus, considérablement simplifié les choses. Le crépuscule des dieux, le dernier des quatre opéras, décrit l'échec complet et la destruction d'un l'ordre établi sur la richesse et la violence : le monde entier et le ciel, les hommes et les dieux, disparaissent dans un grand incendie.
La mythologie germanique révèle la mentalité d'un peuple essentiellement belliqueux dont les principaux personnages sont des guerriers… Lorsqu'ils sont morts dans la bataille, ils sont relevés par des femmes-soldats, les walkyries, qui les conduisent dans le paradis de leur dieu Wotan (ou Odin). Dans ce paradis, qui s'appelle le Walhalla, ils passent leur temps non à louer dieu, mais à faire la guerre. Devenus immortels ils ne peuvent plus d'ailleurs être tués à nouveau et se relèvent chaque matin pour recommencer à combattre... et ainsi de suite pendant l'éternité.
Le personnage de Siegfried, héros germanique, rejoint dans la mythologie celui de beaucoup d'autres sauveurs ou pourfendeurs du mal : Hercule, Thésée, Indra (Indes), Gilgamesh (Mésopotamie), saint Georges (christianisme)… Comme eux il lutte contre les monstres et essaye de libérer les hommes. Mais comme eux, il est vaincu par les forces inconscientes de la cupidité et de l'égoïsme.