Déclaré à la SACD
LA PASSION DE JEANNE D'ARC.
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Le récitant, qui raconte l'histoire,
Jeanne, qui prononce des paroles qu'elle a réellement dites.
Trois acteurs qui tiennent ensemble les rôles collectifs (voix et chefs
de guerre)
et séparément les rôles individuels (Baudricourt, Dauphin,
Warwick)
(on peut faire de ce texte une sorte de lecture sacrée: chacun acteur
aura alors son pupitre)
L'HISTORIEN DE SERVICE - Au Moyen Age, les Français se battirent longuement
contre les Anglais qui avaient envahi une partie de ce qui sera plus tard leur
pays. Ce fut la Guerre de cent ans qui commença en 1337 et se termina
en 1453. Le moment le plus terrible fut la fameuse bataille d'Azincourt, en
1415, où périt sous les flèches anglaises une grande partie
de la noblesse française. La situation était désespérée:
mais Jeanne d'Arc venait de naître à Domrémy… La forme
adoptée pour cette pièce est analogue à celle des Passions
de Bach: un récitant et les différents personnages qui interviennent
dans le récit.
- 1 -
LE RECITANT - En ce temps-là il naquit à Domrémy une petite
fille que l'on appela Jeanne. Et, lorsqu'elle eut grandi, cette petite fille
entendit des voix qui lui disaient :
LES VOIX - Au nom de Dieu, il faut que tu ailles chasser les Anglais hors de
France…
LE RECITANT - Il faut dire que la France était en grande partie occupée
par les Anglais et qu'ils voulaient maintenant la conquérir toute entière.
Et la guerre était partout, la guerre très cruelle. On assiégeait
les villes, on brûlait les villages et les moissons… Et les voix
qu'entendait Jeanne ajoutaient:
LES VOIX - Et tu iras pour commencer faire lever le siège d'Orléans.
LE RECITANT - Les Anglais en effet assiégeaient Orléans, car il
y avait à Orléans un pont sur la Loire qui devait leur permettre
de passer du Nord de la France, qu'ils occupaient, au Sud qui était encore
Français. Il n'y avait pas beaucoup de ponts, en ce temps-là.
Et les voix ajoutaient encore:
LES VOIX - Et ensuite, tu iras faire sacrer le Dauphin à Reims…
Va, va, va, fille de Dieu.
LE RECITANT - Car l'héritier du trône de France, le Dauphin, n'avait
même pas été couronné à Reims, comme c'était
l'usage… En entendant ces voix, Jeanne fut grandement effrayée.
JEANNE - Je n'ai que dix-huit ans et je ne suis qu'une pauvre paysanne: comment
irai-je faire lever le siège d'Orléans? Mais puisque Dieu le commande,
eusse-je à quitter cent pères et cent mères, il convient
de le faire.
- 2 -
LE RECITANT - Et quand elle eut bien examiné comment elle pourrait le
faire, elle se dit:
JEANNE - J'irai trouver le sieur de Baudricourt, qui commande la garnison de
Vaucouleurs, et je lui demanderai qu'il me donne une escorte pour me conduire
au Dauphin de France.
LE RECITANT - Il faut dire que Domrémy était en Lorraine, près
de la place forte de Vaucouleurs, et que le Dauphin habitait Chinon, qui se
trouvait au centre de la France. Un long voyage! Une première fois, Baudricourt,
qui était un vieux soldat bougon, dit:
BAUDRICOURT - Elle est folle. Ramenez-là chez son père et donnez
lui des gifles.
LE RECITANT - Mais Jeanne insista et insista, et insista, et insista pendant
plusieurs mois:
JEANNE - Orléans est en passe d'être pris. A la mi-carême,
il faut que je sois devant le Dauphin, même si je dois y user mes jambes
jusqu'aux genoux. Personne au monde, ni rois, ni ducs, ne peut reconquérir
le Royaume de France. Il n'y a que moi qui le puisse. Je préfèrerais
bien filer la laine auprès de ma pauvre mère, parce que faire
la guerre, ce n'est pas mon métier. Mais il faut que j'y aille et que
je le fasse parce que c'est le plaisir de mon Seigneur.
LE RECITANT - Et tout le peuple de Vaucouleurs croyait en elle. Et à
la fin, le sieur de Baudricourt crut aussi en elle et il lui donna une escorte.
Et il lui dit:
BAUDRICOURT - Va, Jeanne, va, je crois en toi. Va et advienne que pourra.
LE RECITANT - Et Jeanne prit des habits d'homme et se fit couper les cheveux
pour mieux voyager. Et le voyage, en terre occupée par les Anglais, fut
très dangereux et dura onze jours.
- 3 -
LE RECITANT - Et pendant qu'elle arrivait, le bruit se répandit en France
qu'une pucelle (c'était comme cela que l'on appelait en ce temps les
jeunes filles), une pucelle donc, était en route pour délivrer
Orléans. Et le peuple reprit courage. Et quand Jeanne arriva à
Chinon, elle reconnut le Dauphin, qui, pour la mettre à l'épreuve,
s'était caché parmi ses courtisans. Elle lui dit:
JEANNE - Je suis venu pour porter secours au Royaume de France, donnez-moi vite
une armée que j'aille délivrer Orléans… Vite, vite,
car le temps presse et je ne durerai pas longtemps.
LE RECITANT - Car elle savait qu'elle serait capturée... Le Dauphin fut
très impressionné. Jeanne ajouta:
JEANNE - Et quand j'aurai délivré Orléans, gentil Dauphin,
je vous mènerai à Reims pour y être couronné.
LE RECITANT - Et le Dauphin aussi crut en elle et il lui répondit:
LE DAUPHIN - Jeanne, je te donne une armée avec des chefs de guerre.
Et je te donne aussi cinq chevaux de combat. Et je te fais faire une armure
et un étendard. Et tu auras aussi une épée. Pars maintenant
pour délivrer Orléans.
LE RECITANT - Encore une fois, si Orléans avait été pris
par les Anglais, ceux-ci auraient déferlé sur toute la France…
- 4 -
LE RECITANT - Et Jeanne dit aux chefs de guerre de son armée:
JEANNE - Vite, vite, dépêchons-nous! La ville doit être délivrée,
et mieux vaut tôt que tard.
LE RECITANT – Mieux vaut tôt que tard! Les chefs de guerre se regardèrent
et ils lui dirent:
LES CHEFS DE GUERRE - Ne nous bouscule pas, nous sommes expérimentés,
nous avons de bons conseillers et nous savons ce qu'il faut faire.
LE RECITANT - Mais Jeanne savait elle aussi très bien ce qu'elle voulait,
et bien qu'elle n'eut pas été à l'école, elle le
disait fort clairement:
JEANNE - Ne me trompez pas! Mon conseiller est meilleur que le vôtre,
car c'est le Roi des Cieux.
LE RECITANT - Et à ce moment-là, le vent se mit à souffler
sur la Loire de telle façon que les bateaux qui devaient ravitailler
Orléans purent mettre à la voile. Et, de même que tout le
peuple, qui déjà croyait en elle, les chefs de guerre crurent
en elle. Et Jeanne écrivit aux Anglais:
JEANNE - Vous, Anglais, qui n'avez aucun droit sur ce Royaume de France, le
Roi des Cieux vous fait savoir et vous ordonne par moi, Jeanne la Pucelle, que
vous quittiez vos forteresses et retourniez dans votre pays. Sinon je vous infligerai
tel désastre que vous ne l'oublierez jamais.
LE RECITANT - Et elle envoya cette lettre au bout d'une flèche Et comme
les Anglais ne partaient pas, elle pressa ses chefs de guerre pour l'attaque:
JEANNE - Vous combattrez et Dieu vous donnera la victoire!
LE RECITANT - Et les chefs de guerre pressèrent les soldats et ils se
battirent et Jeanne fut blessée d'une flèche. Et au bout de deux
jours de combat, les chefs de guerre dirent:
LES CHEFS DE GUERRE - Voici, Jeanne, nous avons bien combattu avec toi et nous
avons repris les forteresses des Anglais et ils se sont enfuis.
- 5 -
LE RECITANT - Mais les Anglais se regroupèrent et se mirent en ligne
de bataille dans la plaine. Et les Français se mirent aussi en ligne
devant eux. Et Jeanne dit:
JEANNE - C'est dimanche, le jour du Seigneur, nous ne combattrons que si y nous
sommes obligés.
LE RECITANT - Et elle s'avança vers la ligne de bataille des Anglais
et elle leur cria:
JEANNE – Ô Anglais, retournez chez vous, de par Dieu!
LE RECITANT - Et un quart d'heure après, les Anglais prirent peur et
ils s'en allèrent sans combattre. Et les chefs de guerre dirent:
LES CHEFS DE GUERRE - Maintenant, Jeanne la Pucelle, tu as vraiment délivré
Orléans. Viens et réjouissons-nous avec tout le peuple.
LE RECITANT - Et peu de temps après, Jeanne emmena le Dauphin pour être
sacré à Reims, selon la coutume. Et avec son étendard,
elle assista au couronnement. Maintenant le Dauphin était vraiment le
Roi et elle, elle avait accompli le commandement de ses voix.
- 6 -
LE RECITANT - Et Jeanne continua à guerroyer contre les Anglais pour
reprendre les villes de France qu'ils occupaient encore. Malheureusement elle
fut faite prisonnière à Compiègne. Le comte de Warwick,
qui était le chef des Anglais, dit:
WARWICK - Je veux qu'elle soit brûlée, comme une sorcière
qu'elle est.
LE RECITANT - En effet les Anglais ne supportaient pas d'avoir été
vaincus par une simple jeune fille! Ils demandèrent à l'évêque
Cauchon, un Français qui était de leur parti, de la juger comme
sorcière pour qu'elle puisse être brûlée. Et l'évêque
Cauchon la fit comparaître. Et Jeanne lui dit:
JEANNE - Évêque Cauchon prenez garde de bien me juger, car vous
serez jugé à votre tour.
LE RECITANT - Cela ne fut pas du goût de l'évêque qui vit
que Jeanne ne tremblait pas devant lui, car elle savait qu'elle n'était
pas une sorcière. Elle lui dit encore:
JEANNE - Évêque Cauchon, je ne reconnais pas votre autorité
et je m'en remets à celle de Dieu.
LE RECITANT - A la fin, l'évêque, ne pouvant la convaincre de sorcellerie,
la fit brûler parce qu'elle avait revêtu des habits d'homme, ce
qui était contraire aux commandements de l'Église. (un silence)
Quelques années plus tard, les Anglais avaient quitté la France.
RAPPEL HISTORIQUE
L'histoire de Jeanne d'Arc est très bien connue. En effet, pendant le
temps de sa vie active, elle fut entourée de personnes qui parlèrent
et écrivirent beaucoup sur elle. Et surtout elle fut jugée trois
fois par des gens très scrupuleux qui la questionnèrent et enquêtèrent
longuement sur elle: une première fois avant d'être reconnue par
le Dauphin, une seconde fois lorsqu'elle fut condamnée au bûcher,
une troisième fois quand, après de très minutieuses enquêtes,
en particulier sur sa famille et son enfance, elle fut solennellement réhabilitée…
Toutes les paroles qui sont citées ci-dessus ont été extraites,
souvent littéralement, de ces très crédibles témoignages.
Jeanne d'Arc était née en 1411 ou 1412. Elle avait par conséquent
trois ans lors de la bataille d'Azincourt… mais inutile de répéter
ce qui est déjà dit dans la pièce… Elle avait tout
juste dix-neuf ans quand elle fur brûlée à Rouen le 30 mai
1431.. Elle fut réhabilitée en 1456.
Que l'on soit croyant ou non (et encore plus si on ne l'est pas), l'histoire
de Jeanne d'Arc est stupéfiante. Le 22 février 1429 elle quitte
Vaucouleurs. Le 5 Avril (donc deux mois et demi après), la pauvre paysanne
obtient la confiance du Dauphin, et, devenue chef de guerre, part pour Orléans.
Le 29 avril, elle entre dans Orléans assiégé, conduit divers
combats… Et le dimanche 8 mai les Anglais lèvent le siège:
neuf jours, dix nuits! Puis peu après, nouvelle victoire à Patay!
Mais ce n'est pas tout: le I7 juillet (moins de deux mois et demi après
Orléans, moins de six mois après son départ de Vaucouleurs),
le Dauphin est sacré à Reims. Quelle impétuosité!
"Plutôt plus tôt que plus tard", c'était un de
ses mots favoris!
Une jeune fille convaincue et inspirée a donc réussi en quelques
mois à redonner confiance à un peuple submergé par la douleur
et à insuffler courage à une armée vaincue depuis cent
ans! Ce fut le triomphe des "valeurs morales" qu'exaltera Clausewitz,
un stratège du XIXe siècle: la foi, l'enthousiasme, la ténacité…
Miracle ou pas, l'Histoire n'a pas connu beaucoup de retournements de situation
aussi spectaculaires.
Jeanne avait donc ses voix, un étendard, une épée et un
cheval. Mais elle avait surtout sa parole, qui était claire, vigoureuse
et décidée. Et cela aussi bien dans ses discours aux troupes que
dans les lettres qu'elle avait coutume de faire écrire (elle ne savait
pas écrire) aux princes. Et encore plus dans ses discussions avec ses
juges! Nous dirions aujourd'hui que Jeanne savait magnifiquement communiquer.
Un vieux seigneur qui la rencontra disait qu'elle parlait si bien qu'il aurait
voulu avoir une fille comme elle. Comme quoi il n'est pas toujours nécessaire
d'avoir été à l'école…
En 1453 les Anglais renoncèrent et la guerre de cent ans était
terminée. La délivrance d'Orléans avait marqué le
tournant de la reconquête.