Déclaré la SACD
GANDHI : LA MARCHE POUR LE SEL
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Gandhi, "un fakir à moitié nu" comme disait Churchill.
Il a une soixantaine d'années,
Nehru, très proche ami de Gandhi, futur premier ministre de l'Inde,
le Vice-Roi, le représentant aux Indes du roi George V,
le secrétaire du Vice-Roi.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Dis, maman, est-ce que c'est permis de désobéir? - En principe, non. - Qu'est-ce que ça veut dire: en principe? - Ca veut dire que… dans certains cas… - Que dans certains cas on peut désobéir? Parce que là, sur mon livre, je vois que Gandhi s'est fait "l'apôtre de la désobéissance" - Ah! Oui, Gandhi! Mais Gandhi c'était précisément "un certain cas". L'Angleterre occupait l'Inde par la force et les Indiens considéraient qu'ils avaient le droit de violer les lois anglaises… La première scène de notre pièce se situe dans le palais du Vice-Roi des Indes en 1930...
- 1-
LE VICE-ROI - (entrant) Et que devient Gandhi?
LE SECRETAIRE - Vous voulez dire notre fakir! Il s'est immergé dans l'Inde.
Il parcourt les villages, il y prêche l'hygiène, l'égalité
des citoyens, la non-violence! Il a fait brûler des tissus anglais importés
de Manchester et chaque jour il file le coton avec son rouet… Il voudrait
ramener l'Inde à son passé.
LE VICE-ROI – Je pense surtout qu'il fait de la propagande!
LE SECRETAIRE – Oui, aussi, bien sûr! Il devient dangereusement
populaire.
LE VICE-ROI - Continuez à le surveiller. Je ne connais rien de plus retord
ni de plus rusé que cette grande âme. Que cependant j'admire beaucoup.
(ils sortent)
- 2 -
L'HISTORIEN DE SERVICE – Et la seconde scène se passe dans la maison
de Gandhi... Celui-ci discute avec son ami le Pandit Nehru...
GANDHI - J'ai fait le tour de l'Inde. L'armée britannique se comporte
partout comme une véritable armée d'occupation. Les Anglais maintiennent
l'Inde dans un état de servitude et de pauvreté qui est intolérable.
Mon cher Nehru, nous ne pouvons pas accepter la situation qui nous est faite.
LE PANDIT NEHRU – Mahatma Gandhi, malgré tout votre pouvoir, vous
ne pouvez décréter une révolte générale:
elle serait noyée dans le sang.
GANDHI - Il y a un autre moyen…
LE PANDIT NEHRU - Lequel?
GANDHI - Nous allons décréter… non pas une révolte
générale, mais, pour commencer, une toute petite révolte,
bien modeste… Chaque chose en son temps! J'ai réfléchi:
le sel!
LE PANDIT NEHRU - Comment ça, le sel?
GANDHI - Trois choses sont nécessaires à la vie, l'eau, l'air
et le sel. Or, les Anglais ont décrété qu'ils avaient le
monopole du sel. Ils l'ont lourdement imposé.
LE PANDIT NEHRU - Mais c'est une broutille!
GANDHI – Justement! Une broutille pour eux, mais pas pour nous! Pour chacun
de nous, pour tous nos paysans, le sel, c'est important! Nous allons donc décider
que le sel de l'Inde appartient aux Indiens. Tout le peuple sera concerné.
C'est à peine si tout d'abord les Anglais y feront attention, mais, sans
qu'ils s'en aperçoivent, notre refus ébranlera les bases de leur
Empire.
LE PANDIT NEHRU - Comment ferez-vous?
GANDHI - Je ferai d'abord avec nos amis une marche de plusieurs centaines de
kilomètres à travers les terres de l'Inde, puis j'irai ramasser
illégalement dans la mer une poignée de sel. Le monopole sera
publiquement remis en cause. Nous serons acclamés en chemin…
LE PANDIT NEHRU - Ils ne vous laisseront pas faire!
GANDHI - Ce n'est pas sûr… Mais s'ils m'en empêchent, cela
fera encore plus de bruit! Et ensuite nous inviterons tous les Indiens à
marcher partout sur les dépôts de sel et à s'en emparer.
Sans violence! Une non-violente non-coopération. Vous verrez! Et quand
les Anglais auront cédé sur le sel… C'est la maille qui
a filé dans le tricot et ensuite tout se défait! Quel risque courons-nous?
LE PANDIT NEHRU - Beaucoup de coups de matraque, la prison, pour le moins…
GANDHI - En effet! Mais nous saurons alors si les Indiens veulent réellement
leur liberté.
- 3 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Cependant la pandit Nehru, l'ami de Gandhi, parcourt
lui-aussi l'Inde et s'adresse aux foules...
NEHRU– (parlant aux spectateurs comme si c'était à la foule
des Indiens) Je vous confirme le message que le Mahatma Gandhi vous envoie du
fond de son cœur: la seule méthode vraiment loyale de changer les
choses est de désobéir aux ordres des Anglais quand nous les trouvons
injustes. Même si nous devons pour cela nous laisser frapper, torturer,
emprisonner, massacrer. Pour arriver à nos fins, nous ne voulons pas
verser le sang d'un seul anglais, le nôtre seulement. Et rappelez-vous
que, bien que nous tenions le régime britannique en Inde pour une malédiction,
nous ne considérons pas pour autant que le peuple anglais est plus mauvais
qu'un autre. La non-violence est la plus efficace des méthodes.
4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Retour au malais du Vice-Roi, qui commence à
s'inquiéter sérieusement de la tournure que prennent les évènements...
LE SECRETAIRE - Les troubles se sont étendus à toutes les provinces.
Nous avons laissé Gandhi en liberté, selon vos ordres, mais nous
avons arrêté plus de quatre-vingt mille personnes. C'est la rafle
la plus gigantesque de l'histoire de l'Inde. Le pandit Nehru et la plupart des
membres du Congrès indien sont en prison.
LE VICE-ROI - Nous ne pouvons cependant y mettre tous leurs partisans. Y-a-t
il eu des violences?
LE SECRETAIRE - Oui, à Peshawar… Le préfet de police s'est
énervé et on a tiré à la mitrailleuse. Mais il a
été traduit en conseil disciplinaire. C'est très difficile
dans des circonstances comme celles-là de garder son calme. Et à
Dharasana, il y a eu …quelques coups de matraque. Ils voulaient occuper
une fabrique de sel.
LE VICE-ROI - On ne m'a pas dit quelques. On m'a dit beaucoup.
LE SECRETAIRE - Oui, en effet. Beaucoup! Beaucoup de coups de matraque, il faut
bien le reconnaître.
LE VICE-ROI – Cependant, je ne voulais pas parler des violences de notre
part, mais de la leur?
LE SECRETAIRE - De la leur?
LE VICE-ROI - Oui, de la leur.
LE SECRETAIRE - Non, pas que je sache. Je cherche… Mais je crains que
non. Insignifiant, en tout cas. Gandhi a profité de sa liberté
pour faire appliquer autant qu'il a pu sa doctrine de la non-violence. C'est
cela qui le rend redoutable.
LE VICE-ROI - Et il vous a, je crois, adressé une lettre.
LE SECRETAIRE - Oui, sa rengaine habituelle: le sel de l'Inde appartient aux
Indiens. Et il me dit qu'il va bientôt prendre la tête d'un nouveau
cortège revendicatif.
LE VICE-ROI - Je crois que maintenant nous n'avons plus d'autre solution que
de le faire emprisonner. Veillez-y.
LE SECRETAIRE - Avec plaisir… Mais je crois qu'il n'attend que cela!
- 5 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Faute de pouvoir imposer une solution, le Vice-Roi
a fini par faire libérer Gandhi...
GANDHI - Après huit mois et demi de détention, vous m'avez fait
libérer, moi qui suis pourtant un habitué de vos prisons. Qu'est-ce
que cela signifie?
LE VICE-ROI – Cela signifie que vous avez gagné, monsieur Gandhi.
GANDHI - Je n'en suis pas encore sûr, monsieur le Vice-Roi. Il reste tellement
de chemin à faire… Nous avons gagné? Réellement?
…Vous pouvez cependant remarquer que nous avons observé en tout
ceci une véritable non-violence.
LE VICE-ROI - Pas partout. Il y a eu quelques affrontements.
GANDHI - Quelques bavures, c'est vrai. Je les regrette et je les désapprouve.
LE VICE-ROI – Quoi qu'il en soit, c'est précisément en nous
obligeant à la violence que votre non-violence a soulevé toute
l'Inde… et que le monde entier a pris votre parti. A tel point que je
suis obligé de vous recevoir ici aujourd'hui comme si vous étiez
le représentant officiel des Indiens. Vous l'êtes d'ailleurs…
GANDHI - Si les choses sont telles, ne discutons pas: faites libérer
tous les prisonniers, restituez les biens que vous avez confisqués, remboursez
les amendes que vous avez infligées, autorisez la production libre du
sel partout où cela est possible…
LE VICE-ROI - C'est ce que j'allais vous proposer. Vous m'y avez contraint,
monsieur Gandhi.
GANDHI – Merci, monsieur le Vice-Roi. Mais soyez persuadé qu'en
agissant ainsi, j'ai servi autant le peuple anglais que mon propre peuple.
LE VICE-ROI - Je connais bien votre pensée. Et, j'allais oublier…
last but not least, vous êtes invité par le gouvernement anglais
à participer à la conférence qui va se tenir à Londres
pour débattre de l'Indépendance de l'Inde.
GANDHI – J'irai volontiers, monsieur le Vice-Roi. (il sort)
- 6 -
L'HISTORIEN DE SERVICE - (s'avançant vers les spectateurs) Ces évènements
se passaient dans les années mille neuf cent trente. Mais l'indépendance
immédiate posait trop de problèmes, la conférence échoua.
Et l'on continua à se disputer et à discuter. Puis vint la seconde
guerre mondiale, au cours de laquelle les Indiens soutinrent loyalement l'Angleterre…
Et à la fin de laquelle, le nouveau Vice-Roi de Indes, lord Mountbatten,
signa en 1947 les accords définitifs de l'Indépendance de l'Inde.
Gandhi l'avait définitivement emporté et avec beaucoup de fair-play
(il était temps!) les Anglais le reconnurent.
RAPPEL HISTORIQUE
Dans les années trente, Romain Roland a fait un portrait de Gandhi :
"De tranquilles yeux sombres. Un petit homme débile, à la
face maigre, aux grandes oreilles écartées. Coiffé d'un
bonnet blanc, vêtu d'étoffe blanche rude, les pieds nus. Il se
nourrit de riz, de fruits, il ne boit que de l'eau, il couche sur le plancher,
il dort peu, il travaille sans cesse. Il est simple comme un enfant, doux et
poli, même avec ses adversaires, d'une sincérité immaculée…
Il ne cache jamais ses erreurs, ne fait jamais de compromis, n'a aucune diplomatie…
Tel est l'homme qui a soulevé trois cent millions d'hommes, ébranlé
le British Empire et inauguré dans la politique humaine le plus puissant
mouvement depuis près de deux mille ans."
Gandhi est né en Inde en 1869 d'une famille indoue de noble extraction.
A 19 ans il part pour Londres où il fait ses études de droit et
obtient un diplôme d'avocat. A 24 ans il est en Afrique du Sud où
jusqu'en 1915 il défend les droits des minorités indiennes (beaucoup
d'Indiens s'étaient exilés et travaillaient dans les mines).
A 46 ans, il revient en Inde où ses succès en Afrique du Sud l'ont
rendu célèbre. Il continue à se battre contre la rigueur
de la loi anglaise, qui est très oppressive. En 1930 (il a soixante et
un ans), il décide de frapper un grand coup: c'est l'épopée
de la marche pour le Sel, décrite dans le texte de la pièce. Le
monde entier a les yeux fixés sur lui… Mais les choses ne sont
pas encore mures et ce n'est qu'après dix-sept années de luttes
supplémentaires que l'indépendance de l'Inde sera acquise (1947)…
Cette indépendance s'accompagne de très graves désordres
(les Indous contre les Musulmans). Gandhi est assassiné par un fanatique
indou en 1948.
C'est en 1600 (fondation de la Compagnie des Indes orientales) que commence
la conquête de l'Inde par les Anglais. En 1857 les Indiens tentent sans
succès de se révolter. En 1877 la reine Victoria est proclamée
Impératrice des Indes. Selon le recensement de 1931, les Indes comptent
330 millions d'habitants. Elles sont alors administrées par quelques
dizaines de milliers de fonctionnaires ou soldats anglais.
Gandhi est une immense figure de l'histoire de l'humanité, comparable
à Bouddha et à Jésus. Il est le champion de la non-violence
ou plus exactement de la non-obéissance non-violente aux lois considérées
comme injustes. "Right against Might!" Il considère que dans
les conflits violents, "la victime est le vainqueur", parce que l'oppresseur,
en employant la violence fait la preuve de son injustice et de son impuissance
et qu'en quelque sorte il se déconsidère. La non-violence n'est
pas passive: il s'agit de refuser d'obéir en acceptant toutes les conséquences
qui en découlent: bastonnades, mitraillage, prison, tortures, exécutions
sommaires… Gandhi a été emprisonné à de nombreuses
reprises. Libre ou prisonnier, lorsque les choses n'allaient pas comme il le
voulait, il entreprenait de jeûner longuement, au risque de sa vie. Il
était tellement vénéré que ses jeûnes se révélaient
très efficaces.