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Déposé à la SACD


SALADIN ET LA BATAILLE DE HATTIN.

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES:
Du côté arabe: Saladin, sultan d’Égypte et de Syrie, son fils EL-Afdal, l’émir Taki-ed-Din.
Du côté franc: Guy de Lusignan, roi de Jérusalem, Raymond de Tripoli, Renaud de Châtillon.


L'HISTORIEN DE SERVICE - En 1095, à Clermont, le Pape Urbain II (Dieu ait son âme!) lança les chevaliers chrétiens dans une guerre pour la reconquête de ce que l'on appelait la Terre Sainte, c'est à dire des lieux où avait vécu Jésus. La Terre Sainte était alors habitée par des musulmans, que l'on appelait volontiers des Sarrasins. Près de cent ans après, les Croisés victorieux y occupaient de vastes territoires. Le Sultan Saladin parvint cependant à unifier les forces musulmanes et entreprit de libérer son pays de l'occupation franque. La bataille de Hattin fut le moment décisif de cette libération... Mais déjà, dans le camp des Sarrazin, on se prépare pour la bataille...

1 -
SALADIN - O toi, mon fils, et toi, émir Taki-ed-Din, et vous tous, mes soldats, prêtez-moi l’oreille.
L'ÉMIR - Grand Saladin, Sultan d’Égypte et de Syrie, Commandeur des croyants, tu n’as qu’à parler.
LE FILS DE SALADIN – Ô mon vénéré père, nous t’écoutons.
SALADIN - Cela fait près de cent ans que les Francs se sont installés dans notre pays. Et non contents d’avoir occupé Jérusalem la Sainte, ils se sont construit partout sur notre terre des forteresses d’où ils pillent nos caravanes et rançonnent nos pèlerins... Mais voici qu’à mon appel les Musulmans divisés se sont enfin réconciliés et que nous avons pu réunir une armée aussi nombreuse que le sable du désert. Et maintenant les Francs sont sortis de derrière leurs murs pour nous affronter en rase campagne. Nous allons les attaquer et quand nous les aurons battus, nous pourrons reprendre Jérusalem.
LE FILS DE SALADIN - Puisse le ciel t’entendre!
SALADIN - Et ainsi, au nom d’Allah, je déclare la Djihad, la guerre sainte.
LE FILS DE SALADIN et L'ÉMIR - Que son nom soit béni! Prosternons-nous.
SALADIN - Allez maintenant prendre vos postes… Il me semble qu'un orage menace: mais ni le tonnerre ni les éclairs ne m'empêcheront de vous passer en revue.

- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Et de l'autre côté, dans le camp des Croisés, on s'apprête à répondre au défi des Sarrazins.
RAYMOND - Dieu tout-puissant, quel orage!
RENAUD - Raymond de Tripoli, ne vois-tu pas que le ciel se déchaîne contre les infidèles! Réjouissons-nous, Dieu va les écraser.
RAYMOND - Renaud de Châtillon, toi le brigand sans foi ni loi, crois-tu vraiment que le ciel va nous secourir... Et si c’était nous, au contraire, que Dieu menaçait?
LE ROI DE JERUSALEM - Mes amis, paix, paix... J’ai réuni l’armée et je veux lui parler.
RAYMOND et RENAUD - Nous t’écoutons, roi de Jérusalem.
LE ROI DE JERUSALEM - C‘est à vous que je m’adresse, ô Croisés, qui avez libéré le tombeau du Christ à Jérusalem… Il faut aujourd'hui nous débarrasser une fois pour toutes de ces mécréants qui voudraient nous le reprendre. Bien que, sous le commandement du redoutable Saladin, ils nous soient aujourd'hui supérieurs en nombre, nous sommes tellement plus vaillants que nous viendrons facilement à bout de leur insolence. Et avec l’aide de Dieu, nous les vaincrons et les disperserons à jamais. L’heure de l’affrontement décisif est venue. C’est moi, Guy de Lusignan, votre roi, qui vous le dit. Allez prendre vos postes...

- 3 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Retour au camp des Sarrasins: Ils se préparent à tendre un piège aux Croisés...
LE FILS DE SALADIN – Émir Taki-el Din, allons observer les positions des Francs... (ils y vont!)
L'ÉMIR – Regarde: les Francs se sont regroupés sur une colline, près des fontaines de Séphorie. Ils sont là depuis trois jours, mais ils sont tellement bien placés, à l’abri de leurs longs boucliers, que nous ne pouvons même pas songer à les attaquer. Et ils ont des vivres et de l’eau à volonté...
LE FILS DE SALADIN - Que faire? Il ne faudrait pas qu’ils nous échappent...
L'ÉMIR - Alors, ô fils de Saladin, il n'y a qu'une solution, encerclons-les!
LE FILS DE SALADIN - Non, nous ne sommes tout de même pas assez nombreux!
L'ÉMIR – Alors, attirons-les dans la plaine pour les obliger à se battre...
LE FILS DE SALADIN - Oui, mais comment?
L’ÉMIR – Réfléchissons, réfléchissons...
LE FILS DE SALADIN - J’ai une idée: nous allons attaquer la ville de Tibériade, qui leur appartient et, pour la secourir, ils quitteront leurs positions.
L'ÉMIR - Allah t'a inspiré! Allons proposer cette ruse au grand Sultan ton père.

- 4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Et les Croisés tombent naïvement dans le piège que les Sarrasins leur ont préparé.
LE ROI DE JERUSALEM - O Croisés, les habitants de Tibériade nous ont envoyé des messagers pour nous dire que les infidèles les ont attaqués! Ils ont pris la ville et ils la brûlent. La population s’est réfugiée dans la forteresse... Ils demandent du secours.
RENAUD - Ces chiens d'infidèles! Nous y allons tout de suite, naturellement. Aux armes, aux armes...
RAYMOND – Arrête! Je ne suis pas de cet avis: Tibériade est à neuf lieues d'ici, neuf lieues sous le soleil de juillet et sans un point d’eau! C’est un piège: les infidèles veulent nous attirer dans le désert et nous y faire mourir.
LE ROI DE JERUSALEM - Mais Tibériade... laisserons-nous Tibériade tomber entre leurs mains?
RAYMOND - Laissons les choses se faire. Tibériade est une ville dont je suis le seigneur. Dès que l’ennemi se sera retiré, comme il le fait toujours à l’automne, nous la reprendrons.
RENAUD - Tu es un lâche, Raymond. Nous ne pouvons pas laisser massacrer nos frères sans leur porter immédiatement secours. Ô roi, songe à ton honneur!
LE ROI DE JERUSALEM - Il a raison. L'honneur... Je suis le roi, je décide: en route pour Tibériade.

- 5 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Et voilà que les Croisés se sont mis en route. Les Sarrasins regardent les Croisés anéantis par la chaleur.
LE FILS DE SALADIN - Vois, Commandeur des croyants: ils ont donné dans notre piège. Ils quittent leur colline et ses sources...
SALADIN - Le désert sera leur tombeau! Allons, que l’on fasse tout pour ralentir leur marche, que les archers à cheval les harcèlent de tous côtés, que nos troupes légères tourbillonnent autour d’eux... N’engagez pas le combat, mais paralysez-les… Le soleil les assomme déjà!
LE FILS DE SALADIN – Maintenant, la nuit tombe: ils vont être obligés de bivouaquer sur le sable desséché et parmi les pierres brûlantes. Ils n’ont plus d’eau, leurs outres sont vides.
SALADIN - C’est une nuit terrible qu’ils vont passer, à se tordre de soif...
LE FILS DE SALADIN - Voici le matin et aujourd'hui la chaleur sera encore plus redoutable qu’hier. Le soleil, notre allié, va les cuire dans leurs armures de fer... Regarde-les: les soldats titubent, les chevaux s’abattent. Ils n’arriveront jamais à Tibériade.
SALADIN - Et as-tu remarqué: le vent souffle dans leur direction!
LE FILS DE SALADIN - Oui, et alors?
SALADIN - Qu’en plus, on mette donc le feu aux herbes sèches... Ils seront non seulement cuits, mais rôtis. Et aveuglés par la fumée! Sitôt après, nous chargerons...
LE FILS DE SALADIN - Ils se rendent, ils se rendent... La tente du roi de Jérusalem vient enfin de s’abattre. Leur Dieu est petit, Allah est grand!

- 6 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – La bataille de Hattin a été remportée par les Sarrasins et ils ont fait beaucoup de prisonniers...
SALADIN - Qu’on amène les prisonniers!
LE ROI DE JERUSALEM - Ô Saladin, j’ai la gorge tellement sèche que je ne peux plus parler. Je suis épuisé, j’ai peur...
SALADIN - Ne crains rien: un roi ne tue pas un roi! Qu’on donne à boire au roi de Jérusalem.
RENAUD - J’ai soif, j’ai soif, moi aussi... Misérables, de l’eau, vite!
SALADIN - Toi, Renaud de Châtillon, tu n’es qu’un chien! Je vais te faire décapiter, cela te coupera la soif... Et où est Raymond de Tripoli?
L'ÉMIR - Il a réussi à s’enfuir... Que ferons-nous des autres prisonniers?
SALADIN - Que ceux qui les ont capturés les prennent et les vendent comme esclaves.
L'ÉMIR - Il y en a tellement que cela va faire baisser les prix sur les marchés aux esclaves. Vendrons-nous aussi les chevaliers du Temple et de l’Hôpital?
SALADIN – Non! Ceux-là, je vais les racheter moi-même: cinquante dinars l'un, c’est un bon prix! Et ces ordures, qui sont si cruels et qui tuent si joyeusement au nom de leur Dieu, vous leur couperez la tête immédiatement.
L'ÉMIR – Sois certain que nous y prendrons beaucoup de plaisir, grand Sultan.
SALADIN - Mes amis, par Allah, jamais nous n’avons par le passé remporté une telle victoire. Les Francs sont désormais privés de leur armée: nous allons pouvoir enfin reconquérir Jérusalem.
LE FILS DE SALADIN - O Saladin, mon père, tu es vraiment le "Libérateur". C'est sous ce nom que tu seras honoré dans les siècles qui vont venir.

RAPPEL HISTORIQUE

Le pape Urbain II avait donc envoyé les chevaliers chrétiens en Terre Sainte, et avec eux un grand nombre de simples soldats. Les chevaliers chrétiens étaient alors très batailleurs, et comme l'Église était fatiguée de les voir s’entretuer sur leurs propres terres, elle pensa que ce serait une très bonne formule que de les envoyer faire la guerre ailleurs, et en particulier en Palestine contre les infidèles, ce qui transformerait la guerre en une œuvre pieuse. Les chevaliers chrétiens croyaient en Jésus et en la Vierge et c’est pour cela qu’ils partirent avec enthousiasme délivrer le tombeau du Christ. Ils cousirent chacun une croix sur leur poitrine et on les appela pour cela les Croisés. Ils furent, aux dires de leurs ennemis mêmes, des guerriers redoutables.
Évidemment, les infidèles, ou Sarrasins, ne les attendaient pas et, après de multiples péripéties, les Croisés, sous le commandement de Godefroy de Bouillon, prirent en effet Jérusalem (1099). Les chroniqueurs racontent que ce fut, au nom de Jésus, une effroyable boucherie.
Aussitôt après, les Croisés victorieux se taillèrent des royaumes à eux tout autour de Jérusalem, en Palestine et en Syrie. La vie en Terre sainte ne déplaisait pas aux chevaliers francs. Ils y construisirent partout de redoutables forteresses dont la plupart subsistent encore (ex. le Krak des chevaliers). Cependant qu'il s'écoulait de l'Europe vers la Palestine un flot régulier de pèlerins-croisés: il fallait bien soutenir l'effort des premiers arrivés!
Pendant trois quarts de siècle, ce fut entre les Croisés et les Sarrasins une sorte de petite guerre faite d’embuscades, de sièges, de massacres, de pillages… de fraternisation aussi et de complicité! Mais rien de décisif, les Sarrasins étaient trop divisés entre eux.
Ils finirent cependant par se reprendre. Ce fut Saladin, d'origine kurde, sultan d’Égypte et de Syrie, qui réussit à les fédérer et réunit finalement une armée importante qui, une bonne fois, défia les Croisés. A la fin les Sarrasins remportèrent la victoire de Hattin, où ils détruisirent la plus grosse partie de l’armée des Croisés (en 1187). Ce fut le tournant décisif de l'histoire des Croisades. Après la bataille de Hattin les Sarrasins reprirent facilement Jérusalem.
Mais l'aventure des Croisades n’était pas terminée, car les Croisés occupaient encore de nombreuses villes ou ports de la Terre Sainte, et pendant un siècle encore les combats se poursuivirent. Y prirent part beaucoup d’importants personnages, notamment Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, Frédéric de Hohenstaufen, roi de Sicile et empereur du Saint Empire romain-germanique, Philippe-Auguste et Louis IX, rois de France. On dénombre officiellement neuf Croisades principales. Lors de l’une de ces expéditions, Louis IX (saint Louis), mourut de la peste à Damiette en Égypte. Telle fut la puissance de ce mouvement que nous avons du mal à comprendre aujourd'hui et qui était en effet si contraire aux principes mêmes du christianisme!
En 1291, les Sarrasins reprirent enfin la dernière forteresse des Croisés, le port de Saint-Jean d’Acre, et expulsèrent définitivement les chrétiens de la Terre Sainte