Déposé à la SACD
SOCRATE A L'ECOLE
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Socrate. Le maître. Le premier élève. Le second élève.
Le troisième élève.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Socrate est un citoyen athénien du cinquième siècle après J.C., c'est à dire de la grande époque de Périclès, de Sophocle, d'Aristophane et de Platon… Il affirmait que l'important pour l'homme était de penser par soi-même. Il fut un jour désigné par l'oracle de Delphes comme étant le plus sage. Stupéfait, il se mit à questionner les uns et les autres pour voir s'ils n'étaient pas plus sages que lui. Il interrogeait tout le monde, en particulier les jeunes gens, se faisant un malin plaisir de remettre en question l'éducation qu'ils avaient reçue. Jusqu'à ce qu'il découvre qu'il était en effet le plus sage, du moins en cela qu'il ne pensait pas savoir ce qu'il ne savait pas. La pièce qui suit est une imitation d'un dialogue de Platon.
Préambule
SOCRATE - Me permettras-tu, ô maître, à moi qui ne sais rien,
d'entrer dans ton école et d'interroger tes élèves pour
qu'ils m'instruisent. Je suis très désireux d'apprendre.
LE MAITRE - Certes, ô Socrate. Si tu veux t'instruire, interroge mes élèves
tant que tu voudras.
SOCRATE - Est-ce que tu pourrais me désigner l'un ou l'autre des meilleurs?
Pour qu'ils me disent des choses justes.
LE MAITRE - Bien sûr, Socrate. Celui-ci, si tu veux bien, et celui-là,
et cet autre aussi… J'ai beaucoup de bons élèves.
SOCRATE - Merci… Je les interrogerai tous les trois et m'efforcerai de
faire bon usage de leurs réponses.
LE MAITRE – Mais surtout ne va pas, ô Socrate, sous prétexte
de t'instruire, semer le doute dans les esprits.
SOCRATE Je m'en garderai bien!
Acte unique.
SOCRATE - Donc, vous, tous les trois, les bons élèves, vous avez
l'habitude d'écouter attentivement les enseignements de votre maître?
PREMIER ELEVE - Certes! Nous l'écoutons attentivement et nous lui répétons
fidèlement ce qu'il nous a dit.
SOCRATE - Cela est bien. Je comprends pourquoi il vous considère comme
ses meilleurs élèves. Et pourquoi lui répétez-vous
si fidèlement ce qu'il vous a dit?
DEUXIEME ELEVE - Mais tout simplement parce que nous voulons lui faire plaisir.
TROISIEME ELEVE - Et aussi surtout parce que nous pensons que ce qu'il nous
dit est la vérité.
SOCRATE - Je l'espère bien… Et est-ce qu'entre autres, il vous
a aussi enseigné l'histoire de la Grèce.
PREMIER - Bien sûr.
SOCRATE - Ce qui fait que vous êtes définitivement instruits de
tout ce qui est arrivé dans le passé.
PREMIER - Oui, sans nous vanter, nous croyons pouvoir le dire.
SOCRATE - Je savais que votre maître était un bon maître…
Mais voyons, pourriez-vous justement me citer au hasard un événement
particulièrement important de notre histoire. J'aimerais en être
informé.
TROISIEME - Cela nous est facile… La bataille de Marathon, par exemple.
DEUXIEME - Oui, Marathon. Les Grecs ont remporté là une grande
victoire sur les Barbares.
PREMIER - Et Miltiade, si je me souviens bien, était à leur tête.
TROISIEME - Et moi, je me souviens encore de ceci: le coureur qui apporta à
Athènes la nouvelle de la victoire y arriva d'une seule traite…
Mais il mourut d'épuisement en arrivant.
PREMIER - C'est le maître qui nous a dit tout cela.
SOCRATE - C'est très intéressant! C'est un bon maître. Je
suis heureux d'avoir été instruit à mon tour. Mais laisse-moi
vous demander: votre maître est-il certain de ce qu'il dit ou bien ne
l'est-il pas?
PREMIER - Je crois, Socrate, que c'est une question que tu ne devrais même
pas poser.
DEUXIEME - Il est évident qu'il est absolument certain de ce qu'il dit.
SOCRATE - Bien sûr, où donc ai-je la tête? Mais tout en sachant
qu'il est sûr de ce qu'il dit, cela serait tout de même intéressant
de savoir de qui votre maître le tient? L'avez-vous interrogé?
DEUXIEME - Interroger pas le maître! Non. Moi, je n'aurais pas osé!
Ce qu'il sait, il le sait.
SOCRATE – Bien sûr. Mais il faut bien qu'il l'ait appris quelque
part. Pensez-vous qu'il l'a entendu lui-même de la bouche de son propre
maître… ou peut-être l'a-t-il lu dans quelque livre?
PREMIER - Nous ne le savons pas… Mais sans doute des deux façons,
et en particulier de la bouche de son propre maître. Notre maître
nous a toujours dit qu'il a été lui-même un très
bon élève et qu'il a très bien retenu les leçons
qu'il a reçues dans son enfance.
SOCRATE – J'en suis certain. Mais ne vous êtes-vous jamais demandé
s'il était possible que le maître de votre maître se soit
trompé.
TROISIEME - Cela m'étonnerait beaucoup. Nous ne l'avons pas connu, mais
un maître est un maître!
SOCRATE - Ou alors vous êtes-vous demandé si les livres qu'il a
consultés ne lui avaient pas dissimulé une partie des faits…
dans le but par exemple d'exalter le génie de Miltiade, ou au contraire
de le rabaisser?
TROISIEME - Socrate, ce qui est écrit est écrit. Ne peut-on plus
avoir confiance en ce qui est écrit!
SOCRATE - L'auteur d'un livre ne veut certainement pas induire ses lecteurs
en erreur. Mais il se pourrait qu'il ait lui-même ignoré certains
faits. Ou bien, dans le cas qui nous occupe, peut-être a-t-il simplement
voulu honorer le peuple grec en magnifiant la bataille qu'il a livrée.
DEUXIEME - Penses-tu, Socrate, qu'une chose pareille soit possible!
SOCRATE - Il nous faut bien envisager qu'elle le soit… Mais peut-être
aussi votre maître a-t-il pu interroger l'un des survivants de cette bataille,
qui par exemple aurait été lui-même blessé dans l'engagement
et qui aurait assisté à la déroute des Barbares. Celui-là
pourrait lui avoir dit la vérité.
DEUXIEME - Sans doute. Tu as raison Socrate. Là serait la vérité.
SOCRATE - Même si après sa blessure il avait été
laissé en arrière et n'ait pas pu voir exactement comment la bataille
s'était terminée?
PREMIER - Oui, mais ses compagnons auraient pu lui raconter ce qui s'était
passé.
SOCRATE - Et pensez-vous qu'ils l'auraient fait en se vantant un peu, ou même
beaucoup, ou sans se vanter du tout.
PREMIER - Probablement en se vantant un petit peu. Peut-être un peu plus
qu'un petit peu.
SOCRATE - De sorte que même ce combattant de Marathon ne serait pas ensuite
certain de la vérité?
DEUXIEME - Cela nous coûte de l'envisager, mais cela est possible.
SOCRATE - De sorte encore que l'auteur d'un livre qui aurait lui-même
entendu le récit de ce combattant aurait pu en toute bonne foi nous transmettre
des choses qui ne seraient pas tout à fait exactes.
DEUXIEME - Maintenant que tu nous le dit, ô Socrate, cela nous paraît
une crainte raisonnable.
SOCRATE – Autre chose: on dit généralement que les Barbares
se sont rembarqués parce qu'ils avaient été vaincus. Et
s'ils s'étaient rembarqués spontanément, par exemple parce
qu'il y aurait eu des troubles chez eux, en Perse? Ou encore parce qu'ils auraient
voulu aller attaquer Athènes par la mer pendant que nos soldats étaient
encore à Marathon.
TROISIEME - Veux-tu dire, ô Socrate, que la bataille de Marathon pourrait
n'avoir alors été qu'une pure invention, pour la gloire de l'armée
grecque!
PREMIER - En vérité, cela m'étonnerait, mais à bien
y réfléchir, ce n'est pas absolument impossible.
DEUXIEME - Socrate, notre maître nous instruit. Mais toi, il semble que
tu aies pour but en quelque sorte de nous désinstruire! Nous feras-tu
douter de tout?
SOCRATE - Ne trouvez-vous pas qu'il est important non d'être sûr
de savoir, mais de soupçonner qu'on ne sait pas parfaitement.
PREMIER - Oui, sans doute… Mais alors, et le messager?
TROISIEME – Eh bien, oui, Socrate a raison, le messager pourrait avoir
péri non d'épuisement, mais de la honte de son mensonge! Je ne
dis pas que c'est vrai, je dis seulement que c'est possible…
SOCRATE – Voilà que vous commencez à vous poser vous-mêmes
des questions!
PREMIER - Socrate, nous sommes de pauvres écoliers. Nous voulons bien
nous poser des questions, mais n'y a-t-il personne à qui nous puissions
nous fier?
SOCRATE – Peu de monde, pour tout dire. La recherche de la vérité
est une chose difficile et l'homme doit manœuvrer délicatement sur
une mer encombrée des récifs de l'erreur. Aussi je vous dis: apprenez,
apprenez, mais sachez toujours douter de ce que vous apprenez.
TROISIEME – Mais que ferons-nous aujourd'hui de la parole de notre maître?
DEUXIEME - C'est la seule chose sur laquelle il fait par la suite porter ses
questions!
PREMIER – Jusqu'ici nous nous en contentions? Cela suffisait à
assurer notre réussite.
SOCRATE – Ne vous imaginez pas que je vais, moi, donner des réponses
à vos questions. Je ne suis moi-même qu'une question en réponse
à une question…
Conclusion.
LE MAITRE - Je bous à t'entendre et ce n'est que par courtoisie que je
t'ai laissé arriver jusqu'ici… Mais cette fois, ô Socrate,
tu as passé la mesure.
SOCRATE - En vérité, je te remercie car j'ai eu le temps de bien
m'instruire… même si tu ne m'as pas laissé le temps d'achever
ma dernière phrase.
LE MAITRE - Sous le prétexte de parfaire tes connaissances, tu viens
de porter atteinte à la renommée de notre école et de notre
République.
SOCRATE - Je n'ai rien affirmé, je n'ai fait que poser des questions!
LE MAITRE - Justement. Rien n'est plus subversif que la question. Je voudrais
que tu ne sois jamais entré dans mon école!
SOCRATE - N'ai-je pas parlé en conscience et que peux-tu me reprocher.
Si ce que j'ai dit est faux, tu n'auras pas de peine à rétablir
la vérité. Car ta parole est adroite et elle pèse d'un
grand poids, ils me l'ont bien dit.
LE MAITRE - Ce qui est vrai, c'est que toi, tu es un corrupteur de la jeunesse
et – de cela du moins sois certain - que je te dénoncerai aux autorités.
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