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Déposé à la SACD

ORPHEE

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
La Musique. Orphée. Eurydice. Pluton, roi des Enfers.


L'HISTORIEN DE SERVICE - En Grèce, dans les temps très anciens, on vénérait la mémoire d'Orphée qui était à la fois un poète et un musicien. Un jour, Eurydice, la femme d'Orphée, fut piquée par un serpent et mourut… Orphée l'aimait tellement qu'il essaya de la ramener à la vie.

1 – (dans la campagne grecque)
LA MUSIQUE - Petits écoliers, je suis la Musique. Je vais vous raconter la très belle et très douloureuse histoire d'Orphée et d'Eurydice. Orphée chantait en s'accompagnant sur sa lyre... Et ce qu'il chantait était tellement beau qu'il conduisait immanquablement ses auditeurs jusqu'à l'extase et l'ivresse. Orphée était mille fois plus génial que le plus grand de vos chanteurs modernes et ses albums se seraient aujourd'hui vendus à des dizaines de millions d'exemplaires... Or, un jour, Orphée aima Eurydice, qui était évidemment une fille superbe... je veux dire: une nymphe de toute beauté.
ORPHÉE – Eurydice, ô mon amie, que vous êtes belle! Vous m'avez ensorcelé.
EURYDICE - Orphée, mon bien-aimé, je vous désire de tout mon être.
ORPHÉE - Ma nymphe aux yeux sauvages, marions-nous sans plus tarder.
LA MUSIQUE - Mais Orphée faisait l'admiration de toutes les filles du voisinage. C'étaient ses "fans"! Eurydice eut peur qu'il ne lui fût par la suite infidèle.
EURYDICE - Mais toutes ces nymphes qui tournent autour de vous, elles m'inquiètent?
ORPHÉE - De quoi me parlez-vous: elles sont comme des mouches que l'on écarte de la main! Vous serez ma femme et je serai votre mari. Pour toujours, ô Eurydice.

2 – (chez Orphée et Eurydice)
LA MUSIQUE - Et ils se marièrent... Mais Eurydice, la nymphe des bois, n'avait pas renoncé à courir pieds nus dans la campagne. Elle se fit piquer par un serpent cruel.
ORPHÉE - O mon amie, que vous est-il arrivé?
EURYDICE - Le petit serpent des bois m'a piquée: je vais mourir.
ORPHÉE - Cela n'est pas possible! Nous nous aimons tant, nous avons tout pour être heureux. Les dieux ne peuvent pas nous traiter ainsi...
EURYDICE - Hélas si, je le crains. Les dieux aiment contrarier les passions des mortels, ne le savez-vous pas? Oh, que cela me fait mal: le poison se répand dans tout mon corps.
ORPHÉE - Je vous guérirai! Vous ne connaissez pas l'étendue de mes pouvoirs magiques...
EURYDICE - Ne me parlez pas de vos pouvoirs: voici, je meurs et je sens que déjà l'on m'emmène au Royaume des Morts. Adieu.
LA MUSIQUE - Et Orphée se désespéra...
ORPHÉE - Ô Musique, voici que ma voix s'est éteinte: je n'ai plus de goût à rien, je ne peux pas vivre sans Eurydice.
LA MUSIQUE - Ô divin Orphée, il faut te résigner... Ainsi le veulent les dieux.
ORPHÉE - Ce n'est pas le moment de me parler de la volonté des dieux: pourquoi serais-je soumis, moi, à la volonté des dieux?
LA MUSIQUE - Tu blasphèmes! Prends garde à leur colère: ce qu'ils ont fait est bien fait.
ORPHÉE - Non: ce qu'ils ont fait n'est pas bien fait. J'irai et je l'arracherai au Séjour des Morts et je la ramènerai vivante sur la Terre. Ô Eurydice, aucune femme ne t'est comparable et moi, je ne suis pas soumis aux lois communes: je suis Orphée.

3 – (aux enfers)
PLUTON - Et moi, je suis Pluton le roi des Enfers et je règne sur les morts. Eurydice est maintenant, et pour toujours sous ma domination. Ô Musique, Orphée déraisonne quand il dit qu'il refuse la loi des dieux.
LA MUSIQUE - C'est la douleur qui le rend fou! Lui, d'ordinaire si pieux! Mais il est tellement impétueux... Déjà il s'est mis en route et avec l'aide du batelier Charon, il vient de traverser le redoutable fleuve d'oubli qui ceinture ton royaume... Il va bientôt arriver devant toi.
PLUTON - Qu'il ne se fasse pas d'illusions: personne ne peut m'attendrir... Est-il vrai qu'il est un si bon musicien?
LA MUSIQUE - Oui, c'est mon meilleur serviteur. Quand il chante, il charme même les animaux, et les pierres applaudissent sur son passage. Tu auras bien de la peine à lui résister. (entre Orphée)
PLUTON - Eh bien, Orphée, quelle impudence! Que fais-tu ici? Aucun vivant n'est jamais descendu au Royaume des Morts.
ORPHÉE - J'ai une très bonne raison, Seigneur: je viens chercher Eurydice. Je sais qu'elle est ici.
PLUTON - Aucun mort, non plus, n'est jamais remonté sur la Terre des Vivants. Prends-y garde, Orphée.
ORPHÉE - Il n'y a de règle qui ne souffre d'exception.
PLUTON - Je ne peux t'accorder ce que tu demandes.
ORPHÉE - Laisse-moi rire. Je vais chanter pour toi et mon chant sera si beau qu'ensuite, tu te traîneras à mes pieds pour me supplier d'accepter de ramener ma femme avec moi.

5 – (aux enfers, suite)
PLUTON - Ô Eurydice, ton mari a si bien chanté qu'il m'a convaincu: je lui rends hommage, il peut te ramener sur la Terre.
EURYDICE - Merci, roi des Enfers. Tu vois quelle est la puissance de l'amour. Il m'a ressuscitée, ce qu'aucun homme ni aucun dieu n'avait fait jusqu'ici!
PLUTON - Tu n'as pas encore gagné: je n'aime pas l'amour et je suis un dieu cruel, qui ne donne jamais sans y mettre des conditions.
EURYDICE - Eh bien, vas-y, dis-nous tes conditions.
PLUTON - Il n'y en a qu'une: aussi longtemps que durera votre voyage de retour, Orphée ne devra jamais se retourner pour contempler la splendeur d'Eurydice aux yeux sauvages...
EURYDICE - Ô condition terrible et vraiment surhumaine!
PLUTON – Et cela sous peine de la voir immédiatement disparaître à ses yeux et redevenir pour toujours une habitante du Royaume des Morts.

7 – (sur le chemin qui ramène à la terre)
EURYDICE - Allons, Orphée, en route. Marchez devant... Si vous m'aimez, vous ne vous retournerez pas. Pluton est un dieu impitoyable! Allons, remontons sur la Terre.
ORPHÉE - Voici que nous parcourons en sens inverse le chemin qui m'a amené jusqu'à vous. Voici le fleuve de l'oubli, que Charon nous fait traverser dans le sens où l'on se souvient; ici, le chien Cerbère encore sous le coup de la beauté de mes chants; et là, le chemin montueux qui nous conduit jusqu'aux portes des vivants... Ô Eurydice, n'allez-vous pas trébucher?
EURYDICE - Ô mon ami, ne me posez pas de question: vous voudriez cueillir la réponse sur mes lèvres et vous vous retourneriez...
ORPHÉE - Ô Eurydice, je ne peux attendre plus longtemps: dites-moi, nymphe aux yeux sauvages, après vos épreuves cruelles, êtes-vous toujours aussi belle?
EURYDICE - Je ne le sais: il n'y a pas de miroirs au Royaume des Morts...
ORPHÉE - Je n'y tiens plus... (il se retourne) Ô ma bien-aimée, oui, tu es toujours aussi belle!
EURYDICE - Orphée, tu n'aurais pas dû me regarder... Maintenant, ma parole se défait et je me dissipe à ta vue...
ORPHÉE - Ô Eurydice... Je t'ai perdue! Par ma faute, je t'ai perdue. Hélas, que je suis malheureux... Ô Eurydice, ô ma bien-aimée! Jamais plus, jamais plus... est-ce possible?
LA MUSIQUE - Et depuis ce jour fatal, Orphée s'abîma dans le chagrin, refusa de chanter en public, et surtout d'épouser une autre femme... Et toutes les belles nymphes, qui l'admiraient et le vénéraient autrefois, devinrent furieuses d'être ainsi dédaignées. Un jour, elles en arrivèrent à un tel point d'indignation qu'elles s'armèrent de bâtons, de lances et d'épées et, comme un essaim de guêpes, se précipitèrent sur lui et le mirent à mort. Et du tombeau d'Orphée s'élèvent encore parfois des chants désespérés...

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