Déposé à la SACD
LA GLOIRE D'ALEXANDRE
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Alexandre le grand, le général Parménion.
L'apparition d'Olympias, mère d'Alexandre
Le prêtre d'Ammon dans l'oasis de Siwah
L'HISTORIEN DE SERVICE - Grâce aux victoires remportées sur Darius,
roi des Perses, au Granique et à Issos, Alexandre, qui vécut de
356 à 336 avant J.C., vient de libérer toute la partie grecque
de la Méditerranée: c'est à dire la côte de la Turquie
actuelle, le Liban, la Syrie et surtout l'Égypte, dont il est devenu
le pharaon. Il pourrait considérer sa mission comme achevée, mais
il préfère aller consulter dans le désert l'oracle d'Ammon,
le Dieu égyptien, pour en apprendre plus sur lui-même et sur son
avenir.
I - (au bivouac dans le désert : Alexandre va consulter l'oracle d'Ammon)
ALEXANDRE - De toute façon, il faut honorer les dieux, honorer tous les
dieux qui peuvent vous tomber sous la main! Je serais désolé d'en
manquer un.
PARMENION - Pour ceux qui vous tombent sous la main, d'accord, roi Alexandre…
Mais prend garde aux excès de dévotion! Pourquoi faire cet épuisant
trajet à la recherche du Dieu Ammon, qui ne t'a rien fait?
ALEXANDRE - Ammon n'est qu'une autre forme de Zeus, que tu connais bien, et
que je crains!
PARMENION – Oui, mais quelle idée a-t-il donc eu de bâtir
son temple dans cet oasis du bout du monde? Voilà déjà
dix jours que nous avons quitté les lieux habités et que nous
chevauchons dans le désert sous un soleil impitoyable… L'eau commence
à manquer.
ALEXANDRE - Courage, Parménion! Les dieux sont très exigeants!
L'oracle de Siwah est largement aussi infaillible que celui de Delphes. Je veux
à tout prix l'interroger et connaître mon avenir.
PARMENION - Est-ce que ton passé ne te suffit pas? Tu viens de libérer
toutes les côtes grecques de la Méditerranée, tu en as chassé
l'occupant perse, tu as vaincu Darius, son roi, deux fois, d'abord au Granique,
ensuite à Issos… Et ayant poussé jusqu'en Égypte,
tu as fondé Alexandrie où tu as été reconnu Pharaon.
Il est temps maintenant de rentrer à la maison, notre mission est terminée.
ALEXANDRE - Tu es un Grec plein de mesure, général Parménion,
et c'est la raison même qui parle par ta voix. Mais je suis, moi, un Macédonien
avec son petit grain de folie. Mon destin serait-il accompli? Tu n'y songes
pas, je n'ai que vingt-cinq ans et j'ai ma vie devant moi. L'oracle me dira
ce qu'il faut que j'en fasse. Et je veux aussi savoir qui je suis exactement.
PARMENION - Qui tu es! Mais tu le sais parfaitement, tu es le fils du grand
Philippe de Macédoine et de sa reine, la noble Olympias.
ALEXANDRE - De ma mère, je suis sûr, mais… Je n'en dirai
pas plus. Déjà le soleil se couche et après nous être
abrités de ses rayons, il est temps, puisque nous ne pouvons pas chevaucher
de jour, de reprendre notre marche nocturne vers le temple d'Ammon.
2 - (en route pour le temple d'Ammon)
OLYMPIAS - Ô mon fils, c'est moi, ta mère Olympias…
ALEXANDRE - Mère, toi, ici, dans les sables profonds du désert
où, à chaque pas, le pied s'enfonce? Je te croyais en Macédoine!
OLYMPIAS - Je suis en Macédoine, mais je suis aussi ici. Ici, non point
dans mon corps physique, mais dans mon corps astral. D'un pied léger,
qui n'effleure même pas le sol, je viens t'accompagner un instant. Écoute,
ô mon fils…
ALEXANDRE - Est-ce une illusion?
OLYMPIAS - Non pas illusion, mais vérité! Écoute, ce que
je ne t'ai jamais dit, il faut aujourd'hui que je te le révèle.
ALEXANDRE – Te connaissant, je crains ce que tu vas me dire, ô ma
mère.
OLYMPIAS – Tu dois savoir que j'ai fait beaucoup pour toi. Lorsque le
malheureux roi Philippe a été assassiné, j'ai tout entrepris
pour que tu puisses lui succéder. Conformément à la coutume,
j'ai fait place nette autour du trône. Je me suis débarrassé
du nourrisson de la femme que Philippe venait en dernières noces d'épouser…
J'ai ensuite obtenu la condamnation de ton dangereux oncle, Attalos: il intriguait
pour s'emparer du pouvoir! Puis j'ai été assez habile pour faire
disparaître ton demi-frère Karanos et ton beau-frère Amyntas,
qui étaient menaçants, ainsi que les comploteurs Arrhabaios et
Héroménès, qui refusaient de se soumettre. O mon fils,
que de combats j'ai livrés pour te faire roi de Macédoine. Et
pourtant…
ALEXANDRE - Que de sang… Et pourtant?
OLYMPIAS - Et pourtant, tu ne sais pas encore toute la vérité.
ALEXANDRE – Vraiment, ma mère, j'ai peur d'en apprendre davantage!
OLYMPIAS - Ne crains pas, au contraire! Ce que je ne pouvais avouer alors, sous
peine de compromettre tous mes plans, je peux te le dire aujourd'hui, maintenant
que ton pouvoir est assuré… En vérité, tu n'es même
pas le fils de celui auquel tu as succédé.
ALEXANDRE - Je ne suis pas le fils de Philippe! Mais alors, de qui suis-je le
fils?
OLYMPIAS - Tu interrogeras le Dieu. Il en sait plus long sur cette question
que je n'en sais moi-même. J'ai simplement voulu te prévenir à
l'avance de t'attendre à des révélations.
3 - (dans le temple d'Ammon)
ALEXANDRE – (ton solennel) Ô grand-prêtre, Je viens ici, comme
sont venus autrefois le grand Persée et l'immortel Héraclès,
consulter le Dieu Ammon, dont tu es le serviteur.
LE PRETRE D'AMMON - Entre, Alexandre, entre dans ce lieu de gloire et de terreur,
où tu vas voir se révéler ton destin. (ton familier) Il
y a déjà quelques jours que nous avons été informés
de ton arrivée et nous nous sommes préparés par le jeûne
et la prière à répondre à tes questions.
ALEXANDRE – (ton familier) Mon âme est inquiète et j'ai besoin
d'être rassuré: qui suis-je, où vais-je, est-ce mon destin
d'être à l'avenir victorieux… Jusqu'à présent
je ne l'ai été qu'à moitié, puisque mon ennemi Darius,
m'a échappé.
LE PRETRE D'AMMON – (ton solennel) Mais d'abord, il faut, ô grand
roi, que tu te purifies… Fais couler sur ta tête cette eau lustrale.
ALEXANDRE - Puisse cette eau me préparer à entendre la parole
du Dieu (il le fait).
LE PRETRE D'AMMON - Et moi maintenant, il faut que je m'enivre du breuvage qui
me va me mettre en communication avec le Dieu. (il le fait) Maintenant, questionne
le Dieu…
ALEXANDRE - Je voudrais d'abord savoir si le Dieu a bien châtié
tous les assassins de mon père…
LE PRETRE D'AMMON - Que dis-tu? Si tu veux parler de Philippe de Macédoine,
rassure-toi, ses assassins ont été châtiés. Ceci
étant, il n'existe personne qui aurait pu attenter à la vie de
celui qui t'a réellement engendré…
ALEXANDRE - Comment cela?
LE PRETRE D'AMMON - Parce que tu es né du Dieu lui-même. Ce que
ta mère n'a pas osé te dire, je te le révèle, c'est
Ammon-Zeus qui est ton père.
ALEXANDRE – C'est Ammon-Zeus qui est mon père! (un temps) Je dois
dire que je ne suis pas réellement surpris, je le sentais en moi-même,
mais ça me fait tout de même un choc! Cependant, j'accepte donc
et reconnais cette filiation. Elle me place au premier rang des héros.
Mais veux-tu me dire encore si mon Père divin m'accorde aussi de régner
sur l'empire du monde?
LE PRETRE D'AMMON - Sa réponse est positive; il te l'accorde. Il te fait
savoir que si, jusqu'à présent, tu as été invaincu,
désormais tu es à tout jamais invincible. Pouvait-il mieux dire?
ALEXANDRE - Grâces soient rendues à l'éternel Père
de tous les dieux!
4 - (sur le chemin du retour)
PARMENION - Eh Bien, Alexandre, l'oracle t'a-t-il éclairé?
ALEXANDRE – Oui, il m'a éclairé…
PARMENION - J'en suis heureux. J'espère qu'alors nous retournons en Grèce?
ALEXANDRE - Non, Parménion. Nous n'irons pas nous chauffer au coin de
notre feu. Nous allons bien au contraire partir à la conquête de
l'inconnu. Nous volerons de victoire en victoire, le Dieu me l'a promis et nous
serions bien stupides de ne pas profiter de ses promesses. La victoire, songe
donc, la victoire!
PARMENION - Mais, Alexandre, la victoire n'est pas à remporter pour le
plaisir de la victoire…
ALEXANDRE - Que veux-tu dire?
PARMENION - Il faut que la victoire serve à quelque chose. Or, tu as
depuis longtemps atteint les buts que les Grecs t'avaient fixés…
Aristote ne t'a donc pas enseigné la modération?
ALEXANDRE - Ne me parle pas d'Aristote. Le monde est à moi et je ne veux
pas le perdre… Ah! je me sens comme emporté par l'aile immense
de la promesse qui m'a été faite. La victoire, toujours la victoire!
La grandeur de l'homme, c'est de passer la mesure.
PARMENION - Es-tu sûr d'avoir bien compris ce que le Dieu t'a dit. Pourrait-il
être du parti de la guerre? Ou peut-être est-ce, plutôt qu'Ammon,
Dionysos, le dieu de l'ivresse, qui t'a inspiré?
ALEXANDRE - Si cela est, oui, soyons ivres! Encore une fois, je ne suis pas
un Grec, je suis un Barbare. Rassemble nos compagnons, nous retournons à
Alexandrie et de là nous ferons nos préparatifs. Nous poursuivrons
Darius dans ses derniers retranchements…
PARMENION – Méfie-toi des Dieux! Et prend garde de ne pas céder
à ton ambition…
ALEXANDRE - Et ensuite, nous nous avancerons jusqu'aux confins du monde habité.
Je veux devenir, cher Parménion, le plus grand des conquérants!
Si je rentrais maintenant en Grèce, je tomberais dans l'oubli. Si je
pars au contraire pour soumettre l'univers, je le sais, je le veux, je peux
le dire, ma gloire sera éternelle. Mettons-nous en route immédiatement