Déposé à la SACD
L'ENFANT PRODIGUE
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES:
Jésus de Nazareth. Pierre, un de ses disciples.
Madeleine, une de leurs amies, chez qui ils logent.
Jacques, le frère de Jésus.
L'HISTORIEN DE SERVICE - La scène se passe en Palestine au temps de Jésus. On raconte en ville l'histoire cruelle des démêlés d'un père avec son fils qui s'est révolté contre lui. Jésus en profite pour expliquer la façon dont il souhaiterait que, dans un monde plus miséricordieux, les choses se passent et il transforme le fait divers en "parabole". La parabole est, sur le plan religieux, l'équivalent de la fable, une sorte de leçon exemplaire. La scène représente la maison de Madeleine, une amie de Jésus...
- 1 –
JESUS - Alors, Pierre et Jacques, avez-vous trouvé ce que vous vouliez
?
PIERRE - Oui, Jésus. Nous avons rapporté de la farine, de la très
bonne, de l'huile d'olive, des fèves. Un peu de viande aussi, de l'agneau.
MADELEINE - Et la toile que je vous avais demandée? Pour réparer
vos tuniques...
JACQUES - Ah, pour ça, non, Madeleine, nous n'avons rien trouvé.
MADELEINE - Vous êtes des bons à rien: chaque fois que je vous
demande quelque chose...
JESUS - Allons, Madeleine, nos tuniques peuvent encore tenir le coup longtemps.
Et que se passe-t-il en ville?
JACQUES - Oh, on discute beaucoup...
MADELEINE - Ah oui! À propos de quoi?
JACQUES - Une histoire entre le vieil Isaac et son fils... Enfin, celui qui
était son fils.
JESUS - Comment: qui était? Il ne l'est plus?
PIERRE - C'est bien là le problème: les avis sont partagés.
JESUS - Racontez-moi ça.
- 2 –
PIERRE - C'est une histoire de famille. Tu sais que le vieil Isaac est un homme
très riche. Il habite la grosse maison, après la synagogue. Il
a des troupeaux de brebis, des champs, des vignes, des serviteurs... Et il possède
aussi pas mal de maisons en ville.
JACQUES - Oui, il est vraiment très riche, et il a aussi deux fils, qui
sont grands. Et il les fait travailler dans ses champs comme des esclaves. C'est
un vieil avare... Enfin, c'est ce que disent les gens!
PIERRE - Et ceci, bien que le premier des fils soit marié et ait lui-même
des enfants...
JACQUES - Mais le cadet, lui, n'est pas encore marié et il est tout bouillant
de jeunesse. Et un jour, il en a eu assez de la vie que son père lui
faisait mener, sans même lui payer son salaire, et il est parti.
PIERRE - Tu oublies de dire qu'avant de partir, il a volé à son
père une bonne quantité de pièces d'or pour le voyage!
JACQUES - J'en aurais bien fait autant! Son père le lui devait bien.
MADELEINE - Et alors: qu'est-ce qui est arrivé?
JACQUES - C'était vraiment un tout jeune homme, il avait envie de s'amuser,
de danser, de jouir de la vie. Il est allé à Césarée...
MADELEINE - Ah, je comprends. Dans ces ports de mer, on trouve de tout, à
cause des marins et des soldats romains qui veulent s'amuser: des boîtes,
des filles, de la drogue.
JACQUES - C'est bien ça qu'il cherchait. Bon! À ce régime-là,
son argent n'a pas fait long feu. Ensuite, il n'avait plus rien, il n'a pas
pu trouver de travail, et il est tombé dans la misère. La nuit,
il dormait dans les fossés des routes, le jour, il essayait de mendier...
PIERRE - Et en plus, si je comprends bien, il avait attrapé des maladies...
MADELEINE - Ces jeunes, ils ne savent pas prendre de précautions!
JACQUES - Alors il s'est dit: "Je vais rentrer à la maison: mon
père me pardonnera peut-être." Et, tout maigre et tout pâle,
avec juste un petit chiffon autour des reins, il est revenu et il s'est assis
à la porte de son père. Mais son père n'a pas voulu le
recevoir...
PIERRE - Le fils est bien resté à la porte pendant dix jours,
au vent, au soleil et à la pluie.
JACQUES - Et les serviteurs de son père et ses amis entraient et sortaient,
son frère aussi, et sa belle-sœur: mais personne ne le regardait.
C'était la consigne.
PIERRE - D'autant plus que le rabbin s'en était mêlé, intransigeant,
comme toujours!
JACQUES - À la fin, de froid et de faim, il s'est évanoui et on
l'a transporté chez Marthe, la guérisseuse. Il est mourant. Mais
le Père ne veut rien savoir: il ne lui pardonne pas. Et têtu comme
il est... Tu nous écoutes, Jésus?
- 3 –
(la parabole de l'enfant prodigue)
JÉSUS - Oui, je vous écoute. Mais je pense aussi au Royaume...
Quand le Royaume de Dieu sera arrivé, les choses ne se passeront pas
comme ça... Je vais vous raconter comment cela se passera. Écoutez:
Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père: "Père,
je veux partir, j'ai besoin d'argent…"
MADELEINE - C'est tout à fait comme dans la réalité!
JÉSUS - Oui, cela commence de la même façon.
PIERRE - Et lui aussi, dans ton histoire, il va à Césarée
et il perd tout son argent avec des prostituées ?
JÉSUS - Oui, sauf que je ne suis pas sûr que ce soit à Césarée...
Peut-être ailleurs…
PIERRE - Je vois: tu ne veux pas avoir d'ennuis avec les Romains?
JÉSUS – Le penses-tu vraiment? En tout cas, le malheureux fils
en est bientôt réduit à garder les cochons et à leur
disputer leur nourriture.
MADELEINE - Garder des cochons, c'est bien le dernier des métiers. Et
alors?
JÉSUS - Eh bien, comme dans votre histoire à vous, il se dit que
même les ouvriers de son père sont plus heureux que lui et, bien
qu'il ait terriblement peur de ce qui se passera, il revient...
MADELEINE - Et alors?
JÉSUS - Et alors son père l'aperçoit de loin et court se
jeter dans ses bras et l'embrasse très tendrement. "Père,
dit le fils, j'ai mal agi... " Et le père: "De quoi parles-tu
? Quelle joie de te voir de retour. Vite, mes serviteurs, apportez mon plus
beau vêtement pour mon fils, et dressez la table avec la plus belle des
nappes, et allez chercher le plus gras de nos veaux pour faire un grand festin:
car mon fils était mort et il est vivant; il était perdu et je
l'ai retrouvé."
MADELEINE - Ça alors, un père pareil, c'est nouveau!
PIERRE - Et c'est vrai, dis, Jésus, ton histoire à toi?
JACQUES - Non, il l'a inventée: ça n'est pas possible, c'est trop
beau.
PIERRE - Il ne le châtie pas, son père? Quelques bons coups de
bâton...! Moi, je sais bien que...
JÉSUS - Non, il ne le châtie pas: il l'aime trop. C'est son fils
dernier-né. Il n'y a pas si longtemps, c'était un petit enfant
qui jouait dans ses jambes et il le prenait dans ses bras, et il l'embrassait,
et il frottait sa barbe contre lui...
PIERRE - Mais c'est un vieil avare!
JÉSUS - Qui a dit que c'était un vieil avare? Ne jugez pas et
vous ne serez pas jugés, ne le savez-vous pas? Quant à savoir
si mon histoire est vraie: oui, elle est vraie, mais elle n'est peut-être
pas encore arrivée.
JACQUES - Et elle arrivera bientôt?
JÉSUS - Oui, dès que vous aurez changé vos cœurs.
MADELEINE - Et je voudrais bien savoir ce qu'a dit le fils aîné?
JÉSUS - Eh bien, justement, il rentrait des champs, couvert de poussière,
bien fatigué par sa journée de travail. Et il voit que l'on tue
le veau gras pour son frère...
MADELEINE - Je sais ce qu'il dit à son père: "Et moi, alors?
J'ai toujours durement travaillé pour toi et jamais tu ne m'as même
offert de quoi payer une fête à mes amis, avec une bonne table
et un petit orchestre pour danser... "
JÉSUS - Oui, Madeleine, c'est bien ça qu'il dit. Et on ne peut
pas lui en vouloir d'être un peu jaloux. Mais le père est tout
étonné: "Toi, je ne t'ai jamais perdu, tu as toujours été
avec moi... Mais ton frère, je l'avais perdu et nous l'avons retrouvé.
Il était mort et il est de nouveau vivant. Réjouis-toi avec nous."
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