Déposé à la SACD
ARCHIMEDE, LE SAVANT FOU.
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Le général romain. Marcellus, le consul romain. Archimède.
Le roi de Syracuse. Un héraut. Un soldat romain.
L'HISTORIEN DE SERVICE – Archimède vivait au IIIe siècle av. J.C. Il était originaire de Syracuse en Sicile, mais il avait beaucoup voyagé, en particulier en Égypte. Il était devenu un grand ingénieur et un grand mathématicien, ce qui veut dire que non seulement il maniait très bien les chiffres, mais encore qu'il était aussi très bricoleur. Quand les Romains vinrent assiéger Syracuse, en 212 av. J.C., il se mit au service de sa ville et il aida puissamment à sa défense.
1 – (dans le camp des Romains)
LE GÉNÉRAL - Ça y est: le savant fou a encore frappé!
MARCELLUS – Général, tu veux dire Archimède?
LE GÉNÉRAL - Qui d'autre? Consul Marcellus, sans ce diabolique
inventeur, il y a longtemps que nous en aurions terminé avec Syracuse.
Il est intolérable qu'un Grec se permette de ridiculiser comme il le
fait l'armée romaine, qui lui fait l'honneur d'assiéger sa ville.
MARCELLUS - D'où te vient cette bouffée d'indignation? Les Grecs
sont en général - oh, pardon, général! - bien plus
malins que les soldats romains. Qu'a-t-il encore fait aujourd'hui ?
LE GÉNÉRAL - La pire des choses... Tu sais qu'une partie des remparts
de la ville plonge directement dans la mer… Or donc, nos vaisseaux s'approchaient
tranquillement pour y mener une de nos attaques quotidienne -la routine!-, lorsque
soudain descend du mur une sorte de grand tentacule...
MARCELLUS - Je ne comprends pas...
LE GÉNÉRAL - Un monstre au long cou, dont il tombe... un grappin,
pour ainsi dire. Et ce grappin saisit l'avant d'un de nos vaisseaux, l'immobilise
dans ses griffes et le tire hors de l'eau jusqu'à le suspendre entièrement
le long du rempart...
MARCELLUS - Tel un poisson que l'on vient de ferrer et qui frétille au
bout de la ligne?
LE GÉNÉRAL - Exactement! Sauf que le bateau ne frétille
pas du tout de lui-même, mais que c'est le grappin qui le secoue vigoureusement
pour faire tomber dans l'eau tous les marins qui s'agrippent à lui…
Et qu'ensuite il le lâche et l'envoie se fracasser sur les rochers au
pied de la muraille!
2 – (à Syracuse)
LE ROI DE SYRACUSE - Le peuple t'est reconnaissant, Archimède. Nous allons
te faire citoyen d'honneur de notre ville... Grâce à toi, cela
fait trois ans que les Romains se cassent les dents contre nos remparts!
ARCHIMÈDE - Je te rappelle, roi de Syracuse, que je suis content de vous
avoir rendu service mais souviens-toi que tout ce que j'ai fait pour notre ville,
c'est grâce à mes travaux sur les mathématiques fondamentales...
Il faut donner sa place à la science, j'y tiens!
LE ROI DE SYRACUSE - Eh, eh, grand mathématicien, tu ne dédaignes
pas les applications pratiques, et en particulier les machines de guerre.
ARCHIMÈDE - Oui, je dois dire, elles m'amusent. Et si en plus, elles
sont efficaces!
LE ROI DE SYRACUSE - Et comment! Tu mérites vraiment le titre d'Ingénieur
militaire…Voyons, j'en fait établir la liste de tes inventions,
pour l'édification du petit peuple, qui a la mémoire courte: écoute
notre héraut!
LE HÉRAUT - Liste des machines de guerre inventées par Archimède
pour défendre sa ville: d'abord les lance-pierres, dont les gros cailloux
partent en sifflant faucher l'armée ennemie; ensuite les arbalètes
perfectionnées qui de loin l'accablent de javelots serrés et impitoyables;
puis les meurtrières qui permettent de tirer comme des lapins les soldats
romains qui s'approchent de trop près; puis les béliers mobiles
à tête de bronze qui sont lancés avec force du haut des
remparts et défoncent le pont des bateaux; puis les catapultes marines
qui atteignent les bateaux à distance et les font couler après
les avoir déchiquetés; puis les miroirs articulés qui,
captant les rayons du soleil et les dardant sur les vaisseaux ennemis, finissent
par les incendier. Et enfin les puissantes grues qui s'emparent des bateaux
ennemis et les fracassent contre nos remparts... comme les Romains viennent
tout juste de s'en apercevoir.
LE ROI DE SYRACUSE - Pour tout ceci nous te remercions, ô Archimède.
ARCHIMEDE – Je ne m'étais pas rendu compte qu'il y en avait autant!
3 – (dans le camp des Romains)
LE GÉNÉRAL - Par Jupiter, si ne pouvons pas prendre Syracuse par
la force, nous la prendrons pas la ruse: nos espions ont remarqué qu'une
des tours était bien mal gardée...
MARCELLUS - Quand lancerez-vous l'attaque?
LE GÉNÉRAL - Cette nuit. Et quand nous aurons pris la ville, que
ferons-nous du savant fou? Nous lui couperons la tête?
MARCELLUS - Surtout pas: il vaut trois armées à lui seul! Non,
nous le prierons très humblement de bien vouloir se mettre au service
de la république romaine.
LE GÉNÉRAL - Très humblement! C'est une honte. Il faut
au moins l'envoyer travailler, les fers aux pieds, dans les mines de sel.
MARCELLUS - Et cela nous rapportera quoi? C'est un grand géomètre,
il joue avec les leviers, les hélices, les cercles, les cylindres, les
troncs de cône, les pyramides...
LE GÉNÉRAL - Nous n'en avons vraiment rien à faire. La
République n'a pas besoin de savants.
MARCELLUS - Tu es un simple d'esprit, général! Rome au contraire
s'honorera de sa présence. Il viendra chez nous et il nous fabriquera
non seulement des machines de guerre, dans lesquelles il a acquis une grande
expérience, mais des machines de toute sorte, pour irriguer les terres,
pour transporter les récoltes, pour construire les maisons et les temples,
pour tracer les routes, pour faire de la musique... Un savant, ça sert!
C'est une loi de la nature. Même un militaire devrait comprendre ça.
LE GENERAL – Je ne suis lent d'esprit! Mais, ça va, je crois que
j'ai compris...
4 – (dans Syracuse conquise)
UN SOLDAT ROMAIN - On nous a dit de bien rechercher dans la ville un certain...
Dis donc, toi, qu'est-ce que tu glandes par ici?
ARCHIMÈDE - Un cylindre dont la base est égale à un grand
cercle de la sphère...
UN SOLDAT ROMAIN - Je ne comprends pas ce qu'il raconte. La ville brûle,
on massacre ses habitants, et lui, assis sur une pierre, il écrit tranquillement
par terre avec son doigt. Eh, tu m'entends?
ARCHIMÈDE - Ah! Quoi, qu'est ce que tu dis?... est égal à
trois fois...
UN SOLDAT ROMAIN - C'est un fou! Et il est vêtu comme un mendiant. Je
vais lui faire sa fête. Eh, dis donc, je te parle!
ARCHIMÈDE – Tu me parles, qu'est ce que tu veux?
UN SOLDAT ROMAIN - Je suis un soldat romain... D'abord tu te lèves et
tu me salues. On respecte les militaires!
ARCHIMÈDE - J'ai beaucoup de respect pour toi, mais tu vois, je viens
de résoudre un problème difficile et il faut absolument que je
finisse d'écrire ma démonstration.
UN SOLDAT ROMAIN - Qu'est-ce que c'est que ce charabia? Est-ce que tu connais
Archimède?
ARCHIMÈDE - Personne ne se connaît soi-même, tu devrais le
savoir, ô noble soldat.
UN SOLDAT ROMAIN - Il se fout de moi. Allons, réponds...
ARCHIMÈDE - Je n'ai plus rien à dire. Laisse-moi achever ce que
je fais...
UN SOLDAT ROMAIN - Alors qu'il ne se plaigne pas de son sort... Je viens tout
simplement de lui planter mon glaive dans le ventre. Au suivant...
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