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Déposé à la SACD


LA REVOCATION DE L'EDIT DE NANTES

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
La pièce est jouée par des enfants protestants de l'époque des faits.
(Ils ont tellement vu ce qui se passe chez eux, qu'ils le reproduisent dans leurs jeux, comme s'ils jouaient
au gendarme et au voleur!) Jeanne, Pierre, Samuel, Etienne, Élie, jouant comme des acteurs
qui veulent montrer qu'ils jouent. (en caractères gras, ce qu'il disent en tant qu'eux-mêmes,
en caractères normaux ce qu'ils disent en tant que les personnages qu'ils incarnent)
(la pièce se joue sans interruption dans le même lieu)

L'HISTORIEN DE SERVICE - Henri IV avait promulgué l'édit de Nantes en 1598 pour permettre aux catholiques et aux protestants de vivre en bonne harmonie. Mais son petit-fils Louis XIV décida au contraire en 1685 d'éliminer les protestants du Royaume et employa à cela tous les moyens, même les plus violents. En particulier ce qu'on a appelé les "Dragonnades", ce qui consistait à envoyer loger chez les protestants des soldats (certains s'appelait des "dragons") qui saccageaient les maisons et s'y livraient à toute sorte d'exactions. Sur scène, ce sont des enfants du temps des Dragonnades qui jouent ce qu'ils ont vu se passer autour d'eux....

Prologue
PIERRE - Toi, tu seras le dragon.
SAMUEL - Oui, le dragon, pourquoi pas? (il prend un pose menaçante) Je veux bien!
PIERRE - Et vous deux, Etienne et Jeanne, vous ferez les protestants, le père et la mère.
JEANNE - Et qui fera l'enfant?
PIERRE - Élie, naturellement.
ETIENNE - Et toi?
PIERRE - Moi, je serai monsieur le curé. Vous voyez ça: moi, le curé!
ELIE - Bon, je suis l'enfant. Je saurai faire. Allons-y, on joue.

1
LE DRAGON (Samuel) - Attention, attention, je suis les dragons, les dragons du Roi qui s'en viennent faire justice des huguenots… (frappant à la porte de la maison des huguenots) Holà, holà… Qu'on ouvre cette porte… Au nom du Roi! …Si on ne l'ouvre pas, je vais l'enfoncer. Holà, les huguenots!
LE PERE - (Etienne, de l'intérieur) Malédiction, ce sont les dragons, les dragons du Roi!
LA MERE (Marie) - Vite, cache-toi! Ils sont terribles!
LE PERE – (Etienne) Me cacher… Où?
LA MERE (Marie) - Mon Dieu, dans la grange, sous le foin… Vite, qu'on ne puisse pas te voir…
LE DRAGON (Samuel) - (frappant toujours à la porte) Dépêchez, dépêchez… J'enfonce la porte… Je me prépare… (il va prendre son élan) Je suis les dragons du Roi.
LA MERE (Marie) - Une minute, monsieur le dragon, juste une petite minute!
LE PERE (Etienne) - Ca y est, j'y suis… Nous, nous sommes les protestants, le dragon ne m'avait pas laissé le temps de le dire. Referme soigneusement la grange.
LE DRAGON (Samuel) - (essaye d'enfoncer la porte d'un coup d'épaule) Han… (une seconde fois, ouvre la porte et vient s'étaler par terre)

2
LA MERE (Marie) - Monsieur le dragon du Roi, vous vous êtes fait mal? Pardon, faites excuse!
LE DRAGON (Samuel) - Vous me le paierez, méchante huguenote!
LA MERE (Marie) - Que voulez-vous, monsieur le dragon? … Oh, je tremble!
LE DRAGON (Samuel) - Comme si vous ne le saviez pas! Je viens prendre logement chez vous… (se relève en jurant). Eh bien, dites donc, elle est mignonne, la petite dame… Hein, ma poulette (il lui chatouille le menton) Comment est-ce qu'une si mignonne petite dame peut être de la Religion? (il cherche à l'embrasser, elle se dégage) Mais nous verrons ça plus tard. En attendant, montre-moi ma chambre, hérétique!
LA MERE (Marie) - Nous n'avons pas de chambre à vous donner, monsieur le dragon, allez voir ailleurs.
LE DRAGON (Samuel) - Allons donc! (enfonçant une autre porte) Et ça, qu'est-ce que c'est?
LA MERE (Marie) - Mais, c'est la nôtre, c'est notre chambre….
LE DRAGON (Samuel) - J'y serai très bien. Mais je ne veux plus voir ce miroir (une balle de pistolet dans le miroir), ni ces rideaux (un coup de sabre)… Et puis, vous me viderez ces placards (il jette). Et qu'est ce qu'elle a fait de son mari, la mignonne?
LA MERE (Marie) - Mon mari… heu… Il est parti.
LE DRAGON (Samuel) - Il est parti où?
LA MERE (Marie) - Je ne sais pas…
LE DRAGON (Samuel) - Ah oui, on ne sait pas! Peut-être qu'il a émigré, peut-être qu'il s'est caché. Laisse-moi voir un peu… (il fouille partout en saccageant avec son épée, puis il tombe sur la porte de la grange) Et dans ce tas de foin? Qu'est-ce que tu préfères, mignonne, que j'y passe mon épée au travers ou que j'y mette le feu?
LA MERE (Marie) - Arrêtez! Il serait capable de le faire;
LE DRAGON (Samuel) - Allez, le mari, tu sors de là, tu es fait. (le père sort) Te voilà donc… Pouah, un homme qui se cache! Je vais te faire flamber la moustache… Et puis je t'enverrai aux galères.
LE PERE (Etienne) - Et toi, dragon du diable, je suis sûr que tu iras griller en enfer pour ce que tu fais, persécuter des innocents. En enfer, avec le Pape et tous les mauvais chrétiens.

3
PIERRE - Vas-y, Elie, si on ne les arrête pas, ça va durer encore longtemps. A toi de jouer.
L'ENFANT (Élie) - Papa, papa, ils me poursuivent… Moi, je suis l'enfant et j'ai des problèmes avec les curés. Jusqu'ici j'ai fait semblant… Mais qu'est ce qui se passe ici?
LE PERE (Etienne) - Il se passe ici que… Tu vois bien: c'est le dragon qui fait des siennes. Il a un billet de logement. Mais pourquoi te poursuivent-ils?
L'ENFANT (Élie) - C'est le curé: il veut m'attraper et m'envoyer dans un couvent pour que j'y sois éduqué comme un catholique. Moi, je ne veux pas y aller, je ne veux pas aller à la messe et faire la communion, je ne veux pas adorer des images, la Bible l'interdit.
LE PERE (Etienne) - C'est peut-être la dernière fois que je peux te le dire, mon enfant. Sois fidèle à l'Éternel, au Dieu de la Bible. Persévère…
LA MERE (Marie) - Mon chéri… ne deviens pas semblable à ces misérables catholiques, ne te convertis jamais! Promets-le-moi.
LE PERE (Etienne) - Ces curés de campagne sont de véritables tyrans. Sous prétexte qu'ils ont charge d'âmes, ils font régner la terreur! Mais le voilà, justement.

4
LE CURE (Pierre) - Moi, je suis le curé du village, le curé et le maître d'école. Je poursuis cet enfant parce que… Mais je vois qu'ici les choses se précipitent. Très bien, monsieur le dragon, arrêtez cet homme. C'est un fanatique, j'en ai maintenant la preuve.
LE PERE (Etienne) - Quelle preuve?
LE CURE (Pierre) - Son fils… Cet enfant nous a trompés. Nous l'avons instruit et il nous a fait croire qu'il voulait être bon catholique. C'est en réalité un monstre d'hypocrisie. Il assistait pieusement à la messe et il allait recevoir la Sainte Eucharistie… mais il n'y croyait pas et chaque fois qu'il a assisté à la messe et qu'il a communié, il a commis des sacrilèges.
LA MERE (Marie) - Ah mon chéri, que je suis heureuse. Tu es resté ferme dans ta foi!
LE CURE (Pierre) - Les parents ne doivent pas apprendre à leurs enfants à se révolter contre l'autorité du Roi… Au nom du Roi, donc, je vous enlève la garde ce cet enfant. Il sera enfermé dans un couvent et puni jusqu'à ce qu'il donne des preuves évidentes qu'il est devenu un bon catholique. Et peut-être qu'ensuite nous le ferons entrer au séminaire.
LA MERE (Marie) - Hélas, hélas!
LE CURE (Pierre) - Et vous, monsieur le dragon, conduisez cet homme au tribunal pour qu'il y soit condamné. A la potence ou aux galères. J'y veillerai.
LE DRAGON (Samuel) - Et la mignonne?
LE CURE (Pierre) - Nous la laisserons provisoirement en liberté pour qu'elle puisse payer la pension de son fils dans le couvent où nous allons le mettre.
LA MERE (Marie) - Jamais! Vous payer pour faire de mon fils un curé. Plutôt mourir!
LE CURE (Pierre) - Mourir, ça peut arriver. Ne faites pas de pareilles menaces… Viens, petit…
L'ENFANT (Elie) - Maman, maman…
LE CURE (Pierre) - Non, non, ne cherche pas à t'échapper. Je te tiens. Monsieur le capitaine des dragons, je vous laisse le soin de convaincre cette dame de revenir à la raison. Occupez-vous d'elle. Je sais que vous avez des arguments irrésistibles. (il sort avec l'enfant)
LE DRAGON (Samuel) - J'en prendrai bien soin… Viens avec moi, ma poulette, nous allons tout de suite commencer à t'apprendre ton catéchisme. J'allais oublier: voilà mon billet de logement. Il faut que les choses soient faites dans les règles…
LA MERE (Marie) – Hélas!

SAMUEL - (aux spectateurs) Voilà, c'est fini. C'est une bonne chute, non?
ELIE - J'ai bien joué?
MARIE - Parfait! Et toi aussi, le dragon…
ETIENNE - Oui, vraiment. Excellent!
PIERRE – Finalement on s'en est tous très bien tiré.
SAMUEL – Si c'est ça, je crois qu'on a bien mérité qu'on s'applaudisse… (comme ils ne sont pas supposés avoir des spectateurs, il s'applaudissent eux-mêmes)

RAPPEL HISTORIQUE

L'apparition du protestantisme (Luther, Calvin) dans les années 1520-1530 a été suivie en France de longues guerres de Religion entre huguenots (c'est comme cela que s'appelaient les protestants français) et catholiques. Ces guerres très cruelles durèrent une cinquantaine d'années et se développèrent un peu partout sur le territoire, particulièrement dans le sud, dans le sud-ouest et dans l'ouest. Henri IV y mit fin par des traités longuement négociés entre les parties et consacrés par l'Edit de Nantes en 1598.
Mais l'opinion publique n'avait pas encore vraiment admis la possibilité d'une pluralité religieuse dans la nation et la secrète aspiration demeurait que tous les citoyens soient "de la religion du Prince". Au mieux, les catholiques, dont la religion est d'essence autoritaire (Dieu, le Pape, les évêques… etc.) et prétend à la vérité, considéraient que le traité avait été conclu pour donner aux protestants le temps de se convertir! Et de fait, au cours du dix-septième siècle, les droits des protestants furent progressivement réduits et, tandis que se développait une campagne vigoureuse pour les ramener à tout prix au bercail, il devint effectivement pour eux très difficile de subsister. Parmi leurs adversaires se trouvaient de grands intransigeants tels que les jansénistes, la compagnie du Saint-sacrement, les jésuites, Bossuet…!
Jusqu'à ce qu'enfin Louis XIV, un autre grand intransigeant, persuadé d'autre part que presque tous les protestants s'étaient convertis, décréta en 1685 que L'Edit de Nantes pouvait sans dommage être révoqué. Le protestantisme devenait dès lors interdit sur le territoire français. Or il y avait encore en France environ 750 000 protestants!
L'édit de révocation ordonnait la démolition de tous les temples, faisait défense aux protestants de s'assembler, pour l'exercice de leur culte, en aucun lieu ou maison particulière, prescrivait que leurs enfants fussent élevés dans la religion catholique, enjoignait aux pasteurs qui refuseraient d'abjurer de sortir du royaume dans les quinze jours, sous peine des galères, menaçait de la même peine les protestants qui tenteraient de passer à l'étranger et punissait de la confiscation de leurs biens ceux qui y parviendraient.
Malgré l'interdiction qui leur fut faite de s'enfuir, près de 300.000 "religionnaires" trouvèrent moyen de quitter la France pour des refuges tels que Berlin, Londres, Genève, Amsterdam ou même Le Cap, en Afrique du sud. Le départ de ces exilés, issus de la bourgeoisie laborieuse, appauvrira la France en la privant de nombreux talents et fera à l'inverse la fortune de leurs pays d'accueil. Cependant que cette politique nourrira à l'extérieur un profond ressentiment contre la France et son monarque.
La Révocation de l'Edit de Nantes est aujourd'hui considérée comme une grave faute morale et politique. En 1787, Louis XVI promulgua un édit de tolérance qui mit fin aux persécutions. Ce fut la Révolution française de 1789 qui rétablit les protestants dans tous leurs droits.