Déposé à la SACD
BONAPARTE : LA CAMPAGNE D'ITALIE
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
L'historien de service,
Bonaparte, un passant, Carnot, Barras, Joséphine,
trois soldats de l'armée d'Italie
-1 -
L'HISTORIEN DE SERVICE – En 1796, à la fin de la Révolution,
les caisses de la toute jeune République française étaient
vides. La riche Italie du nord étant à portée de la main,
le Directoire décida d'aller y faire une razzia. C'était d'autant
plus tentant que la place était occupée par l'Autriche! Bonaparte
fut chargé de mettre à exécution le plan qu'il avait lui-même
élaboré deux ans plus tôt. Il y fit une campagne éblouissante...
Mais le voici qui, après avoir arraché Toulon aux Anglais, arrive
à Paris. Mais il n’y connaît personne. Le chapeau à
la main, il rencontre un inconnu auquel, à tout hasard, il s'adresse.
BONAPARTE - Bonjour... Je m’appelle Bonaparte… Mais je vois que
vous êtes pressé…
LE CITOYEN PRESSÉ - En effet. Je vous demande pardon...
BONAPARTE - S’il vous plaît, monsieur, je veux dire: citoyen! je
cherche du travail...
LE CITOYEN PRESSÉ - Cherchez, cherchez, vous trouverez, comme dit le
proverbe.
L'HISTORIEN DE SERVICE - On ne saura jamais qui cela pouvait être. Mais
voilà un second passant, tout aussi pressé, mais beaucoup plus
important.
BONAPARTE - Je voudrais bien trouver un emploi, s’il vous plait! Je suis
capitaine d’artillerie.
CARNOT - Mon pauvre capitaine, par les temps qui courent...
BONAPARTE - Citoyen Carnot, c'est vous?
L'HISTORIEN DE SERVICE - Carnot! C’est Carnot, l’homme qui a la
haute main sur l’armée de la Révolution, en attendant de
donner son nom à tant de lycées!
BONAPARTE - Citoyen Carnot... un tout petit emploi!
CARNOT - L’armée n’a plus d’argent, capitaine, vous
le savez mieux que moi!
L'HISTORIEN DE SERVICE - Pas de chance! Mais heureusement, voici Barras, un
personnage encore plus important que Carnot.
BONAPARTE - Citoyen Barras, pour l’amour du peuple... Le peuple a besoin
de son armée... Un emploi, je vous en prie... Vous êtes membre
du Directoire, vous avez tout pouvoir!
BARRAS - Mon pauvre capitaine, il y a tellement de jeunes hommes courageux ici
et là dans notre république! Nous ne savons plus qu’en faire.
BONAPARTE - Vous ne vous souvenez pas: c’est moi qui ai pris Toulon!
BARRAS - Ah oui! Si, je me souviens. C’est très bien, ça...
Félicitations! Mais si Toulon est vraiment prise, Toulon n’est
plus à prendre. On vous écrira.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Barras s’en va. Décidément notre
capitaine n’a pas de chance! Heureusement que pour le distraire passe
une très jolie femme.
BONAPARTE - Ah, dame de mon cœur, que vous êtes belle! Comment vous
appelez-vous?
JOSÉPHINE - Je ne sais pas si je dois... Je m’appelle Joséphine,
jeune homme.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Juste à ce moment Barras revient…
BARRAS - J’ai réfléchi: à moins que ça ne
vous intéresse de devenir général et de prendre le commandement
de la Garde Nationale?
BONAPARTE - Joséphine, voulez-vous m’épouser,
JOSÉPHINE - Général, vous avez pris Toulon: comment vous
résister?
BARRAS - Vous ne me répondez pas? Mais plus j’y réfléchis...
Je vous enverrais plutôt en Italie? Oui, en Italie. C’est décidé!
En Italie: en tant qu'amoureux, ça vous fera les pieds! Général
en chef de l’armée d’Italie. Ah, ah!
BONAPARTE - Impossible, je viens de me marier.
BARRAS - Vous ne savez pas ce que vous voulez!
JOSÉPHINE - Allons, allons, sois raisonnable, général Bonaparte.
Tu as tout à y gagner. Et moi aussi! Je serai bien sage… Au revoir,
mon amour...
BONAPARTE - Mais c’est vous que je veux... Non, elle a raison. L'Italie,
j’y vais! Ca va chauffer.
2 - (à Paris, dans l'antichambre du Directoire)
L'HISTORIEN DE SERVICE - Entrez, entrez, je vous en prie... Honneur à
trois des héros de la campagne d’Italie! Eh bien, puisque vous
êtes chargés de raconter vos victoires au Directoire, le général
Bonaparte m'a demandé, à moi, l'historien de service, de vous
faire faire une petite répétition... Voyons! Dans quel état
a-t-il trouvé les soldats de l’Armée d’Italie quand
il est arrivé?
PREMIER SOLDAT - Nus, mal nourris, mal armés...
TROISIÈME SOLDAT - C’est lui qui l’a dit.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Très bien. Et alors?
SECOND SOLDAT - Et alors? Eh bien! nous avons été nous servir
chez les Autrichiens: ils en avaient des pleins placards. On les a bousculés
cul par dessus tête!
L'HISTORIEN DE SERVICE - Exact! Racontez-moi ça.
PREMIER SOLDAT - Toi, raconte...
TROISIÈME SOLDAT - Non, pas moi, lui!
SECOND SOLDAT - Je veux bien. D’abord on s’est fait les Sardes et
les Autrichiens, du côté de Gênes. On a commencé par
les séparer; et puis, après les avoir séparés: Montenotte
sur l’un, Milesimo sur l’autre... Pan et pan! Ah! Vous en revoulez:
Dego sur l’autre, Mondovi sur l’un... Repan et repan...
L'HISTORIEN DE SERVICE - C’est bien ça... Les 12, 13, 14 et 16
avril. Sans bavures, perd pas de temps! Quatre batailles en cinq jours... Nous
sommes en 1796!
SECOND SOLDAT - Quatre batailles et une première paix! Toujours ça
de pris! Ensuite... en colonne par deux, allons, allons, pressons! et en route
pour Milan, en passant par le pont de Lodi: Lodi, vous connaissez? Quant à
Milan, on occupe... On prend!
L'HISTORIEN DE SERVICE - Exactement. Le 14 mai!
SECOND SOLDAT – Vous êtes sûr que ce n'était pas le
15?
L'HISTORIEN DE SERVICE – Non, je crois, vraiment le 14.
SECOND SOLDAT – Il faudra que vous vérifiiez. En tout cas, Milan,
ce n’est pas suffisant: il faut maintenant prendre Mantoue, qui sert de
base aux Autrichiens. Manœuvres diverses, attaques, dérobades, contre-attaques...
Et après avoir pataugé dans le marais d’Arcole...
L'HISTORIEN DE SERVICE - Laissez-moi consulter mon livre...
SECOND SOLDAT - Ce n’est pas la peine, je suis sûr de mon fait...
on occupe Mantoue.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Et puis? Voyons si vous savez la suite?
PREMIER SOLDAT - Et puis, à peine Mantoue occupée, on repart.
L'HISTORIEN DE SERVICE - En effet!
SECOND SOLDAT - Et c’est Rivoli, près du lac de Garde... Trop compliqué
pour vous expliquer, mais grande victoire! Rivoli: beaucoup de bruit, beaucoup
de prisonniers, beaucoup de canons, beaucoup de drapeaux...
PREMIER SOLDAT - Ah, là, là! Après ça, on aurait
bien soufflé un petit peu!
TROISIÈME SOLDAT - Attends: le boulot n’est pas fini, tu le sais
bien...
L'HISTORIEN DE SERVICE - Ah bon...? Continuez!
SECOND SOLDAT - Pas même le temps de se vanter, la route de Vienne est
ouverte: on prend la route de Vienne... vous entendez bien: de Vienne, en Autriche,
la capitale de leur Empire!
TROISIÈME SOLDAT - On s’y précipite...
PREMIER SOLDAT - Les légions romaines faisaient 24 milles par jour...
TROISIÈME SOLDAT - Nous, nous en faisons 3O... tout en nous battant!
SECOND SOLDAT - Laissez-moi parler! Contentez-vous de marcher et de vous battre...
Nous avons si bien marché et nous nous sommes si bien battus que nous
approchons bientôt des hauteurs qui dominent Vienne... Vous vous rendez
compte: partis misérablement de Nice, nous avons traversé tout
le nord de l’Italie et nous arrivons en Autriche! Malheureusement...
L'HISTORIEN DE SERVICE - Malheureusement... la paix est conclue à Campo-Formio
SECOND SOLDAT - C’est toujours comme ça que se terminent les guerres...
Foutues paix!
PREMIER SOLDAT - Mais dis donc, je croyais que Joséphine...
TROISIÈME SOLDAT - Joséphine?
SECOND SOLDAT - Effectivement, j’oubliais: Joséphine, la tendre
Joséphine, s’est pointée à Brescia en plein combat...
TROISIÈME SOLDAT - Et alors?
SECOND SOLDAT - Et alors, ça a un peu perturbé le petit caporal...
Oui, c’est comme ça qu’on l’appelle maintenant, le
général Bonaparte: le petit caporal... Donc, ça l’a
quand même un peu perturbé...
TROISIEME SOLDAT - Je parie qu'elle est arrivée comme une fleur au milieu
des coups de canon et qu'elle lui a dit: "Mon chéri, que vous êtes
beau, que vous êtes grand... Faisons l’amour, entre deux guerres!"
PREMIER SOLDAT - On comprend que ça l’ait mis tout sens dessus
dessous!
SECOND SOLDAT - Après quoi, il y a eu un moment de flottement et il s'en
est fallu de peu qu'on perde le nord, mais on a quand même remporté
la victoire!
LES TROIS SOLDATS – Vive Bonaparte, vive le Petit caporal, hurrah!
L'HISTORIEN DE SERVICE – C'est très bien. Très suggestif,
très enlevé… Parfait. Et quand vous aurez fini votre exposé,
j'ajouterai, citant l'un de mes illustres collègues… (il feuillette
son livre) Voyons, c'est là, voilà: “La campagne d’Italie,
c’est la plus belle campagne de notre héros: il n’avait que
peu de soldats, peu d’armes et peu d’argent, point de secours de
personne, l’anarchie dans le gouvernement, une petite mine, une réputation
de mathématicien et de rêveur, pas de renommée, pas d’ami,
regardé comme un ours parce qu’il était toujours tout seul
à penser dans son coin... Il fallait tout créer: et il a tout
créé. Voilà où il fut le plus admirable.”
Et j'ajoute, pour être encore plus précis qu'en moins de douze
mois, à l’âge de 28 ans, Bonaparte a détruit quatre
armées autrichiennes, pris quantité de canons, fait un grand nombre
de prisonniers, donné à la France une partie du Piémont,
fondé deux républiques en Lombardie, conquis toute l’Italie,
depuis le Tyrol jusqu’au Tibre, signé des traités avec les
souverains du Piémont, de Parme, de Naples, de Rome. Bonaparte et lui
tout seul: "J’ai fait la campagne sans consulter personne; je n’eusse
fait rien de bon s’il eût fallu me concilier avec la manière
de voir d’un autre". Le Directoire ne pourra que s'incliner.
RAPPEL HISTORIQUE
La période révolutionnaire française fut marquée
par une succession d'institutions de "pouvoir" adaptées aux
circonstances. L'Assemblée constituante (1789-1791), l'Assemblée
législative (I791-1792), la Convention nationale (1792-1795, 782 députés)
qui proclama la République et jugea Louis XVI et, à la suite du
coup d'Etat du 4 Brumaire an IV, le Directoire (1795-1799), composé de
cinq Directeurs –dont Barras-, Directoire auquel Bonaparte devait mettre
fin par le coup d'Etat du 18 brumaire, an VII … Le temps du Directoire
fut fécond et glorieux sur le plan militaire: victoires contre la Prusse
et l'Autriche sur le Rhin et dans les Pays-Bas. Et surtout contre l'Autriche
en Italie.
Bonaparte fut nommé par le Directoire général en chef de
l'armée d'Italie le 2 nov. 1796. En raison des engagements français
sur le Rhin, l'armée envoyée en Italie devait, en fait, ne servir
que de diversion et fixer sur place des troupes autrichiennes. N'ayant donc
pas essentiellement la victoire pour objet, cette armée était
mal équipée, mal nourrie et ne recevait aucun renfort. Ce n'était
donc pas un cadeau qui était fait à Bonaparte que ces trente mille
hommes découragés et dont les officiers admettaient mal d'être
commandés par un si jeune général (il avait 27 ans!).
Dés son arrivée cependant, Bonaparte sut trouver les mots pour
galvaniser ses troupes… et dès les premiers succès, il devint
pour elles le Génie des batailles. La guerre qu'il livra alors aux Autrichiens
fut essentiellement une guerre de mouvement, qu'il domina grâce à
son art de la stratégie. Cette guerre se divise en deux parties: Première
campagne (du 12 au 26 avril 1797), foudroyante: Montenotte, Millesimo, armistice
de Cherasco! Deuxième campagne (du 26 avril 97 au I7 janvier 98): Lodi,
Milan, Castiglione, Arcole et Rivoli, traité de Tolentino…
Mais il ne suffit pas à Bonaparte de deux parties, il lui en faut une
troisième: il veut porter la guerre jusque dans la capitale autrichienne,
Vienne, et organise ce qui sera ensuite appelé L'Expédition du
Tyrol, dont les défilés furent forcés par le général
Joubert… Mais les Autrichiens, se sentant gravement menacés (deux
de leurs armées avaient été détruites), demandèrent
un armistice. Et le 7 octobre 97, Bonaparte signa la paix de CampoFormio, par
laquelle l'Autriche donnait à la République la possession des
Pays-Bas autrichiens, renonçait au Milanais et s'engageait à reconnaître
à la France les territoires de la rive gauche du Rhin.