Déposé à la SACD
LE ROI LE VEUT!
La montée de l'absolutisme
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Louis XIII, Marie de Médicis, Richelieu,
Louis XIV enfant, puis Louis XIV adulte, Mazarin,
le Premier Gentilhomme de la chambre.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Au début du XVIIe siècle, la monarchie française est encore vacillante. Il y reste trop de traits de la féodalité, selon laquelle les grands seigneurs qui sont autour du roi considèrent qu'il est de leur liberté et même de leur devoir d'intervenir dans les affaires du Royaume. Sous Louis XIII, Richelieu s'efforce déjà de contenir la noblesse. Louis XIV lui-même doit d'abord faire face à la rébellion des nobles, la Fronde, avant de la réduire enfin dans le cadre du château de Versailles... Mais nous sommes pour le moment à la cour du jeune roi Louis XIII aux prises avec sa mère, Marie de Médicis...
- 1 -
LOUIS XIII - Moi, un roi, moi, un roi? Dites, madame ma mère, de qui
se moque-t-on?
MARIE DE MEDICIS - Mon chéri, il ne faut pas le prendre comme ça.
Bien sûr que si, que vous êtes le roi. Couronné Louis le
Treizième. Tout le monde le sait
LOUIS XIII - Un roi comme ça, je préfèrerais ne pas l'être!
Tout le monde le sait, mais tout le monde me désobéit. Vous, la
première, vous, Marie de Médicis!
MARIE DE MEDICIS - Moi, ce n'est pas la même chose, je suis votre mère,
précisément. Et je ne vous désobéis pas!
LOUIS XIII - Non, mais vous voulez toujours me commander… Vous m'avez
toujours traité comme un enfant, à taper sur des tambours et à
faire voler les oiseaux. J'ai dix-huit ans maintenant.
MARIE DE MEDICIS - Allons, allons, vous êtes mon grand garçon,
mon grand amour! Que je vous embrasse!
LOUIS XIII - Laissez-moi. Et puis vous m'avez fait épouser une Espagnole
que je n'aime pas.
MARIE DE MEDICIS - Les princes ne se marient pas par amour… Elle est pourtant
fort belle!
LOUIS XIII - Trop! Et puis les protestants qui se rebellent, et les princes
qui me font la nique… Je vous le dis, moi, un roi?
MARIE DE MEDICIS - Oui, je le reconnais, les temps sont durs pour les rois.
LOUIS XIII - Et chacun des princes a son armée, contre lesquelles il
faut que je me batte. Et en plus mes intendants me volent ouvertement! Et en
plus vous m'imposez cet infâme Concini… C'est lui qui prend toutes
les décisions. Mais je vais le faire tuer!
MARIE DE MEDICIS - Mon Dieu, vous n'allez pas faire ça!
LOUIS XIII - Je me gênerais! J'en ai assez…
MARIE DE MEDICIS - (un temps) Vous l'avez fait! Vous avez fait assassiner Concini…
Cette fois c'en est fini entre nous. J'ai mon armée moi aussi, je vous
déclare la guerre.
LOUIS XIII - Vous voyez bien …Avoir à se battre contre sa mère!
(elle sort) Je vous le répète, de qui se moque-t-on quand on m'appelle
roi? Un pantin, voilà ce que je suis, un pantin couronné, mais
un pantin!
- 2 -
RICHELIEU –Eh bien, Votre Majesté, que se passe-t-il?
LOUIS XIII - J'ai des problèmes avec les Grands. Ils sont trop grands,
précisément.
RICHELIEU - C'est justement ma spécialité: j'abaisse les Grands!
Entre autres! Je suis très polyvalent.
LOUIS XIII - Alors au travail, monsieur le Cardinal de Richelieu.
RICHELIEU - Qui, pour commencer?
LOUIS XIII - Abaissez-moi mon frère, Gaston d'Orléans. Il complote
contre moi et je suis jaloux.
RICHELIEU - Votre frère, bigre! C'est l'héritier du trône!
On ne peut rien contre lui. Nous couperons donc la tête de monsieur de
Chalais qui fut son âme damnée. C'est symbolique.
LOUIS XIII - Cela fera. Maintenant abaissez-moi les nobles. Ils font les importants.
J'en ai assez qu'ils me marchent sur les pieds!
RICHELIEU - Très bien! J'ordonne: plus de fanfreluches, plus de duels!
Et sur tout le territoire détruire leurs insolents châteaux forts.
Qu'ils aillent labourer leurs champs! Plus de complots, plus de révoltes.
Et l'on décapitera ceux qui s'insurgent.
LOUIS XIII - En effet. C'est juste. Un roi se doit d'être juste. Allons,
allons, dépêchez.
RICHELIEU - Attendez un peu. Avant tout, il me faut des sous. Laissez-moi d'abord
rendre au Royaume sa prospérité, commerce, marine, agriculture!
Sans prospérité, pas de bons impôts!
LOUIS XIII – Très bien, très bien… (un temps) Maintenant
que c'est fait, il est temps d'abaisser les protestants, que soutient l'Angleterre.
RICHELIEU - Voilà, ça y est, je rentre du siège de La Rochelle,
qui était leur place forte. Elle est tombée, l'Angleterre est
repoussée. Nous sommes maintenant chez nous.
LOUIS XIII - Bien, c'est une grande victoire. La France est faite. Mais ne prenez
pas le temps de souffler: le moment est venu d'abaisser la maison d'Autriche…
RICHELIEU - Un gros boulot! C'est la guerre dans toute l'Europe, Guerre de trente
ans, terrible guerre… Si encore les Grands ne continuaient pas à
comploter. Mais enfin, allons-y…Voilà! C'est lancé! (un
temps) …Mais je n'ai pas fini et je me sens un peu fatigué. Très
fatigué, même…
LOUIS XIII - Vous iriez m'abandonner?
RICHELIEU - Non, non… (un temps) J'ai peur que si… Pour tout dire,
je sens que je m'en vais pour de bon!
LOUIS XIII - Hélas, moi aussi je vais mourir, je le sais. Que va devenir
mon dauphin, le petit Louis, dit XIV?
RICHELIEU - Ne vous faites pas de souci. Je lui laisse monsieur de Mazarin.
(ils sortent)
- 3 –
MAZARIN - Me voici donc, moi, le cardinal de Mazarin. Donnez-moi la main, petit
Louis. Courage! Nous en avons encore pour quelques années avant d'avoir
fini d'abaisser les Grands, mais nous allons y arriver.
LOUIS XIV enfant - Qu'est-ce que c'est que ce grand tumulte que j'entends?
MAZARIN - C'est la Fronde, Majesté. Le dernier sursaut de la bête.
Votre père a été dur avec eux et ils se sont tous unis
contre le pouvoir royal.
LOUIS XIV enfant - Qui donc, tous?
MAZARIN - Le Parlement, le peuple et les Grands, naturellement… sans parler
des paysans, ni des protestants. Ca va tanguer dur… Serrez-moi la main
bien fort et fermez les yeux.
LOUIS XIV enfant - Mais où allons-nous, monsieur le Cardinal?
MAZARIN - Nous sommes obligés de fuir, de quitter Paris… pour mieux
y revenir.
LOUIS XIV enfant - J'ai peur, j'ai froid, j'ai faim…
MAZARIN - Je sais… Quatre ans de misère! …Allons… (ils
sortent et après un temps Mazarin ramène Louis XIV adulte) C'est
fini, votre Majesté, la Fronde est terminée et nous revenons dans
Paris vous installer sur votre trône. Vous êtes majeur maintenant,
vous êtes Louis XIV. Et vous n'avez pas fini de l'être.
LOUIS XIV - Merci, monsieur le Cardinal. Mais laissez-moi m'assurer que tous
ces troubles ne recommenceront pas.
MAZARIN – Prenez place, Votre Majesté…
LOUIS XIV - (il va s'asseoir sur son trône) Voilà!
MAZARIN – Parfait! Moi, je me fais vieux et je suis maintenant obligé
de me retirer. Pardonnez-moi… (il sort)
- 4 -
LOUIS XIV – Beaucoup d'années se sont écoulées et
nous sommes enfin à Versailles... Sont-ils au complet? Holà, monsieur
le Premier gentilhomme de la cour, c'est vous que j'interroge!
LE GENTILHOMME - Me voici! (regardant la salle, comme si les spectateurs jouaient
le rôle des courtisans) Votre Majesté, il n'en manque pas beaucoup.
LOUIS XIV - Pas beaucoup, c'est déjà trop. Je désire que
tous me fassent la cour et deviennent de bons courtisans. Dites-moi un peu ceux
qui sont là, pour voir.
LE GENTILHOMME - Il y a la Reine, docile et heureuse, Monseigneur le grand Dauphin,
Monsieur votre frère, Madame Palatine, vos enfants de Bourgogne et d'Anjou…
LOUIS XIV - Je ne les perds pas du regard. Cela est bien, abrégez…
Toute la noblesse de France?
LE GENTILHOMME - Oui, Votre Majesté… sauf quelques-uns qui sont
malades.
LOUIS XIV - Il faut savoir prendre sur soi. Vous le leur ferez savoir. M. le
duc de la Rochefoucauld est-il bien là?
LE GENTILHOMME - Oui, Votre Majesté. Là, derrière la Reine…
LOUIS XIV - Demain il aura l'honneur de me passer ma chemise. Et M. le prince
de Conti…. Je ne le vois pas?
LE GENTILHOMME – Il… a dû s'absenter.
LOUIS XIV - Il n'en a pas demandé la permission. Je comptais sur lui
pour me tenir le chandelier pendant que je fais ma prière... Mais je
suis content de voir M. de Minois. Vous ferez remettre à M. de Minois
une gratification de 10 000 écus. Pour être toujours là!
C'est comme cela qu'on doit faire. (sarcastique) Et 200 écus à
M. de Vardes pour qu'il puisse s'acheter un habit correct.
LE GENTILHOMME - Cela sera fait. Voici M. le maréchal de Turenne qui
vient tout juste d'arriver de la guerre.
LOUIS XIV - Il est le bienvenu et je le félicite. La guerre est l'occupation
naturelle des Grands, qui, pour tous les avantages qu'ils retirent de leur situation,
doivent leur sang au Royaume.
LE GENTILHOMME - Il remercie Votre Majesté.
LOUIS XIV - Fort bien. Quant à monsieur mon cousin, que je vois ici entre
deux têtes, il me ferait plaisir en venant demain chasser avec moi.
LE GENTILHOMME - Il viendra, Votre Majesté.
LOUIS XIV - Je vois aussi M. du Quesne. Il devrait se cacher, lui! Il a désobéi.
Comme les ordres que je donne sont toujours bien réfléchis, je
désire qu'on les exécute sans réplique… Monsieur
le Premier Gentilhomme, assez de cette parade. Demandez à Monsieur mon
frère, que j'ai chargé de l'ordonnance de mes divertissements,
si le ballet qu'il nous a composé est prêt à montrer.
LE GENTILHOMME - Il l'est, Votre Majesté.
LOUIS XIV - Allons donc le voir… (il se lève et jette un regard
circulaire sur l'assemblée) Que nul n'y manque. Je le veux! Tel est mon
bon plaisir... (ils sortent en majesté)
RAPPEL HISTORIQUE
Dans la France de l'ancien régime, il existe quatre principaux pouvoirs
qui tantôt s'opposent, tantôt se soutiennent: celui du roi, celui
des parlements, celui de l'Eglise et celui des grands seigneurs… Sous
le règne de Louis XIV, ce fut celui du roi qui l'emporta, et de beaucoup.
Lorsque le petit Louis, dit XIV, devient roi, en 1643, à la mort de son
père Louis XIII, il n'a que cinq ans, cependant que sa mère, Anne
s'Autriche, fait fonction de régente et que le cardinal de Mazarin administre
les affaires du royaume… Le parlement et les grands seigneurs profitèrent
successivement de cette situation délicate pour provoquer une rébellion
durera cinq ans (La Fronde, 1648-1653) et qui se développera au point
que le roi dût quitter Paris et que deux armées françaises
s'opposeront par les armes, celle de Turenne (pour le roi) et celle de Condé
(contre le roi)! Enfin, après beaucoup de péripéties, Bordeaux,
la dernière ville frondeuse, tomba en 1653 et Louis XIV fut couronné
en 1654 à Reims… Le roi n'oublia jamais les mésaventures
de ses commencements et son long règne fut marqué par une vigoureuse
reprise en main du royaume.
Dès 1661, à la mort de Mazarin, le roi décida de se passer
de (premier) ministre et se chargea directement des affaires de l'Etat: "L'Etat,
c'est moi!". Selon une forme de gouvernement parfaitement centralisée,
le roi écoute ses différents conseils et prend l'avis de ses ministres
mais décide seul de tout ce qui est à décider. Ainsi l'économie,
la justice, la religion, la mode et les arts, la guerre et la paix sont entre
ses mains. Dans les provinces, les "intendants", nommés et
révocables, sont les yeux et les oreilles du souverain qui, parfois,
se préoccupe des moindres détails. (cf. par exemple, lettre du
roi de mars 1677 : "On m'a mandé qu'il y avait quelques maisons
à Saint-Germain où il y avait la petite vérole. Donnez
ordre qu'on fasse sortir ceux qui en sont frappés et qu'on aère
les maisons où elle aura été."!).
D'autre part, le très dispendieux château de Versailles fut non
seulement le principal lieu de pouvoir, mais le principal instrument d'asservissement
de la noblesse. Il fallait que les nobles, délaissant leurs provinces,
leurs terres et leurs propres châteaux, soient présents à
Versailles dans celui du roi, très coûteusement vêtus selon
l'étiquette, à l'écoute des moindres paroles de leur maître
et recevant humblement de lui récompenses (sous forme de pensions ou
de charges) ou punitions (sous forme de disgrâces, de renvoi, ou même
de lettres de cachet, c'est-à-dire d'emprisonnement) … Ainsi seraient-il
mis dans l'impossibilité de comploter!
Louis XIV devint ainsi l'un des exemples majeurs de ce qu'on a appelé
"l'Absolutisme", c'est-à-dire d'un régime où
le détenteur du pouvoir gouverne sans aucun contrôle. Il réalisait
à la lettre ce que le cardinal Pierre de Bérulle avait écrit
quelques années plus tôt: "Un monarque est un Dieu selon le
langage de l'écriture: un Dieu non par essence mais par puissance; un
Dieu non par nature mais par grâce; un Dieu non pour toujours mais pour
un temps. Un Dieu non pour le Ciel mais pour la Terre, un Dieu non subsistant,
mais dépendant de celui qui est le subsistant par soi-même; qui
étant le Dieu des Dieux, fait les rois Dieux en ressemblance, en puissance
et en qualité, Dieux visibles, images du Dieu invisible."