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Déposé à la SACD

LA GUERRE DE 70 : SEDAN

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
Le roi Guillaume de Prusse, le chancelier Bismarck,
le maréchal Moltke, deux uhlans,
L'empereur Napoléon III.

L'HISTORIEN DE SERVICE - Dans les années 1850-1870, Bismarck, le chancelier de Prusse, rêve d'unifier l'Allemagne. Pour cela, après avoir vaincu l'Autriche et la Bavière à Sadowa, il juge utile de remporter une seconde victoire décisive sur la France. Il s'y est préparé minutieusement avec l'aide du maréchal Moltke. Ayant ensuite provoqué la France qui, elle, n'est pas du tout prête à se battre, à faire cependant une déclaration de guerre à la Prusse, Bismarck conduit une campagne irrésistible couronnée par la victoire de Sedan. Mais voici que Bismarck tente de convaincre le roi Guillaume de Prusse...

1 - (en Prusse)
GUILLAUME - Moi, Guillaume, roi de Prusse, je veux bien faire des guerres, mais à condition de les gagner. Notez-le, monsieur le chancelier de Bismarck.
BISMARCK - Sire, voici le maréchal Moltke qui ne sait pas les perdre.
MOLTKE - Votre Majesté!
GUILLAUME - Saurez-vous, monsieur le Maréchal, gagner celle que les Français sont sur le point de nous déclarer?
MOLTKE - Certainement, votre Majesté, ce sera facile.
GUILLAUME - Ah oui, Pourquoi?
MOLTKE - Parce que les Français, qui ont été souvent victorieux... souvenez-vous: Austerlitz, Iéna, Magenta, Solferino… sont maintenant devenus trop sûrs d'eux et se sont négligés.
BISMARCK - Monsieur le Maréchal a raison… Toutes les choses humaines finissent par se retourner.
GUILLAUME - Ah oui, c'est de la dialectique! Je vous souhaite bonne chance. (il sort)

2 - (la mobilisation)
BISMARCK - Comment vous-y prendrez-vous, mon cher Moltke?
MOLTKE - Prévoyance et organisation, c'est là notre secret! Et justement, maintenant que les Français, sans bien réfléchir, nous ont déclaré la guerre, des deux côtés nous mobilisons… Celui qui aura réussi le premier à rassembler ses troupes à la frontière sera le vainqueur.
PREMIER UHLAN – (entrant) C'est fait, monsieur le Maréchal… En 14 jours et demi nos troupes se retrouvent massées le long du Rhin.
MOLTKE - Qu'est ce que je disais: prévoyance et organisation. Et du côté français, où en sont-ils?
DEUXIEME UHLAN – (entrant) C'est la pagaille, ils n'ont pas réussi à prendre leurs trains, ils se regroupent en dépit du bon sens, leurs approvisionnements ne sont pas arrivés. Ils ont de très bons fusils…
BISMARCK - Ah oui, les fameux Chassepots?
DEUXIEME UHLAN - …mais ils n'ont pas de cartouches et les chevaux courent après les canons.
MOLTKE - Très bien, retournez à vos postes (ils sortent). Vous voyez, monsieur le Chancelier, nous avons gagné la première bataille... Le plan des Français était d'arriver avant nous, d'entrer en Allemagne, de nous couper en deux et de nous bousculer sérieusement. Mais…
BISMARCK - Ils ont raté leur coup?
MOLTKE - Complètement raté. Deux jours de retard ont suffi à mettre leur plan par terre. Et puisque c'est nous qui sommes prêts les premiers, c'est nous qui allons entrer en France…

3 - (premières défaites françaises)
PREMIER UHLAN - Ca y est… Nous avons foncé et l'armée du maréchal Mac-Mahon a été battue en Alsace. Ils se replient à une vitesse jamais égalée en direction de Paris…
DEUXIEME UHLAN - Ca y est… Nous avons foncé et l'armée du général Bazaine a été battue en Lorraine. Ils sont en train d'essayer de se réorganiser autour de la ville de Metz…
MOLTKE - Parfait… Vous voyez ce que je vous disais! Prévoyance et organisation! Et j'ajouterai: renseignement!
BISMARCK - Comment cela?
MOLTKE - J'ai reconverti la cavalerie et les Uhlans… Garde à vous, repos (les deux Uhlans prennent la position)! Les Uhlans me servent essentiellement à faire du renseignement. Ils précèdent les troupes, ils observent la direction de l'ennemi, notent les numéros des régiments, s'efforcent de faire quelques prisonniers et reviennent au galop nous renseigner. Nous avons acheté pour cela des pur-sang anglais qui vont plus vite que le vent...
BISMARCK - C'est une très bonne idée!
MOLTKE - Très efficace en tout cas. Les Français n'ont pas cela. Et je vous parie qu'ils ne savent ni où nous sommes, ni dans quelle direction nous allons.
BISMARCK - Ce qui fait qu'en fin de compte ils n'ont ni prévoyance, ni organisation, ni renseignement?
MOLTKE - C'est bien ce que je veux dire. Malheureusement pour nous, ils ont beaucoup de courage et nous ne sommes pas au bout de nos peines. Vous deux, portez mes ordres: (à l'un) poursuivre Mac-Mahon vers Paris, (à l'autre) enfermer Bazaine dans la ville de Metz (les Uhlans sortent). Le courage ne suffit pas toujours.

4 - (la marche sur Sedan)
BISMARCK - Je voudrais bien savoir ce que fait l'empereur Napoléon III.
MOLTKE - C'est bien facile (il siffle, entrent les deux uhlans). Dites-moi, vous deux, que fait l'empereur Napoléon?
PREMIER UHLAN - Il est à Chalon sur Marne. Il est très malade, il a une grosse pierre dans la vessie, il souffre beaucoup, il ne sait plus ce qu'il veut.
DEUXIEME UHLAN – Et la preuve qu'il ne sait plus ce qu'il veut, c'est qu'il a commencé par ordonner un repli sur Paris pour défendre la capitale…
PREMIER UHLAN - …et puis qu'ensuite il a pensé que ce serait plus conforme à l'honneur que d'aller au secours de Bazaine… dont il ne sait même pas où il se trouve!
DEUXIEME UHLAN - Alors, Mac-Mahon, qui commande l'armée, a objecté: "Cela laisse Paris à découvert."
PREMIER UHLAN - "Qu'importe, a répondu l'Empereur, il faut sauver le soldat Bazaine…" Et il a ajouté: "Et moi personnellement, je veux en finir une fois pour toutes. J'ai trop mal, j'ai trop mal! Plus tôt nous serons écrasés, mieux cela sera."
DEUXIEME UHLAN - Et Mac-Mahon s'est contenté de dire: "Très bien, vous êtes le patron. Contre-ordre, direction Sedan…" Il a dit Sedan parce qu'il savait que nous ne les laisserions jamais traverser la Meuse …
BISMARCK - Voilà, vous savez tout. Ce que c'est que d'avoir des Uhlans!
MOLTKE - Ces Français: ni prévoyance, ni organisation, ni renseignement… et en plus des chefs qui ne savent pas ce qu'ils veulent!

5 - (la bataille de Sedan)
BISMARCK - Et alors, qu'allez-vous faire?
MOLTKE - C'est tout simple… Nous, nous savons que jamais Mac-Mahon ne rejoindra Bazaine puisque ce nigaud de général s'est laissé enfermer dans Metz où il est pratiquement prisonnier.
BISMARCK - C'est comme si les Français avaient perdu d'un seul coup la moitié de leurs soldats!
MOLTKE - Exactement! Donc, ceux qui restent, nous allons sans beaucoup de peine, par un mouvement enveloppant, les couper de leurs bases, progressivement les encercler et les coincer quelque part contre la frontière belge… A Sedan, pourquoi pas, puisqu'ils ont envie d'y aller: c'est une très jolie petite cuvette. Vous, les uhlans, où en sommes-nous?
PREMIER UHLAN – Ce que vous aviez prédit arrive. Toute l'armée de Mac-Mahon vient de se rassembler dans notre jolie petite cuvette de Sedan et nous, comme vous venez de le dire - sitôt dit, sitôt fait - nous les avons encerclés.
MOLTKE – Merci, valeureux Uhlans. Quant à nos troupes, elles vont installer nos fameux canons à tir rapide sur toutes les collines qui entourent la jolie petite cuvette. Nos canons à tir rapide, vous savez, ceux qui se chargent par la culasse Ce sera parfait… Comme à l'exercice! Tirez un peu, pour les effrayer… Parfait!
BISMARCK - C'est pitié, de si braves soldats… Ils se battent avec tellement de courage!
MOLTKE – Ceci n'est pas à prendre en considération… Je vais voir sur le terrain comment se passent les choses. Viendrez-vous avec moi? Mais notre victoire ne fait aucun doute… Et tout cela pour deux jours de retard à la mobilisation! (ils sortent.)

6 - (la défaite)
GUILLAUME - (entrant) Eh bien, où en sommes-nous de cette bataille de Sedan?
DEUXIEME UHLAN - Votre Majesté, je vous rapporte que Mac-Mahon a été blessé et qu'après une journée de durs combats, l'empereur des Français sollicite un armistice. Il a jugé qu'il valait mieux se rendre que de laisser tuer tous les soldats qu'il lui reste. Il demande à vous voir.
GUILLAUME - Faites-le entrer.
NAPOLEON III - Monsieur, mon frère, n'ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me reste plus qu'à remettre mon épée entre les mains de Votre Majesté.
GUILLAUME - Monsieur mon frère, tout en regrettant les circonstances dans lesquelles nous nous rencontrons, nous acceptons l'épée de Votre Majesté.
NAPOLEON III - Du fond de mon malheur, je n'ai plus qu'un vœu à formuler: que mes troupes, qui n'ont en rien démérité, soient traitées avec les honneurs.
GUILLAUME - Elles seront traitées selon les lois de la guerre. Je ne peux en dire plus. Quant à vous, mon cher frère, vous êtes dorénavant notre prisonnier.
NAPOLEON III - Je n'ai pas voulu cette guerre: elle m'a été imposée par mon peuple.
GUILLAUME - Vous avez toujours été trop libéral: le peuple n'a pas à être écouté. Mais il est trop tard pour avoir des regrets. Qu'en pensez-vous, monsieur le chancelier?
BISMARCK - Votre Majesté, nous, nous avons voulu cette guerre et nous l'avons gagnée. Je remercie le maréchal Moltke dont la main n'a pas tremblé. En 40 jours il nous a conduits à la victoire et sur cette victoire nous construirons l'unité de la nation allemande.

RAPPEL HISTORIQUE

Napoléon I n'est pas étranger aux raisons qui provoquèrent la guerre de 1870. D'une part sa politique européenne avait accéléré l'unification de l'Allemagne, qui était alors composée d'une multitude d'évêchés, royaumes et principautés… D'autre part sa victoire éclatante à Iéna sur la Prusse avait engendré en Allemagne un profond sentiment de frustration… La guerre de 1870 est une sorte de réponse de l'Allemagne à Napoléon I: le chancelier Bismarck achève la réunification allemande et remporte la victoire!
Malheureusement les choses n'allaient pas en rester là. Humiliée à son tour par sa défaite et la perte de l'Alsace et de la Lorraine, la France chercha en 1914 à reprendre les provinces perdues (première guerre mondiale 1914-1918) et les reprit tellement bien, en imposant à l'Allemagne de lourdes indemnités de guerre, que, en 1939, un nouveau conflit éclata (seconde guerre mondiale 1939-1945…) …Mais il faut, pour être honnête, reconnaître que ce conflit déborde le cadre d'une simple revanche nationaliste. Depuis, heureusement, c'est la paix en Europe.
Louis-Napoléon Bonaparte, qui régna comme empereur sous le nom de Napoléon III, était le neveu de Napoléon I (le fils de Louis Bonaparte, roi de Hollande et de Hortense de Beauharnais, fille de Joséphine). Il prit le pouvoir en 1852 et le perdit en 1870. Sa politique intérieure, inspirée par les disciples de Saint-Simon et toute entière axées sur l'économie, fut un franc succès: libre-échangisme, banques, industrie, chemins de fer, urbanisme (Haussmann), canal de Suez, exposition universelle, enseignement… la France connut là une période de grande prospérité. Au contraire, sa politique extérieure ne fut pas toujours très heureuse (douteuse guerre de Crimée, victoire sanglante de Magenta et Solferino sur l'Autriche, échec de l'expédition du Mexique) et se termina par une catastrophe, la défaite de Sedan…
La guerre qui mit fin à son règne, Napoléon ne l'avait pas voulue, non plus que son premier ministre Emile Ollivier. Mais dans la France, fière des ses succès économiques, il y avait un parti de la guerre (le Parlement et l'impératrice Eugénie…) qui surestimait le potentiel militaire du pays ("il ne manque à nos soldats pas un bouton de guêtre!") et qui s'inquiétait de la montée en puissance de l'Allemagne. Finalement, pour des raisons futiles, la France, provoquée par Bismarck (dépêche d'Ems), prit l'initiative de la guerre… Après la défaite de Sedan, qui avait un caractère quasi-définitif, et la reddition de Bazaine à Metz, la guerre continua pourtant sur le territoire français. Paris fut assiégé tandis que, de Tours où il s'était réfugié, Gambetta réunissait une nouvelle armée de 600 000 hommes pour libérer la capitale. Il n'y parvint pas et le siège de Paris fut long, froid et cruel. Cependant que de nombreux combats sporadiques se déroulaient en province. .. La guerre de 1970 fut immédiatement suivie par l'insurrection révolutionnaire de La Commune.