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Déclaré à la SACD

LES CAHIERS DE DOLEANCES ET
LES DROITS DE L'HOMME

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
Le commissaire royal, trois délégués des cultivateurs,
les spectateurs.


L'HISTORIEN DE SERVICE - Louis XVI convoqua des États Généraux pour 1789. Ces États Généraux, les premiers depuis Henri IV, devaient être précédés d'une vaste enquête au cours de laquelle tous les Français pourraient exprimer leurs problèmes dans les fameux "cahiers de doléances". Ces cahiers de doléances furent pris, de part et d'autre, très au sérieux. Ils conduisirent d'abord à la fameuse "Nuit de quatre août", au cours de laquelle les privilèges furent abolis et plus tard, en 1791, à la "Déclaration des Droits de l'homme." Mais voyons un peu comment les choses se passèrent...

Prologue
LE COMMISSAIRE ROYAL - (aux spectateurs) Je suis un des commissaires royaux chargés de recueillir dans les provinces les doléances des Français. Je dois rencontrer successivement les cultivateurs, les artisans, les marchands et les commerçants, les autres ensuite… La séance de ce matin sera consacrée à l'audition des cultivateurs, ou plus exactement de trois de leurs représentants. Puisqu'elle vous intéresse, mesdames et messieurs, je vous invite à y assister… (aux cultivateurs) Mes amis, voulez-vous prendre place…
LES TROIS CULTIVATEURS - (sortent de l'assemblée et s'assoient)

LE COMMISSAIRE - Je vous souhaite la bienvenue! J'ai déjà mis un peu d'ordre dans vos foisonnantes revendications en faisant des petits paquets. Nous les examinerons les uns après les autres. Je tombe d'abord sur: droits de chasse. Droits de chasse! Est-ce que cela vaut vraiment la peine de se pencher, j'imagine, sur des histoires de lapins?
LE PREMIER CULTIVATEUR - C'est capital, monsieur le Commissaire royal. La noblesse, vous le savez, a le privilège de la chasse. Et par exemple, elle aime entre autres, précisément les lapins: le lapin court vite et cela entretient les réflexes: pim, poum.
LE COMMISSAIRE ROYAL - Excellent, ça: magnifique entraînement pour la guerre... Moi, je leur laisserais bien les lapins, cela ne fait de mal à personne!
LE PREMIER - Cela part d’une bonne pensée. Mais ce que vous négligez, vous qui êtes un homme de la ville, c’est que, pour être sûrs d’avoir beaucoup de gibier, les nobles entretiennent dans les campagnes des garennes, c’est à dire dés élevages de lapins.
LE COMMISSAIRE ROYAL - Peut-on le leur reprocher?
LE TROISIEME - En soi, non. Mais ces lapins vagabonds se nourrissent sur nos récoltes: et nous autres, paysans, nous y perdons la meilleure partie de nos grains. Même chose pour les pigeons, qui, eux, viennent picorer par la voie des airs... Les chasseurs les aiment gras et dodus.
LE COMMISSAIRE ROYAL - Oui, mais tous les nobles ne chassent pas!
LE PREMIER - C’est pire encore: si on ne les tire pas, les lapins et les pigeons prolifèrent. Et comme il nous est interdit de les tuer nous-mêmes…
LE COMMISSAIRE ROYAL - Cela vous fait de grosses pertes?
LE SECOND - Sans la chasse, nous serions deux fois plus riches, je veux dire deux fois moins pauvres.

LE COMMISSAIRE ROYAL - J'enregistre… Maintenant votre point de vue sur la corvée?
LE PREMIER - Vous ne pouvez pas ne pas savoir que dans notre beau pays les routes sont entretenues gratuitement, je dis bien gratuitement, par les paysans.
LE SECOND - C'est un gros travail. Cela peut nous prendre quarante jours par an. Maudite corvée!
LE TROISIEME - Or, ce sont essentiellement les nobles et les marchands qui se servent des routes... Et les voitures trop lourdement chargées des marchands font de gros dégâts...
LE COMMISSAIRE ROYAL - Je vois. C’est toujours la même histoire! Et donc vous ne voulez plus entretenir les routes pour les nobles ni surtout pour les marchands, dont les voitures lourdement chargées... etc.
LE SECOND - Non. C’est clair. On nous prend pour des guignols.
LE COMMISSAIRE ROYAL - Ne dites pas cela... Ensuite la gabelle, autre problème! Le sel, cela n’est pas grand-chose... Moi, je mets tout juste un grain de sel, le matin, dans mon oeuf à la coque!
LE PREMIER - Monseigneur a tort de plaisanter! Le sel, pour le paysan, c’est beaucoup: il lui en faut pour conserver, l’hiver, la viande de ses cochons, de ses volailles et la chair de ses poissons et il en met dans les fromages qu’il vend au marché. Et puis, c'est indispensable pour notre santé et pour celle de nos animaux.
LE TROISIEME - Sans sel, on crève la bouche ouverte!
LE SECOND - Et si on fraude, les gabelous nous jettent illico en prison.
LE COMMISSAIRE ROYAL - Ah! Excès de zèle, peut-être... Et la Justice: pourquoi? Ca ne va pas?
LE TROISIEME - Mais non! Nous avons quarante justices en France qui ne fonctionnent ni avec les mêmes lois, ni avec les mêmes juges... on s’y ruine en procès.
LE PREMIER - Et surtout pas avec les mêmes peines: si un noble est coupable, on lui coupe proprement la tête; si c’est un roturier, on lui donne la question et on peut le laisser mourir lentement sur la roue après lui avoir cassé bras et jambes.
LE SECOND - Exactement. C’est mal supporté.

LE COMMISSAIRE ROYAL - Je n’en doute pas. Autre point: les privilèges des nobles, précisément?
LE SECOND - Ça, c’est peut-être l’essentiel. Les nobles ne paient pas d’impôt. Nous, si!
LE PREMIER - Non plus que les gens d’Église. Et ainsi toutes les dépenses de l’État retombent sur le paysan.
LE TROISIEME - Cela n’est pas très juste, ne trouvez-vous pas?
LE COMMISSAIRE ROYAL - Vous savez, l’injustice est l’essence même du privilège...
LE TROISIEME - C’est bien ce que nous disons! Sans compter qu’à la Noblesse et à l’Église, il faut encore que le paysan verse d’importantes dîmes ou redevances: ce qui fait qu’il paye pour ainsi dire deux fois, par en haut et par en bas!
LE COMMISSAIRE ROYAL - Comment ça?
LE SECOND - Pour vous expliquer: le paysan paye une fois par en haut pour que l’État pensionne le seigneur, l’autre fois par en bas, pour approvisionner en direct la table du seigneur...
LE TROISIEME - Ah, ah, c’est bien ça!
LE SECOND - Bien souvent il ne nous reste même pas une chemise à mettre pour les jours de fête!
LE PREMIER - Et même si nous réussissons à en garder une sur le dos et que par beaucoup d’efforts supplémentaires nous parvenions aussi à envoyer nos enfants à l’école, ceux-ci, en tant que roturiers, c’est à dire non-nobles, ne seront pas admis dans les postes avantageux de l’administration ou de l’armée.
LE SECOND - Aucun avenir! S’il s’engage, il reste soldat. Officier, ça n’est pas pour lui!
LE PREMIER - Et s’il obtient un emploi de commis, il le garde toute sa vie...
LE TROISIEME - Et s’il a une vocation religieuse, c’est in perpetuum à crever de faim comme curé de campagne...

LE COMMISSAIRE ROYAL - Oui, cela n'est que trop vrai... Et qu’est-ce que... j’ai entendu parler de cela: les bans?
LE PREMIER - Oh, cela, c’est simple à comprendre: cela veut dire que les moulins, les fours, les forges, entre autres, appartiennent au seigneur et que nous ne pouvons moudre notre grain, ou cuire notre pain, ou ferrer nos chevaux que chez lui...
LE SECOND - Qui ne manque pas de prendre au passage son bénéfice.
LE COMMISSAIRE ROYAL - C’est donc une sorte de monopole?
LE TROISIEME - Oui, et il y en a beaucoup d’autres. Les jurandes aussi, par exemple, qui sont de très féroces syndicats d’artisans. Nul ne peut librement devenir cordonnier ou menuisier…
LE COMMISSAIRE ROYAL - Mes amis, vous me donnez faim avec toutes vos revendications... et il y a encore tellement à examiner: les prémices, les mutations, la capitation, le casuel, les francs-fiefs, le droit de colombier, le droit de girouette, la glandée, les charrois...
LE PREMIER - Oui, les charrois, vous pouvez le dire! Et parfois la femme du paysan doit aller aider à la lessive du château et lui-même servir comme valet à la table du seigneur.
LE COMMISSAIRE ROYAL - Eh bien, pour une fois le roi vous invite à déjeuner. Nous finirons tout à l’heure. (les trois délégués sortent)

LE COMISSAIRE ROYAL - (aux spectateurs) Messieurs, de nombreuses séances comme celle à laquelle vous venez d'assister se sont tenues, vous le savez, dans toute la France. J'ai demandé à revenir vous voir pour vous rendre compte du résultat de tous ces travaux. Il fut inespéré! Tout d'abord, en 1789, l'Assemblée a délibéré sur les doléances et au cours une séance mémorable qui se tint dans LA NUIT DU QUATRE AOUT, les nobles et les prêtres, saisis d'une générosité sublime, abolirent tous leurs privilèges. Ensuite, quelques mois plus tard, ayant pris de la hauteur, tous, noblesse, clergé et tiers état, proclamèrent hautement les DROITS DE L'HOMME. Dont je me propose en conclusion de vous donner lecture, pour votre édification … Cela vaut la peine de l'entendre debout! (les spectateurs se lèvent)

ARTICLE 1- Les hommes naissent libres et égaux en droits.
ARTICLE 2 - Le principe de toute souveraineté réside dans la nation.
ARTICLE 3 - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.
ARTICLE 4 - La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché.
ARTICLE 5 - La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens sont égaux devant elle.
ARTICLE 6 - Tous les citoyens peuvent avoir accès à tous les postes, places et emplois.
ARTICLE 7 - Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi.
ARTICLE 8 - Tout homme doit être présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable.
ARTICLE 9 - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions.
ARTICLE 10 - La liberté de l’expression est un des droits les plus précieux de l’homme.
ARTICLE 11 - Tous les citoyens ont le droit de consentir librement à la contribution publique.
ARTICLE 12 - L’impôt doit être également réparti entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
ARTICLE 13 - La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.
ARTICLE 14 - La propriété est un droit inviolable et sacré.

Il n'y a plus rien à ajouter. Nous venons de faire un grand pas en avant. Je vous remercie...

RAPPEL HISTORIQUE

Les Etats généraux de 1789 furent précédés d'une longue et minutieuse enquête dans laquelle tous les citoyens français purent expliquer ce que nous appellerions aujourd'hui leurs "problèmes". Il en résulta une prise de conscience qui déboucha sur La Nuit du 4 août.
Le 3 août 1789 le duc d'Aiguillon lance l'idée au Club breton d'une abolition des droits seigneuriaux. Le lendemain, en fin de soirée, le vicomte de Noailles propose à l'Assemblée nationale de supprimer les privilèges pour ramener le calme dans les provinces. Le duc d'Aiguillon suggère à son tour l'égalité de tous devant l'impôt et le rachat des droits féodaux. Dans une ambiance indescriptible, successivement Le Guen de Kerangal, le vicomte de Beauharnais, Lubersac, l'évêque de la Fare vont surenchérir en supprimant les banalités, les pensions sans titre, les juridictions seigneuriales, le droit de chasse et les privilèges ecclésiastiques. Le duc du Châtelet propose ensuite le rachat de la dîme. Enfin Lally-Tollendal termine la séance en apothéose en proclamant Louis XVI "restaurateur de la liberté française".
En une nuit, les fondements du système par ordres (la noblesse, le clergé et le tiers état) s'effondrèrent. Les jours suivants le clergé essaya de revenir sur la suppression de la dîme, mais le président de l'assemblée, Le Chapelier, n'ayant accepté que des discussions sur la forme, les décrets du 4 août furent définitivement rédigés le 11. Suivit, en 1791, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, cités dans la pièce ci-dessus.
La première déclaration moderne des droits de l'homme fut celle de l'Etat de Virginie en 1776, suivie par celle de l'Assemblée nationale française en 1791. Le principe en fut repris et le texte augmenté par les Nations Unies en 1948 sous le nom de : DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME. L'expression anglaise est "The Human Rights".
Mais ces déclarations ont été précédées dans l'Histoire par bien d'autres tentatives pour moraliser les comportements de l'homme et le défendre contre les abus d'autorité, telles celles inspirées des textes mésopotamiens (le code d'Hammourabi), de la Bible et de l'Evangile, du Bouddhisme… Sans parler de la Magna Charta anglaise (1215), ni, toujours en Angleterre, des Bill of Rights (1689) ou de l'Habeas Corpus (1679).
Certains ont voulu voir dans les Droits de l'Homme la synthèse et l'aboutissement des principales morales religieuses, et en particulier de l'Evangile. La filiation n'est pas douteuse. Ils en diffèrent cependant en ce qu'ils ne font aucune allusion à un quelconque Dieu et qu'ils codifient ce que l'Homme doit à l'Homme en tant que son semblable: ce qui leur permet de prétendre à l'universalité.