telecharger au format word

Déposé à la SACD


LES AMOURS DE LOUIS XIV.

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
La Reine de France,
Mademoiselle de la Vallière, Madame de Montespan,
Françoise Scarron à laquelle nous donnerons par avance le nom sous lequel
elle sera connue: Madame de Maintenon, Bossuet,
(la pièce se passe à la cour de Louis XIV)


L'HISTORIEN DE SERVICE - Le roi Louis XIV n'était pas indifférent aux femmes. Et naturellement, comme il était le Roi, les femmes ne le repoussaient pas. Jusqu'à ce que l'Église, scandalisée, arrive à contenir enfin les écarts du roi vieillissant en le mariant à sa dernière maîtresse, Mme de Maintenon…

1
LA REINE - (avec un fort accent espagnol) Je suis la Reine. J’ai donc épousé, dans une île de la Bidassoa, le Roi de France, Louis le quatorzième. Je suis follement amoureuse de lui, malheureusement, lui, il ne m’aime pas... Je sais, je ne suis pas très jolie, j’écorche sa belle langue, à laquelle il tient tant, et surtout je ne suis pas aussi spirituelle qu’il le voudrait...
Mlle DE LA VALLIÈRE - (entrant) Votre Majesté!
LA REINE - Oh! Madame, que vous êtes belle! Qui êtes-vous donc?
Mlle DE LA VALLIÈRE - Votre Majesté, je suis Louise de la Vallière. Je ne suis pas si belle que ça! Vous n’avez pas vu, je boite un peu.
LA REINE - Je n’avais vraiment pas remarqué. Vous êtes si voluptueuse! Justement, étant si voluptueuse, voulez-vous me rendre un service?
Mlle DE LA VALLIÈRE - (prenant le ton que prend louis XIV quand il reçoit une demande) Je verrai, madame, je verrai... cela se peut.
LA REINE - Ma parole, que vous êtes drôle quand vous imitez le Roi.
Mlle DE LA VALLIÈRE - Vous n’en direz rien... je vous en supplie.
LA REINE - Soyez tranquille. Je voudrais, cela tombe bien, que vous vous occupiez un peu de lui. J’ai peur qu’il ne s’ennuie. Et puis, je suis tellement laide quand je suis enceinte!
Mlle DE LA VALLIÈRE – Vous voudriez que je m’occupe de lui...?
LA REINE - Oui, il a besoin de plus de tendresse que je ne peux lui en donner.
Mlle DE LA VALLIÈRE - Je le sais, madame: mais je suis bonne chrétienne et fort dévote.
LA REINE - Justement! Le Roi lui-même a beaucoup de crainte de Dieu et il ne faudrait pas au contraire l’effaroucher par trop de libertinage.
Mlle DE LA VALLIÈRE - N’ayez pas peur, madame. Mais je dois vous dire tout de suite que, si je m’attelle à la besogne, je lui ferai tout de go quelques petits bâtards.
LA REINE - Ma mignonne, chère Louise, que je vous aime! Allez-y de tout votre cœur: il n’en sera que plus content! J’avais telle crainte que vous ne me refusiez... Allons lui annoncer la nouvelle. (Elles sortent)

- 2 -
LA REINE – (revenant) Nous venons de vivre quelques années difficiles... Heureusement que je vous ai, ma toute bonne Louise. Nous ne sommes pas trop de deux pour le tenir.
Mlle DE LA VALLIÈRE - Oui, Votre Majesté! Avec tous ces soubresauts qu’il nous fait! Que voulez-vous, c'est un homme! Mais regardez: une nourrice qui pousse un voiture d’enfant! (entre Mme de Maintenon)
LA REINE - Mais qu’est-ce que c’est donc? Qui êtes-vous?
Mme DE MAINTENON - Je suis la gouvernante des enfants de madame de Montespan.
LA REINE – Vraiment! Et qui est madame de Montespan, s’il vous plaît?
Mme DE MAINTENON - Comment, Votre Majesté n’est pas au courant...
LA REINE - Pas du tout! Louise, qu’est-ce que c’est que cette histoire?
Mlle DE LA VALLIÈRE – Je vais me renseigner… (elle sort puis rentre) Hélas, nous nous sommes fait doubler, madame, je viens de l’apprendre! Le Roi nous a fait sous le nez huit bâtards avec une maîtresse secrète.
Mme DE MONTESPAN - (entrant) Secrète! Que racontez-vous? Me voici! Je ne suis plus secrète du tout. Je suis même tout à fait publique. Et c’est moi qui commande. Allons, place, videz-moi les lieux!
LA REINE - Elle est pleine de morgue! Vider les lieux... Moi aussi?
Mme DE MONTESPAN - Oui, vous aussi, madame. Mais, en tant que Reine, je vous autorise à rester dans la coulisse. Quant à vous, Louise de La Vallière, entrez donc au couvent, puisque vous y tenez tant: vous y passerez vos nuits à chanter pendant que moi, je... me sacrifierai! Allons, allons…
Mlle DE LA VALLIÈRE – Mais…
LA REINE - Taisez-vous, il n'y a rien à répliquer, nous nous retirons. (la reine et Mlle de la Vallière sortent)

- 3 -
Mme DE MONTESPAN - Je suis donc Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, marquise de Montespan. Le Roi m’a longtemps suppliée... Je suis belle, j’ai de l’esprit, il m’adore. Et j’ai fini par céder: il est si riche! Et comme je lui donne de grandes satisfactions, lui, si autoritaire, je le fais tourner autour de mon petit doigt. Eh bien! Madame de Maintenon, comment se portent mes enfants, que je vous ai confiés?
Mme DE MAINTENON – (montrant la voiture d'enfant) Votre petit duc du Maine me donne du souci! Il ne se tient pas bien sur ses jambes.
Mme DE MONTESPAN – Vraiment: il n’y a pourtant pas de boiteux chez les Rochechouart! ...De toute façon, madame de Maintenon, je n’aime pas cette manière que vous avez de tourner autour du Roi sous prétexte de mes enfants.
Mme DE MAINTENON – Je vous assure que…
Mme de MONTESPAN - Ce n’est pas que j’aie peur: je vous ai ramassée dans le ruisseau, et vous avez beau être la petite fille d’Agrippa d’Aubigné, vous n'êtes pas grand chose. Mais pour plus de précautions vous allez m’emmener votre petit duc - puisque vous l’aimez tant! - prendre les eaux à Bagnères, dans les Pyrénées, pour ses jambes. Avec le voyage, cela vous fera au moins six mois d’absence! Pendant lesquels vous n’importunerez point le Roi.
Mme DE MAINTENON - Très bien, Madame. Mais si je ne suis pas là, prenez garde aussi à Mlle de Ludes, à Mlle de Piennes, à Mlle de Fontanges, à Mme de Soubise... d’autres encore: elles s’intéressent beaucoup au Roi..
Mme DE MONTESPAN - Soyez tranquille, je m’en occupe: allez... (madame de Maintenon sort, puis, après un court instant, rentre: elle tient d'un côté la petite voiture d'enfants et de l'autre fait comme si elle tenait la main d'un petit garçon) Comment, madame de Maintenon! Vous voici déjà revenue des eaux de Bagnères!
Mme DE MAINTENON - Regardez, regardez, le petit duc marche!
Mme DE MONTESPAN - Mais c’est un miracle! Ma bonne madame de Maintenon, que je vous suis reconnaissante. Vous êtes si tendre. Et personne ici, sauf moi, n’a votre esprit ni votre beauté... Heureusement, encore une fois, que vous êtes mal née! Mais qui vois-je venir ici? N’est-ce pas “grandes et terribles leçons”, Bossuet, l'évêque de Meaux! Mon Dieu, fuyons, il va nous sermonner...

- 4 -
BOSSUET - Vous avez eu beau vous sauver, je vous ai enfin attrapées, mesdames.
Mme DE MAINTENON et Mme DE MONTESPAN - Bénissez-nous, mon père (elles s'agenouillent).
BOSSUET – Pardonnez-moi, je suis tout essoufflé, vous m'avez tant fait courir! (il les bénit) Relevez-vous, mes filles... J'ai une nouvelle qui vous concerne… qui vous concerne toutes les deux.
Mme DE MONTESPAN – Que se passe-t-il donc?
BOSSUET – Hélas, la Reine est morte...
Mme DE MONTESPAN - Ah, mon Dieu! Cela me fait un coup.
BOSSUET - Cela n’est pas en soi un grand événement, mais... il va changer beaucoup de choses. J’ai à vous parler... à vous spécialement, madame de Maintenon. En confidence... Madame de Montespan, pardonnez-moi, écartez-vous.
Mme DE MONTESPAN - Ma chère, comme la roue tourne vite! Je crois que j’ai compris qu’il faut que je sorte de l’Histoire. C'est la fin de ma gloire. Adieu, soignez-le bien. (elle sort)
BOSSUET - Madame, voici donc le Roi veuf. Nous ne voulons plus, nous-autres hommes d’Église, qu’il retombe en ses égarements...
Mme DE MAINTENON - Quels égarements?
BOSSUET - Ne faites pas la bête... Et pour qu’il n’ait pas envie de courir partout, nous avons décidé de le remarier en vitesse avec une femme qu’il puisse aimer, pour en avoir déjà donné des preuves, et qui le tienne un peu court. Et c’est vous que nous avons choisie.
Mme DE MAINTENON - Mais je ne suis que la veuve de monsieur Scarron, un pauvre écrivain difforme!
BOSSUET - Nous ne l’avons pas oublié. A défaut de naissance, nous estimons que vous serez bien dans notre main et que vous nous ferez une cour où, cette fois, tout respirera la sainteté.
Mme DE MAINTENON - Mais... mariage morganatique, naturellement?
BOSSUET - Assurément. Je vois que vous avez déjà réfléchi à la question. Vous serez la femme du roi, mais vous ne serez pas la reine, nous savons ce que nous faisons. La cérémonie aura lieu cette nuit en secret.
Mme DE MAINTENON – Mon Dieu, déjà!
BOSSUET – Oui, il ne faut pas lui laisser le temps de se retourner… Cette union durera longtemps. Mais vous vous étant occupée de nourrissons, vous saurez d'autant mieux prendre soin d’un vieillard. Je vous emporte cette voiture d’enfant, elle n'est maintenant plus de mise. Et quand le temps sera venu, nous ferons faire pour lui un fauteuil à roulettes.
Mme DE MAINTENON - Que la volonté de Dieu soit faite! (elle s'agenouille)
BOSSUET - Dans tous les siècles des siècles... (il la bénit)
Mme DE MAINTENON - Il est si bon!
BOSSUET – Qui? Dieu… Certes. De toute façon, nous comptons que vous serez maintenant la plus obéissante de ses filles. (il sort avec la voiture d'enfant)

RAPPEL HISTORIQUE

Le premier amour de Louis XIV fut Marie Mancini, une des nièces de Mazarin. Le roi a vingt ans, il vient, après le siège de Dunkerque en 1658, de tomber malade… et les deux jeunes gens s'éprennent l'un de l'autre. Mais la raison d'Etat veille et Louis, profondément troublé, se voit obligé d'épouser Marie-Thérèse d'Autriche, infante d'Espagne, pour laquelle il n'éprouve aucune inclination… Mais ainsi la paix est-elle scellée entre l'Espagne et la France!
Cette déconvenue initiale n'est certainement pas étrangère au comportement amoureux de Louis XIV, qui chercha dans les bras de beaucoup de maîtresses ce qu'il ne trouvait pas dans ceux de sa femme… Parmi ces maîtresses, trois dominent toutes les autres.
Louise de la Vallière fut la première. Elle n'était pas mariée, ce qui simplifia les choses. Sa liaison avec le roi, que ce dernier fit tout pour garder secrète, dura de 1661 à 1667. Elle lui donna quatre enfants, dont deux vécurent. Délaissée, elle entra plus tard, en 1674, au carmel. Bossuet prononça pour l'occasion un sermon célèbre.
Lui succéda, de1667 à 1681, madame de Montespan, qui était, elle, mariée et dont le mari ne se gêna pas pour exprimer son mécontentement! La nouvelle favorite était une femme brillante et influente et le roi ne réussit pas cette fois à dissimuler sa liaison. Elle lui donna huit enfants dont quatre atteignirent l'âge adulte. Ces enfants furent, eux, gardés secrets - était-ce vraiment possible?- et leur éducation fut confiée a madame Françoise Scarron, la veuve du poète Scarron, petite-fille d'Agrippa d'Aubigné… Cependant la belle et brillante carrière de Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, marquise de Montespan se trouva à la fin éclaboussée par la navrante affaire dite "des poisons" et le roi se vit obligé de la répudier…
Pendant ce temps, et depuis 1675, Françoise Scarron, la gouvernante des bâtards royaux, au demeurant très attirante et fort spirituelle, avait, sans trop y toucher, séduit le roi. Et lorsque la reine Marie-Thérèse mourut en 1683, les gens d'Eglise, et en particulier Bossuet, soucieux d'arracher le roi à son peccamineux vagabondage sentimental, organisèrent le remariage du roi avec celle à laquelle il avait déjà donné le titre de madame de Maintenon. Mariage morganatique, évidemment, ce qui voulait dire que, en raison de sa "basse naissance", la nouvelle épouse ne serait pas reine. Cette union dura trente-deux ans, jusqu'à la mort du roi, en 1715.
Le roi avait de l'honneur et il reconnut officiellement bon nombre des bâtards qu'il avait engendrés. Il admettait d'ailleurs que, moralement, son exemple n'était pas bon à suivre car "comme le Prince devrait toujours être un parfait modèle de vertu, il serait bon, disait-il, qu'il se garantit absolument des faiblesses communes, d'autant qu'il est assuré qu'elles ne sauraient demeurer cachées."