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Déposé à la SACD

LOUIS XI ET LA PAIX

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES
Louis XI, roi de France, appelé "le rat' par ses adversaires,
le roi d'Angleterre Édouard IV,
Charles le Téméraire, duc de Bourgogne,
Commines, ministre du roi de France et mémorialiste,
Jarretière, le héraut anglais, un valet d'armes.

L'HISTORIEN DE SERVICE - La Guerre de cent ans est achevée, mais l'Angleterre et la France n'ont pas encore vraiment déposé les armes. Entre autres, le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, ennemi juré du roi de France Louis XI, sollicite l'appui des Anglais pour écraser les Français. Mais Louis XI, plutôt que de faire la guerre, préfère payer une forte somme au roi d'Angleterre. Il estime que cela lui reviendra beaucoup moins cher. Mais nous n'en sommes pas encore là. Pour le moment Charles le Téméraire et le roi d'Angleterre complotent depuis la Rhénanie jusqu'à Londres, par dessus la mer.

1 - CHARLES LE TEMERAIRE – Holà, mon beau cousin d'Angleterre, m'entendez vous…?
LE ROI D'ANGLETERRE – Je vous entends très mal, mon beau cousin de Bourgogne…
CHARLES LE TEMERAIRE - C'est que je vous parle du fin fond de mes États. Je suis actuellement en train faire la guerre sur les bords du Rhin! C'est loin…
LE ROI D'ANGLETERRE - Alors parlez un peu plus fort! Moi, je suis à Londres, tout simplement.
CHARLES LE TEMERAIRE - Je vais hausser la voix… Holà, holà, Édouard, y êtes-vous?
LE ROI D'ANGLETERRE - Ca y est, Charles, je vous entends maintenant ! Qu'y a-t-il que je puisse faire pour vous?
CHARLES LE TEMERAIRE - Il faut m'aider. J'ai des problèmes avec le rat…
LE ROI D'ANGLETERRE - Avec le rat? Vous voulez dire avec le roi de France ?
CHARLES LE TEMERAIRE - Lui-même, le rat Louis le onzième… Le sale animal ! Il me grignote mes territoires. Je voudrais bien m'en débarrasser… J'ai une proposition à vous faire: nous allons le prendre en tenaille.
LE ROI D'ANGLETERRE - Assez bonne idée ! Comment voyez-vous la chose?
CHARLES LE TEMERAIRE - C'est tout simple: vous débarquez en France avec votre armée et vous vous avancez sur le flanc gauche du rat. Et moi, je pousse mes troupes à votre rencontre et je l'attaque sur son flanc droit… Il n'y résistera pas!
LE ROI D'ANGLETERRE - Il est rusé, votre rat, et pour sortir d'un piège il en connaît plus d'une…
CHARLES LE TEMERAIRE - Cette fois-ci, il ne pourra pas s'en tirer. Et quand nous l'aurons finalement mis à mort, je vous accompagnerai à Reims vous faire couronner roi de France et moi, je pourrai enfin être élu empereur d'Allemagne.
LE ROI D'ANGLETERRE - C'est bien pensé! Allons-y! (ils sortent)

2 - L'HISTORIEN DE SERVICE – Et voici que le héraut du roi d'Angleterre vient déclarer la guerre au roi de France...
LE HERAUT ANGLAIS - (entrant) Je suis le héraut du roi d'Angleterre… Nous sommes dans un temps où l'on ne fait pas la guerre sans l'avoir déclarée et je viens porter au roi de France le défi de mon maître.
LOUIS XI - (entrant de l'autre côté) Ah, très bien… J'attendais plus ou moins ce beau défi.
LE HERAUT ANGLAIS - Votre Majesté, le voici. (il tend une lettre) Défi au roi de France!
LOUIS XI - Laissez-moi le lire attentivement… Je vois, je vois… Et dites-moi, mon bon… au fait comment vous appelez-vous?
LE HERAUT ANGLAIS - Jarretière, sire, pour vous servir.
LOUIS XI - Mon bon Jarretière, j'ai eu beaucoup de plaisir à vous voir. Prenez ces cent écus, faites bon retour, remerciez votre maître et dites-lui combien j'aime la paix.
LE HERAUT ANGLAIS – Je n'y manquerai pas, Monseigneur. (Ils sortent)

3 - L'HISTORIEN DE SERVICE -Les Anglais ont donc débarqué en France, à Calais, et ils descendent la vallée de la Somme. De son côté le duc de Bourgogne se prépare à les rejoindre. C'est ça la tenaille!
LOUIS XI - Quant à nous, les Français, nous sommes là, du côté de Compiègne, bien posé sur nos quatre pattes, avec une solide armée derrière nous… Ce n'est pas que nous ayons envie de faire la guerre, mais s'il faut la faire, nous sommes prêts. Pour le moment, nous attendons la suite des évènements. Mais que se passe-t-il, mon bon Commines?
COMMINES – (entrant) Monseigneur, voilà une histoire étrange!
LOUIS XI - Laquelle, expliquez-vous?
COMMINES - Je vous amène Jacquot, un de nos valets d'armes, qui ne serait qu'un soldat de fort peu d'importance s'il n'avait été capturé par les Anglais et s'il ne nous avait été retourné porteur d'un message qu'il faut que vous entendiez.
LOUIS XI - Hé bien, Jacquot, dites-nous votre histoire.
JACQUOT - C'est bien simple. Hier, j'étais allé chercher du fourrage pour nos chevaux et je me suis fait attraper par une bande d'Anglais qui passait par là… Et, au lieu de me maltraiter, ils m'ont conduit dans une belle tente où j'ai été interrogé, savez-vous par qui? par le roi d'Angleterre et le duc de Bourgogne en personnes.
COMMINES - Comment savez-vous que c'était eux?
JACQUOT - Ils étaient si richement vêtus! Et puis ils s'appelaient: mon cousin, mon cousin, gros comme le bras. Ils m'ont interrogé sur nous, sur nos troupes. Naturellement je n'ai rien dit, enfin le moins possible... Et à la fin, comme j'étais le premier prisonnier qu'ils avaient fait, pour que cela leur porte chance, ils m'ont relâché.
LOUIS XI - C'est tout?
JACQUOT - Non, Sire. Comme je sortais de la tente du roi, j'ai été pris à part en secret par deux de leurs grands seigneurs qui m'ont donné chacun deux pièces d'or et qui m'ont dit: "Nous sommes les seigneurs Howard et Stanley… Recommandez-nous chaudement à votre roi si vous avez l'occasion de le voir."
COMMINES - Howard et Stanley sont deux princes anglais qui nous ont déjà fait dire qu'ils ont de l'amitié pour nous.
LOUIS XI - Est-ce que cela ne signifie pas que certains Anglais ne sont pas d'accord avec leur roi…?
COMMINES - Quoi d'autre, Majesté?
LOUIS XI - Et que cette guerre, que le duc de Bourgogne leur impose, n'est pas populaire parmi leurs soldats, de telle sorte qu'ils n'ont pas tellement envie de se battre et que, par conséquent, ils ne feraient pas la sourde oreille à des propositions de paix.
COMMINES - C'est bien raisonné…
LOUIS XI - Nous allons y réfléchir. N'avons-nous pas toujours préféré la diplomatie à la guerre? Jacquot, merci pour ces renseignements, tu t'es bien comporté.

4 - L'HISTORIEN DE SERVICE – Et maintenant, place à la diplomatie...
LOUIS XI - Holà, mon cousin d'Angleterre, je vous appelle de Compiègne où je me suis installé. M'entendez-vous…?
LE ROI D'ANGLETERRE - Je vous entends d'autant mieux que je ne suis pas très loin de vous.
LOUIS XI - Je sais, je sais. Justement, mon cousin d'Angleterre, c'est de ça que j'ai à vous parler.
LE ROI D'ANGLETERRE - Allez-y, je vous écoute. (les deux personnages se rapprochent)
LOUIS XI - Je voulais essentiellement vous dire la grande admiration que m'inspire votre armée.
LE ROI D'ANGLETERRE - J'ai fait de mon mieux! Vous êtes trop aimable!
LOUIS XI - Pas du tout, pas du tout, je le pense vraiment: ces magnifiques chevaux, ces armures étincelantes, ces lances, ces étendards qui claquent dans le vent… Et aussi ces étonnants archers, la fine fleur de vos troupes, avec ces longs arcs qui portent à cinq cents pieds… Plus peut-être?
LE ROI D'ANGLETERRE - Parfaitement: jusqu'à six cents pieds.
LOUIS XI - Je les sous-estimais. Pardon! Et tout cela est rutilant, neuf à souhait, graissé à ravir! Et ces hallebardiers, et ces machines de siège, et ces merveilleuses tentes, et ces charrettes… Mais j'ai tort de m'étonner: vous, les Anglais, vous avez toujours eu un matériel de premier ordre!
LE ROI D'ANGLETERRE - Où voulez-vous en venir, mon cher cousin, avec tous ces compliments?
LOUIS XI - A ceci que je serais fortement navré qu'en nous faisant la guerre, toute cette belle armée puisse courir le risque d'être abîmée… des chevaux estropiés, des armures bosselées, des épées rouillées… Aussi, dans votre intérêt, j'ai une suggestion à vous faire: votre très belle armée m'a séduit et je vous propose de vous l'acheter.
LE ROI D'ANGLETERRE – De me l'acheter! Comment, qu'est-ce que vous voulez dire?
LOUIS XI - Rien d'autre que ce que je dis: je vous l'achète!
LE ROI D'ANGLETERRE - Mais…
LOUIS XI - Rassurez-vous, je vous l'achète, mais je vous la laisse en pleine propriété. Pour vous tout seul… A la seule condition que vous me la rameniez gentiment en Angleterre. Six cent mille écus, cela vous dirait?
LE ROI D'ANGLETERRE - Six cent mille écus, êtes-vous sérieux?
LOUIS XI - Oui, c'est une belle somme. Mais cela me coûterait moins cher que de vous faire une guerre où nos deux armées se détruiraient mutuellement. N'est-ce pas une bonne façon de raisonner. Sans parler des dommages collatéraux! Six cent mille, comptant! Douze chariots d'or!
LE ROI D'ANGLETERRE - Mon cher cousin, savez-vous que vous me tentez?
LOUIS XI - Je l'espère bien… Mais je n'ai pas terminé. Pour être bien sûr qu'une fois rentré chez vous vous n'ayez pas la tentation de revenir, en sus des six cent mille écus dont j'ai parlé, je vous verserais chaque année une rente de deux cent mille écus, aussi longtemps que vous resteriez de l'autre côté du Channel: moitié à Pâques, moitié à la Saint-Michel. Cela vous irait-il?
LE ROI D'ANGLETERRE - Si cela me va! J'accepte bien volontiers… J'accepte d'autant plus volontiers qu'entre nous, mes hommes n'avaient pas tellement envie de se battre.
LOUIS XI – Pour tout vous dire, j'étais au courant… Et pour célébrer cet accord, je vous invite à faire avec nos deux armées un grand banquet où nous boirons à la santé les uns des autres. Tout est déjà préparé, Je vous attends…
L'HISTORIEN DE SERVICE – (donnant la main à l'un et à l'autre) Il ne nous reste plus, pour cet exploit, qu'à saluer la compagnie!


RAPPEL HISTORIQUE

Bien qu'il n'ait pas une bonne réputation - il était avare, soupçonneux, rusé, tenace et impitoyable: le rat! - Louis XI (1461-1483) est le roi qui, au sortir d'une Guerre de cent ans dévastatrice, fit de la France le premier Etat-nation moderne. Il y réussit d'abord en imposant l'idée que la mission de l'Etat est d'éduquer la population et d'élever son niveau de vie, au nom d'un "bien commun" sur lequel le monarque doit veiller. Il y réussit ensuite en soumettant les seigneurs féodaux, qui contrôlaient une partie du royaume, et en affermissant ses frontières avec les nations voIsines. La pièce ci-dessus relate un des épisodes de cette lutte.
.Depuis qu'au douzième siècle, Aliénor d'Aquitaine a épousé Henri II d'Angleterre en lui apportant son duché (c'est à dire une grande partie du sud-ouest de la France), les Anglais ont, non seulement occupé la belle et immense province (beaucoup plus grande qu'aujourd'hui), mais se sont efforcés de grignoter du reste du territoire ce qu'ils trouvaient à leur portée, en particulier le nord-ouest (la Normandie, le Pas de Calais, les Pays de Loire). Maintenant, la guerre de Cent Ans est terminée et les Anglais sont définitivement "boutés hors de France", mais ils ne détestent pas de pointer leur nez lorsque se présente une bonne occasion. Cette fois-ci, c'est Edouard IV qui se laisse tenter.
La bonne occasion, c'est Charles le Téméraire qui la leur offre… Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, le prince le plus riche de la chrétienté! possède non seulement la Bourgogne, mais beaucoup d'autres territoires, de la Bourgogne en passant par la Lorraine et la Franche-Comté et en allant jusqu'au Luxembourg et à la Flandre (Picardie, Artois, Boulonnais, Flandre et Pays-Bas bourguignons), ceinturant pour ainsi dire le royaume de France. Charles le Téméraire est donc tout naturellement l'ennemi juré de Louis XI, dont naturellement il convoite la couronne… Pour anéantir Louis XI, Charles a donc, avec les Anglais, imaginé une opération combinée qui consiste à attaquer la France simultanément de l'ouest et de l'est …
Quant à Louis XI, très inquiet, il se prépare, à Compiègne, à affronter les deux armées qui vont le prendre en tenaille. Mais, occupé ailleurs (au siège de Neuss, en Allemagne), le Téméraire, curieusement, se fait attendre et les Anglais, qui ont débarqué la plus belle armée qu'ils aient jamais eue, s'irritent de son retard… Louis comprend alors qu'au fond ils n'ont pas très envie de se battre. Il va donc jouer la carte de la diplomatie. Et les choses se passent comme il est dit dans la pièce, il couvre d'or les Anglais pour ne pas avoir à les combattre: paix de Picquigny… Pour une fois que deux belligérants comprennent que la paix est plus avantageuse que la guerre! Extraordinaire leçon! Mais rassurez-vous, Louis avait déjà fait beaucoup d'autres guerres!
Les Anglais sont donc repartis. Quant au Téméraire, belliqueux, ombrageux et inconstant, il est de ces princes qui se perdent eux-mêmes, pourvu qu'on les laisse faire! Il s'engage en effet imprudemment dans des conflits avec les Suisses, qui le battent et le dépouillent à Granson et à Morat. Furieux des ses échecs, il s'en va ensuite faire le siège de la ville de Nancy, qui s'est retournée contre lui. Il y retrouve en plein hiver les Suisses avec leurs longues lances et y il est obscurément tué… Après la bataille, on retrouvera son corps à moitié mangé par les loups.