Déposé à la SACD
LE PROCES DE JEANNE D'ARC
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Jeanne d'Arc,
son juge l'évêque Cauchon et l'assesseur Jean Beaupère,
le comte de Warwick représentant le roi d'Angleterre.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Jeanne d'Arc, qui vécut de 1412 à 1431,
n'était qu'une pauvre bergère et cependant, lors de la guerre
de cent ans (1337-1438), il est dit qu'elle prit la tête des troupes françaises
et amorça le mouvement qui devait amener les Anglais à quitter
le royaume de France. Faite prisonnière et vendue aux Anglais, elle fut
jugée par des hommes d'Église et, reconnue coupable, brûlée
sur la place du marché de Rouen. C'est au texte même du procès
de Jeanne, qui a été scrupuleusement enregistré, que sont
empruntées la plupart des répliques de la pièce... Mais
voici d'abord, dans le château de Rouen, l'Anglais Warwick qui enrôle
l'évêque Cauchon.
1 - WARWICK - Et surtout, évêque Cauchon, sachez qu'elle est notre
prisonnière: nous l'avons rachetée assez cher aux Bourguignons!
Mais si nous, les Anglais, nous la mettions tout simplement à mort, on
nous le reprocherait. Nous vous la confions donc pour qu'au préalable
l'Église la déshonore en la convainquant d'hérésie
et de sorcellerie.
L'EVEQUE CAUCHON - Comte de Warwick, vous qui représentez ici le roi
d'Angleterre, nous sommes de votre bord, quoique Français, et nous avons
bien compris quelle est notre mission.
WARWICK - Et rassurez-vous, seigneur Évêque, vous serez pour la
dite mission grandement considéré et grassement payé.
2 - L'HISTORIEN DE SERVICE – Et voici que Jeanne comparaît devant
le tribunal. Warwick se tient debout derrière les deux juges (en fait
il y en avait plus de deux!). Il les surveille...
L'EVEQUE CAUCHON - Jeanne, vous êtes devant vos juges. Jurez sur l'Évangile
de dire la vérité!
JEANNE D'ARC - Je ne sais pas sur quoi vous voulez m'interroger. Sachez cependant
que je ne dirais que ce que je veux.
L'ASSESSEUR - Jeanne, vous ne pouvez vous dispenser de jurer…
JEANNE D'ARC - Je jurerais volontiers de dire ce qui concerne mes parents et
ce que j'ai fait depuis que je suis venue en France. Mais les révélations
qui m'ont été faites de par Dieu, jamais je ne les ai dites à
personne, si ce n'est à Charles, mon roi et je ne les révèlerai
pas, dût-on me couper la tête.
L'ASSESSEUR - Pourquoi ne les révèlerez-vous pas?
JEANNE D'ARC - Parce que j'ai promis de n'en rien dire. Vous ne voudriez pas
que je me parjure!
L'EVEQUE CAUCHON - Vous êtes terriblement obstinée! Nous saurons
vous faire changer d'avis. Maintenant, Jeanne, dites-nous le Pater Noster, pour
voir si vous êtes une bonne chrétienne!
JEANNE D'ARC - Je ne vous le dirai point si vous ne m'entendez d'abord en confession.
L'EVEQUE CAUCHON - Est-ce une façon de parler à ses juges que
de leur donner des conditions?
JEANNE D'ARC - Vous qui prétendez être mon juge, je ne sais si
vous l'êtes, mais avisez-vous bien de ce que vous faites, car je suis
envoyée de par Dieu et, en me jugeant, vous vous mettez en grand danger.
L'EVEQUE CAUCHON – Jeanne, prenez garde! Vous êtes une insolente…
JEANNE D'ARC - Je viens de par Dieu. Si vous me connaissiez mieux, vous me laisseriez
m'en aller tranquillement.
L'ASSESSEUR – Justement, au moins, promettez que vous ne vous évaderez
pas.
JEANNE D'ARC - Je ne promettrai pas. Tout prisonnier a le droit de s'évader.
3 - WARWICK - C'est une fille du diable… Monseigneur Cauchon, vous n'allez
pas tout de même vous laisser manipuler!
L'EVEQUE CAUCHON - Soyez tranquille, nous finirons par la prendre en faute.
Mais je vous concède qu'elle est très adroite. A vous de jouer,
vous, notre assesseur.
L'ASSESSEUR – Jeanne, vous affirmez que vous avez entendu des voix qui
vous disaient de bouter les Anglais hors de France. Ces voix que vous avez entendues,
venaient-elle d'une forme humaine, avec des yeux et une bouche?
JEANNE D'ARC - Vous ne le saurez pas. Selon ce que disent les petits enfants,
quelquefois on peut se faire pendre pour avoir dit la vérité.
L'ASSESSEUR - Prenez garde… Vous dites avoir entendu saint Michel…
Était-il nu ou habillé?
JEANNE D'ARC - Pensez-vous que Dieu n'ait pas de quoi l'habiller?
L'ASSESSEUR – Seigneur, quel toupet!
L'EVEQUE CAUCHON - Avez-vous entendu vos voix depuis que vous êtes en
prison.
JEANNE D'ARC - Je les ai entendues.
L'EVEQUE CAUCHON - Que vous disaient-elles?
JEANNE D'ARC - De répondre hardiment.
L'EVEQUE CAUCHON - C'est bien ce que vous faites! Et encore?
JEANNE D'ARC - Elles m'ont promis que les Anglais seraient chassés hors
de France avant qu'il ne soit sept ans et que le roi de France serait rétabli
roi en son royaume, que ses adversaires le veuillent on non.
L'ASSESSEUR - Jeanne, êtes-vous en paix avec Dieu, c'est à dire
êtes-vous en état de grâce?
JEANNE D'ARC – (un temps) Si je n'y suis pas, Dieu m'y mette. Si j'y suis,
qu'il veuille m'y tenir.
L'EVEQUE CAUCHON - (un silence) C'est une réponse habile… Jeanne,
autre chose: vous êtes habillée comme un homme. C'est défendu
par l'Église. Voulez-vous maintenant mettre un habit de femme?
JEANNE D'ARC - Donnez m'en un, et je le prendrai et je sortirai volontiers de
cette prison. Autrement, je suis contente de celui que j'ai, puisqu'il plaît
à Dieu que je le porte…
4 - L'HISTORIEN DE SERVICE – Cinq semaines plus tard, Jeanne s'est tellement
bien défendue que le procès court toujours...
WARWICK - Voilà cinq semaines que cela dure. Allez-vous tolérer
ça longtemps?
L'EVEQUE CAUCHON - Monseigneur, n'avons pas perdu notre temps. Nous avons mis
au point soixante raisons de la trouver coupable… Elle les a reconnues.
JEANNE D'ARC - Je le nie, je n'ai rien reconnu du tout.
WARWICK - Je vous le dis en bon Anglais que je suis: c'est trop de soixante
raisons, une seule suffit.
L'ASSESSEUR - Soixante, en effet, c'était beaucoup, nous le reconnaissons.
Aussi venons-nous d'en retenir non pas une, mais douze, douze seulement selon
lesquelles elle se vante d'avoir entendu des voix qui provenaient du diable,
reconnaît leur avoir obéi, avoir quitté la maison paternelle
sans autorisation, avoir eu connaissance d'évènements cachés,
avoir enfin porté un habit d'homme…
WARWICK - Abrégez, abrégez… Efficacité d'abord. Nous
sommes pressés!
L'EVEQUE CAUCHON - …Ce pourquoi nous la déclarons hérétique
et schismatique, séditieuse envers l'Église, injurieuse envers
Dieu. Et si elle ne consent à abjurer, qu'on la condamne au bûcher
pour y être brûlée par la main des Anglais… Jeanne
voulez-vous abjurer?
JEANNE D'ARC - Si j'abjure, me mettrez-vous dans une prison d'Église,
pour y être gardée, non par des soldats anglais, mais par des femmes,
et m'autoriserez-vous enfin à me confesser et à entendre la messe?
L'EVEQUE CAUCHON – (insinuant) A condition que tu acceptes aussi de reprendre
des vêtements de femme, nous te le promettons.
JEANNE D'ARC – Si vous me le promettez… alors je vais signer. (elle
signe)
WARWICK - Que faites-vous? Le diable soit de vos simagrées… Elle
nous échappe!
L'EVEQUE CAUCHON - Ne vous en faites pas, Monseigneur, nous la rattraperons
bien.
5 – L'HISTORIEN DE SERVICE – Jeanne a eu un mouvement de faiblesse,
elle a cédé. Mais dès le lendemain elle est convoquée
à nouveau devant le tribunal...
L'EVEQUE CAUCHON - Jeanne, vous aviez juré de reprendre un habit de femme…
JEANNE D'ARC - Évêque Cauchon, vous aviez promis, vous, de me mettre
dans une prison d'Église. Vous ne l'avez pas fait et c'est la raison
pour laquelle, étant gardée par des hommes grossiers, j'ai repris
un habit d'homme. Savez-vous que l'on a tenté de me violer, la nuit dernière…
Et puis vous m'aviez promis aussi que je pourrais assister à la messe…
WARWICK - Elle ne manque pas d'audace!
L'EVEQUE CAUCHON - Jeanne, c'est nous qui sommes votre juge et non le contraire!
L'Église était prête à vous pardonner. Mais voici
que vous êtes retombée dans votre péché et vous avez
repris votre habit d'homme.
JEANNE D'ARC – Vous vous attachez à un détail! Tout ce que
j'ai dit, que vous m'avez fait signer, et tout ce que j'ai fait, c'était
par peur du feu…
L'EVEQUE CAUCHON – Vraiment! Hélas, maintenant que vous êtes
revenue à votre péché, nous n'avons pas d'autre ressource
que de vous livrer aux Anglais pour qu'en effet ils vous brûlent.
WARWICK - Ca y est, évêque, maintenant elle est prise. Enfin!
L'EVEQUE CAUCHON - C'est bien ce que je vous disais, monseigneur! Jeanne, vous
êtes donc condamnée.
JEANNE D'ARC - J'aime mieux faire ma pénitence en une fois, je veux dire
être brûlée, que d'endurer longue peine en prison avec les
fers aux pieds.
WARWICK - Le bon tour que de l'avoir condamnée pour avoir repris ses
habits d'homme! Je ne trouve pas, pas plus qu'elle, que ce soit un très
bon motif, mais du moins, il est indiscutable. Merci, Messeigneurs! Je la prends
en charge et cela ne traînera pas. (Il la prend par le bras et il l'emmène)
J'ai plus de huit cents soldats qui surveillent le bûcher.
JEANNE D'ARC – (se retournant) Évêque Cauchon, je meurs par
vous! Si vous m'aviez mise en prison d'Église, je n'aurais pas repris
mon habit d'homme. Vous m'avez jugée, mais pour ce que vous avez fait,
c'est Dieu qui vous jugera.
RAPPEL HISTORIQUE
Quinze ans après la défaite d'Azincourt, la jeune Jeanne d'Arc,
Jeanne la Pucelle, inspirée par les voix qu'il lui semble entendre, quitte
son village natal pour "aller délivrer la France". On est alors
en 1429, elle a dix-huit ans. Deux mois et demi après, elle est reconnue
comme chef de guerre par le dauphin de France Charles et en neuf jours délivre
Orléans, que les Anglais assiégeaient. Deux mois plus tard l'armée
de Jeanne remporte une nouvelle victoire à Patay, qui peut être
considérée comme l'inverse d'Azincourt (les archers anglais en
fuite et décimés…) et qui est comme la réponse de
la France à l'Angleterre.
Mais les Anglais ne peuvent supporter d'être défaits par une femme…
Malgré, ou à cause des lettres très dignes et très
impérieuses qu'elle leur envoie, ils se mettent dès l'origine
à traiter Jeanne d'Arc de putain et de sorcière. Aussi, lorsque,
quelques mois après Patay et le sacre de Charles VII à Reims,
elle est faite prisonnière par les Bourguignons, alliés des Anglais,
ceux-ci, pour 10 000 livres, s'empressent de la leur racheter. Ils l'enferment
dans une tour du château de Philippe Auguste, à Rouen.
Maintenant, qu'en faire? Evidemment, s'en débarrasser. Mais plutôt
que de juger et de condamner directement celle que le peuple français
considérait comme son héroïne et sa libératrice, les
Anglais décident auparavant de la déshonorer en la faisant condamner
comme sorcière par l'Eglise elle-même. Ils travestissent ainsi
ce qui n'était qu'un procès politique en un procès religieux
dans lequel il était impératif, pour être convainquant,
de respecter les formes. Le comte de Warwick, représentant le roi d'Angleterre,
confia le soin de mener l'opération à un évêque français,
ami des Anglais, l'évêque-comte de Beauvais, Cauchon.
Le procès débute le 20 février 1431. Pour donner à
l'opération plus de retentissement, l'évêque Cauchon s'appuie
sur de nombreux ecclésiastiques, dont Jean Le Maître, religieux
dominicain représentant l'Inquisiteur. Il consulte même la Sorbonne,
dont l'autorité est reconnue, mais qui se trouve sous influence bourguignonne,
c'est-à-dire anglaise. Bien que ce soit un procès d'Eglise, Jeanne
est toujours détenue dans les prisons des Anglais. Elle s'en plaint!
Puis, harcelée de questions pièges, elle répond avec une
grande sagesse, souvent de l'humour, parfois de l'insolence. Elle doit faire
d'abord faire face à 60 chefs d'accusation. C'est beaucoup. On les réduits
à douze, dont celui d'avoir revêtu des habits d'homme… Finalement,
sous la pression de ses juges qui la menacent du bûcher et devant la promesse
d'être enfermée en prison d'Eglise, elle faiblit et consent à
avouer ce qu'on veut lui faire avouer. Elle promet également de revenir
à des habits de femme. Mais comme elle est ensuite reconduite dans la
prison des Anglais et, parce qu'elle a peur d'être violée, elle
décide de reprendre ses habits d'homme. On la tient! Elle est alors solennellement
déclarée "relapse", ce qui veut dire qu'elle est retombée
dans son péché (… porter des habits d'homme, selon l'interdiction
du Deutéronome, un des livres de la Bible, rédigé –
on ne sait trop! – quelque trois mille ans auparavant!). Elle est brûlée
le 15 mai 1431.
En 1453, les Anglais renoncèrent et la guerre de Cent Ans se termine.
La délivrance d'Orléans avait marqué le tournant de la
reconquête.