Déposé à la SACD
LA REFORME
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre et
sœur de François I, roi de France,
Lefèvre d'Étaples, savant humaniste ayant entrepris la traduction
en français de la Bible,
Clément Marot, poète caustique et spirituel, secrétaire
de Marguerite,
Jean Calvin, qui sera considéré comme le fondateur
du protestantisme français.
(Acte unique en trois parties. A Nérac, où Marguerite a sa cour.)
L'HISTORIEN DE SERVICE - Nous sommes sous le règne de François
I, en pleine Renaissance. L'Église, qui est restée très
traditionaliste, se trouve exposée à une multitude de mécontentements
qui, progressivement, avec Luther en Allemagne et Calvin en France, donneront
naissance au protestantisme. La pièce se passe en 1535, juste après
"l'affaire des Placards" où l'Église s'est trouvée
violemment prise à partie. Le Parlement de Paris a réagi brutalement
et les principaux "réformateurs" se sont réfugiés
à Nérac, en Navarre, où se trouve la cour de Marguerite
de Navarre, favorable à leur cause...
1 - LEFEVRE D'ETAPLES - Je me souviens, maître Marot, que j'ai entendu
autrefois à Meaux – c'était dans le diocèse de notre
bon Briçonnet – un sermon qui m'a terrifié…
CLEMENT MAROT - Qui vous a terrifié! Vous, maître Lefèvre?
Je crois que je devine… Était-ce par hasard un moine cordelier
qui prêchait?
LEFEVRE D'ETAPLES - Tout juste! Les cordeliers sont dévastateurs. Ils
ont une éloquence insolente et grossière qui leur donne une sorte
d'emprise sur les foules… Terrifiant, je vous le répète.
CLEMENT MAROT - Et de quoi parlait-il? Des tourments de l'enfer, je parie?
LEFEVRE D'ETAPLES - Oui, bien sûr! …Un enfer effroyable rempli de
fouets, de pinces rougies et de bûchers, à l'image de ce qui se
passe ici de plus cruel.
CLEMENT MAROT - Cela est banal, hélas! …Au moins sa description
était-elle brillante?
LEFEVRE D'ETAPLES - Brûlante, vous voulez dire? Oui, je vous assure que
l'évocation des tourments des damnés était tellement poussée
que j'ai failli moi-même me sentir mal… Et il ne parlait pas seulement
l'enfer, mais surtout – et c'est là que d'horrible cela devient
scandaleux - de la façon d'échapper à ses tourments, qui
est… vous le savez!
CLEMENT MAROT - Dans ma naïveté, d'être un bon chrétien,
je suppose?
LEFEVRE D'ETAPLES - Mais non! Cela est oublié… Le moyen d'échapper
à l'enfer, c'est de donner de l'argent!
CLEMENT MAROT -Vraiment! …Je fais l'étonné, mais cela ne
m'étonne pas.
LEFEVRE D'ETAPLES - De donner de l'argent, afin d'acquérir des indulgences.
Des indulgences! Maintenant le paradis s'achète! Et cela était
dit avec un tel cynisme…
CLEMENT MAROT - Je vous demande pardon, c'est bien connu: quand on a de l'argent,
on peut s'acheter tout ce qu'on veut. On peut donc avoir beaucoup péché,
si l'on peut payer… De sorte que pour nos bons moines, dites-moi si je
me trompe, le paradis doit être rempli de riches?
LEFEVRE D'ETAPLES - S'ils ont été assez généreux,
oui. Mais aux pauvres, on consent des rabais… Il faut bien pouvoir plumer
tout le monde et il y en a pour toutes les bourses.
CLEMENT MAROT - Je vois ça… A la fin de la cérémonie,
on fait la quête et on établit des billets pour le Paradis! Et
chaque fois qu'un écu tinte dans le plateau, c'est une âme qui
monte au ciel.
LEFEVRE D'ETAPLES - Vous avez raison d'en rire, on ne pourrait vivre sans cela!
CLEMENT MAROT - Je suis sérieux, maintenant: comment avons-nous pu en
venir là?
LEFEVRE D'ETAPLES - Hélas! L'Église aujourd'hui est tombée
dans une profonde décadence. Elle n'est plus qu'une machine à
terroriser les fidèles et à les pressurer pour entretenir des
curés, des moines et des évêques ignorants, dont le seul
but est de s'entretenir eux-mêmes… eux, leurs couvents, leurs églises
et leurs palais.
CLEMENT MAROT – N'en oubliez pas: leurs chevaux, leurs maîtresses,
leurs chiens, leurs chats…
2 - MARGUERITE DE NAVARRE - (entrant avec Calvin) Non, vous ne craignez rien
ici, maître Calvin. Vous êtes à ma cour, à Nérac,
en Navarre et je suis la sœur du roi.
JEAN CALVIN - Je suis épouvanté… Vous ne pouvez pas imaginer…
J'en tremble encore.
MARGUERITE DE NAVARRE - Soyez tranquille, ici personne ne viendra vous chercher.
…Mais je pense que vous connaissez mon poète et secrétaire,
maître Clément Marot, et mon ami Lefèvre d'Étaples,
aussi versé en latin qu'en grec…
JEAN CALVIN - Bien sûr que je les connais! (il les embrasse avec beaucoup
d'émotion) Je suis heureux de les revoir, malgré les très
tristes nouvelles dont je suis porteur.
CLEMENT MAROT - Quelles nouvelles?
JEAN CALVIN - Le flot de la méchanceté de nos ennemis a fait céder
la digue de la bienveillance du roi. Des mains malfaisantes ont en effet placardé
partout des affiches qui dénoncent très violemment la messe, l'eucharistie,
le pape… L'offense faite à l'Église est publique, et grave!
LEFEVRE D'ETAPLES - Mon Dieu! On va nous mettre dans le même sac que ces
enragés!
JEAN CALVIN - C'est ce qui s'est passé. Et le roi n'a pas pu faire autrement
que de céder au Parlement. Ils ont arrêté plus de deux cents
suspects, ils en ont déjà brûlé quelques-uns, six,
je crois, et ils ont organisé partout dans Paris des processions expiatoires…
Le roi, portant une torche allumée, a même pris la tête de
l'une d'entre elles. Ce que voyant, je me suis enfui.
LEFEVRE D'ETAPLES - Vous avez bien fait… Quand la mer est agitée,
il faut rentrer au port. En tout état de cause, je crains que, par la
faute de quelques fanatiques, notre cause ne soit bien menacée!
MARGUERITE DE NAVARRE - Ne désespérez pas. Les persécutions
n'ont jamais fait que renforcer ceux qu'elles veulent détruire. Je connais
le roi, mon frère. Il est profondément du parti des humanistes.
JEAN CALVIN – Madame, qui pourrait mieux que vous…
3 - MARGUERITE DE NAVARRE - Ce qu'il nous faut, c'est prendre nos distances
par rapport à ces luthériens enragés! Nous sommes des hommes
et des femmes de bonne volonté… Que voulons-nous faire, que devons-nous
dire?
LEFEVRE D'ETAPLES - Permettez-moi de faire une réponse. Nous devons dire
que nous ne voulons plus de chrétiens qui se disent tels seulement parce
qu'ils vont fidèlement à la messe, prennent de l'eau bénite
en entrant dans les églises, se confessent à Pâques et font
maigre le vendredi: ce qui ne les empêche nullement d'être menteurs,
voleurs, injustes, égoïstes et violents… Mais nous voulons
des chrétiens qui vivent honnêtement de leur travail, qui ne volent
pas, ne mentent pas, qui soient bons pour leur famille et leurs voisins, qui
viennent en aide aux pauvres… Ceux-là, même s'ils ne vont
pas à la messe, sont de bons chrétiens.
CLEMENT MAROT - Mon Dieu, Lefèvre, mais vous blasphémez! Allez
faire entendre cela à tous ces cagots dont la messe est la raison de
vivre et qui ne pensent qu'à faire observer les règles de la religion.
Vous rappelez-vous qu'ils m'ont emprisonné pour avoir mangé du
lard en carême!
LEFEVRE D'ETAPLES - Marot, qu'avez-vous fait de votre humour, calmez-vous, cette
histoire de lard vous rendra célèbre à jamais! Affirmons
plutôt que nous n'avons rien contre ces règles, mais que nous ne
voulons pas qu'elles soient le tout de la religion.
CLEMENT MAROT - Et surtout qu'on n'emprisonne pas les gens pour ce qui n'est
que de vaines pratiques!
LEFEVRE D'ETAPLES – Vaines pratiques! Marot, ne soyez pas intolérant.
Laissez les jeûneurs jeûner. Ils ne font de mal à personne.
JEAN CALVIN – Allons, allons… Est-ce qu'il ne serait pas plus simple
de dire que nous voulons revenir aux sources de notre religion, c'est à
dire à l'Évangile… Revenir à l'Évangile, cela
est imparable et l'on ne pourrait rien nous reprocher! La pauvreté, la
simplicité, l'amour du prochain, la tolérance sont les vertus
de l'Évangile. Et nous ne voulons pas abattre l'Église, mais la
réformer. Une RÉFORME, cela ne devrait pas être impossible…
MARGUERITE DE NAVARRE - Oui, c'est pour ceci qu'il faut nous battre… redevenir
plus chrétiens! Et pour cela, maître Lefèvre, poursuivez
vos efforts de traduction en français de la Bible et des Évangiles,
de sorte que les fidèles puissent accéder directement à
Dieu.
JEAN CALVIN - Quand on pense qu'aujourd'hui ils ne connaissent les Écritures
que par ce que leur en disent les prédicateurs… qui eux-mêmes
savent à peine le latin. Oui, qu'ils puissent lire dans leur langue les
textes sacrés, c'est une oeuvre pieuse.
CLEMENT MAROT - Je vais, moi aussi, si vous le permettez, madame, rester quelque
temps ici où j'achèverai ma traduction en français des
Psaumes. Cela va dans le même sens.
MARGUERITE DE NAVARRE - Restez tant que vous voudrez… Moi, je partirai
pour Paris où j'essayerai de soustraire mon frère à l'influence
du Parlement et de le faire revenir sur ses édits de persécution.
JEAN CALVIN – Très bien! Et en ce qui me concerne, je vais me rendre
à Genève, qui est une ville acquise à nos idées,
et là je travaillerai à former de vrais prédicateurs, savants
et modestes. Et je vous les enverrai…
MARGUERITE DE NAVARRE - Partez, maître Calvin, mais ayez bien soin de
garder en ceci toute la prudence nécessaire. Mes frères, je souhaite
que nous nous revoyions un jour! (ils sortent tous après s'être
embrassés).
L'HISTORIEN DE SERVICE – Ainsi prit naissance en France le grand mouvement
de réforme qui allait entraîner la division de l'Eglise chrétienne
en deux branches distinctes, la catholique et la protestante.
RAPPEL HISTORIQUE
Au coeur de la Renaissance se trouve la Réforme protestante… L'Eglise
catholique avait connu son apogée au Moyen-Âge. Elle dominait alors
la scène intellectuelle, jouait un rôle politique important et,
par sa morale minutieuse, contrôlait étroitement les actes et les
pensées des hommes. Mais son succès lui-même était
en train de la pervertir et à partir du quinzième siècle,
l'inconduite des papes (certains faisant la guerre et entretenaient femmes et
enfants), la corruption du clergé (qui faisait payer très cher
le baptême, la mariage…etc.), le trafic des indulgences (contre
de l'argent, on promettait aux fidèles d'échapper aux peines de
l'enfer!), le laisser-aller des moines (aux moeurs souvent relâchées),
les abus de la théologie et des tribunaux ecclésiastiques…
provoquèrent une forte réaction.
A vrai dire le mouvement de contestation de l'Eglise cheminait depuis longtemps…
Mais en 1517, lorsque le pape Léon X décida de "lever"
de nouvelles indulgences pour lui permettre de construire la basilique de Saint-Pierre
de Rome, il prit soudain une forme aiguë. Indigné, un moine allemand,
Luther, afficha au porche de l'église du château de Wittenberg
95 thèses dans lesquelles il s'opposait à ce trafic d'argent…
Après quelques années de discussions violentes, auxquelles fut
mêlé Charles Quint, Luther se sépara de l'Eglise catholique
et entraîna derrière lui une partie de l'Allemagne, qui devint
"protestante". Les protestants refusaient l'autorité du Pape,
affirmaient que le fidèle devait s'adresser sans intermédiaire
à Dieu, un Dieu qu'il pouvait directement connaître à travers
la Bible, Ils proclamaient aussi que le fidèle était sauvé
par la foi (il suffisait de croire, peu importait que l'on vive bien ou mal)
et réduisaient à deux le nombre des sacrements (le baptême
et l'eucharistie)…
En France, les mêmes causes produisirent les mêmes effets. D'abord
destiné à une carrière de juriste, le Français Calvin
se lia avec plusieurs partisans de Martin Luther et pencha du côté
de la Réforme. Vers 1531, il se convertit puis commença dès
1532 à propager la nouvelle religion dans Paris. Menacé de prison,
il se réfugia d'abord à Angoulême, puis à Nérac
auprès de Marguerite de Navarre, qui protégeait les protestants
(aussi appelés huguenots). En 1534, suite à l'affaire des Placards
(affichage jusque dans la chambre du roi de propositions injurieuses à
l'égard de l'Eglise) et devant les persécutions menées
contre les protestants français, il doit fuir la France pour s'exiler
à Bâle, où il publie en mars 1536, L'Institution chrétienne,
qui contient l'essentiel de ses idées sur la loi, la foi, la prédication,
les sacrements et les rapports entre les chrétiens et l'autorité
civile. En 1541 il se fixa à Genève où il exerça
une forte influence et devint une sorte de "pape" protestant. Il y
forma en particulier les "pasteurs" qui répandirent sa doctrine
à travers une grande partie de la France.
Selon des modalités différentes, tous les mouvements de réforme
sont animés par la volonté d'écarter le lourd appareil
théologique, moral et administratif que l'Eglise avait mis en place,
pour retourner à la source même du Christianisme, qui est la Bible
et plus spécialement l'Evangile (qui fut traduit en langues vulgaires).
Ce que l'Eglise catholique ne pouvait pas supporter: raison pour laquelle elle
exhorta ses fidèles à combattre, même par les armes, les
nouveaux chrétiens. D'où les très cruelles guerres de religion
qui se développèrent aux seizième et dix-septième
siècles. Ce qui n'était pas du tout conforme à l'Evangile,
ni des uns, ni des autres.