Déclaré à la SACD
L'EDIT DE NANTES
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Henri IV, son conseiller, un évêque,
les protestants représentés par leur délégué,
les catholiques représentés par leur délégué.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Après une cinquantaine d'années de combats
fratricides à travers toute la France, les catholiques comme les protestants
sont las et ils cherchent une issue: il faut mettre fin aux "Guerres de
Religion"!. Après des discussions interminables, le roi Henri IV,
qui a assuré la paix sur les frontières du royaume, tranche une
bonne fois et publie en 1598 "L'Edit de Nantes". Naturellement, la
rencontre entre protestants et catholiques, qui est décrite dans la pièce,
n'a jamais eu lieu dans cette forme. Elle n'est qu'une fiction dramatique qui
permet d'exposer tous les points de vue.
1 - HENRI IV - Oui, je vous le promets, je vous entendrai tous… Monsieur
le délégué des protestants, veuillez prendre place là,
à ma droite. Et là, à ma gauche, monseigneur l'évêque
et monsieur le représentant des catholiques… Asseyez-vous.
TOUS – (prennent place en murmurant des remerciements)
HENRI IV – Donc, je vous entendrai tous, messieurs. Mais qu'il me soit
permis auparavant de vous dire mes espoirs et mes craintes… Messieurs
les protestants, j'ai été pendant trente ans le chef de votre
parti et j'ai combattu vaillamment à vos côtés. Depuis,
je suis devenu le roi, le roi de tous les Français, celui des catholiques,
que vous représentez, vous, messieurs, aussi bien que celui des protestants.
Et ensuite, pour me conformer à la tradition du royaume, je me suis converti
au catholicisme. Mais je n'ai en rien perdu mon affection et mon respect pour
mes anciens compagnons d'armes et je vous prie de croire que mon seul souci
est maintenant la réconciliation de tous mes sujets. On ne peut gouverner
un pays en proie à la fureur des armes. Nos combats ont duré plus
de trente ans… Nous sommes tous las. Mais si Dieu ne permet pas encore
que nous l'adorions sous une même religion, nous pouvons cependant prendre
entre nous des dispositions qui nous permettent de vivre en paix les uns avec
les autres. Tel est l'objet de cette réunion…
LE CATHOLIQUE – (se levant) Votre Majesté, je m'étonne,
moi, catholique, de voir ici des sujets rebelles. Le roi aurait-il l'intention,
non de leur imposer sa volonté, mais de les écouter et de tenir
compte de leurs demandes?
HENRI IV - Telle est en effet mon intention… Et n'oubliez pas que certains
d'entre les catholiques me sont pour le moment tout aussi rebelles, si ce n'est
plus, eux qui n'ont cessé depuis que je suis sur le trône de me
combattre. J'écouterai les uns comme les autres.
L'EVEQUE - (se levant) Sire, n'écouterez-vous pas aussi ce que l'Église
doit vous dire?
HENRI IV - Je sais ce qu'elle doit me dire, elle ne cesse de me le seriner…
Monseigneur veuillez vous rasseoir.
L'EVEQUE - (restant debout) A dieu ne plaise! Pour l'édification de tous
je vais répéter ici qu'il n'y a qu'une seule véritable
et sainte religion, qui est la catholique romaine…
LE PROTESTANT - (se levant et avec véhémence) La religion catholique
romaine, pour toutes ses inconvenances, a cessé de mériter le
titre de religion. La religion réformée doit au contraire être
totalement reconnue comme unique et vraie…
HENRI IV - (toujours assis) Messieurs, je vous en prie! Notre pays a été
ruiné par la guerre et vous persistez à…
LE PROTESTANT - Nous, réformés, nous avons le soutien de l'Angleterre,
qui est contre le Pape…
LE CATHOLIQUE – (se levant à son tour) Mais ne savez-vous pas que
l'Espagne, qui est pour le Pape, nous soutient, nous autres catholiques, et
nous prête le concours de ses armes…
HENRI IV – L'étranger vous soutient contre votre propre patrie!
N'aurez-vous aucun respect pour vous-mêmes et pour l'autorité royale?
Veuillez tous vous asseoir… Mais voici une lettre! Monsieur le conseiller,
qu'est-ce?
2 - LE CONSEILLER DU ROI – (entrant) Votre Majesté, cette lettre
nous apporte une grande nouvelle: vos armées, après avoir repris
Amiens, ont remporté la guerre que les Espagnols avaient entreprise contre
nous.
HENRI IV – Enfin… Dieu soit loué!
LE CONSEILLER DU ROI – Et mieux encore que la victoire, nous avons signé
avec l'ennemi un traité à Vervins. L'Espagne dépose les
armes et nous rend les villes de Calais, Arras, Montholon, Doullens, La Capelle
et Le Castelet.
HENRI IV - Cette fois-ci donc, nos ennemis renoncent, c'est la paix, la paix
assurée!
LE CONSEILLER DU ROI - Oui, Sire, et cela change tout. La défaite de
l'Espagne prive le parti catholique de son soutien.
HENRI IV - Et en effet les princes catholiques nous ont fait les uns après
les autres leur soumission.
LE CONSEILLER DU ROI - Jusqu'au dernier, le duc de Mercœur, qui nous offre
la reddition de la Bretagne. Quand je dis qu'il l'offre, en réalité,
il la vend fort cher.
HENRI IV - Oui, mais ce sont des bagatelles: j'aime mieux payer que me battre.
Messieurs les catholiques, que dites vous de cela?
LE CATHOLIQUE - Votre Majesté, nous devons nous rendre à l'évidence
et nous sommes prêts à nous ranger respectueusement à votre
volonté… Surtout si vous nous payez!
HENRI IV - Et vous, messieurs les protestants?
LE PROTESTANT - Votre Majesté, nous venons de perdre le plus cruel de
nos ennemis, l'Espagne. Cela nous donne confiance et nous n'en serons que plus
libres pour accepter vos propositions.
HENRI IV - Ainsi donc, après avoir fait la paix au dehors, nous allons
pouvoir faire la paix au dedans! Messieurs, ce moment est solennel…
TOUS - (ils se lèvent, cette fois-ci à l'unisson … un silence)
3 - HENRI IV - Prenez place à nouveau… (ils se rasseyent) Messieurs
les catholiques, à qui j'ai fait, depuis que je me suis converti, tellement
de faveurs, vous serez d'accord cette fois-ci pour que mes sujets protestants
s'expriment les premiers.
LE PROTESTANT- Nous voulons quatre choses. D'abord la liberté de conscience
telle que chacun puisse adhérer à la religion de son goût.
LE CATHOLIQUE - Avec une extrême répugnance, nous pourrions, sous
conditions, ne pas nous y opposer.
LE PROTESTANT - Ensuite nous voulons la liberté de culte et que partout
chacun puisse sans être molesté suivre les cérémonies
de son Église, faire ses processions et enterrer ses morts à sa
façon.
LE CATHOLIQUE - La liberté du culte, cela est une autre affaire. Nous
accepterions que le culte protestant ait des temples et qu'il soit pratiqué,
mais seulement là où il l'est déjà. Mais pas dans
les villes catholiques, et surtout pas à Paris… Ou alors loin dans
les faubourgs, et en privé.
L'EVEQUE - Et en échange nous voudrions que le culte catholique soit
réintroduit dans les pays protestants et qu'il y soit interdit aux protestants
de troubler les fêtes catholiques.
LE PROTESTANT – Cela n'est guère équitable! Ensuite, nous
voulons avoir accès à toutes les charges et fonctions du royaume
sans aucune restriction, c'est à dire pouvoir devenir juge, ou avocat,
ou gouverneur, ou membre des parlements…
LE CATHOLIQUE - Cela demande beaucoup de réflexion… Des juges protestants!
Oui, peut-être! S'ils sont intègres… A condition que les
catholiques ne soient privés de rien. Et qu'il ne s'agisse que de postes
mineurs.
LE PROTESTANT - Enfin, pour mieux nous assurer, nous voulons des places fortes
où, en cas de violence, nous puissions nous réfugier. Nous nous
souvenons de la Saint-Barthélemy!
LE CONSEILLER DU ROI - N'avez-vous pas confiance dans votre roi?
LE PROTESTANT - Nous avons confiance dans notre roi, mais il n'est pas seul
en cause et nous devons rester prudents. Et pour cela nous demandons aussi au
roi des subsides pour entretenir ces places fortes et payer nos pasteurs…
Nous n'avons pas, nous, les ressources de l'Église romaine.
L'EVEQUE - Les gens de la religion ne manquent pas d'audace! Ils devraient comprendre
que la religion principale et… dirais-je, officielle du royaume est la
catholique et que leur religion à eux n'est que tolérée.
Et à condition qu'elle sache se faire oublier.
LE PROTESTANT - Tolérée? Les protestants ne peuvent-ils être
des sujets à part entière?
L'EVEQUE - Les libertés ne devraient leur être données que
pour leur laisser le temps de reconnaître enfin la vérité
et de rentrer ensuite au bercail.
LE PROTESTANT - Ce n'est pas du tout comme cela que nous pensons! Nous ne nous
sommes pas battus pendant trente ans pour… rentrer au bercail, comme vous
le dites! (le ton est monté de nouveau)
4 - HENRI IV - Messieurs, je vois que malgré votre bonne volonté,
toutes les difficultés entre vous ne sont pas aplanies. Je vais donc
agir en roi. Je ne veux plus voir couler de sang et je saurai bien couper la
racine aux factions et prédications séditieuses. Qu'on sache bien
que je n'ai peur de personne. J'ai sauté sur des remparts hérissés
de canons, je sauterais aussi bien sur des barricades rebelles. Je vais donc
bientôt, tout en tenant compte de vos demandes, vous faire connaître
mes volontés. Je me rends précisément à Nantes où
je dois recevoir l'hommage du duc de Mercœur pour la Bretagne et marier
mon fils avec sa fille. J'en profiterai pour faire rédiger par mon conseiller,
ici-présent, un édit qui réglera vos relations et vous
permettra de vivre ensemble côte à côte sur le même
territoire. Cet édit sera irrévocable et il constituera la loi
générale, claire, nette et absolue que j'entends faire respecter
par tous. Nous n'avons pas d'autre issue que de redevenir des frères.
Je vous aime tous assez pour cela. (il se lève)
TOUS - (se lèvent)
HENRI IV - L'édit que nous allons prendre s'appellera précisément
l'Édit de Nantes. Il marquera une date dans l'histoire de notre pays.
L'HISTORIEN DE SERVICE – Cet édit irrévocable fut malheureusement
révoqué moins de cent ans après par Louis XIV, le petit-fils
d'Henri IV. Il faudra attendre la fin de règne de Louis XVI et la Révolution
pour que cesse enfin l'intolérance religieuse.
RAPPEL HISTORIQUE
Pour bien comprendre la portée de l'Edit de Nantes, il faut jeter un
coup d'œil sur les guerres de religion auxquelles il mit fin… A partir
de 1545, commencent les opérations: bûchers à Toulouse,
Grenoble, Bordeaux et Rouen. Les hérétiques Vaudois sont massacrés
dans la vallée de la Durance, à Cabrières et Mérindol...
Les imprimeurs (les écrits sont le principal vecteur des nouvelles idées...)
sont surveillés et menacés. Les exécutions par le feu se
multiplient... (Etienne Dolet à Paris, Michel Servet à Genève
- par les calvinistes! -, entre autres). Chacun prend parti et progressivement
la France entre en guerre civile.
Les années qui suivent sont faites de provocations, d’arrestations,
de répressions, d’exécutions, de massacres, de combats en
rase campagne, de destructions, de sièges de villes et de châteaux...
Il n’y a pas de frontières entre les adversaires: on se bat partout
où l’on se rencontre... Liste des principaux points de friction,
par ordre chronologique: Saint-Quentin, Calais, Villers-Cotterêts, Vassy,
Sens (...massacre de huguenots, commencement officiel des guerres de religion!),
Orange, les villes de la Loire, Rouen, Dreux, La Rochelle, Saint-Denis, Jarnac,
Poitiers, Moncontour, Arnay-le-Duc, Mons... Ici (1572), la Saint-Barthélemy...
une traînée de sang qui s’étend de Paris à
la province! Puis la Rochelle de nouveau, Nîmes, Millau, Alès,
Montpellier, Brouage, la Fère, Cahors, La Mure, Paris, Coutras, Vimory,
Auneau, Metz, Bonneval, Étampes, Pontoise...
Et encore cette énumération ne porte-t-elle que sur les points
principaux. Si l’on suit par exemple l’un ou l’autre des capitaines
catholiques ou protestants, Monluc, ou Coligny, ou Crussol, ou Damville, ou
Duras, ou Tavannes, ou La Noue, ou Turenne... - ils sont des milliers de petits
chefs de bande qui jouent très cruellement à la guerre dans les
chemins creux, se prenant et se reprenant les villages dont ils punissent les
populations pour avoir accueilli l’adversaire - on s’aperçoit
que ce sont réellement des provinces entières qui ont été
touchées: le Dauphiné, le Languedoc, la Bretagne, la Provence,
les Cévennes, le Poitou, le Toulousain, la Normandie...
La guerre fuse de tous les côtés. Une guerre endémique,
il n’y a pas d’autre mot: une guerre “dans le peuple”!
Nombre de victimes... On n’en sait rien. Mais victimes à la mort
très cruelle, en tout cas: combattants et non-combattants éventrés,
égorgés, torturés, pendus (branchés, comme on disait
alors: on les pendait aux branches!), brûlés, démembrés.
Le conflit est tellement violent, tellement passionné, que l’ennemi
doit être non vaincu, mais puni et détruit... Et tout cela, au
nom de Dieu, le même des deux côtés, et avec un enjeu guère
plus important que de savoir s’il faut ouvrir ses oeufs par le petit bout
ou par le gros bout.
1589, point charnière: Henri III est assassiné. Lui succède
Henri de Navarre, jusqu’ici chef des protestants, qui devient Henri IV...
Lequel bataillera encore dix ans: Arques, Paris, Honfleur, Meulan, Dreux, Ivry,
Issoire, Saint-Denis, le faubourg Saint-Antoine, la Porte saint-Honoré,
Chartres, Louviers, Rouen, Folleville... avant de finir par se convertir (il
abjure en 1593) pour tenter d’être enfin reconnu par les deux partis.
Malgré cette concession il doit continuer à se battre: Lyon, Paris,
Rouen et la Normandie, Amiens, Reims, Fontaine-Française, Marseille...
Jusqu’à ce qu’à la longue, enfin, il s’impose.
Et en 1598, c’est enfin "L’Edit de Nantes".
A titre d'illustration, extrait de la préface de Giono aux Commentaires de Monluc, un féroce capitaine catholique: "Pour répondre aux langues de prêtres arrachées à Bazas, et aux femmes que Symphorien de Duras, lieutenant de Condé, fait éclater à Agen en leur bourrant le sexe de poudre, Monluc pend 7O huguenots dans les halles de Targon et il en branche une quarantaine dans les chênes verts de Sauveterre de Guienne, pour faire un compte à peu près rond. Ces pendus déterminent Duras à faire à Lauzerte une compote de 597 papistes agrémentée d’une cinquantaine de marmots pilés menu; qu’à cela ne tienne, en souvenir de la compote, Monluc... saccage Pennes où il transforme en coulis plus de 700 huguenots ou huguenotes. Il n’y a plus de raison pour que le massacre s’arrête là, et il continue: Duras à Caylus, Monluc à Moissac, Duras à Rocamadour, Monluc à Mirabel alignent sur le sol en tableaux de chasse concurrents “chanoines, ministres, putains, bastards, juges, avocats, consuls, filles et chiens, de Luther et de Rome. C’est le tennis...”