Déposé à la SACD
CONSTANTIN SE CONVERTIT
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
L'empereur Constantin, un enquêteur, Miltiade, évêque de
Rome,
Athanase, évêque d’Alexandrie, Arius prêtre,
le préfet impérial.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Pendant les trois siècles qui suivirent la mort
de Jésus, les églises chrétiennes se développèrent
très rapidement sur toute l'étendue de l'Empire romain. Impressionné
par les progrès de cette nouvelle religion, Constantin, qui règne
alors à Trêves en Germanie, se demanda s'il ne serait pas bon,
politiquement, de s'appuyer sur cette puissance montante. Quand la pièce
commence il s'informe...
- 1 -
CONSTANTIN - A propos de religion, j’entends de plus en plus parler des
chrétiens: cela me trouble. Vous qui êtes bien renseigné,
combien sont-ils, où sont-ils?
L'ENQUÈTEUR – Ma réponse sera nuancée, Monseigneur.
En ce qui concerne l'Occident, il est vrai qu'en Gaule, à Lyon, à
Arles, à Marseille, les comptoirs... je veux dire leurs Eglises sont
encore maigrichonnes… Mais en Italie et en Afrique elles commencent à
se développer sérieusement.
CONSTANTIN - C’est bien ce qu'il me semblait. Et en Orient?
L'ENQUÈTEUR - En Orient, là, c'est carrément explosif...
CONSTANTIN - Je croyais qu’il y avait eu de sérieuses persécutions?
L'ENQUÈTEUR - Dioclétien... oui... Moins qu’on ne le dit
et en tout cas pas très efficaces. Elles n’ont pas empêché
les chrétiens de se multiplier, je dirais même de pulluler. Antioche,
Éphèse, Alexandrie, Césarée... et je ne cite là
que les grandes villes. Mais jusque dans les plus petits bourgs on en trouve.
Et rien d’étonnant à cela: partout où vont les bateaux,
partout débarque le christianisme. Et, de la côte, ils remontent
et se cachent dans les montagnes. Il y en a sous chaque rocher.
CONSTANTIN - La Méditerranée, de romaine, serait donc devenue
chrétienne?
L'ENQUÈTEUR - Oui, pour ainsi dire. C’est triste à dire!
Non plus Mare romanum, mais Mare christianum...
CONSTANTIN - Bon. Et alors, ces chrétiens, qu’est-ce qu’ils
font de mal?
L'ENQUÈTEUR - Mais rien, justement: ils... ils s’aiment les uns
les autres... et ils convertissent à tour de bras. Nos vieux dieux, les
Jupiter, Mars, Vénus, Astarté... pâlissent devant le leur,
que personne d'ailleurs n'a jamais vu… Mais c'est peut-être là
leur secret!
CONSTANTIN – Ils sont donc en tout cas devenus une force politique montante?
L'ENQUÈTEUR – Incontestablement. La seule peut-être. Et en
passe de devenir incontournable.
CONSTANTIN – C'est bien ce qu'il me semblait. Merci. Je me souviendrai
de cet entretien.
- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – En invoquant le nom de Jésus, Constantin
a maintenant conquis Rome. Il y fait appeler l'évêque Miltiade
qui est très effrayé par cette demande. Jamais deux personnages
plus différents ne se sont rencontrés...
MILTIADE - Monseigneur, vous m’avez fait appeler et je me tiens tout tremblant
devant vous. Vous venez de vous emparer de notre ville de Rome…
CONSTANTIN - Pourquoi trembler, Miltiade? Vous êtes bien ici l’évêque
des chrétiens?
MILTIADE – Oui, je suis le très pauvre représentant d’une
misérable communauté, longtemps persécutée et qui
se sent encore bien incertaine de son sort...
CONSTANTIN – Ce sont des temps révolus. Évêque Miltiade,
écoutez-moi... Je vais vous dire un secret: si mes soldats ont remporté
la victoire au Pont Milvius, c’est parce que les puissances célestes
les ont soutenus. J’ai eu une vision: la veille de la bataille il m’est
apparu dans le ciel un signe qui ne pouvait prêter à aucune équivoque.
J’ai fait peindre ce signe sur le bouclier de mes soldats et ils ont été
victorieux. Et savez-vous quelle est la divinité qui m’est ainsi
apparue et à laquelle je dois évidemment la victoire? Non pas
Jupiter ou le Soleil, mais Christ, votre Dieu, le Dieu des chrétiens.
Je l’ai reconnu.
MILTIADE - Si vous l’avez reconnu... Pourtant il est très difficile
à reconnaître. Moi-même, je ne dirais pas que j’hésite
souvent, mais...
CONSTANTIN - Je suis très expert dans l’art de reconnaître
les divinités …J’ai déjà eu beaucoup de visions!
Et je vous le dis, c'est bien votre Dieu, le Dieu de la Victoire.
MILTIADE – De la victoire? Ce n’est pas jusqu’à présent
son trait dominant. Il s’est plutôt montré comme le Dieu
de l’échec, le seigneur des humbles et des pauvres... Il a été
crucifié, son royaume n’est pas de ce monde. Il n’a jamais
rien dit à ma connaissance sur les batailles, encore moins sur les victoires.
CONSTANTIN - Je suis sûr, saint homme, que vous n’avez pas encore
découvert tous les aspects du votre Dieu. Peut-être le connais-je
mieux que vous! En tout cas, il a conquis déjà tellement d'adorateurs
- n’est-ce pas déjà là une immense Victoire? - que
je l’adopte. Creusez davantage votre théologie et vous vous apercevrez
que j'ai raison. D'ailleurs, pourrais-je avoir tort?
MILTIADE – Non, bien sûr!
CONSTANTIN - Tirez-en comme moi toutes les conséquences. Désormais
les Chrétiens sont des citoyens romains à part entière.
Quant à vous, vous, évêque de Rome, je vous fais cadeau
du palais du Latran. Vous pourrez vous y installer… pour les siècles
des siècles, comme vous dites.
3 - L'HISTORIEN DE SERVICE – Dix ans après. Constantin règne
maintenant à Constantinople sur la totalité de l'empire romain.
Sur le plan politique, il s'est fort bien servi du christianisme, mais jusqu'à
présent, il n'a pas encore réussi à en unifier la doctrine,
ce qui, en bon Romain, le choque!
CONSTANTIN – Que se passe-t-il? J’ai tant fait pour les chrétiens
et ils ne sont pas d’accord entre eux! Je découvre cela avec stupéfaction!
Arius et Athanase, l'un prêtre et l'autre évêque, vous vous
disputez sans cesse, et gravement. Donnez-moi vos raisons.
ATHANASE – Il se passe que nous ne sommes pas d’accord sur les relations
entre Dieu et Jésus.
CONSTANTIN – Cela est-il vraiment très grave?
ARIUS – Moi, Arius, je te réponds: très grave, en vérité:
cela change toute la religion.
ATHANASE – Pour une fois, moi, Athanase, je suis d’accord avec lui:
cela change toute la religion.
CONSTANTIN – Expliquez-moi ça. Commence donc, Arius.
ARIUS – Pour moi, Dieu est Dieu…
CONSTANTIN – Je souscris!
ARIUS – Suprême, sublime, impénétrable, sans commencement
ni fin, incréé, inengendré… Enfin toutes les qualités
qu’il faut pour être un véritable Dieu dans la perfection
de son être.
CONSTANTIN – Tout cela me paraît acceptable et nécessaire.
Et alors?
ARIUS – Et alors, il résulte de ceci que Jésus, surtout
s’il est dit le “fils” de Dieu, ne peut être que d’une
essence inférieure, ayant été, en tant que fils, engendré
et par conséquent ayant eu un commencement… Autrement dit, Jésus
serait assez proche d'être un homme.
ATHANASE – Hérésie, hérésie, hérésie…
Jésus est Dieu, égal au père, de même valeur, de
même nature, de toute éternité: et lorsque nous offrons
sur l’autel l’hostie qui est la chair et le sang de Jésus,
c’est Dieu que nous offrons à Dieu. Sans cela, notre religion est
vaine… Peu importe que nous ne comprenions pas. C'est là un de
ces mystères sans lesquels il n’y a pas de vraie religion.
CONSTANTIN – Ne pourriez-vous pas mettre une petite sourdine à
vos querelles: pour l’amour de Dieu, quel qu'il soit, embrassez-vous!
ATHANASE – Jamais de la vie… Vous ne mesurez pas les conséquences
extravagantes de la doctrine de cet individu monstrueux… Si Jésus
n’est pas dit pleinement Dieu, nous les prêtres de Jésus-Christ,
nous serons considérés tout au plus comme des épouvantails
à moineaux…
ARIUS – Mais, cher frère, que sommes-nous de plus, en toute humilité?
ATHANASE – Comment osez-vous dire…?
CONSTANTIN – (se levant) Moi, l'empereur, j'en ai assez de vos querelles
et je vous donne huit jours pour vous réconcilier. Je veux que les fidèles
de mon Église pensent tous de la même façon! Telle doit
être maintenant votre seule règle.
4 - L'HISTORIEN DE SERVICE – En désespoir de cause, Constantin
organise donc à Nicée un grand concile où il réunit
tous les évêques chrétiens pour essayer, de gré ou
de force, de leur faire adopter une doctrine commune.
CONSTANTIN – Vous n'avez donc rien voulu savoir! Très bien, puisque
c’est comme ça, moi, le Suprême Pontife de tous les cultes,
je convoque une grande assemblée de tous les évêques de
la Chrétienté: et ils décideront à la majorité
quel est celui d’entre vous qui a raison.
ATHANASE et ARIUS – Mais… Vous semblez ne compter pour rien le fait
que nous avons tellement de plaisir à échanger nos arguments…
CONSTANTIN – Taisez-vous! Ils décideront à la majorité.
Moi, en tout cas, je sais ce que je fais. Je veux que l’ordre règne
partout. Cette assemblée s’appellera un Concile et ce Concile se
tiendra à Nicée, où je pourrai surveiller de près
ce qui se passe… Monsieur le Préfet impérial, vous prendrez
ça en main. (Athanase et Arius passent à l'arrière-plan)
LE PREFET – (entrant) Je ferai de mon mieux, Seigneur.
CONSTANTIN – Et pas d’excuse pour les vieux évêques
ou les malades: je mets à leur disposition tous les chevaux de la poste
impériale. Il est tout de même temps, après trois siècles,
que nous prenions enfin position sur la vraie nature de Jésus-Christ.
Un Empire, un Dieu, une Foi! J'ai dit.
LE PREFET – Les Évêques sont très indisciplinés,
ils arrivent chacun avec leurs hommes de main et ils se battent dans les rues…
Il est certain que le sujet les passionne.
CONSTANTIN – N'ayez pas peur de cogner. Il faut qu'ils prennent l'habitude
d'obéir.
LE PREFET – J'ai cogné et recogné! Mais enfin ça
y est, ils sont enfin réunis, ils discutent… Je les ai fait soigneusement
compter pour bien savoir à quel moment il y aura une majorité.
CONSTANTIN – Prenez garde aux tricheurs. Le vote est tellement important!
LE PREFET – Ca y est, ils ont voté: cette fois, comme on s'y attendait,
Jésus est Dieu… Une voix de majorité. Nous avons eu chaud!
CONSTANTIN – Très bien. La doctrine est fixée pour toujours.
Arius, toi qui croyais que Jésus était homme, je te condamne à
l’exil.
ARIUS – Je m’en vais, Empereur. Mais toi, qui t'imagines régner
sur eux, méfie-toi des évêques: maintenant que leur Christ
est devenu Dieu, ils sont tout-puissants. Comme à un ours, ils te passeront
un anneau dans le nez et sur la musique de leurs cantiques, ils te feront danser.
L'HISTORIEN DE SERVICE – Nicée est une date importante dans l'histoire
du monde occidental. Depuis Nicée, le credo des chrétiens n'a
pas varié. On le récite ou on le chante à chacune des messes
qui ont été, sont ou seront célébrées sur
toute la surface du monde.
RAPPEL HISTORIQUE
A la fin du troisième siècle après Jésus-Christ,
l'Empire romain est devenu tellement vaste et tellement difficile à défendre
contre les barbares que Dioclétien a divisé son territoire entre
plusieurs sous-empereurs, appelés "Augustes"… Quatre,
en principe (la Tétrarchie). Constantin (306-337) régnait sur
le Nord-Ouest, c'est-à-dire approximativement la Gaule, la Germanie et
l'Angleterre. Mais il ne se satisfit pas longtemps de ce qui lui revenait et,
descendant vers le Sud, il remporta sur son collègue Maxence une éclatante
victoire au Pont Milvius, dans le voisinage de Rome. Il devint ainsi maître
de l'Italie… Plus tard, après de nombreuses luttes de pouvoir,
il se retrouva en 324 le seul maître de l'Empire Romain et fit de Constantinople
(l'ancienne Byzance) sa capitale.
On raconte que, la veille de la bataille du Pont Milvius, Constantin avait eu
une apparition à la suite de laquelle il avait fait graver sur les boucliers
de ses soldats les initiales du mot Christ. C'est à la suite de cette
initiative inspirée qu'il aurait remporté la victoire. Peu après,
reconnaissant envers ce mystérieux Christ, il promulgua l'Edit de Milan,
par lequel il ouvrait l'empire aux chrétiens, jusque-là minoritaires
et persécutés. Mais, sans doute, comme il est dit dans la pièce,
y avait-il d'autres raisons à cette générosité.
C'est à partir de ce moment que, entre les deux pouvoirs, le religieux
de l'Eglise chrétienne et le politique de l'empereur, il se produisit
une véritable collusion, sans qu'on puisse vraiment dire lequel profita
davantage de la situation. L'empereur à court terme sembla l'emporter.
N'est-il pas d'ailleurs, comme sous la Rome ancienne, le Pontife Suprême,
le "Pontifex Maximus"? A ce titre, il se considère maintenant
comme le protecteur et le garant de la chrétienté et prend toutes
les initiatives nécessaires pour apporter à une Eglise assez dispersée,
géographiquement et doctrinalement, un peu de l'ordre et de la rigueur
romaine. Deux siècles plus tard, Justinien (483-565), plus que jamais
responsable suprême de l'Eglise, parachèvera l'œuvre de Constantin
en réalisant la fusion entre la morale chrétienne et la loi civile.
Il est à noter que ce pouvoir, ou cette primauté des empereurs
durera, malgré quelques flottements, jusqu'à Charlemagne (742-814)
Ce n'est qu'après la révolution de Grégoire VII, que les
papes reprendront la main et s'efforceront d'exercer leur autorité sur
tous les pouvoirs temporels du monde. (Canossa 1077)
Une des premières initiatives de Constantin fut précisément
d'organiser le concile de Nicée (325), au cours duquel fut proclamée
la divinité de Jésus, comme il l'est expliqué dans la pièce.
Comme l'Eglise se proclame détentrice de toute vérité et
comme la vérité est éternelle, le "Credo" élaboré
au cours du concile de Nicée traversera les siècles et, tel il
a été écrit, tel il est encore aujourd'hui chanté
ou récité dans toutes les églises catholiques du monde.
L'Arianisme (Jésus est un homme!) n'a cependant pas cessé de hanter
les consciences et les doutes sur la divinité de Jésus-Christ
sont encore aujourd'hui présents dans beaucoup d'esprits.
Un des principaux collaborateurs religieux de Constantin fut l'évêque
Eusèbe de Nicomédie, qui joua un rôle important au concile
de Nicée et à qui nous devons probablement quelques-uns des manuscrits
normalisés de l'Evangile encore en notre possession. C'est également
lui qui est supposé avoir baptisé Constantin sur son lit de mort
en 337… Il était temps!
Pour mémoire, Credo de Nicée: "Je crois en seul Dieu, Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre et de toutes choses visibles et invisibles. Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père par qui tout a été fait. Qui pour nous autres hommes et pour notre salut, est descendu des cieux, s'est incarné du Saint- Esprit et de la Vierge Marie et s'est fait homme. Qui a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate, a souffert et a été enseveli. Qui est ressuscité le troisième jour selon les Ecritures. Qui est monté au ciel, est assis à la droite du Père, d'où il reviendra en gloire pour juger les vivants et les morts et son règne n'aura pas de fin. Et au Saint-Esprit, Seigneur, qui donne la vie, qui procède du Père, qui est adoré avec le Père et le Fils, qui a parlé par les prophètes. En l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique. Je confesse un seul baptême pour la rémission des péchés. J'attends la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. Amen.