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Déclaré à la SACD


CHARLEMAGNE, QUI ES-TU?

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
Le professeur;
Les élèves: Pernette, Clara, Margo, Pauline, Etienne.
(La scène se passe dans une classe)


L'HISTORIEN DE SERVICE – Charlemagne, qui régna de 768 à 814, fut d'abord le roi des Francs, puis fut couronné en 800 empereur du Saint Empire Romain Germanique. Il avait réalisé l'unité de l'Europe. Comme il est un personnage important mais mal connu de notre passé, la légende s'empara très vite de lui. Aujourd'hui encore, nous avons bien du mal à cerner exactement, sinon son histoire, du moins sa personnalité. Pourtant, dans une classe de cinquième, ils s'y essayent...

1 - PROFESSEUR – La prochaine fois, nous étudierons Charlemagne… Mais voyons, pour un avant-goût, si nous demandions à Pernette, qui sait déjà tout, de nous présenter quelques rudiments. Pernette, tu veux bien?
PERNETTE – Oui, madame, je veux bien! Charlemagne… avait une grande barbe. Et on dit même qu'elle était fleurie… Et il était empereur… Ah oui, il fut couronné empereur en l'an 800… C'est facile à retenir! Et encore, son neveu Roland, qui sonnait du cor… il a été tué à Roncevaux par les Sarrasins. Il était dans l'arrière-garde et il n'avait pas voulu sonner du cor assez tôt pour appeler les secours. Son épée s'appelait Durandal et lorsqu'il se décida à sonner du cor, la veine de son cou éclata… Il avait été trahi par… comment déjà? Ganelon… Charlemagne avait aussi une grande table autour de laquelle il réunissait ses douze chevaliers de la Table Ronde et ils discutaient. Et il y avait avec lui l'archevêque Turpin qui était un terrible guerrier. Et encore Charlemagne allait inspecter les écoles pour voir si les élèves travaillaient bien. Il protégea aussi l'Église et le Pape. On dit aussi qu'il était un saint… Saint Charlemagne!
LE PROFESSEUR - Cela nous fait une bonne introduction… Et où est-ce que tu as appris tout ça, Pernette?
PERNETTE - Dans un livre de mon grand-père, que j'ai trouvé dans le placard…
LE PROFESSEUR - Ah, très bien…Maintenant, savez-vous ce que je vais vous demander, à tous? Que pour la prochaine leçon vous vous documentiez et que vous me disiez votre avis sur le livre du grand-père de Pernette: est-ce que c'était bien Charlemagne?

2 - CLARA – Ça fait une semaine qu'on travaille... On est bien embarrassés…
ETIENNE - D'après ce qu'on a vu, le livre du grand-père de Pernette, c'est plutôt de la légende.
CLARA - Par exemple, il n'avait pas de barbe, Charlemagne, mais probablement de belles moustaches à la gauloise… C'était la mode de l'époque.
LE PROFESSEUR - Où est-ce que vous avez trouvé ça?
MARGO - On a été à la bibliothèque, il y a des tas de bouquins… Ils disent qu'il ne faut pas se fier aux gravures. Elles ont été faites seulement pour impressionner les gens.
CLARA - Et on a lu aussi que Turpin était probablement un personnage imaginaire. Bien sûr qu'il y avait des évêques qui aimaient se battre… mais Turpin, on ne sait pas qui c'est. Quant à Roland, personne n'en est très sûr… Encore moins de Ganelon! Même si effectivement il est dit que l'arrière-garde de Charlemagne a été attaquée dans un col pyrénéen, non par les Sarrasins, mais par les Basques. Et Roncevaux, on ne sait pas vraiment où c'était.
LE PROFESSEUR - Est-ce que quelqu'un a fait d'autres découvertes?
PAULINE - Oui. Les chevaliers de la Table ronde… C'est une idée qui doit venir des récits du roi Arthur. Mais ça n'a rien à voir avec Charlemagne.
PERNETTE - Moi, j'ai simplement dit ce que j'avais lu…
LE PROFESSEUR - Mais c'est très bien, Pernette… Tu vois bien que c'est une base de discussion. Et le couronnement en l'an 800?
PAULINE – Ca, c'est exact. Rien à redire… On dit aussi qu'il s'est vraiment intéressé aux écoles. Il n'avait pas été à l'école lui-même mais il avait compris que c'était important. Mais on n'est pas sûr qu'il allait vraiment inspecter les écoles… Quant à saint Charlemagne, ce n'était pas un vrai saint.
LE PROFESSEUR - Et alors, quelle est la vérité?

3 - CLARA - Moi, j'ai travaillé avec Margo et, d'après ce qu'on a lu, on a découvert que Charlemagne, c'était surtout un conquérant, un chef de guerre…
MARGO - Quand il a commencé sa carrière, il était roi des Francs. Or les Francs étaient d'anciens barbares… enfin, encore pas mal barbares, et ce qu'ils aimaient surtout, c'était se battre et conquérir des territoires.
CLARA - D'ailleurs, on les appelait Francs, mais beaucoup vivaient principalement en Allemagne, et parlaient un dialecte allemand. Et quand Charlemagne voulut avoir une capitale, c'est en Allemagne, à Aix-la-Chapelle, qu'il la construisit. Mais il est vrai qu'il régnait aussi sur une grande partie de la France.
MARGO - Et pour en revenir aux guerres, ils avaient l'habitude de partir en campagne tous les printemps, ou presque.
CLARA - Le roi envoyait des ordres de mobilisation, selon les besoins, et les comtes du royaume réunissaient leurs soldats… Ils aimaient bien partir en campagne! Et hop!
MARGO - L'Italie d'abord, contre les Lombards, puis un petit tour en Espagne… qui effectivement, ne se termina pas bien, puis contre les Bretons, contre la Bavière et contre les Avars, qui étaient des Slaves, et surtout contre les Saxons, qui résistèrent très longtemps.
CLARA - Quand ils avaient pris un pays, ils le pillaient et le roi partageait les terres entre ses comtes. C'était leur récompense et c'est à ce prix qu'ils lui restaient fidèles… C'est pour cela que le roi devait absolument faire des conquêtes. A la fin, ils eurent des territoires tellement vastes, qu'ils trouvèrent bon que leur roi devienne un empereur. Il était très cruel.
LE PROFESSEUR - C'est une façon de voir les choses… qui n'est pas inexacte, loin de là!

4 - PAULINE - Moi j'ai travaillé avec Etienne, et ce n'est pas du tout ce que nous avons découvert…
ETIENNE - Oui, bien sûr, il a fait la guerre, mais ce n'était pas pour le plaisir de la faire, seulement pour défendre ses frontières. C'était en tout cas un homme très pieux, qui croyait très fort en Dieu et qui cherchait à faire le bien. Il était juste et bon
LE PROFESSEUR - C'est une autre façon de voir les choses.
PAULINE - La meilleure preuve, c'est qu'il commença par protéger le Pape qui avait des problèmes avec ses voisins, les Lombards.
ETIENNE - Et qu'ensuite sa grande préoccupation fut de convertir les infidèles à la foi chrétienne, en particulier les Saxons, qui étaient de terribles païens.
PAULINE - Mais en fait ce qu'il voulait, ce n'était pas la guerre, mais la paix. Il aimait la paix.
ETIENNE - Et la preuve, c'est qu'il fonda aussi beaucoup de monastères et que nombre d'évêques étaient ses conseillers.
PAULINE - Et il était très désireux que tous ses sujets respectent les lois de l'Église. Il leur envoyait des recommandations, que l'on appelle des capitulaires, où il les exhortait à être bons, à ne pas commettre de péchés, à respecter la propriété d'autrui, bref, à observer les commandements. Il se considérait comme responsable de l'Église.
ETIENNE - Et le Pape le remercia en le couronnant empereur, ce qui était beaucoup mieux que roi. C'est peut-être à partir de ce moment qu'il se laissa pousser la barbe.

5 - LE PROFESSEUR - Je vois que vous n'êtes pas du tout du même avis. En tout cas vous n'avez pas lu les mêmes livres… Comment est-ce que nous allons pouvoir sortir de cette contradiction?
PAULINE - Moi, je crois qu'une statue, on peut regarder son profil droit ou son profil gauche…
LE PROFESSEUR - Oui, bien sûr! Mais tout de même, de telles différences! La paix d'un côté, la guerre de l'autre!
CLARA - Je ne comprends pas: quand on aime la paix, pourquoi est-ce qu'on ferait la guerre?
PAULINE - Charlemagne savait probablement que, quand on fait la guerre, il faut dire qu'on aime la paix.
MARGO - C'est de l'hypocrisie!
PAULINE - Pas forcément, on peut être sincère. On fait la guerre parce qu'on aime ça, mais on peut dire en même temps que la paix, c'est mieux.
ETIENNE – Moi, je crois qu'on dit que la paix, c'est mieux, pour se faire pardonner de faire la guerre. Comme ça on vous laisse tranquillement faire la guerre.
MARGO - Il y a autre chose: Charlemagne a toujours dit qu'il se battait pour convertir les païens. La guerre était pour lui un acte de piété.
ETIENNE - C'est à dire qu'en faisant le mal, il faisait le bien? C'est curieux!
CLARA - On ne voit pas bien comment en sortir… Mais on peut se demander aussi pourquoi le roi des Francs, qui avait un bon petit royaume, a éprouvé le besoin de se tailler un empire? S'il avait vraiment aimé la paix, il serait resté tranquille dans son petit royaume.
ETIENNE - Mais alors il n'y aurait pas eu de "Charlemagne"!
CLARA - Non, mais est-ce qu'on avait besoin d'un "Charlemagne"? Est-ce que Charlemagne a été… disons "bon" pour les générations qui l'ont suivi?
LE PROFESSEUR - Je vois que vous vous posez beaucoup de questions. C'est bien! Le vrai savoir commence toujours par l'étonnement. Je pense que nous pourrions y réfléchir un peu plus… Qui veut me faire pour la semaine prochaine un exposé sur la question de savoir qui était réellement Charlemagne? Pernette, ça te revient, toi qui as lancé l'opération. Nous découvrirons probablement que l'Histoire, ça n'est pas si facile que ça. Il ne suffit pas d'apprendre, il faut aussi reconnaître qu'il y a des choses qu'on ne saura jamais.


RAPPEL HISTORIQUE

Charlemagne est un personnage central, qui se situe entre les temps obscurs et troublés des "Invasions barbares" et les temps, non moins obscurs et troublés où l'on verra lentement se former les frontières de ce que seront les Nations d'aujourd'hui. Voici les principales dates de son règne:

742 Naissance de Charlemagne (petit-fils de Charles Martel, qui vainquit les Maures à Poitiers, et fils de Pépin le Bref.).
768 Les deux fils de Pépin le Bref deviennent rois des Francs, l'un, Charlemagne, régnant sur la partie nord, l'autre, Carloman, sur la partie sud, dont l'Aquitaine..
770 Répression d'une révolte en Aquitaine. Les deux frères se brouillent.
771 Carloman meurt. Charles prend possession des terres de Carloman et règne seul.
772 Début des guerres de Saxe.
774 Guerres en Italie contre les Lombards. Charles roi des Lombards.
778 Début des guerres contre les Maures. Conquête de la Catalogne. Bataille de Roncevaux.
786, 799, 811, Echec des tentatives de soumission de la Bretagne.
788 La Bavière est conquise.
800 (25 décembre) Couronnement de Charles à Rome. Début de l'empire d'Occident.
804 Soumission des Saxons, après 32 ans de guerre.
812 Traité d'Aix-la-Chapelle. L'empire d'Occident est reconnu par l'empereur d'Orient, Michel I.
814 Mort de Charlemagne.

Charles est un guerrier, comme on peut en juger par ses conquêtes. Mais aussi un administrateur. Il centralise l'administration dans sa nouvelle capitale d'Aix-la-Chapelle, d'où partent les envoyés du maître, les missi dominici, chargés de surveiller les centaines de Comtes qui représentent l'empereur dans tous ses territoires. Pour élever le niveau d'instruction de ses sujets, Charles décide d'ouvrir une école dans chaque évêché et chaque monastère. On y étudie les sept arts libéraux: la grammaire, la rhétorique, la logique, l'arithmétique, la géométrie, l'astrologie, la musique, on y pratique le latin et les textes antiques. Sous son règne est inventée une nouvelle écriture (la minuscule caroline, à l'origine de nos caractères d'imprimerie). Charles fait également appel pour le conseiller aux grands "intellectuels" du temps: Eginhard, Alcuin. Les résultats sont tels qu'on peut parler à juste titre d'une Renaissance carolingienne.
Le règne de Charlemagne marque la première tentative d'unification de l'Europe. Il est en effet à la tête d'un vaste territoire de plus d'un million de kilomètres carrés, qui s'étendait, selon la formule consacrée, "de l'Ebre (fleuve espagnol) à l’Elbe (fleuve allemand)". Ce rêve de L'Europe, anéanti à la mort de Charles par le partage de ses territoires entre ses fils, sera repris dans la suite de l'Histoire par Charles le Téméraire, par Charles Quint, par Napoléon, par… Hitler, et enfin par l'Union Européenne de la fin de XXe siècle.