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Déclaré à la SACD

LE MARIAGE D'HENRI IV

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
Henri IV,
Son ministre et confident Sully,
Sa maîtresse, Gabrielle d'Estrées.
(Toute la pièce se déroule sans interruption dans le bureau du roi.)


L'HISTORIEN DE SERVICE - Nous sommes en I599. Henri IV a signé la paix avec l'Espagne, réduit la noblesse révoltée, publié l'Édit de Nantes... Le voici enfin roi et il a déjà commencé à remettre la France en ordre, en particulier en ce qui concerne l'agriculture. Mais il est aussi temps maintenant qu'il se marie et donne un héritier à sa couronne. Il en est bien d'accord, mais il a une bonne amie, Gabrielle d'Estrées, à laquelle il tient et qui lui a, elle, déjà donné des enfants… Le texte qui suit est presque entièrement emprunté aux Mémoires de Sully. Mais voici qu'Henri IV vient précisément le consulter...

1 - HENRI IV – Mon bon Sully, j'ai à vous consulter sur quelque chose… Bien sûr qu'il faut que je me remarie et que je donne à la France des héritiers légitimes. Mais, outre que j'ai déjà une bonne amie que j'aime, la difficulté, c'est qu'en matière de femme, je suis très exigeant.
SULLY - Sire, expliquez-moi cela.
HENRI IV - Je voudrais d'abord qu'elle soit belle.
SULLY - Cela va de soi…
HENRI IV - Hé, hé, parmi les princesses, cela va mieux en le disant. Ensuite je voudrais qu'elle soit pleine de pudeur, et non pas une de ces dévergondées comme on en voit tant.
SULLY - Continuez…
HENRI IV - Et puis, qu'elle ne soit pas querelleuse et qu'elle ait un bon caractère. Qu'elle ait aussi l'esprit vif et soit agréable de conversation.
SULLY - Sire, il ne faut pas tout de même trop en demander. Le bon caractère et l'esprit vif, cela ne va pas ensemble!
HENRI IV - Croyez-vous? Et naturellement qu'elle soit capable de me porter de beaux enfants: ce qui est le but principal que je poursuis.
SULLY - Et enfin, qu'avez-vous d'autre à demander?
HENRI IV - Et enfin qu'elle ait une abondante dot, en provinces ou en argent.
SULLY - Je crains qu'à tant en vouloir, vous n'en trouverez pas.
HENRI IV - Je ne vous le fais pas dire. Sans compter que moi, je pue des pieds!
SULLY - En réalité, je crois que vous n'avez pas du tout envie de vous marier…
HENRI IV - Vous ne voudriez tout de même pas que j'épouse, ni l'infante d'Espagne, qui est vieille et laide, ni la princesse Arabella d'Angleterre, qui n'a pas de biens, ni les princesses allemandes, qui sont huguenotes, ni la fille des Médicis, qui est d'humeur morose… Je m'irais plutôt noyer dans un marais profond!
SULLY – (à voix basse) Attention, sire! Voilà qu'arrive votre bonne amie, que vous aimez.

2 - GABRIEL D'ESTREES - (entrant) Sire, je suis heureuse de vous voir. Que faites-vous?
HENRI IV – Ma chère Gabrielle, nous traitions des affaires de royaume.
GABRIEL D'ESTREES - J'ai entendu que vous parliez de marais profond…?
HENRI IV – De marais profond! C'est à dire…
SULLY - Précisément. Sa Majesté m'entretenait de l'édit qu'elle veut prendre concernant l'assèchement des marais de France. Nous en avons tellement!
GABRIEL D'ESTREES - Vraiment…?
HENRI IV - Oui, oui… Vous rappelez-vous, mon bon Sully, comment, sur le chemin de Bordeaux nous faillîmes enliser nos chevaux… J'avoue que si je n'avais pas si longtemps guerroyé à travers le royaume, je n'aurais jamais mesuré quelle grande quantité de marécages il s'y trouve. Tout gorgés d'eau, ils sont de peu de profit et rendent les chemins difficiles. Voilà pourquoi j'ai parlé de "marais profond".
SULLY - Si madame d'Estrées le permet, savez-vous Sire, ce que nous devrions faire?
HENRI IV - Non. Vous avez beaucoup d'esprit, mon bon Sully et beaucoup d'à propos…
GABRIEL D'ESTREES - Étiez-vous réellement en train de parler de marécages? Je n'en crois rien et je pense plutôt que… Les oreilles m'ont tinté!
SULLY - Comment, Madame? J'ai dans mon portefeuille un projet que j'ai rédigé pour sa Majesté.
HENRI IV - Pardonnez-nous, mon amie, de continuer notre conversation: elle est importante.
GABRIEL D'ESTREES - Je voudrais bien voir, moi, ce projet dont vous parlez.
SULLY - Le voici: (lisant) "…prenant en compte tant les désagréments que causent aux populations les vapeurs fétides qui s'élèvent des marécages, que le gaspillage qu'ils sont de terres cultivables et que les obstacles qu'ils opposent à la circulation tant des personnes que des biens, nous statuons et ordonnons…"
GABRIEL D'ESTREES – Faites voir… (elle regarde puis rend le document) …Je vois!

3 - HENRI IV - Mon amie, puisque vous ne voulez pas vous en aller, asseyez-vous ici et écoutez-nous: vous me fatiguez à vous tenir debout comme cela, toute enceinte que vous êtes.
SULLY - (approchant un fauteuil) Voilà qui vous conviendra. Me permettez-vous de continuer? "…Nous statuons et ordonnons que tous les marais étant dans notre royaume, tant sur les terres qui appartiennent à la couronne que sur celles de la Noblesse ou de l'Église ou du Tiers-état, soient drainés et asséchés…"
HENRI IV - L'ennui est que je connais bien mes sujets: comme il n'y a rien à gagner dans l'immédiat, aucun ne bougera. Sans parler du fait qu'ils ne savent pas comment s'y prendre.
SULLY - Vous avez raison et je suis d'avis que l'on fasse appel aux Hollandais qui ont su si bien assécher leur terre et la reprendre sur la mer.
HENRI IV - Oui, mais quels Hollandais?
SULLY - Ne vous souvenez-vous pas de Mijnheer Humphrey Bradley. C'est un grand entrepreneur… Nous pourrions lui concéder la moitié des terrains qu'il aurait asséchés. Quant aux ouvriers qui viendraient travailler pour nous, nous leur offririons ensuite leur naturalisation.
GABRIEL D'ESTREES - Cela suffit. Vous m'ennuyez! Je vois bien que vous êtes réellement embourbés dans vos marécages et je préfère me retirer...
HENRI IV - Faites à votre convenance, mon amie. Nous vous regretterons… (elle sort)

4 - SULLY - Pour les marais, Sire, cela sera fait…
HENRI IV - Bien. Mais en ce qui concerne mon mariage, je vous ai dit ce que je pensais des princesses étrangères.
SULLY – Il n'est point essentiel qu'elle soit étrangère.
HENRI IV - Je le concède. Mais je trouve que ma nièce de Guise, quelque belle qu'elle soit, est bien froide. Et les filles de M. de Mayenne, qui ne me déplaisent pas, sont vraiment trop vertes.
SULLY - Alors, faites publier un avis dans votre royaume que tous les pères qui auraient de belles filles, de haute taille, de dix-sept à vingt ans, eussent à les amener à Paris… Vous les mettriez en un logis où on les puisse observer quelque temps pour connaître leurs humeurs.
HENRI IV - Sully, mon bon Sully, vous vous égarez avec votre assemblée de belles filles: cela prêterait à rire. Si vous êtes d'accord avec moi sur ces trois conditions, que la femme soit belle, d'humeur complaisante et me fasse des fils, songez un peu en vous-même si vous n'en connaissez pas une en laquelle tout ceci se rencontre?
SULLY - Je ne vois vraiment pas…
HENRI IV - Vous plairait-il que je vous la nomme?
SULLY - S'il plaît vraiment à votre Majesté…
HENRI IV – Il me plaît: c'est ma très chère Gabrielle.
SULLY - Sire, vous n'y songez pas…
HENRI IV – Non. Mais si d'aventure il m'arrivait un jour d'y songer, que diriez-vous?
SULLY - Je vous dirais que cela ne se peut pas.
HENRI IV - Et pour quelle raison?
SULLY - Parce que vous avez déjà des enfants d'elle, qui sont illégitimes, et que vous en auriez ensuite qui seraient légitimes… Vous voyez quel embrouillamini cela serait. Et puis, elle a trop d'ennemis. Et enfin, cela ne se fait pas que d'épouser sa maîtresse.
HENRI IV - Sully, vous m'avez toujours été de bon conseil. Ne se peut-il que parfois vous vous trompiez?
SULLY - Je laisse à Votre Majesté le soin d'apprécier cela.
HENRI IV – Vous vous dérobez. Et comment s'appelle-t-elle, votre princesse à vous?
SULLY - Elle s'appelle Marie de Médicis.
HENRI IV - C'est bien ce que je pensais. Mon Dieu, il faudrait que l'on me pousse pour que j'y aille.
SULLY - Voulez-vous que nous laissions à Dieu précisément le soin de vous pousser…
HENRI IV – Assez sur ce sujet. Je serais content en tout cas que vous, vous ne me poussiez pas… Et quant à Dieu, attendons de voir ce qu'il en pensera.
L'HISTORIEN DE SERVICE - La fin de l'histoire, c'est que Gabrielle mourra avant d'avoir été épousée et que la reine de France sera Marie de Médicis. Si Gabrielle n'était pas morte, l'histoire de la France en eut bien probablement considérablement été changée.


RAPPEL HISTORIQUE

Henri IV fut un roi très humain, simple, direct et généreux… Ses contemporains l'appelaient "le Vert-galant", ce qui laisse entendre qu'il eut beaucoup de maîtresses et ne s'en cacha pas. Mais il eut surtout un grand ami qui l'accompagna fidèlement durant toute sa carrière, l'aidant d'abord à conquérir son royaume et ensuite à l'administrer. Ce fut Maximilien de Béthune, sire de Rosny, dit Sully.
C'est à la bataille d'Ivry qu'ils se rencontrèrent. Sully avait vingt ans, c'est-à-dire sept ans de moins qu'Henri. Ayant eu son cheval tué sous lui, il fut immédiatement capable d'en racheter un, au grand étonnement de Henri qui n'avait jamais un sou dans sa poche… Henri eut dès ce moment l'intuition que si les choses tournaient bien, il en ferait son ministre des finances.
Sully est protestant et il le restera toujours, même lorsque le roi sera devenu catholique. Cela n'altérera en rien leur amitié. Ils formèrent ensemble de grands projets, comme de travailler à constituer une Europe où quinze nations viendraient se fédérer dans une république chrétienne et tolérante. Où encore s'intéressèrent-ils au Canada où ils envoyèrent des marins et des soldats, dont Champlain, qui remontèrent le fleuve Saint-Laurent et fondirent Québec. Champlain donna d'ailleurs son nom à l'un des grands lacs.
Mais surtout ils s'attachèrent à restaurer la France, ravagée par les guerres de religion. Ils réduisirent au silence les nobles qui complotaient encore contre le pouvoir royal. Ils prirent ensemble de nombreuses mesures pour favoriser l'agriculture, que Sully considérait comme la ressource la plus précieuse du pays: "Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France." …sur quoi se greffe l'histoire de l'assèchement des marais qui est citée dans la pièce. Ensuite ils rétablirent des routes convenables et s'efforcèrent d'en assurer la sécurité. Ils firent aussi des plans pour creuser des canaux. Ils créèrent des manufactures et même, contre le souhait de Sully qui n'aimait pas les élégances, des manufactures de soie. Ils firent aussi beaucoup pour les écoles en y établissant des programmes inspirés par un humanisme éclairé…
En véritable ami, Sully ne cessa pas d'être consulté par le roi, même sur les choses les plus intimes. Ce fut lui, le protestant convaincu, qui conseilla à Henry, devenu roi, de se convertir au catholicisme pour assurer la réunification de la France. Et nous avons vu dans la pièce qu'avec une franche simplicité Henri demandait à Sully des conseils pour son mariage, conseils qu'il accueillit avec réserve, mais que, les circonstances l'y obligeant, il finit par suivre. Entre 1598, date de l'Edit de Nantes, à partir duquel il peut vraiment se consacrer au gouvernement de royaume, et 1610 où il fut assassiné par Ravaillac, Henri eut très peu de temps pour venir à bout de ses grands projets. Sully lui fut d'un immense secours.