Déposé à la SACD
VAN GOGH
ET LE COMMISSAIRE-PRISEUR
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Van Gogh, Le commissaire priseur,
Le père de Van Gogh, Théo, le frère de Van Gogh,
Gauguin le peintre, Le commissaire de police
(D'un côté de la scène, le commissaire-priseur s'adressant
au public en montrant les toiles de Van Gogh.
De l'autre côté, les autres personnages. A la fin Van Gogh dialogue
avec le commissaire priseur.)
L'HISTORIEN DE SERVICE - C'est à vingt-sept ans seulement que Vincent
Van Gogh comprit sa vocation de peintre. Il apprit son métier seul, contre
toutes les règles, mais il avait une sorte de génie qui lui permit
de transcender sa maladresse. Il peignit plus de huit cents toiles. Cependant,
son extrême sensibilité le laissant exposé à des
dépressions profondes, il se suicida à l'âge de trente-sept
ans. Il est aujourd'hui universellement reconnu et vénéré.
Dans la pièce qui suit, les pauvres étapes de la vie de Van Gogh
sont ponctuées par l'intervention d'un commissaire-priseur, chargé,
après sa mort, évidemment, de vendre ses toiles à prix
d'or...
- 1 -
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - Voici une des peintures les plus fameuses de Van Gogh,
Les tournesols ou Les soleils. Les plus grands musées du monde se la
sont arrachée… Mise à prix vingt millions.
LE PERE de Van Gogh – Vincent, il serait temps que tu songes à
gagner ta vie.
VAN GOGH – Tu es mon père, tu devrais le savoir. Je n'ai aucune
intention de gagner ma vie. Je veux peindre!
LE PERE - Vraiment! Tu mourras dans la misère.
VAN GOGH - J'ai un grand amour pour la misère. C'est mon état
naturel… Pourquoi vivrais-je mieux que les plus pauvres des pauvres?
LE PERE - Laisse-là les pauvres… Tu as déjà vingt-sept
ans et tu ne connais rien à la peinture!
VAN GOGH - Je ferai de mon mieux. J'apprendrai.
LE PERE - Cela me coûte de te le dire, tu n'as aucun talent… Et
tu es trop vieux!
VAN GOGH - Je n'ai pas besoin de talent, je méprise le talent.
LE PERE - Tu es toujours aussi insolent… Personne ne regardera jamais
tes peintures.
VAN GOGH - Je ne cherche pas à être regardé. Je cherche
à faire ce que j'ai à faire, ce qui est écrit en moi…
LE PERE - Alors, va le faire ailleurs. Nous ne voulons plus, ni ta mère
ni moi, te voir ici.
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - - Admirez encore une fois… Cette peinture est
une sorte d'objet sacré! Vous avez bien réfléchi…
On a dit soixante ici… et là soixante-deux… Qui dit mieux?
Les tournesols, un des chefs d'œuvre de la peinture universelle, par l'homme
qui n'avait aucun talent! …Adjugé pour soixante-deux millions.
- 2 -
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - Et maintenant, une œuvre des débuts du
peintre, Les mangeurs de pommes de terre… Exceptionnel! Mise à
prix deux millions de yens…
VAN GOGH - Il s'agit de lutter contre soi-même, de se perfectionner, de
renouveler son énergie… Que cela est dur d'apprendre à mon
âge, quand déjà les doigts, le cerveau se sont raidis!
THEO - Tu es mon frère, au moins moi, je ne te laisserai jamais tomber.
VAN GOGH – Mon pauvre Théo, j'ai voulu un jour évangéliser
les pauvres… Ils n'ont pas voulu de moi! Mais je crois qu'il y a pour
moi une autre voie vers Dieu, c'est le dessin. Peut-être que le dessin
parviendra à apaiser ma soif de Dieu.
THEO - Nous sommes deux frères, mais nous ne faisons qu'un. Il est très
important pour moi que tu puisses aller au bout de ta vocation. Je t'aiderai.
VAN GOGH - J'apprends, je travaille comme un fou… Je n'ose pas encore
peindre les visages, c'est trop difficile, mais je peins des silhouettes. Je
progresse…
THEO - Je t'enverrai de l'argent chaque mois, que tu puisses manger un peu et
surtout acheter des toiles, de la peinture. Cela coûte cher. Je paierai
et tu peindras. C'est comme cela que je participerai…
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - C'est une œuvre de la période appelée
ironiquement "période pomme de terre"… Van Gogh, misérable
dans une des provinces les plus misérables de Hollande, peignait des
paysans eux-mêmes encore plus misérables. Qui a parlé? Quatre
millions de yens, adjugé. Vous ne le regretterez pas.
- 3 -
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - Maintenant, un autoportrait. Van Gogh avait une telle
soif de peindre – il a laissé plus de huit cents toiles –
que lorsqu'il ne trouvait rien d'autre à peindre il se peignait lui-même.
VAN GOGH - Maintenant, après deux ans passés à Paris, je
suis arrivé à Arles et je suis en pleine possession de mes moyens.
J'ai apprivoisé la lumière et je la cueille dans ce ciel du Midi
de la France… Je peins les blés, les tournesols, le pont mobile,
la maison jaune où j'habite, la chambre que je m'y suis aménagé,
je fais des portraits… J'ai une frénésie de peinture…
Je peins tout ce qui me tombe sous la main.
GAUGUIN - (entrant) Allons, allons, tu es un minable! Tu n'as pas réussi
à vendre une seule de tes œuvres. Je veux bien te donner des conseils,
mais à condition que tu les suives…
VAN GOGH - Toi, Gauguin, pourquoi me parles-tu ainsi? Tu es venu vivre avec
moi, mais tu es un peintre comme moi, et tu n'es ni mon père, ni mon
frère…
GAUGUIN - Mais je suis un homme d'expérience, je connais la finance et
je connais notre métier… Je vais te prendre en main.
VAN GOGH – Non, surtout pas, laisse-moi être moi! (il fait un geste
menaçant avec un couteau…)
GAUGUIN - Mais qu'est ce qui te prend…? Tu ne veux pas! Pourquoi me poursuis-tu?
(il s'enfuit)
VAN GOGH - (retombant, accablé) Je suis un misérable… Il
me voulait du bien. Quels sont ces accès de fureur qui me prennent? Ah,
je me punirai moi-même… (il lève le couteau contre son visage
et s'effondre sur le sol)
LE COMMISSAIRE DE POLICE - (entrant) Eh bien, que se passe-t-il? On m'a apporté
dans un morceau de chiffon cette oreille coupée. Ah, le voilà,
l'homme qui s'est coupé l'oreille… Il a saigné toute la
nuit… Eh bien, mon garçon, je crois que nous allons être
bon pour un petit séjour à l'hôpital. Je vais arranger ça
(il sort)
VAN GOGH - Oui, enfermez-moi. Depuis le temps que mon père me le dit,
je crois que cette fois-ci je suis vraiment fou…
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - Et justement, cet autoportrait, c'est celui qu'il a
fait après s'être coupé l'oreille. Il n'y a pas beaucoup
de peintres qui se coupent l'oreille pour en faire un tableau. Et de toute façon,
un homme qui se coupe l'oreille, c'est une rareté, donc c'est cher…
Allons, combien pour ce drame vécu, ce morceau saignant d'humanité…?
Mise à prix, vingt millions de dollars.
- 4 -
VAN GOGH – (au commissaire priseur) Qu'est ce que tu racontes, toi? Vingt
millions de dollars, c'est quoi, c'est combien, ça n'a pas de sens…
Moi, mon frère m'envoie 150 francs par mois.
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - Vingt millions de dollars, ça fait, en gros
de quoi faire vivre un peintre comme toi pendant mille ans; ou si tu veux un
mille peintres comme toi pendant un an.
VAN GOGH - Si je n'étais pas déjà fou, je le deviendrais…
Mes peintures, c'est un cadeau! Je les ai faites pour rien, pour tous…
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - Mais, monsieur Van Gogh, je n'y peux rien, moi, si
justement ils se disputent tous pour les avoir, vos peintures. C'est bien ce
que vous vouliez? Vous avez beau les avoir faites pour rien! …
VAN GOGH - Et comme ça, il y a des gens riches qui peuvent capturer un
de mes tableaux et l'enfermer pour la vie dans leur coffre….?
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - Oui, cela peut arriver, ils ont tous les droits d'un
propriétaire… Et après, s'ils le laissent assez longtemps,
ils touchent des plus-values.
VAN GOGH - C'est à dire…Qu'est-ce que c'est, des plus-values?
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - Cela veut dire qu'ils le revendent plus cher qu'ils
ne l'ont acheté… Si ça se trouve, ils peuvent gagner encore
un ou deux millions de dollars supplémentaires, tous frais déduits!
VAN GOGH - J'ai toujours détesté l'argent… peut-être
parce que je n'en avais pas. Je vous prie, monsieur le commissaire-priseur,
de noter que de toute façon, mes peintures, je ne les ai pas faites pour
qu'on les vende… Je les ai faites parce que je ne pouvais pas ne pas les
faire. Et surtout parce que je voulais être capable d'offrir aux hommes
un peu de la beauté que j'avais réussi à entrevoir.
LE COMMISSAIRE-PRISEUR - C'est très émouvant ce que vous dites
là, monsieur Van Gogh. Je vais le faire savoir… Et je suis sûr
que cela fera encore monter les prix.
RAPPEL HISTORIQUE
Vincent Van Gogh naquit en Hollande (le 30 mars 1853) dans un presbytère
de campagne. Il reçut le nom d'un frère aîné mort
au berceau. Peut-être fut-il marqué par cette substitution: il
était celui qui avait pour ainsi dire volé la place du mort. La
pauvreté de ses parents l'obligea à interrompre ses études
à l'age de quinze ans et à entrer comme commis chez des négociants
en tableaux.
Mais il est malheureux, donne sa démission et se croit, comme son père,
une vocation de pasteur voué à l'évangélisation
des plus pauvres. Il séjourne chez les mineurs du Borinage, puis parmi
les paysans du nord de la Hollande. Mais les autorités ecclésiastiques
ne le reconnaissent pas… Il a vingt-sept ans. Attiré par la peinture,
qu'il n'a jamais travaillée, il décide alors de chercher Dieu
dans cette nouvelle voie.
Ses parents n'y croient pas et le repoussent… Il est vrai que jusqu'ici,
il a fait preuve d'une remarquable indécision. Heureusement son frère
Théo le soutient: ils ont en effet décidé de ne faire qu'un
et Théo considère que pendant qu'il gagnera de l'argent, Vincent
pourra peindre…
Il travaille d'abord à La Haye, dans la grande tradition des Rembrandt
et des Vermeer. Puis à Paris, où il découvre les impressionnistes
et se lie avec eux. Pendant toute cette période il continue à
se montrer difficile à vivre, anxieux, colérique, critique…
A la fin il se brouille plus ou moins avec son frère, chez lequel il
vivait, et décide de partir pour le Midi de la France où la lumière
est, dit-on, si belle… Il atterrit, on ne sait pas trop pourquoi, à
Arles, une ancienne ville romaine toute proche du delta du Rhône.
La lumière du midi est en effet si belle qu'il se précipite dans
la peinture pour tâcher de la capter. Il peint avec frénésie…
Mais Gauguin en perdition vient le rejoindre et ils travaillent ensemble quelque
temps. L'aventure tourne mal, ils se disputent. Van Gogh dans son désespoir
se coupe l'oreille et Gauguin s'enfuit. Van Gogh est hospitalisé. Il
devient la proie de crises d'égarement… Il passe ensuite plusieurs
mois à l'hospice de Saint-Rémy de Provence… Il y travaille
encore d'une façon soutenue. Puis il revient dans la région parisienne
à Auvert-sur-Oise, aux bons soins du docteur Gachet. Il s'y suicide quelques
mois après (le 29 juillet 1890) à l'age de trente-sept ans.
Ses principales œuvres (parmi les huit cents qu'il a laissées) sont
d'abord toute une série d'Autoportraits, puis les Tournesols, Barques
sur la plage des Saintes-Maries de la mer, les portraits du facteur Roulin,
du docteur Gachet, La Chambre jaune, Les Iris, L'église d'Auvert…