Déposé à la SACD
LA MORT DE RICHARD CŒUR DE LION
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Anna, une jeune femme d'aujourd'hui qui n'aime pas la guerre: elle écrit
une pièce sur Richard,
Richard, roi d'Angleterre, qui revient en personne jouer son rôle dans
la pièce. Il était mort à l'âge de 44 ans,
Aliénor d'Aquitaine, sa mère, reine-mère d'Angleterre,
Le chroniqueur, (historiquement Ambroise) chargé par le roi de raconter
son histoire et de le mettre en valeur,
Le chirurgien. Quelques serviteurs (rôles muets)
… Sur scène, Anna est assise à une petite table et écrit.
Quand à l'action, elle se transporte ici et là.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Le roi d'Angleterre Richard Cœur de Lion, le roi-chevalier,
s'est distingué sur les champs de bataille. En particulier lors de la
troisième croisade qu'il a menée en Terre Sainte aux côtés
de Philippe-Auguste, roi de France. Maintenant, il est revenu de la croisade
et il guerroie en Aquitaine, son fief, dont les barons se sont révoltés.
C'est là que, peu glorieusement, il mourra. Anna, une jeune dramaturge
de notre temps, a entrepris d'écrire une pièce de théâtre
dont il est le héros.
- 1 -
RICHARD - (entrant) Je proteste!
ANNA - Vous protestez! Qui êtes-vous?
RICHARD - Je suis Richard Cœur de Lion et j'apprends, madame, que vous
voulez faire de moi un personnage de théâtre.
ANNA - C'est exact. Un personnage de théâtre.
RICHARD - Dans ce cas sachez premièrement qu'aucun acteur n'est digne
de tenir mon rôle. Pour jouer Richard, il n'y a que Richard.
ANNA - Très bien. Si vous êtes libre… faisons un essai! …Mais
je paie mal!
RICHARD - Et secondement je refuse absolument, comme je viens de l'entendre
dire, que vous vous contentiez de représenter ma mort… Ou bien,
est-ce une plaisanterie?
ANNA - Ce n'est pas une plaisanterie. C'est là que vous êtes le
plus convainquant.
RICHARD - Comment? Moi qui, à la tête de mes troupes, ai vécu
dans l'ivresse tant de moments de force et de courage… Je m'avançais
hardiment sur le champ de bataille, comme pour y moissonner mes ennemis, roi-chevalier
couvert de sang, généreux et redoutable: ô mes croisades!
C'est cela qu'il faut montrer.
ANNA - Non, non, les combats sur la scène, ce n'est pas possible, ça
fait trop de poussière…! Et puis surtout, croyez-vous que j'ai
envie de représenter un maniaque cruel et violent, un roi aux instincts
féroces qui a profité de son pouvoir pour semer la misère
et la mort. Vous avez à peine régné plus de dix ans, Richard,
et quelle accumulation de méfaits!
RICHARD – De méfaits! Dites donc… Je le veux: tout de suite
mon épée, mon armure, mon cheval…
ANNA - C'est moi qui décide.
RICHARD - Je suis le roi d'Angleterre…
ANNA - C'est moi qui écris la pièce. Et moi, je suis vivante.
- 2 -
RICHARD - Mais qu'est-ce qui m'arrive? (il porte la main à son épaule)
Un trait d'arbalète!
ANNA - D'ailleurs, ça y est, Majesté, c'est parti! (annonçant)
Mort du roi Richard Cœur de Lion.
RICHARD – (se tenant toujours l'épaule) Quel est le fils de chienne
qui a osé…
ANNA - C'est un tireur isolé, la-haut, au sommet du rempart du château
de Chalus.
RICHARD - Le salaud, ça me fait mal… Aie! Dès que la place
aura été prise, je le ferai écorcher vif. Il me le paiera
cher.
ANNA - Attention, voici votre chroniqueur qui arrive, celui qui transcrit fidèlement
vos hauts-faits, auquel vous êtes redevable de toute votre gloire…
Prenez la pose!
LE CHRONIQUEUR - (entrant) Vous êtes blessé, Majesté?
RICHARD - Moi, blessé? Oui, vaguement. Ce n'est rien, une piqûre
d'épingle. Je l'ai à peine sentie.
LE CHRONIQUEUR – (touchant le trait dans l'épaule) Ah! Qui est-ce
qui vous a envoyé ça?
RICHARD - C'est l'homme que vous voyez là-haut. Un lascar…Il a
passé l'après-midi sur le rempart à se protéger
des flèches avec une poêle à frire. Et maintenant…
(parlant au tireur) Eh, l'homme, dis donc, tu as mis dans le mille, compliments.
Tu t'es payé le roi d'Angleterre.
LE CHRONIQUEUR - Toujours grand et généreux, ô vous le plus
éminent roi de la Chrétienté!
RICHARD - En effet… Vous lui ferez remettre vingt pièces d'argent
à mon effigie… non, quinze cela suffira!… et tailler un costume
neuf dans une belle étoffe anglaise.
LE CHRONIQUEUR - C'est bien ce que je disais: grand et généreux!
Mais faites voir un peu cette blessure… Ah, pour une piqûre d'épingle,
le fer a pénétré très profondément dans l'épaule.
RICHARD - Ce n'est rien, je vous dis… Laissez, je vais passer les troupes
en revue.
LE CHRONIQUEUR - Avec ce trait toujours fiché dans votre chair?
RICHARD - Encore une fois, ce n'est rien, j'en ai vu d'autres… Vous témoignerez
de la force de caractère dont je suis en train de f aire preuve. Nous
soignerons la blessure plus tard. (ils sortent)
- 3 -
ANNA - (rappelant le chroniqueur) Hep, monsieur le chroniqueur, je m'embrouille?
Puisque je vous ai sous la main, qu'est ce que c'est que ce château de
Chalus. Dans quel pays se trouve-t-il?
LE CHRONIQUEUR - En France, près de Limoges… Vous savez que Richard,
roi d'Angleterre, possède au moins la moitié de la France. Chalus,
c'est le château d'un baron que Richard est venu châtier parce qu'il
s'était révolté contre lui.
ANNA - Je vois. Importante affaire! Pourtant, c'est le temps du Carême
et l'on ne doit pas prendre les armes pendant le Carême. L'Église
l'interdit.
LE CHRONIQUEUR - Richard est au dessus de toutes les lois, même de l'Église…
Ca l'amuse tellement de se battre, il ne résiste pas! Pardonnez-moi,
je le suis. (il sort)
ANNA – Je crois que c'est une chose que nous ne pouvons tenter de dissimuler…
(elle écrit)
- 4 -
LE CHRONIQUEUR – (revenant, précédé de Richard) Laissez,
Majesté, le chirurgien va venir…
RICHARD - Je suis bien capable de me débrouiller tout seul. (il a pris
la flèche à pleines mains)
LE CHRONIQUEUR - Vous allez casser le bois et le fer restera enfoui dans la
plaie. Et alors…
RICHARD - (qui vient de casser la flèche) Pourquoi l'avez-vous dit? Damné
chroniqueur! Si vous ne l'aviez pas dit, cela ne serait pas arrivé.
LE CHRONIQUEUR – Naturellement, c'est ma faute. Les fers de ces traits
d'arbalète sont longs comme la main. Et comme vous êtes un peu,
disons le mot, Majesté, un peu gras, il a dû pénétrer
profond. Voici le chirurgien…
LE CHIRURGIEN – (opérant) Asseyez-vous sur ce tabouret, je vais
inciser l'épaule… Mordez votre mouchoir, Majesté (il incise).
Je vois mal, jusqu'où va-t-il, ce vilain fer? J'ouvre encore un peu,
tenez bon… (le roi gémit) Ah si, je le vois… S'il n'y avait
pas ce sang qui coule partout… Attention, majesté, je vais le dégager
progressivement… Mais avant que je le fasse, buvez donc un petit coup
de vin (il lui en donne)… Attention, je tire d'un seul coup. Ca y est,
le voilà (il montre le fer). Il s'est évanoui. Apportez un brancard
et emportez-le dans sa tente. (entrent deux serviteurs qui étendent le
roi sur un brancard et l'emportent)
RICHARD – (se relevant à moitié, à Anna) Ca va, j'ai
été bon, non?
ANNA – Superbe… (ils sortent)
- 5 -
ANNA – Malheureusement, Richard est mort des suites de ses blessures.
Un peu ennuyée, j'ai donc appelé sa mère, Aliénor
d'Aquitaine, qui vient en toutes hâte...
ALIENOR D'AQUITAINE – (entrant) C'est vous, madame, qui avez manigancé
tout ceci… Pourquoi avez-vous mis tant de temps à me faire venir?
C'est mon fils, non? Je suis Aliénor d'Aquitaine.
ANNA – Grande reine, s'il avait suivi les conseils de son médecin,
je vous l'aurais rendu vivant… Mais à refuser de se reposer, à
courir partout de droite et de gauche, à continuer à faire la
noce, la plaie s'est infectée et la gangrène s'y est mise…
ALIENOR D'AQUITAINE – Donc il est mort, si je comprends bien.
ANNA – Oui, Majesté. Il est mort, vous avez parfaitement compris.
ALIENOR D'AQUITAINE – Je me suis mise en route en grande hâte dès
que j'ai appris qu'il était blessé. J'étais à l'abbaye
de Fontevrault… Avant de mourir, qu'a-t-il dit, qu'a-t-il fait?
ANNA - C'est là peut-être, comme d'ailleurs je le pensais, qu'il
a été le plus grand. Il a appelé ses capitaines autour
de lui, il s'est dépouillé de ses vêtements royaux, pour
mourir aussi nu qu'il était né et il s'est couché sur le
sol en signe de grande humilité… Il a demandé ensuite pardon
de ses péchés et il a légué ses biens…
ALIENOR D'AQUITAINE – Très édifiant! A qui?
ANNA - Son royaume à son frère Jean, qui était "sans
terre", et qui donc ne l'est plus…
ALIENOR D'AQUITAINE – Dieu soit loué!
ANNA - …et sa fortune à son neveu Othon, sous réserve que
le quart de cette fortune aille aux pauvres.
ALIENOR D'AQUITAINE – Aux pauvres, c'est bien. Et a-t-il pensé
à sa mère?
ANNA - Certes! Il vous demande, madame, de ramener avec vous son corps à
l'abbaye de Fontevrault, pour y être enterré sous votre garde aux
côtés de son père, Henri II. Pouviez-vous espérer
davantage?
ALIENOR D'AQUITAINE – Non, en effet.
ANNA – Entre femmes, nous nous comprenons. Merci d'avoir répondu
à mon appel. Maintenant, allez chercher son corps et retirez-vous, la
comédie est terminée.
RAPPEL HISTORIQUE
A la fin du douzième siècle, le roi d'Angleterre régnait
aussi sur toute la partie ouest de la France (l'Aquitaine, l'Anjou, le Maine,
la Bretagne et la Normandie), au point que tous les rivages atlantiques étaient
anglais. Quant à la frontière, toujours mouvante, elle passait
approximativement par Clermont, Bourges, Orléans, Evreux et Rouen…
Ainsi le roi d'Angleterre avait-il plus de possessions en France qu'en Angleterre
même.
Entre le roi d'Angleterre et le roi de France, Philippe-Auguste, une telle situation
ne pouvait évidemment que faire naître beaucoup de problèmes.
Bien qu'ils aient, selon la coutume, déjà commencé à
guerroyer l'un contre l'autre, ils partirent cependant ensemble pour la troisième
croisade et combattirent tous les deux sous les murs de Saint-Jean-d'Acre…
Mais l'un et l'autre, inquiets pour leurs royaumes respectifs, revinrent prématurément
avant d'avoir pu reconquérir Jérusalem. Richard resta cependant
sur place assez longtemps pour confirmer sa réputation d'intrépide
chevalier. Quand enfin il rentra, Philippe-Auguste, reparti le premier, avait
déjà commencé à grignoter ses possessions. Les luttes
reprirent et c'est pendant ces luttes que Richard mourut, dans des circonstances
mal connues.
Richard était roi, mais il était bien plus chevalier. En termes
modernes, il aimait la bagarre et ne pouvait s'empêcher d'y prendre part.
Il la cherchait même, conformément à la coutume de l'époque,
où la principale occupation des États consistait à s'arracher
mutuellement des provinces.
Le roi Richard Cœur de Lion jouit d'une immense réputation. Il la
doit à quelques hauts-faits et surtout à une propagande très
soigneusement organisée pour les mettre en valeur. Mais lorsque l'on
y regarde de plus près on s'aperçoit que le roi Richard est un
personnage redoutable. Issu d'une famille où la tradition n'allait pas
dans le sens de la douceur et de la vertu, il fut un roi violent, à la
fois cupide et prodigue (il achetait ceux dont il avait besoin), ne craignant
pas de se montrer souvent exigeant et cruel, faisant fi de toute contrainte
civile ou religieuse. Et pour cela haï de ceux avec lesquels il avait affaire.
Walter Scott, le célèbre romancier anglais, s'empara du règne
de Richard et lui consacra de nombreux romans historiques, en particulier le
très célèbre Ivanhoe. La captivité de Richard en
Autriche à son retour de croisade fut souvent évoquée,
spécialement par Grétry qui en tira un opéra. C'est aussi
sous le règne de Richard que se développa la carrière du
fameux Robin des Bois, qui fit la fortune des cinéastes. Enfin, Richard
avait un frère cadet, Jean sans Terre, célèbre lui aussi
pour avoir longtemps intrigué contre lui.