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Déposé à la SACD

LES MALHEURS DE REMBRANDT

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES:
Rembrandt, la cinquantaine, gros ours égoïste et bienveillant,
Jan Six, un aristocrate de ses amis, qui l'abandonne dans ses difficultés,
Titus, son fils, adolescent aux belles boucles blondes, quinze ans,
Hendrickje, seconde femme de Rembrandt, la trentaine.

L'HISTORIEN DE SERVICE - Dans les années 1654-1655, Rembrandt, malgré son immense réputation, a beaucoup d'ennuis. Trop indépendant d'esprit, il s'est fait mal voir de ses concitoyens, il ne peut pas épouser celle qui est sa seconde femme, qui attend un enfant et enfin, pour n'avoir pas su maîtriser ses dépenses, il est couvert de dettes… Mais seule la peinture compte pour lui. Et voici qu'il est en promenade avec son fils aîné, Titus...

- 1 -
TITUS - Papa, qu'est ce que tu préfères, moi ou tes tableaux?
REMBRANDT - Qu'est ce que tu veux dire, Titus?
TITUS - Je veux dire, si tu avais dû choisir… tu préfèrerais m'avoir fait moi ou avoir fait tes tableaux?
REMBRANDT - C'est une question stupide. Si je voulais te vendre, toi, je n'en tirerais pas un florin! Viens plutôt avec moi: nous allons voir le lion.
TITUS - Quel lion?
REMBRANDT - Celui qu'un de nos vaisseaux marchands a rapporté d'Afrique. Il est arrivé hier à Amsterdam… Un lion! J'ai toujours eu envie de voir à quoi cela ressemblait… Un peintre aime voir les choses de près.
TITUS - On peut le toucher, le caresser…?
REMBRANDT - Je ne pense pas, ça serait dangereux… Mais regarde-le dans sa cage. Comme il est beau… Et son pelage… tellement plein de vie.
TITUS - Il tourne en rond! Pourquoi tourne-t-il en rond?
REMBRANDT - Parce qu'il est prisonnier? Hélas! Je suis partagé entre la joie de le voir et la peine que cela me fait qu'on l'ait arraché à son pays. Ils lui ont pris tout ce qu'il avait. Regarde: pourtant quelle magnificence!
TITUS - Moi, je trouve qu'il te ressemble! Tu as une crinière, comme lui, et une grosse tête et quand tu rugis, on dirait…
REMBRANDT - Dis-donc!
TITUS - Mais je n'aimerais pas qu'on te capture comme lui et qu'on te mette en cage.
REMBRANDT - Je n'aimerais pas non plus! Mais hélas, même ici il y a des chasseurs, il faut se méfier! Maintenant viens, nous rentrons… Et quant à ce que tu m'as demandé tout à l'heure, si tu veux vraiment que je te le dise, de toi ou de mes tableaux, c'est toi que je préfère. C'est bien, non?

- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – L'amour de Rembrandt pour son fils n'efface pas ses ennuis d'argent. Il vient demander à un de ses vieux amis, Jan Six, de l'aider...
JAN SIX – Rembrandt, pourquoi n'avoir pas profité de votre argent pour payer vos dettes?
REMBRANDT - J'aime tant m'entourer de beaux objets: des sculptures, des instruments de musique, des armes, des soieries, des tableaux … Cela coûte cher.
JAN SIX - C'est du gaspillage.
REMBRANDT - Non. Je ne voyage pas, je ne lis pas, mais je fais venir le monde à moi. Ces objets sont ma bibliothèque. Ils me servent, ils me sont indispensables, il faut que je les voie, que je les touche, ils m'inspirent… Ils ont des formes et des couleurs nouvelles, je les mets dans mes tableaux.
JAN SIX - Vous avez autrefois acheté une belle maison. Bien! Mais il ne fallait pas la laisser impayée… C'est la moindre honnêteté. Vous devez encore huit mille quatre cents florins à celui qui vous l'a vendue, et cela depuis seize ans…
REMBRANDT - Précisément, vous qui avez toujours été mon ami et dont j'ai tant de fois peint le portrait, pourriez-vous me prêter quatre mille florins. On me menace. Cela me sauverait de la ruine. Cela sauverait mes objets…
JAN SIX - Un emprunt pour couvrir une dette, cela ne fait pas le compte!
REMBRANDT - J'en suis d'accord. Mais si je ne peux pas payer, ma maison précisément sera saisie par les huissiers et vendue aux enchères.
JAN SIX – Rembrandt, vous vous êtes brouillé avec tout ce que la ville compte de personnes influentes. Votre indépendance d'esprit, la façon dont vous vous habillez, votre désinvolture, je dirais même votre arrogance… sans parler de votre génie! tout cela est insupportable. Ne vous étonnez pas de ce qui vous arrive. Je n'ai pas quatre mille florins pour vous.

- 3 –
L'HISTORIEN DE SERVICE –Peu après, les créanciers de Rembrandt se manifestent... Mais il a surtout envie de continuer à peindre! Il entreprend de faire le portrait se celle qui deviendra sa seconde femme, Hendrickje.
HENDRICKJE – (entre avec un papier) Qu'est-ce que c'est que ce papier qu'on vient de t'apporter…
REMBRANDT – (jette un coup d'œil) Ce n'est rien. Je méprise tout ça… Je ne veux pas m'en occuper. Qui oserait s'en prendre réellement au grand Rembrandt… Viens ici, Hendrickje, je veux faire ton portrait… je...
HENDRICKJE - Encore! Tu peins vraiment tout ce qui te tombe sous la main. Je ne suis pas belle, mon ami, cet enfant que je porte pour toi m'enlaidit.
REMBRANDT - D'abord il ne t'enlaidit pas. Et puis, il ne s'agit pas de faire joli, il s'agit d'être vrai… non, pas même d'être vrai, il s'agit d'atteindre à la vérité des choses… Et enfin, je t'aime.
HENDRICKJE - Je me demande si peindre n'est pas ce que tu aimes le plus.
REMBRANDT - Pourquoi me dis-tu des choses méchantes?
HENDRICKJE - Tu m'as déjà prise comme modèle lorsque tu as peint ta Bethsabée, cette femme que le roi David a désirée par dessus tout...
REMBRANDT - Tu vois bien: la femme désirée par dessus tout. Et qui lui portait son enfant… Comme toi, le mien. Est-ce ma faute si je ne peux pas me passer de toi, même dans mon atelier?
HENDRICKJE - Dis-moi que peindre n'est pas pour toi un simple défi…
REMBRANDT - C'est un défi, mais pas simple… Avec tous ces créanciers qui me poursuivent! Mais si je ne peins pas, je ne vis pas et si je ne vis pas, je ne peux plus t'aimer.
HENDRICKJE – Rembrandt, doute de tout, mais ne doute pas de mon amour pour toi.
REMBRANDT – Cela du moins personne ne me l'enlèvera. Et surtout pas nos créanciers.

- 4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Finalement, Rembrandt va être obligé de vendre sa maison. Son fils Titus essaye de comprendre pourquoi tous ces bouleversements.
TITUS - Maman, expliquez-moi, qu'est ce qui se passe?
HENDRICKJE - D'abord, Titus, je ne suis pas ta maman. Tu es le fils de Saskia, la première femme de ton père.
TITUS - Je sais, je sais… Je dis maman parce que je vous aime bien.
HENDRICKJE - Je t'aime beaucoup moi aussi, Titus… Il se passe que ton père a des ennuis d'argent. Il n'a jamais compté et voilà que maintenant il a dépensé plus qu'il n'a gagné… Et il a des ennuis aussi à cause de moi.
TITUS - A cause de toi?
HENDRICKJE - Parce je vais lui donner un enfant et qu'il ne peut pas m'épouser…
TITUS - Pourquoi ne peut-il pas t'épouser?
HENDRICKJE - C'est compliqué, mais en gros, parce qu'il n'a plus assez d'argent. C'est le testament de Saskia. S'il m'épousait, il faudrait qu'il verse vingt mille florins pour garantir ton indépendance.
TITUS - Ah! Mon indépendance… Mais qui est-ce qui nous fait tous ces ennuis?
HENDRICKJE - Des gens bien-pensants. Pour eux, on ne doit pas avoir d'enfant sans être marié. Surtout quand on a des dettes.
TITUS - Je ne vois pas le rapport. Et alors, qu'est-ce qui va arriver?
HENDRICKJE - Je ne sais pas… Ils sont impitoyables. Nous irons vivre pauvrement dans un faubourg quelconque, où les maisons sont bon marché. Il pourra peindre en paix… C'est sa vie de peindre. C'est un peintre immense!
TITUS – Je sais. Et ton enfant, celui qui va naître?
HENDRICKJE - Mon enfant… Je sais que ce sera une fille et je l'appellerai Cornelia. Si elle a le caractère aussi bien trempé que son père, je ne crains rien pour elle.
TITUS - Eh bien, moi, je deviendrai aussi un grand peintre et je vous gagnerai beaucoup d'argent et je vous le donnerai.

RAPPEL HISTORIQUE

Rembrandt (Van Rijn) passa toute sa vie en Hollande (1606-1669). Il est le contemporain de Rubens, de Descartes, de Molière et de Pascal. Fils d'un meunier, après des études très sommaires il entra très vite "en peinture" et au bout d'une dizaine d'années se fixa à Amsterdam où il conquit très vite une grande réputation. Malheureusement son indépendance d'esprit fut mal comprise de ses concitoyens et lorsqu'il se révéla qu'il avait accumulé les dettes, même ses rares amis l'abandonnèrent. Sa maison et ses biens furent vendus aux enchères pour des montants dérisoires et il dut aller continuer à peindre dans un des faubourgs misérables d'Amsterdam.
L'œuvre de Rembrandt est considérable. Dessins, gravures, peintures… il passa sa vie dans son atelier, où d'autre part il forma de nombreux élèves. Il fut d'abord un grand portraitiste et ses amis et ses concitoyens défilèrent devant son chevalet. Il traita ensuite beaucoup de sujets historiques et en particulier de sujets bibliques. Sans parler de ce qu'il dessinait ou peignait d'après nature, au hasard des événements auxquels il était mêlé… Il saisissait tout ce qui passait devant lui. La peinture était le tout de sa vie. Il serait plus exact de dire qu'il était possédé par la Peinture.
Les principales œuvres de Rembrandt sont : La leçon d'anatomie, La ronde de nuit, La fiancée juive, L'homme au casque d'or, Le retour du fils prodigue, Le fils prodigue (Rembrandt et Saskia), La descente de croix, La conjuration de Claudius Civilis, Le cavalier polonais… et d'innombrables autoportraits… Et d'innombrables dessins, gravures, peintures, tous marqués du signe d'une très grande puissance.…
Durant toute sa carrière, se dégageant progressivement des règles et des canons alors en vigueur dans la peinture, il fit preuve d'une beaucoup d'invention et de liberté. Deux choses le distinguent: d'abord son souci de vérité. Il ne cherchait pas les belles lignes et les courbes harmonieuses, mais il s'efforçait de représenter ses modèles tels qu'ils étaient, aimant les cueillir à vif avec toutes leurs particularités et leurs faiblesses. Ensuite, son sens de la lumière ou plutôt de l'obscurité. L'éclairage d'un tableau en était pour lui une dimension essentielle et il s'en servait pour intérioriser ses personnages ou faire ressortir le caractère souvent dramatique de leur situation (les fameux clair-obscur). A tel point que ses derniers clients se plaignaient qu'il y eut trop d'obscurité dans ses tableaux.