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Déposé à la SACD

PASTEUR ET L'ENFANT
MORDU PAR UN CHIEN ENRAGÉ

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES:
Joseph Meister, le petit garçon mordu par un chien enragé,
La mère du petit garçon, Le docteur Grancher, collaborateur de Pasteur
Pasteur, Madame Pasteur

L'HISTORIEN DE SERVICE - Pasteur, qui n'était pas médecin mais chimiste, est le fondateur de la médecine du vingtième siècle… Il est, lorsque commence la pièce, plongé dans ses travaux sur la rage: mais il n'a jusqu'ici essayé son vaccin que sur des chiens. Et soudain on amène à son laboratoire un petit garçon qui vient d'être mordu par un chien enragé...

- 1 -
LA MÈRE - C'est bien ici que... Enfin, je veux dire, la rage?
LE DOCTEUR GRANCHER - Vous voulez dire le laboratoire de monsieur Pasteur?
LA MÈRE - C'est bien ça, monsieur Pasteur. C'est si grand, Paris! Je viens... Le petit, il a été mordu par un chien enragé. Regardez: tout plein de morsures bien vilaines, à la tête, aux mains, aux jambes... Quatorze morsures! La rage, on a peur! On vient d'Alsace, monsieur Pasteur.
LE DOCTEUR GRANCHER - Je ne suis pas monsieur Pasteur. Je suis le docteur Grancher, son collaborateur. Faites voir l'enfant: Oh, là, là... Oui, pas joli tout ça...
LA MÈRE - Le docteur Weber, il a cautérisé, comme il dit, mais... C'est lui qui nous envoie... Ça lui fait très mal, au gosse.
LE DOCTEUR GRANCHER - Il y a combien de temps qu'il a été mordu?
LA MÈRE – C'est arrivé lundi par là vers les quatre heures du soir.
LE DOCTEUR GRANCHER - Ça va faire deux jours... Oui, je crois qu'on va pouvoir faire quelque chose. Attendez-moi ici, je vais parler à monsieur Pasteur... Vous savez que monsieur Pasteur, qui a soigné beaucoup de chiens avec succès, hésite encore à appliquer son traitement à l'homme...
LA MÈRE - Je ne sais rien du tout. Simplement, je suis venue. C'est un gentil petit, vous savez, mon Joseph! Il faut le sauver. Et on dit que monsieur Pasteur est si bon...
LE DOCTEUR GRANCHER – Je reviens tout de suite.

- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Le docteur Grancher est allé trouver Pasteur et lui a expliqué ce dont il s'agit. Pasteur, qui est âgé et malade, hésite mais finalement prend le risque d'utiliser pour la première fois son vaccin sur un être humain.
PASTEUR - C'est d'accord, madame, nous acceptons d'appliquer notre traitement à votre Joseph. Tu es d'accord, mon bonhomme?
LA MÈRE - Bien sûr qu'il est d'accord!
PASTEUR - Laissez-le répondre: neuf ans, c'est un grand garçon, maintenant.
JOSEPH MEISTER - Oui, monsieur Pasteur, je veux bien... Oui, je veux bien.
PASTEUR - Mais avant cela... Ne faites pas attention, je suis vieux, je boite un peu, je vais m'asseoir. Donc, avant cela, nous allons prendre deux minutes pour causer… Joseph, je voudrais d'abord que tu comprennes bien la situation, parce que j'ai besoin que tu m'aides.
JOSEPH MEISTER - Oui, monsieur Pasteur... Je vous aiderai de toutes mes forces.
PASTEUR - Donc, tu as été très gravement mordu par un chien enragé... Nous avons effectivement des preuves qu'il est enragé: ton docteur nous l'a confirmé.
LA MÈRE - Il a dit que... J'ai apporté les papiers!
PASTEUR - Oui, oui, je sais... Mais la rage ne se déclare pas tout de suite. Avant que tu ne tombes malade, nous avons un peu de temps, disons, pour simplifier, le temps que la bave du chien, s'infiltrant dans ton organisme, arrive jusqu'à ton cerveau, puisque la rage est une maladie du système nerveux... Tu comprends ce que je dis?
JOSEPH MEISTER - Oui, monsieur Pasteur, je crois... Ça va si lentement que ça?
PASTEUR - Oui, parce que... Enfin, c'est très mystérieux, même moi, je ne comprends pas. La seule chose que nous sachions, c'est qu'il y a un délai. Et c'est pendant ce délai que nous allons essayer de prendre la maladie de vitesse et de lui couper la route.
LA MÈRE - Oh, merci, monsieur Pasteur. Je vous baise les mains.
PASTEUR - N'allez pas trop vite, madame... Malheureusement, nous ne savons pas très bien de combien de jours est ce délai: cinq à six semaines en général, quelquefois moins. Plus les blessures sont graves, plus le délai est court.
LA MÈRE - Vous voudriez dire que le petit, il a trop été mordu?
PASTEUR - Je veux simplement dire que je ne suis sûr de rien. Vous devez le savoir... Et toi aussi, tu dois le savoir.
JOSEPH MEISTER - Bien, monsieur Pasteur. Je le sais maintenant... Mais ça ne fait rien, je veux bien toujours.
PASTEUR - Nous allons donc te vacciner... Qu'est ce que c'est, vacciner? Cela veut dire que pour éviter que ne se déclare la grande maladie qui tue, on va te donner une petite maladie qui ne tue pas, mais qui prépare à devenir victorieux de la grande maladie qui tue.
LA MÈRE - Vous n'allez quand même pas lui faire encore des dégâts?
PASTEUR - C'est la rage qui tue, madame, pas moi... Nous prendrons toutes les précautions, c'est-à-dire que la petite maladie qui protège, nous te la donnerons progressivement en te faisant chaque jour pendant dix jours une simple petite piqûre... Tu n'auras pas peur?
JOSEPH MEISTER - Non! Est-ce que ça va me faire très mal?
PASTEUR - Non, le traitement ne fait pas mal, rassure-toi.
JOSEPH MEISTER - Et puis après, qu'est ce qui se passera?
PASTEUR - Et puis après, quand la grande maladie, celle que t'a donnée le chien, arrivera à ton cerveau, tu seras devenu plus fort qu'elle et elle ne pourra plus rentrer. Elle sera vaincue et tu seras guéri... Peut-être!
JOSEPH MEISTER - Oui. Je comprends. Il faut que je devienne assez fort pour...
PASTEUR - Exactement : c'est ça un vaccin. Devenir plus fort que la maladie. Tu veux toujours ?
JOSEPH MEISTER – Oui, monsieur Pasteur.

- 3 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Le petit Joseph a été vacciné et quelques jours se sont écoulés. Pasteur ne peut pas s'empêcher d'âtre anxieux. Sa femme craint pour sa santé...
MADAME PASTEUR - Mon mari est très fatigué, docteur Grancher. Ces dix jours d'attente l'ont épuisé... Il ne faut pas oublier qu'il est lui-même un homme malade!
LE DOCTEUR GRANCHER - Chère madame, maintenant que les vaccinations sont terminées, il ne peut rien faire de plus. Emmenez-le donc se reposer...
MADAME PASTEUR - Il ne voudra jamais!
LE DOCTEUR GRANCHER - Mais il n'y a plus qu'à attendre! Attendre les six semaines, c'est long, je sais. Mais que voulez-vous faire d'autre. Regardez, le petit Joseph joue dans le jardin comme s'il n'était jamais rien arrivé. Ses morsures sont presque cicatrisées. Allez donc à Arbois: votre mari adore se retrouver dans son Jura natal... Je vous tiendrai au courant.
MADAME PASTEUR - Je vais essayer de le convaincre…

- 4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Finalement, Pasteur a consenti à aller tranquillement attendre le résultat de sa vaccination dans le Jura, à Arbois, où se trouve sa maison de famille.
PASTEUR - Cette attente est insupportable.
MADAME PASTEUR - Pourtant les nouvelles sont bonnes. Le docteur Grancher nous en envoie tous les trois ou quatre jours et elles arrivent ponctuellement… Ces chemins de fer français marchent magnifiquement! Jusqu'ici, tout va bien…
PASTEUR - Je crois que je n'ai jamais été aussi angoissé de ma vie…
MADAME PASTEUR - Je t'en prie, mon chéri, calme-toi! L'été ici est éblouissant, tâche d'en profiter. Grancher a renvoyé l'enfant chez lui: il ne l'aurait jamais fait s'il avait senti la moindre défaillance…
PASTEUR – Et si je m'étais trompé, si le vaccin ne marchait pas sur l'homme, s'il déclenchait des réactions imprévisibles, s'il ne faisait que retarder l'issue fatale, s'il allait même au contraire rendre la maladie plus virulente… Je sais c'est absurde… Non, ce n'est pas absurde: la vie est tellement mystérieuse. Personne n'y comprend rien!
MADAME PASTEUR - Si ce que tu dis était vrai, il se serait déjà produit quelque chose d'anormal.
PASTEUR - Peut-être que oui, peut-être que non… C'est comme si j'avais joué ma vie sur un dernier coup de poker. Ma vie et la sienne. Avais-je le droit de faire ce que j'ai fait?
MADAME PASTEUR - Il serait mort si tu ne l'avais pas fait… Maintenant, après huit semaines - deux semaines de plus que le délai habituel - n'es-tu pas définitivement rassuré? De toute façon la prochaine lettre sera décisive. Je vais voir si elle n'est pas arrivée… La voilà!
PASTEUR - (décachetant puis lisant en tremblant) Aaaah … (long silence) Oui, tu avais raison, tout va bien!
MADAME PASTEUR - Dieu soit loué!
PASTEUR - J'avais donc le droit de faire ce que j'ai fait... (attente) Il y a tout à coup en moi quelque chose qui se dénoue! Et s'il est vraiment vrai que le vaccin a guéri Joseph Meister, peut-être venons-nous de faire un pas sur la voie qui conduira l'humanité à triompher des maladies contagieuses. Ce serait alors des millions de vies qui pourraient être sauvées.
MADAME PASTEUR – Mon grand benêt, est-ce que cela ne te suffit pas?
PASTEUR - Si, tout à fait, cela me comble! Viens m'embrasser…

RAPPEL HISTORIQUE

Pasteur a vécu de 1822 à 1895. Il était chimiste, mais ses recherches l'amenèrent à traiter des problèmes qui relevaient de la médecine: et de fait, bien que non-médecin, il peut être considéré comme le fondateur de la médecine qui porte d'ailleurs son nom, la médecine pasteurienne. Pasteur est avec Victor Hugo le grand homme de la Troisième République. Il eut droit à de somptueuses funérailles nationales.
Il s'intéressa d'une façon très générale aux maladies causées par ce qu'on appelait "les microbes". Il se pencha d'abord, à la demande des professions concernées, sur les maladies du vin, du lait, de la bière… Puis sur les maladies des vers à soie, des moutons, des poules…
Et justement, pendant qu'il s'occupe de la maladie dite du choléra des poules, il fait une constatation qui va éclairer tout le reste de sa carrière… Il a donc préparé, comme il en avait l'habitude, des cultures de virus (c'est à dire qu'il a isolé le virus et qu'il l'a placé dans un flacon où il le maintient en vie…) Et puis (cela se passe pendant l'été 1879), au lieu de se servir immédiatement de ce virus, il l'oublie et part en vacances. A son retour, il inocule des poules avec du virus de ce flacon et, à son grand étonnement, les poules ne tombent pas malades! Qu'à cela ne tienne, puisque le virus en question n'est plus actif, on va réinjecter aux mêmes poules et à d'autres un autre virus actif, tout frais. Mais celles qui on reçu la première injection ne tombent toujours pas malades.
Pasteur hésite un instant, puis comme dans un éclair, il comprend que son virus vieilli à "vacciné" les poules. Il tient le principe de toute vaccination qui consiste à injecter au patient un "virus atténué" qui met l'organisme en état de résister par la suite à l'attaque du "virus virulent".
C'est à la suite de cette intuition inattendue (Pasteur aurait pu tout aussi bien jeter le flacon de virus vieilli sans lui porter davantage d'attention!) que fut fondé l'Institut Pasteur, de renommée internationale, où furent mis au point de nouveaux vaccins et ou de nombreux chercheurs, dans le monde entier, se mirent à travailler dans la foulée de Pasteur.
Les principaux vaccins actuellement utilisés sont les vaccins contre le CHOLÉRA, la COQUELUCHE, la DIPHTÉRIE, la FIÈVRE JAUNE, la GRIPPE, les OREILLONS, la PESTE, la POLIOMYÉLITE, la RAGE, la ROUGEOLE, la RUBÉOLE, le TÉTANOS, la TUBERCULOSE, la VARIOLE…. Sans parler des vaccins animaux tel que le vaccin contre la fièvre aphteuse ou contre la maladie du charbon.
Si l'on songe que la médecine pasteurienne s'est étendue rapidement dans le monde entier, y compris dans les pays que nous appelons maintenant en voie de développement, où de nombreux enfants furent sauvés d'une mort prématurée, on touche du doigt l'importance de Pasteur dans l'histoire du monde. Mais, s'il a sauvé beaucoup de vies, il est aussi à l'origine de l'immense poussée démographique du siècle dernier dont les conséquences sont en train de se faire dramatiquement sentir (surpopulation, famines, émigration…)