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Déposé à la SACD

MICHEL-ANGE ET LE PLAFOND
DE LA CHAPELLE SIXTINE

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES
Le Pape, Jules II, 62 ans, forte personnalité, petite barbe blanche, très belliqueux.
Michel-Ange, 30 ans, petit, le visage torturé, avec des yeux de feu.
L'historien de service, qui intervient pour assurer les liaisons entre les actes.


L'HISTORIEN DE SERVICE – Nous sommes au début du seizième siècle, à Rome. Michel-Ange le sculpteur entre en conflit avec le Pape Jules II. Ils ont l'un et l'autre des caractères difficiles. Mais, même si le Pape est tout-puissant, le prestige de Michel-Ange est tel que le Pape doit transiger avec lui. Le heurt de ces deux personnalités donne naissance à quelques chefs-d'œuvre, dont le plafond de la chapelle Sixtine et la statue de Moïse.

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LE PAPE - Michel-Ange, on m'a dit que tu étais le plus grand des sculpteurs vivants.
MICHEL-ANGE - Votre Sainteté… Je l'ai entendu dire aussi.
LE PAPE - Je te veux à mon service… J'ai décidé que tu allais me sculpter un tombeau.
MICHEL-ANGE - Un tombeau! Votre sainteté est encore bien vivante…
LE PAPE - Allons, allons, nous mourrons tous un jour et je ne veux pas qu'on m'oublie. Donc un tombeau monumental… Trois étages de statues de marbre! A la base, en guise de colonnes, une vingtaine d'esclaves géants; au dessus, les grands personnages de la Bible, Moïse, saint Paul… etc.; et au sommet, entouré d'anges sonnant de la trompette, le tombeau lui-même. Où je reposerai.
MICHEL-ANGE - Et où mettrons-nous ce monument prestigieux?
LE PAPE - Au centre de la basilique Saint-Pierre, au cœur de la chrétienté! Je ne risquerai pas de passer inaperçu. Au travail… (il sort)

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L'HISTORIEN DE SERVICE - Donc, Michel-Ange se met au travail, mais le marbre coûte très cher, et le Pape, qui est aussi avare que mégalomane, n'a pas envie de payer. D'autant qu'il commence à se demander si ce tombeau, c'est vraiment une bonne idée. Un beau jour, il refuse donc de recevoir Michel-Ange. Michel-Ange se fâche et s'en retourne chez lui, à Florence. Le Pape est furieux…
LE PAPE - Ainsi donc, Michel-Ange, depuis Bologne, où je suis maintenant, il aura fallu que je te fasse chercher à Florence.
MICHEL-ANGE - Très Saint Père, vous m'aviez offensé…
LE PAPE - Je t'avais offensé, je t'avais offensé… voilà un bien grand mot pour un si petit personnage!
MICHEL-ANGE - Je suis un libre artiste de la république de Florence…
L'HISTORIEN DE SERVICE - Je vais jouer le rôle du cardial Soderini, qui intervint alors maladroitement dans la querelle. Il dit: "Votre Sainteté, il faut pardonner la conduite de Michel-Ange. Michel-Ange est un artiste. Et les artistes sont des gens ignorants, grossiers, mal élevés, on ne doit pas leur garder rigueur de leurs balourdises." Et le Pape piqua une terrible colère…
LE PAPE - Cardinal Soderini, tu viens de te montrer à l'égard de Michel-Ange plus insultant que je n'aurais pu l'être moi-même. Le balourd, le grossier, l'ignorant c'est toi. Hors de ma vue, cardinal!
L'HISTORIEN DE SERVICE - Et devant la colère du Pape, le cardinal s'enfuit sous les huées!
LE PAPE - A nous deux, maintenant, mon cher Michel-Ange. Bien que Pape, j'adore faire la guerre et je viens de conquérir Bologne. Je veux y laisser un souvenir de mon passage. Il faut que tu me fasses illico une statue de moi, de moi en vêtements de cérémonie, avec la tiare sur la tête.
MICHEL-ANGE - Mais très Saint Père, et le tombeau…?
LE PAPE - Tais-toi. Le tombeau, un autre jour…Une statue que tu couleras en bronze. Trois fois plus grande que nature. Que ça en jette!
MICHEL-ANGE - Mais, votre Sainteté, le bronze n'est pas mon métier. Je ne sais sculpter que le marbre.
LE PAPE - Je ne veux pas le savoir. Tu placeras cette statue monumentale au dessus du portail principal de la cathédrale: comme ça les Bolognais me verront chaque fois qu'ils y entreront.

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L'HISTORIEN DE SERVICE - Et Michel-Ange coula en effet en bronze une gigantesque statue de Jules II. Il utilisa pour cela les canons capturés par les "héroïques" troupes papales. Puis il revint à Rome et voulut se remettre au tombeau du Pape…
LE PAPE - Michel-Ange, j'ai changé d'avis: plus de tombeau, cela me porterait malheur.
MICHEL-ANGE - Mais j'ai déjà commandé les marbres. On les a extrait des prestigieuses carrières de Carrare. Et j'ai déjà commencé à sculpter… Ca a déjà coûté très cher!
LE PAPE - Ne sois pas mesquin! J'ai décidé de te confier la décoration de la chapelle Sixtine. Tu m'y feras une belle fresque. Le plafond de la Sixtine, ça ne te fait pas saliver?
MICHEL-ANGE - Mais ça n'est pas mon métier! Je ne suis pas peintre, je suis sculpteur…
LE PAPE - Tu m'as déjà dit ça une fois! Et j'ai eu raison de ne pas te croire. Sur ce plafond tu représenteras… voyons, par exemple les Douze Apôtres. C'est un beau sujet, non? Au travail.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Et Michel-Ange s'en alla contempler le plafond blanc de la chapelle Sixtine. Puis il revint voir le Pape, qui ce jour-là était d'assez bonne humeur…
LE PAPE – Donc, ça ne te plaît pas de peindre les douze apôtres?
MICHEL-ANGE - Je ne sens pas bien le sujet...
LE PAPE - Michel Ange, ne m'énerve pas... Est-ce que les douze apôtres seraient indignes de toi? Je suis pourtant le successeur de Pierre, le premier des apôtres.
MICHEL-ANGE - Oui, mais n'oubliez pas que vous êtes aussi le représentant de Dieu!
LE PAPE - Bien sûr. Et alors… que veux-tu dire?
MICHEL-ANGE - …De Dieu qui a créé le ciel et la terre. C'est son titre de gloire!
LE PAPE - Oui, naturellement! Où veux-tu en venir?
MICHEL-ANGE - Sur la voûte, je ne veux pas peindre autre chose que Dieu créant le Monde.
LE PAPE - C'est toi qui te prends pour Dieu le Père… Bientôt, tu me donneras des ordres!
MICHEL-ANGE - Peut-il y avoir désaccord entre Dieu et son représentant?
LE PAPE - La création, la création, c'est beaucoup plus difficile que les douze apôtres! Eh bien, qu'est ce que tu attends, vas-y, peins-la, ta création! Tu l'auras voulu. Mais je ne te donnerai pas un sou de plus!

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L'HISTORIEN DE SERVICE - Michel-Ange se mit au travail… Et il s'écoula trois ans. Trois ans de labeur acharné… Le plafond de la Sixtine était immense, presque aussi grand que la création! Impatient, le pape vint voir où en était le travail...
LE PAPE - Eh bien, où en es-tu? Nous sommes impatients de voir ce que tu as fait!
MICHEL-ANGE - Le moment n'est pas encore venu!
LE PAPE - L'échafaudage sur lequel tu peins cache ton travail. Comment pourrions-nous juger?
MICHEL-ANGE - Vous n'avez pas à juger… Je suis un artiste!
LE PAPE - Vraiment! Et qui jugera donc? Et encore une fois, quand est-ce que ce sera fini?
MICHEL-ANGE - Vous m'énervez! Ce sera fini quand ce sera fini.
LE PAPE - (imitant Michel-Ange) "Vous m'énervez, ce sera fini quand ce sera fini." Est-ce comme ça qu'on parle au Pape? Tu n'es qu'un coquin! (Il donne un coup de canne à Michel-Ange)
MICHEL-ANGE - (long silence) Cela, je ne peux le supporter… Je m'en vais (il sort).
L'HISTORIEN DE SERVICE - Jules II envoya un émissaire à la poursuite de Michel-Ange. L'émissaire dit: "Un Pape ne peut pas s'excuser. Mais il m'a chargé de vous dire qu'en fait… il regrette. Et il vous envoie cinq cents ducats…" Et comme Michel-Ange n'avait vraiment qu'une envie, qui était, pape ou pas pape, de finir son plafond, il revint et se remit au travail…
LE PAPE - Allons, allons, quatre ans déjà! Cette fois, mon vieil ami, il faut en finir…
MICHEL-ANGE - Il faut encore que je rehausse d'or et de bleu certaines draperies…
LE PAPE – Je t'en dispense… Le jour de la Toussaint, je célèbrerai la messe dans cette chapelle. Enlève pour la dernière fois ces échafaudages… Et laisse-moi tout voir maintenant d'un seul coup d'œil… (un temps) Michel-Ange, merci. Le plafond de la Sixtine est un chef d'œuvre éternel. J'ai eu raison de te faire confiance et je te demande pardon de m'être emporté si souvent… Tu vois, malgré soi on devient bon en vieillissant!
MICHEL-ANGE - Ce fut un plaisir, très Saint Père, ce fut un plaisir. Mais il est temps pour moi de revenir au marbre…
LE PAPE - Oui, d'autant plus que nous avons vraiment pris de l'âge, que nous nous sommes fatigués à faire la guerre et que…
MICHEL-ANGE - Vous voulez dire que vous songez de nouveau à votre tombeau?
LE PAPE - Oui, Michel-Ange, je crois qu'il est temps que nous en reparlions. Il faut que tu reprennes maintenant ton ouvrage. Et, ma foi, tu l'achèveras après ma mort…
L'HISTORIEN DE SERVICE - Ainsi se termine l'histoire de la rencontre de Jules II et de Michel-Ange, dont les disputes tinrent en haleine l'Italie de la Renaissance et marquèrent un moment important de l'histoire de l'Art.


RAPPEL HISTORIQUE

Michel-Ange est né en 1475 près le la ville de Florence. Il était d'une famille modeste et ne fit que des études très sommaires. Devenu apprenti-peintre et apprenti-sculpteur, il est rapidement remarqué par le grand Laurent de Médicis, dit Laurent le Magnifique, qui l'accueille chez lui et favorise son apprentissage de la sculpture. Un des ses premiers chefs d'œuvre est la statue géante de David, qui se trouve encore actuellement devant le Vieux Palais de Florence…
Le pape Jules II, le plus belliqueux de tous les papes, entend parler de Michel-Ange et veut se donner la gloire d'en faire un de ses artistes. Les deux hommes, d'égale stature, se heurtent violemment… D'où résulte le plafond de la chapelle Sixtine, comme cela est expliqué dans la pièce. Après la mort de Jules II, Michel-Ange ne finira pas le tombeau tel qu'il avait été prévu à l'origine, mais quelques-unes des statues qu'il avait faites alors deviendront très célèbres, tel le Moïse, ou Les captifs…
L'histoire de Michel-Ange et de Jules II se situe dans la période appelée La Renaissance où, après des siècles d'un très strict et très pudique catholicisme, le monde redécouvre la liberté et les valeurs de l'Antiquité gréco-romaine. Dans les arts graphiques, cela conduit en particulier à dépouiller les personnages de leurs vêtements pour les montrer "tels que Dieu les a faits". Et en effet tous les personnages des fresques de Michel-Ange sont nus et très beaux, ce qui en scandalisa beaucoup.
La sculpture est un art héroïque, qui demande de gros efforts physiques, prend beaucoup de temps et ne permet pas la moindre erreur. Elle était à l'époque de Michel-Ange d'autant plus difficile que les énormes blocs de marbre nécessaires devaient être d'abord extraits des hautes carrières de Carrare et laborieusement transportés par terre et par mer jusqu'aux ateliers des sculpteurs. Un sculpteur pouvait travailler deux ou trois ans à la même statue. Le premier projet du tombeau de Jules II aurait demandé peut-être cinquante ans de travail…
La fresque est aussi un art difficile. Il s'agit de peindre rapidement par petits morceaux sur une surface de plâtre frais. Là non plus, on ne pouvait pas se reprendre. Il était nécessaire de faire un plan d'ensemble sur des feuilles de papier et de reporter chaque jour sur le plâtre ce qu'il était possible de peindre dans la journée.
Michel-Ange est un des plus grands artistes du monde. Tous les sujets qu'il traita, il les traita avec une générosité, une précision, une grandeur, une éloquence et une simplicité qui l'imposent encore aujourd'hui à tous les regards. Il est le contemporain d'une pléiade de grands hommes tels que Léonard de Vinci, Galilée, Luther, Érasme… pour ne rien dire de Charles Quint, François I et Henri VIII qui régnaient alors en Espagne, en France et en Angleterre.