Pour lui donner une date et le protéger littérairement,
ce texte a été déposé en février 2004 à
la SACD
(Société des auteurs et compositeurs dramatiques).
Mais vous pouvez le copier et l'utiliser librement.
Seules les représentations publiques sont à déclarer.
MAGELLAN ET LE TOUR DU MONDE
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES :
Magellan, hardi navigateur, dans la force de l'âge,
Charles Quint, roi d'Espagne et seigneur de bien d'autres lieux,
Le roi du Portugal,
Le pilote de Magellan,
Le ministre.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Magellan, capitaine de vaisseau portugais, a navigué
sur toutes les mers des Indes. Maintenant, il veut prouver que la terre est
ronde et que l'on peut faire le tour du monde. Ainsi on pourrait accéder
aux Indes, non seulement par l'Est en contournant l'Afrique, mais aussi par
l'Ouest en contournant cette fois-ci l'Amérique. Mais les Portugais ne
veulent pas financer son expédition.
- 1 -
MAGELLAN - Ö roi de Portugal, je suis Magellan, un de vos capitaines de
vaisseau.
LE ROI DU PORTUGAL – Oui, je vous connais. Que désirez-vous? Nous
sommes pressés…
MAGELLAN - Votre Majesté, peut-être êtes-vous pressé
mais moi, je peux dire que j'ai pris tout mon temps à bourlinguer pendant
dix ans pour vous servir sur toutes les côtes de l'Afrique, des Indes
et de l'Indonésie!
LE ROI DU PORTUGAL - Nous savons cela. Et aussi que vous nous avez rapporté
de l'or, des esclaves et des épices.
MAGELLAN - Oui, votre Majesté. J'ai même été jusqu'aux
îles Moluques où j'ai découvert les précieux clous
de girofle grâce auxquels nous pouvons conserver nos viandes. Et je n'en
suis pas peu fier.
LE ROI DU PORTUGAL - J'en suis très fier moi aussi et je vous en remercie.
Et maintenant? Vite, s'il vous plaît.
MAGELLAN - Et maintenant j'en ai assez des clous de girofle et je voudrais voler
de mes propres ailes. J'ai pour ambition de faire le tour du monde… Je
voudrais prouver que la terre est définitivement ronde. Être le
premier à faire le tour du monde… j'en rêve!
LE ROI DU PORTUGAL - Cet homme est fou. De faire le tour de la terre, si par
hasard elle est ronde, je ne vois pas à quoi ça sert. Et ça
ne rapporte rien. Retournez à vos clous de girofle. Ca, ça sert
à quelque chose. Vous pouvez disposer…
- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Magellan se retourne alors vers le roi d'Espagne,
Charles Quint, qui lui fait bon accueil.
CHARLES QUINT - Hep là, jeune homme…
MAGELLAN - Oui?
CHARLES QUINT – Qui êtes-vous?
MAGELLAN – Je m'appelle Magellan.
CHARLES QUINT – Moi, je suis le roi d'Espagne. Je m'appelle Charles Quint,
j'ai vingt ans et je vais devenir un immense empereur. Et naturellement, je
comprends les hommes courageux qui veulent s'emparer du monde. Puisque vous
cherchez du service, je vous embauche.
MAGELLAN - Vous m'embauchez! Vraiment?
CHARLES QUINT - Oui, pour faire le tour du monde en mon nom. Je vous donnerai
une escadre dont je vous nomme dès à présent grand amiral.
Vous planterez notre drapeau sur les plages inconnues. Quand partez-vous?
MAGELLAN - Le temps de radouber les vaisseaux, de trouver des marins, de faire
des provisions…
CHARLES QUINT - Oui, cela est juste. Et comment comptez-vous vous y prendre?
MAGELLAN - Majesté, d'un côté de la terre, à l'Est,
il y a l'Afrique et les possessions portugaises, qu'à conquises Vasco
de Gama (il marche vers la droite) de l'autre coté, à l'Ouest,
l'Amérique et les possessions espagnoles (il marche vers la gauche),
que vous a données le très estimable Christophe Colomb.
CHARLES QUINT - Cela est bien comme cela. C'est le Pape qui a fait le partage.
MAGELLAN - Moi, je prétends, ce que le Pape ne savait pas, que l'Amérique
aux Indes, il y a un océan et que nous pouvons naviguer d'un domaine
à l'autre en passant pour ainsi dire de l'autre côté de
la terre. Ainsi pourrait-on arriver très légitimement chez les
Portugais par la voie de l'Ouest… Il est essentiel à votre gloire
de savoir exactement ce qu'il en est.
CHARLES QUINT - En effet, nous voulons le savoir. Allez: vous aurez tout mon
soutien.
3 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Ayant armé les bateaux dont il avait besoin,
Magellan prend la mer. Il dialogue avec son pilote, qui n'est pas très
rassuré...
MAGELLAN – Enfin, après deux ans de préparatifs, nous voici
enfin partis pour faire le tour du monde… A toi de jouer, pilote!
LE PILOTE – Pour le moment, nous traversons l'Atlantique et cinglons droit
vers les Amériques. C'est une barrière redoutable que nul n'a
jamais franchie, capitaine…
MAGELLAN - Et moi, je sais qu'il y a quelque part à travers les Amériques
un passage pour aller vers cet Océan qui est de l'autre côté
de la terre.
LE PILOTE – En êtes-vous sûr?
MAGELLAN - Je n'en suis pas sûr, je le veux.
LE PILOTE - Nous sommes déjà depuis plusieurs mois à la
recherche de ce passage et nous avons exploré toutes les golfes de la
côte: mais hélas, ce ne sont que des embouchures d'immenses fleuves.
Et nous sommes maintenant descendus bien bas dans le Sud. Et l'hiver arrive!
MAGELLAN - S'il le faut, nous hivernerons ici…
LE PILOTE - Il fait déjà très froid! L'équipage
est gelé, il proteste, il se rebelle…
MAGELLAN - Ce sont des lâches et je suis tout à fait prêt
à couper deux ou trois têtes… Ensuite, au dégel, nous
descendrons au plus près du pôle Sud: je veux, je vous l'ai dit,
je veux qu'il y ait un passage.
LE PILOTE - Vous êtes un homme qui sait si terriblement ce qu'il veut
qu'il se pourrait que Dieu vous ait obéi… Un passage? Le voici
peut-être… Nous l'explorons… Quel labyrinthe de détroits
et de falaises… Quelle terrible épreuve!
MAGELLAN - Allez-y! Je ne me suis pas abaissé jusqu'à demander
à Dieu de me faciliter la tâche.
LE PILOTE - Nous allons et venons… Les montagnes nous surplombent de tous
côtés. Nous n'avons presque plus de vivres et la terreur m'envahit.
Déjà plus de 300 milles de parcourus… Nous ne pourrons jamais
revenir.
MAGELLAN - Pilote, nous n'aurons jamais à revenir: nous avons réussi!
Regardez cette mer interminable qui s'ouvre devant nous! Finies les montagnes,
finis les détroits… Nous avons traversé ce que l'on appellera
désormais "le Détroit de Magellan".
LE PILOTE - C'est bien le moins que vous lui donniez votre nom, capitaine.
MAGELLAN – Et ainsi nous avons ouvert une porte sur un nouvel Océan.
Mon Dieu, merci! Nous cinglons maintenant vers les îles portugaises de
l'Inde…
LE PILOTE - Par les cornes du diable, que c'est long, que c'est long, cet Océan
pacifique… Cette fois nous n'avons plus rien, mais plus rien à
manger, que le cuir de nos souliers.
MAGELLAN - Pilote d'enfer, notre récompense est là: voici enfin
les îles Moluques où les Portugais trouvent leurs précieux
clous de girofle.
LE PILOTE - Ah, les clous de girofle! On y venait d'ordinaire par l'est, nous,
nous y sommes arrivés par l'ouest. Vous aviez raison: victoire!
MAGELLAN - Ca y est: la terre est ronde et nous allons bientôt avoir fait
le tour du monde.
4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Quant à la fin de l'histoire, qui n'est
pas aussi heureuse, Charles Quint se la fait raconter par son ministre.
CHARLES QUINT - Et alors, ça s'est terminé comment?
LE MINISTRE - Eh bien, ce malheureux Magellan, tout content d'avoir découvert
son détroit et traversé le Pacifique, s'est fait massacrer en
se pavanant devant une misérable tribu locale…
CHARLES QUINT - Ah, quelle catastrophe, un si grand capitaine!
LE MINISTRE - Et le seul rescapé des cinq bateaux de sa flotte est rentré
en se cachant à travers l'Océan indien et le long des côtes
de l'Afrique…
CHARLES QUINT - Pourquoi en se cachant?
LE MINISTRE - Mais parce que les Portugais, sur les mers desquels il se trouvait,
étaient furieux. Ils voulaient absolument empêcher l'équipe
espagnole, la nôtre, de parvenir à ses fins.
CHARLES QUINT - Ah oui, notre vieille rivalité…
LE MINISTRE - Mais finalement, le Victoria - c'est le nom de ce dernier bateau
- sous le commandement du capitaine Sébastien del Cano, est rentré
sous les acclamations dans le port de Séville, d'où il était
parti deux ans auparavant, ayant ainsi bouclé son tour du monde. Vive
l'Espagne!
CHARLES QUINT - Donc, la terre est ronde?
LE MINISTRE - Incontestablement.
CHARLES QUINT - Sa Sainteté va en faire une maladie. Tel que je le connais…
LE MINISTRE – Laissez là le Pape… Les Portugais eux, étaient
d'autant plus furieux que le Victoria était bourré de clous de
girofle en provenance de leurs îles Moluques, dont la vente a largement
payé tous les frais de l'expédition.
CHARLES QUINT - Et le fait que Magellan, lui-même portugais, ait conduit
notre nation espagnole à la victoire, vous imaginez-vous que cela va
les laisser indifférents? Allons, nous allons avoir à panser beaucoup
de blessures d'amour-propre
RAPPEL HISTORIQUE
A la fin du XVe siècle, les Espagnols et les Portugais partirent au
delà des mers à la conquête des terres inconnues. Qu'allaient-ils
chercher? Essentiellement des colonies, des esclaves, de l'or, des épices…
Avec la bénédiction de l'Église, bien entendu, qui espérait
convertir des peuples inconnus. Les colonies, les esclaves, l'or… C'est
clair. Mais les épices: de quoi s'agit-il? Le poivre, le gingembre, la
cannelle, l'encens, la noix muscade, le camphre, la noix de cola, sont des produits
tropicaux ou subtropicaux, en provenance en particulier de l'Orient et de l'Extrême-Orient.
Ils sont très prisés en Europe, où ils permettent non seulement
de donner du goût aux aliments fades, mais surtout de conserver les viandes
sans qu'elles pourrissent.
Devant passer de nombreuses fois par mers et déserts, de bateaux à
dos de chameau, et payer tribut à des multitudes de pouvoirs locaux avant
de débarquer à Venise ou à Marseille, les épices
étaient jusque-là malheureusement d'importation difficile, …
L'idée d'aller directement en bateau sur les lieux de production et de
les ramener sans rupture de charge par voie de mer avec d'énormes profits
hante les esprits des marins. En particulier des marins portugais.
Les Portugais en effet sont les premier à contourner la pointe de l'Afrique
(cap de Bonne Espérance) et à débarquer directement en
Extrême-Orient (Vasco de Gama: 1499)… En particulier au point extrême
des îles Moluques (Indonésie), où l'on cultive le clou de
girofle, souverain pour la conservation des viandes (… Il y a quelques
années les dentistes s'en servaient encore pour désinfecter les
dents cariées!) Quant aux marins espagnols, c'est du côté
de l'Amérique qu'ils se dirigent principalement. Et en effet, afin d'éviter
les rivalités et les combats entre ces deux grandes nations chrétiennes,
le Pape leur a partagé le gâteau. Le traité de Tordesillas
(1494) délimite sous l'autorité du pape leurs zones d'influence
respectives, laissant l'Afrique et l'Orient aux Portugais, accordant aux Espagnols
une Amérique tout juste découverte (1492)
En faisant ceci, le Pape a raisonné comme si la terre était plate:
on envoie les uns d'un côté, les autres de l'autre, comme ça
on est sûr qu'il ne se rencontreront pas. Oui, mais si la terre est ronde,
comme Christophe Colomb en est persuadé et comme on en avançait
de plus en plus l'hypothèse? Dans ce cas-là, il y devrait y avoir
entre l'Extrême-Orient et l'Amérique une mer, plus ou moins large
sur la quelle Espagnols et Portugais pourraient se retrouver face à face…
Mais personne n'en a encore apporté la preuve. C'est ce que fait Magellan
en 1519…
Déposé à la SACD
MAGELLAN ET LE TOUR DU MONDE
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES :
Magellan, hardi navigateur, dans la force de l'âge,
Charles Quint, roi d'Espagne et seigneur de bien d'autres lieux,
Le roi du Portugal,
Le pilote de Magellan,
Le ministre.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Magellan, capitaine de vaisseau portugais, a navigué
sur toutes les mers des Indes. Maintenant, il veut prouver que la terre est
ronde et que l'on peut faire le tour du monde. Ainsi on pourrait accéder
aux Indes, non seulement par l'Est en contournant l'Afrique, mais aussi par
l'Ouest en contournant cette fois-ci l'Amérique. Mais les Portugais ne
veulent pas financer son expédition.
- 1 -
MAGELLAN - Ö roi de Portugal, je suis Magellan, un de vos capitaines de
vaisseau.
LE ROI DU PORTUGAL – Oui, je vous connais. Que désirez-vous? Nous
sommes pressés…
MAGELLAN - Votre Majesté, peut-être êtes-vous pressé
mais moi, je peux dire que j'ai pris tout mon temps à bourlinguer pendant
dix ans pour vous servir sur toutes les côtes de l'Afrique, des Indes
et de l'Indonésie!
LE ROI DU PORTUGAL - Nous savons cela. Et aussi que vous nous avez rapporté
de l'or, des esclaves et des épices.
MAGELLAN - Oui, votre Majesté. J'ai même été jusqu'aux
îles Moluques où j'ai découvert les précieux clous
de girofle grâce auxquels nous pouvons conserver nos viandes. Et je n'en
suis pas peu fier.
LE ROI DU PORTUGAL - J'en suis très fier moi aussi et je vous en remercie.
Et maintenant? Vite, s'il vous plaît.
MAGELLAN - Et maintenant j'en ai assez des clous de girofle et je voudrais voler
de mes propres ailes. J'ai pour ambition de faire le tour du monde… Je
voudrais prouver que la terre est définitivement ronde. Être le
premier à faire le tour du monde… j'en rêve!
LE ROI DU PORTUGAL - Cet homme est fou. De faire le tour de la terre, si par
hasard elle est ronde, je ne vois pas à quoi ça sert. Et ça
ne rapporte rien. Retournez à vos clous de girofle. Ca, ça sert
à quelque chose. Vous pouvez disposer…
- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Magellan se retourne alors vers le roi d'Espagne,
Charles Quint, qui lui fait bon accueil.
CHARLES QUINT - Hep là, jeune homme…
MAGELLAN - Oui?
CHARLES QUINT – Qui êtes-vous?
MAGELLAN – Je m'appelle Magellan.
CHARLES QUINT – Moi, je suis le roi d'Espagne. Je m'appelle Charles Quint,
j'ai vingt ans et je vais devenir un immense empereur. Et naturellement, je
comprends les hommes courageux qui veulent s'emparer du monde. Puisque vous
cherchez du service, je vous embauche.
MAGELLAN - Vous m'embauchez! Vraiment?
CHARLES QUINT - Oui, pour faire le tour du monde en mon nom. Je vous donnerai
une escadre dont je vous nomme dès à présent grand amiral.
Vous planterez notre drapeau sur les plages inconnues. Quand partez-vous?
MAGELLAN - Le temps de radouber les vaisseaux, de trouver des marins, de faire
des provisions…
CHARLES QUINT - Oui, cela est juste. Et comment comptez-vous vous y prendre?
MAGELLAN - Majesté, d'un côté de la terre, à l'Est,
il y a l'Afrique et les possessions portugaises, qu'à conquises Vasco
de Gama (il marche vers la droite) de l'autre coté, à l'Ouest,
l'Amérique et les possessions espagnoles (il marche vers la gauche),
que vous a données le très estimable Christophe Colomb.
CHARLES QUINT - Cela est bien comme cela. C'est le Pape qui a fait le partage.
MAGELLAN - Moi, je prétends, ce que le Pape ne savait pas, que l'Amérique
aux Indes, il y a un océan et que nous pouvons naviguer d'un domaine
à l'autre en passant pour ainsi dire de l'autre côté de
la terre. Ainsi pourrait-on arriver très légitimement chez les
Portugais par la voie de l'Ouest… Il est essentiel à votre gloire
de savoir exactement ce qu'il en est.
CHARLES QUINT - En effet, nous voulons le savoir. Allez: vous aurez tout mon
soutien.
3 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Ayant armé les bateaux dont il avait besoin,
Magellan prend la mer. Il dialogue avec son pilote, qui n'est pas très
rassuré...
MAGELLAN – Enfin, après deux ans de préparatifs, nous voici
enfin partis pour faire le tour du monde… A toi de jouer, pilote!
LE PILOTE – Pour le moment, nous traversons l'Atlantique et cinglons droit
vers les Amériques. C'est une barrière redoutable que nul n'a
jamais franchie, capitaine…
MAGELLAN - Et moi, je sais qu'il y a quelque part à travers les Amériques
un passage pour aller vers cet Océan qui est de l'autre côté
de la terre.
LE PILOTE – En êtes-vous sûr?
MAGELLAN - Je n'en suis pas sûr, je le veux.
LE PILOTE - Nous sommes déjà depuis plusieurs mois à la
recherche de ce passage et nous avons exploré toutes les golfes de la
côte: mais hélas, ce ne sont que des embouchures d'immenses fleuves.
Et nous sommes maintenant descendus bien bas dans le Sud. Et l'hiver arrive!
MAGELLAN - S'il le faut, nous hivernerons ici…
LE PILOTE - Il fait déjà très froid! L'équipage
est gelé, il proteste, il se rebelle…
MAGELLAN - Ce sont des lâches et je suis tout à fait prêt
à couper deux ou trois têtes… Ensuite, au dégel, nous
descendrons au plus près du pôle Sud: je veux, je vous l'ai dit,
je veux qu'il y ait un passage.
LE PILOTE - Vous êtes un homme qui sait si terriblement ce qu'il veut
qu'il se pourrait que Dieu vous ait obéi… Un passage? Le voici
peut-être… Nous l'explorons… Quel labyrinthe de détroits
et de falaises… Quelle terrible épreuve!
MAGELLAN - Allez-y! Je ne me suis pas abaissé jusqu'à demander
à Dieu de me faciliter la tâche.
LE PILOTE - Nous allons et venons… Les montagnes nous surplombent de tous
côtés. Nous n'avons presque plus de vivres et la terreur m'envahit.
Déjà plus de 300 milles de parcourus… Nous ne pourrons jamais
revenir.
MAGELLAN - Pilote, nous n'aurons jamais à revenir: nous avons réussi!
Regardez cette mer interminable qui s'ouvre devant nous! Finies les montagnes,
finis les détroits… Nous avons traversé ce que l'on appellera
désormais "le Détroit de Magellan".
LE PILOTE - C'est bien le moins que vous lui donniez votre nom, capitaine.
MAGELLAN – Et ainsi nous avons ouvert une porte sur un nouvel Océan.
Mon Dieu, merci! Nous cinglons maintenant vers les îles portugaises de
l'Inde…
LE PILOTE - Par les cornes du diable, que c'est long, que c'est long, cet Océan
pacifique… Cette fois nous n'avons plus rien, mais plus rien à
manger, que le cuir de nos souliers.
MAGELLAN - Pilote d'enfer, notre récompense est là: voici enfin
les îles Moluques où les Portugais trouvent leurs précieux
clous de girofle.
LE PILOTE - Ah, les clous de girofle! On y venait d'ordinaire par l'est, nous,
nous y sommes arrivés par l'ouest. Vous aviez raison: victoire!
MAGELLAN - Ca y est: la terre est ronde et nous allons bientôt avoir fait
le tour du monde.
4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Quant à la fin de l'histoire, qui n'est
pas aussi heureuse, Charles Quint se la fait raconter par son ministre.
CHARLES QUINT - Et alors, ça s'est terminé comment?
LE MINISTRE - Eh bien, ce malheureux Magellan, tout content d'avoir découvert
son détroit et traversé le Pacifique, s'est fait massacrer en
se pavanant devant une misérable tribu locale…
CHARLES QUINT - Ah, quelle catastrophe, un si grand capitaine!
LE MINISTRE - Et le seul rescapé des cinq bateaux de sa flotte est rentré
en se cachant à travers l'Océan indien et le long des côtes
de l'Afrique…
CHARLES QUINT - Pourquoi en se cachant?
LE MINISTRE - Mais parce que les Portugais, sur les mers desquels il se trouvait,
étaient furieux. Ils voulaient absolument empêcher l'équipe
espagnole, la nôtre, de parvenir à ses fins.
CHARLES QUINT - Ah oui, notre vieille rivalité…
LE MINISTRE - Mais finalement, le Victoria - c'est le nom de ce dernier bateau
- sous le commandement du capitaine Sébastien del Cano, est rentré
sous les acclamations dans le port de Séville, d'où il était
parti deux ans auparavant, ayant ainsi bouclé son tour du monde. Vive
l'Espagne!
CHARLES QUINT - Donc, la terre est ronde?
LE MINISTRE - Incontestablement.
CHARLES QUINT - Sa Sainteté va en faire une maladie. Tel que je le connais…
LE MINISTRE – Laissez là le Pape… Les Portugais eux, étaient
d'autant plus furieux que le Victoria était bourré de clous de
girofle en provenance de leurs îles Moluques, dont la vente a largement
payé tous les frais de l'expédition.
CHARLES QUINT - Et le fait que Magellan, lui-même portugais, ait conduit
notre nation espagnole à la victoire, vous imaginez-vous que cela va
les laisser indifférents? Allons, nous allons avoir à panser beaucoup
de blessures d'amour-propre
RAPPEL HISTORIQUE
A la fin du XVe siècle, les Espagnols et les Portugais partirent au
delà des mers à la conquête des terres inconnues. Qu'allaient-ils
chercher? Essentiellement des colonies, des esclaves, de l'or, des épices…
Avec la bénédiction de l'Église, bien entendu, qui espérait
convertir des peuples inconnus. Les colonies, les esclaves, l'or… C'est
clair. Mais les épices: de quoi s'agit-il? Le poivre, le gingembre, la
cannelle, l'encens, la noix muscade, le camphre, la noix de cola, sont des produits
tropicaux ou subtropicaux, en provenance en particulier de l'Orient et de l'Extrême-Orient.
Ils sont très prisés en Europe, où ils permettent non seulement
de donner du goût aux aliments fades, mais surtout de conserver les viandes
sans qu'elles pourrissent.
Devant passer de nombreuses fois par mers et déserts, de bateaux à
dos de chameau, et payer tribut à des multitudes de pouvoirs locaux avant
de débarquer à Venise ou à Marseille, les épices
étaient jusque-là malheureusement d'importation difficile, …
L'idée d'aller directement en bateau sur les lieux de production et de
les ramener sans rupture de charge par voie de mer avec d'énormes profits
hante les esprits des marins. En particulier des marins portugais.
Les Portugais en effet sont les premier à contourner la pointe de l'Afrique
(cap de Bonne Espérance) et à débarquer directement en
Extrême-Orient (Vasco de Gama: 1499)… En particulier au point extrême
des îles Moluques (Indonésie), où l'on cultive le clou de
girofle, souverain pour la conservation des viandes (… Il y a quelques
années les dentistes s'en servaient encore pour désinfecter les
dents cariées!) Quant aux marins espagnols, c'est du côté
de l'Amérique qu'ils se dirigent principalement. Et en effet, afin d'éviter
les rivalités et les combats entre ces deux grandes nations chrétiennes,
le Pape leur a partagé le gâteau. Le traité de Tordesillas
(1494) délimite sous l'autorité du pape leurs zones d'influence
respectives, laissant l'Afrique et l'Orient aux Portugais, accordant aux Espagnols
une Amérique tout juste découverte (1492)
En faisant ceci, le Pape a raisonné comme si la terre était plate:
on envoie les uns d'un côté, les autres de l'autre, comme ça
on est sûr qu'ils ne se rencontreront pas. Oui, mais si la terre est ronde,
comme Christophe Colomb en est persuadé et comme on en avançait
de plus en plus l'hypothèse? Dans ce cas-là, il y devrait y avoir
entre l'Extrême-Orient et l'Amérique une mer, plus ou moins large
sur la quelle Espagnols et Portugais pourraient se retrouver face à face…
Mais personne n'en a encore apporté la preuve. C'est ce que fait Magellan
en 1519…