Déposé à la SACD
LA BONNE DAME
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
La Bonne Dame, belle jeune femme de famille aisée,
Sa petite fille, rôle muet non indispensable (la mère peut faire
"comme si" elle se promenait avec sa fille…)
Son mari, Un visiteur, Le portier de la prison,
Le médecin… inspiré du célèbre médecin
Paracelse (1493-1541).
L'HISTORIEN DE SERVICE - Le premier médecin de l'humanité, c'est
la femme… Pendant que l'homme chasse et fait la guerre, la femme s'occupe
des enfants qui naissent, des vieillards qui vont mourir, des blessés,
des malades. Les femmes accumulent ainsi un trésor de connaissances et
des pouvoirs qui les font parfois, au moyen-âge et à la Renaissance,
accuser de connivence avec le démon et traiter de sorcières…
Hommage à ces innombrables lignées de femmes. Mais notre héroïne
est avec sa fille en train de cueillir dans les bois des plantes médicinales...
- 1 -
LA BONNE DAME - Viens ici, Mariette, donne-moi la main: nous allons sauter le
ruisseau… Hop! Voilà… Et maintenant nous allons attraper
quelques feuilles de frêne pour ton oncle Jacques, que sa goutte travaille.
Et nous prendrons aussi un peu de valériane pour calmer sa femme, qui
s'inquiète… Qu'est ce que tu ramasses là? Mais non, ce sont
des herbes folles! Prends-moi plutôt quelques fleurs de gentiane, ici…
je n'en ai plus dans ma pharmacie: la gentiane redonne du courage à ceux
qui en ont besoin. Mets-les dans ton tablier. Et maintenant laisse-moi cueillir
un peu de ces baies de sureau… Le sureau est un arbre magique, mais il
faut bien savoir le doser, c'est dangereux d'en prendre trop. Non, ne touche
pas, Mariette… Qu'est ce que ça veut dire dangereux? Cela veut
dire que si on en prend trop, on peut en mourir. Mais à petites doses,
ça endort la douleur… Je pense à monsieur le curé,
il souffre beaucoup. Là! Maintenant quelques feuilles de ronce: avec
le temps qu'il fait nous allons sûrement avoir des angines dans le village…
LE MARI - (appelant de loin) Bérengère… Bérengère…
Mariette… Où êtes-vous?
LA BONNE DAME - Par ici, par ici… Oh, oh…
LE MARI - (entrant) Ma tendre amie… Vous me manquiez! Tout le temps que
vous passez dans les bois! Et vous m'enlevez ma fille aussi!
LA BONNE DAME - Je dois de temps en temps faire mes provisions, mon jardin ne
suffit pas. Quant à Mariette, il faut bien qu'elle apprenne.
LE MARI - Vous mettez une telle bonté à soigner tous les pauvres
gens de la paroisse!
LA BONNE DAME - Ils n'ont pas de médecin! Et que voulez-vous que je fasse
de tous ces secrets que ma mère m'a transmis… Mais voilà,
maintenant j'ai fini. Nous rentrons avec vous. Cela ne vous plaît pas
que j'essaye d'être charitable?
LE MARI - Cela me plaît et me fait peur à la fois. Les gens sont
si mauvais!
LA BONNE DAME - Nous, nous sommes riches, j'ai un peu honte.
- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Cependant, une nuit, se glisse dans la maison
de la Bonne Dame un visiteur mal intentionné. Ils parlent à voix
basse...
UN VILLAGEOIS - (de l'extérieur) Hé, madame Bérengère,
chut, chut, …je voudrais vous parler.
LA BONNE DAME - (entrouvrant la porte) Pourquoi venez-vous si tard? …Mon
mari dort à poings fermés.
UN VILLAGEOIS - Surtout ne le réveillez pas. Je ne voudrais pas qu'il
me voie.
LA BONNE DAME - Pourquoi ces mystères? Entrez… Alors?
UN VILLAGEOIS - Madame Bérengère, vous qui connaissez la vertu
des plantes, des bonnes comme des mauvaises… Je parle franc, donnez m'en
une mauvaise pour me débarrasser de ma femme!
LA BONNE DAME - Vous voulez dire que vous voulez empoisonner votre femme?
UN VILLAGEOIS - Tout juste. Elle est si méchante que je ne peux plus
la supporter. Vous connaissez bien quelque philtre… qui ne la fasse pas
trop souffrir, quand même. Je vous payerai bien…
LA BONNE DAME - Il n'en est pas question… Je guéris, je ne fais
pas mourir.
UN VILLAGEOIS - Ah oui! Il n'en manque pas pourtant qui sont morts après
que vous les ayez soignés. Est-ce que par hasard vous ne les auriez pas
aidés un petit peu?
LA BONNE DAME - Comment pouvez-vous penser cela?
UN VILLAGEOIS - En tout cas, si vous ne me donnez pas ce que je vous demande,
je vous dénoncerai comme sorcière et comme empoisonneuse…
Et puis je vous ai vue, tout ce temps que vous passez dans les bois, où
rode le Malin! Et puis il y en a d'autres qui ont à se plaindre de vous…
Vous avez beau être à votre aise!
LA BONNE DAME - Vous ne feriez pas ça. Tout le monde me connaît
pour ce que je suis… une bonne dame. J'ai toujours fait le bien. Comme
beaucoup de femmes l'ont toujours fait, dans les siècles des siècles!
UN VILLAGEOIS - Vous refusez?
LA BONNE DAME - Je refuse.
UN VILLAGEOIS - C'est vous qui l'aurez voulu.
- 3 -
L'HISTORIEN DE SERVICE – La Bonne Dame a été dénoncée
et arrêtée comme sorcière. Elle est en prison au secret
et son mari n'a pas de nouvelles. Il rencontre à la taverne le gardien
de la prison et essaye d'en savoir un peu plus...
LE MARI – Mais cela est impossible, ma femme n'est pas coupable.
LE PORTIER – On dit cela, mais… Moi, je ne suis que le portier de
la prison
LE MARI - Je la connais, ma femme… elle n'est pas capable de…
LE PORTIER - Ces choses-là ne se voient pas à l'œil nu…
Mais soyez tranquille, ces messieurs sont très prudents. Ils n'affirment
rien sans en être sûrs.
LE MARI - Cela fait huit mois qu'elle est là-dedans, enfermée…
LE PORTIER - C'est bien ce que je vous disais: ils s'en occupent. Chaque semaine
ils l'interrogent et ensuite ils la renvoient dans son cachot en lui disant
: "Réfléchissez à ce que vous avez dit ou fait…
Nous avez-vous bien tout avoué?"
LE MARI - Mais quand en sortira-t-elle?
LE PORTIER - Ne vous faites pas d'illusions… Elle n'en sortira que pour
monter sur le bûcher. Quand on a été en relation avec le
démon!
LE MARI - C'est impossible.
LE PORTIER - Vous savez, devant ce tribunal qui va la juger, rien n'est impossible!
LE MARI - Mais je l'aime et nous étions heureux ensemble…
LE PORTIER - A votre place, je ne le dirais pas trop: voulez-vous qu'on vous
accuse vous-aussi de sorcellerie?
LE MARI – C'est stupide!
LE PORTIER - Rien n'est impossible ici, je vous le répète; et
rien non plus n'est stupide.
LE MARI - Je veux la voir!
LE PORTIER - On ne vous le permettra pas, tout doit rester secret. Mais soyez
tranquille, ces messieurs font tout ce qui est en leur pouvoir pour sauver son
âme. C'est cela seul qui importe. Sur ces bonnes paroles, je dois vous
laissez… Je perdrais ma place.
- 4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – La Bonne Dame a été condamnée
et exécutée. Arrive au grand galop un illustre médecin
qui vient d'apprendre la nouvelle.
LE MEDECIN – Je suis venu à bride abattue… Où est-elle?
LE PORTIER – Vous n'avez pas vu en passant sur la place du marché:
les cendres sont encore chaudes. Je vais de ce pas faire place nette…
LE MEDECIN - C'est bien ce que je craignais. Ne savez-vous pas que ces femmes
que vous traitez de sorcières et de démoniaques détiennent
des secrets proprement divins. C'est moi, Paracelse, le médecin, qui
vous le dit.
LE PORTIER - Il n'y a pas de sot métier…
LE MEDECIN - Elles connaissent les plantes et leurs vertus et chaque fois que
je peux en rencontrer une, je lui demande très humblement de me confier
ce qu'elle sait… Elles possèdent l'art de guérir, le plus
précieux des trésors de l'humanité, qu'elles se transmettent
de mère en fille! Moi-même, je n'en sais guère plus que
ce que j'ai appris d'elles. Et vous, vous les brûlez!
LE PORTIER - Je ne suis qu'un pauvre portier… Adressez-vous à ces
messieurs du tribunal.
LE MEDECIN - Si je leur disais ce que je pense, ils me brûleraient moi-aussi.
LE PORTIER - Moi, je n'y suis pour rien… Ils savent ce qu'ils font, pourtant!
LE MEDECIN - Mais non, ils ne savent pas ce qu'ils font. Ce sont d'implacables
forcenés qui poursuivent leurs sanglantes chimères. Ainsi, ils
l'ont brûlée!
LE PORTIER - Mon pauvre monsieur, que voulez-vous que je vous dise de plus.
LE MEDECIN - Je la connaissais bien: c'était une noble dame… Et
son mari, et sa fille?
LE PORTIER - Sa fille, ils l'ont mise dans un couvent, pauvre petiote. Quant
à son mari… il s'est pendu!
LE MEDECIN - Et ils disent qu'ils oeuvrent pour le bien! Comment voulez-vous
qu'on croie encore en Dieu? Allons, je n'ai plus rien à faire ici, cette
terre est maudite.
RAPPEL HISTORIQUE
"L'unique médecin du peuple, pendant mille ans, ce fut la Sorcière."
dit Michelet dans un livre célèbre. Et en effet il y a eu, dans
l'histoire de toutes les nations, des milliers et des milliers de "Bonnes
Dames" ou de "Belles Dames" (la Belladona!), c'est à dire
de femmes généreuses qui, sensibles aux souffrances de leur semblables,
se sont efforcées –à des époques où les médecins
étaient rares - de les soigner en utilisant les secrets des plantes médicinales,
secrets qu'elles se transmettaient de génération en génération.
Pourquoi la femme et non pas l'homme? Parce que la femme est plus proche de
la nature, des choses de la vie, de la naissance, de la maladie, de la mort.
Parce que la femme n'agit pas en force, mais en douceur…. Pourquoi les
plantes? Parce qu'à une époque où la chimie n'avait pas
encore pris son essor, on ne pouvait rien utiliser d'autre que ces exceptionnelles
usines à médicaments que sont les plantes? Mais voilà!
Les plantes n'avaient pas, comme nos remèdes modernes, de mode d'emploi.
Il fallait patiemment cueillir, essayer, guetter les résultats, se tromper,
trouver la dose efficace, s'en souvenir, le transmettre… Ce que faisaient
les femmes, patiemment.
Malheureusement, la nature ne fournit pas que des remèdes. Certaines
plantes, bénéfiques à doses faibles (pour calmer les douleurs
et les angoisses), peuvent à hautes doses devenir des poisons. Et c'est
là que nous comprenons pourquoi les guérisseuses furent parfois
considérées comme ne pouvant tenir leurs secrets que du diable.
Et il est probablement vrai que, dans la panique des époques difficiles,
certaines furent tentées de mettre leur savoir au service de la misère
et de la haine et devinrent des empoisonneuses. Confondues les unes avec les
autres, les guérisseuses et les empoisonneuses furent appelées
sorcières et brûlées en grand nombre en Europe entre le
XIIème et le XVIIème siècle, aussi bien par les tribunaux
ecclésiastiques que par les tribunaux civils (…plusieurs dizaines
de mille, a-t-on pu estimer!)
Paracelse, le grand médecin suisse de la Renaissance a rendu témoignage
du savoir des "Bonnes Dames". Aujourd'hui, la médecine des
plantes n'a pas disparu. Bien au contraire elle connaît un renouveau marqué
et la recherche a pris un tour mondial: les plantes africaines, américaines,
chinoises viennent à la rescousse des plantes européennes. Bien
plus, la médecine des plantes renaît sous une forme nouvelle, l'homéopathie,
qui a établi qu'à doses infinitésimales les poisons peuvent
guérir les maladies qu'à fortes doses ils provoquent. Quelle mère
de famille (quelle Bonne Dame) n'a pas dans son sac ses petits tubes d'arnica?