Déclaré à la SACD
HENRI IV ou PARIS VAUT BIEN UNE MESSE
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES:
Henri IV, roi de France,
Sully, son compagnon et futur ministre (qui en réalité ne s’appelle
pas encore Sully :
mais il ne faut pas compliquer les choses!), protestant convaincu,
Gabrielle d’Estrées, maîtresse d’Henri IV, catholique,
Monseigneur du Perron, protestant converti, évêque,
(… La scène se passe dans un château, près de Paris)
L'HISTORIEN DE SERVICE - Nous sommes en juillet 1593. La France vient de connaître
quarante années de guerre civile entre les catholiques et les protestants.
Ces guerres sont appelées “guerres de Religion”. Après
la mort d’Henri III, Henri de Navarre, chef du clan protestant, est devenu,
de par sa naissance, roi de France sous le nom d’Henri IV. Pour l’amour
de la paix, il est tenté de se convertir à la religion catholique
et demande conseil à son ministre et ami, Sully....
- 1 -
HENRI IV - Sully, mon bon ami, il faut que je vous parle...
SULLY – Sire, je sais déjà ce que vous allez me dire.
HENRI IV - Si vous le savez, dites-le donc vous-même...
SULLY - Mais volontiers, puisque cela vous embête de parler. Vous voulez
donc me dire… qu'ayant pris la tête des protestants du Midi contre
les catholiques du Nord et de l’Est, cela fait vingt ans que vous vous
battez...
HENRI IV - C’est bien cela! Que je me bats durement!
SULLY - Et ensuite vous voudriez me dire que… maintenant que vous êtes
roi de France, - c’est à dire depuis quatre ans - vous ne voulez
plus que cette lutte fratricide se prolonge...
HENRI IV - Comment pourrais-je le vouloir? ... Je suis un peu fatigué
aussi, disons la vérité!
SULLY - Et enfin vous voudriez ajouter que… puisque les Français,
qui sont en majorité catholiques, pensent que c’est important,
vous êtes prêt, pour mettre fin à la guerre, à vous
faire vous-même catholique... Et puis, catholique, c’est la tradition
de la France! Voilà!
HENRI IV – Ouf… J’aime mieux que cela soit vous qui l’ayez
dit. Si vous saviez comme cela me tarabuste de changer de religion.
SULLY - Sire, si de mahométan vous vouliez vous faire juif ou bouddhiste,
je comprendrais que cela vous ennuie: mais de protestant à catholique,
le chemin n’est pas si grand, l’essentiel est commun. Et, pour les
petites différences qu’il y a, cela ne vaut pas que l’on
se donne des coups d’arquebuse.
HENRI IV - C’est une belle phrase, bien sentie. J’aimerais l’avoir
prononcée!
SULLY - Je vous la donne, sire. Elle est à vous.
HENRI IV - Merci... Voyez-vous, Sully, vous allez dire que je ressasse, mais
j’ai deux façons d’entrer dans Paris, ma capitale, qui se
refuse encore à moi: la première, par la force... Je le pourrais,
mais que de sang, ce serait une nouvelle Saint-Barthélemy! La seconde,
par la douceur, en me convertissant. Alors les portes s’ouvriraient toutes
seules.
SULLY - Sire, vous n’avez pas le choix. Allez donc une bonne fois à
la messe. C’est moi, votre ami protestant, qui vous le dis. A la messe
à Saint-Denis, là où sont enterrés tous les rois
de France. Vous y serez chez vous. Paris vaut bien une messe.
HENRI IV – Hélas, vous avez raison… Il paraît que j’ai
fait demander des évêques, pour qu’ils me convertissent...
- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Mais voici qu'arrive impromptu, non pas encore
les évêques, mais, la belle Gabrielle d'Estrées, qui est
la maîtresse du roi...
GABRIELLE D'ESTRÉES - Me voici! J’arrive à bride abattue
de Mantes la jolie.
HENRI IV - J’attendais des évêques et c’est vous qui
arrivez, ma toute charmante Gabrielle.
GABRIELLE D'ESTRÉES - Des évêques, vraiment: c’est
donc que vous vous êtes décidé à faire le saut périlleux
et à vous convertir. Que je suis contente!
HENRI IV - Oui, pourvu que je ne m’y casse pas le cou! Mon bel ange, ma
tendre amie, je suis au moment où un homme a besoin qu’on lui témoigne
aussi beaucoup de tendresse.
GABRIELLE D'ESTRÉES - J’en ai pour vous des trésors, à
revendre! Je suis tellement heureuse que... Laissez-moi vous embrasser…
tendrement!
HENRI IV – (se dégageant après un long baiser) Heureusement
que ni mes protestants ni vos catholiques ne sont trop portés sur la
morale: c’est merveille qu’ils vous laissent paraître à
mes côtés, ma bonne amie. Vous y tiendrez la place de la reine.
GABRIELLE D'ESTRÉES - Pauvre Margot, exilée dans ses forêts
du Massif central!
HENRI IV - Elle a tant fait la folle... Vous êtes sage, vous.
GABRIELLE D'ESTRÉES - Le trouvez-vous vraiment...? Oui, je le suis. Mais
voici, je crois, vos évêques. L'un d'entre eux, du moins.
- 3 -
L'HISTORIEN DE SERVICE – Gabrielle d'Estrées est en effet suivie
de près par monseigneur Du Perron, qui vient s'assurer que le roi est
bien préparé à se faire catholique.
MONSEIGNEUR DU PERRON - C’est entendu, Sire: vous assisterez officiellement
à la messe ce dimanche en l’église de Saint-Denis, près
de Paris. Mais il faut auparavant que je finisse de vous instruire dans votre
nouvelle foi.
HENRI IV - Je ne demande que cela, Monseigneur… J’avais en particulier
des objections sur la présence réelle de Jésus-Christ dans
l’eucharistie.
MONSEIGNEUR DU PERRON - C’est que vous avez mal lu les Évangiles.
Jésus dit: "Ceci est mon corps, ceci est mon sang." Et l’Église
ajoute: il ne le dit pas au figuré, mais au propre... ou si vous voulez,
ce n’est pas de la poésie, c’est la réalité.
HENRI IV – La réalité? L'Église n'aurait-elle pas
inventé ce tour-là pour les besoins de la cause?
MONSEIGNEUR DU PERRON - Comment pouvez-vous penser ainsi?
HENRI IV – Je suis toujours un peu méfiant… Elle est, pour
une Église, tellement puissante!
MONSEIGNEUR DU PERRON - Vous voyez que vous avez tout intérêt à
la rejoindre... Madame d’Estrées, qui est catholique, ne vous dira
pas le contraire.
GABRIELLE D'ESTRÉES - J’ai déjà beaucoup insisté.
Cela simplifierait tellement les choses!
HENRI IV - Vous voyez bien qu’en la personne de Madame, j’aime déjà
les catholiques. Mais je vous précise bien que, si je me convertis, ce
n’est pas pour continuer la guerre mais pour faire la paix et les protestants
continueront d’être mes amis… Et je leur ferai honneur.
MONSEIGNEUR DU PERRON - Vous ferez comme vous voudrez. L’essentiel est
que vous abjuriez...
HENRI IV - Le vilain mot! Ce que je veux, c’est l’unité du
royaume... Toutes les bonnes religions ne font en réalité qu’une
seule!
- 4 -
L'HISTORIEN DE SERVICE – Cependant que Sully revient avec le texte par
lequel Henri IV doit affirmer sa foi catholique....
SULLY – Et pour terminer, Sire, voici le texte que les théologiens
ont préparé pour que vous le lisiez en public... Une abjur...
non, une déclaration!
HENRI IV – Vous, Sully, qui êtes protestant, l’avez-vous regardée?
Et la trouvez-vous convenable?
SULLY – Oui. C’est vraiment le moins que les catholiques puissent
vous demander.
HENRI IV - Montrez-la moi. “...reconnaissant que l’Église
catholique est la vraie Église, maîtresse de toute vérité
et hors de toute erreur...” Ne trouvez-vous pas que cela est un peu dur
à passer...
SULLY - Allons, mâchez bien et arrosez d’une pinte de vin de pays...
Un mauvais repas dans une vie, cela ne compte pas.
HENRI IV – Croyez-vous…? Et je vois ici: “... promet aussi
obéissance au Pape.” Obéissance! Là, cela ne me va
pas, je ne suis pas un petit garçon.
MONSEIGNEUR DU PERRON - Sire, ce ne sont que des formules usuelles...
SULLY – Monseigneur, je pense que nos seigneurs protestants seraient heureux
si le mot “obéissance” pouvait être remplacé...
par exemple par le mot “obédience”
MONSEIGNEUR DU PERRON – Obédience! ...obédience vous irait?
HENRI IV - Obédience en effet m’irait beaucoup mieux!
SULLY - “Obédience” dit bien ce qu’il signifie, mais
n’engage à rien. Pensez-vous, monseigneur, que les théologiens
accepteront “obédience”.
MONSEIGNEUR DU PERRON - Euh... Oui! Obédience est même plus proche
du latin. C'est un bon argument! J’en fais mon affaire.
HENRI IV - Ajoutez si vous voulez, et j’y tiens, “obédience,
telle que rendue par mes prédécesseurs...” Les rois de France,
même les plus catholiques, n'en ont jamais fait qu'à leur tête.
Cela me donnera encore plus de liberté.
MONSEIGNEUR DU PERRON - Vous êtes, sire, un fin politique.
HENRI IV - Qu’en pensez-vous, madame?
GABRIELLE D'ESTRÉES – Un fin politique! Moi, je vous trouve encore
beaucoup d’autres qualités.
HENRI IV - Des deux, le plus fin politique n’est pas celui qu’on
croit. Allons, messieurs, au revoir. Demain, dimanche, sera à vous. Mais
cette nuit, je la garde pour Madame.
RAPPEL HISTORIQUE
Dès la fin du règne de François Ier (dans les années
1520-1540) se développe en Europe un mouvement d'opposition à
une Église catholique devenue trop puissante, trop cupide et trop autoritaire.
C'est ce mouvement d'opposition qui donnera naissance au Protestantisme. Les
protestants, qui veulent revenir à l'Évangile et rétablir
le contact direct entre l'homme et Dieu (sans passer par le Pape), sont inspirés
dans les pays de langue allemande par Luther et dans les pays de langue française
par Calvin. Ce dernier réside à Genève, d'où il
envoie partout des missionnaires… Et nombreux sont les Français,
en toutes provinces et en tous pays, qui écoutent leur voix: si bien
qu'au bout de quelques années deux partis se constituent
D'où les "guerres de religion", qui dureront une bonne soixantaine
d'années. Des combats très cruels se livrèrent un peu partout
sur le territoire, en particulier dans l'ouest et le sud-ouest. Même les
populations non-combattantes furent très durement touchées. Le
moment le plus dramatique de cette lutte fratricide fut la nuit de la Saint-Barthélemy
(1572) où dans toute la France des milliers de protestants furent égorgés
par les catholiques.
A la fin, Henri IV, qui avait longtemps guerroyé dans le camp protestant,
mais qui était devenu par droit du sang roi de France, accepta de se
convertir au catholicisme et mit progressivement fin aux combats par le fameux
Édit de Nantes (1598). Cet Édit de Nantes marque un tournant dans
la politique française. Désormais les sujets d'un pays ne sont
plus obligés d'appartenir tous à la religion du roi. C'est le
commencement de la "Tolérance…"
Dans ce paysage tourmenté, Henri IV apparaît comme une figure singulièrement
humaine, réussissant à ramener les fanatiques des deux bords à
un peu de bon sens pratique. Un roi simple, direct, sans dogmatisme, capitaine
courageux mais épris de la paix, et sachant aussi que cette dernière
ne peut s'imposer que dans un royaume prospère. Son ministre Sully, qui
demeura protestant (la voilà, la tolérance!) l'aida à remettre
sur pied un pays dévasté. Malheureusement, n'ayant pu ni voulu
éliminer tous les fanatiques, Henri IV mourut assassiné.
Henri IV, que l'on appelle aussi "le vert-galant", était dans
sa simplicité très attiré par les femmes et, comme les
mœurs de l'époque étaient très libres sur ce point,
il eut beaucoup de "maîtresses", qui comptèrent beaucoup
dans sa vie. Gabrielle d'Estrées est la plus célèbre d'entre
elles.