Déclaré à la SACD
FRANÇOISE DOLTO ET LES ENFANTS
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES :
Françoise Dolto,
Le journaliste (peut être un adulte, ou un enfant plus âgé),
Monsieur et madame Marette, les parents de Françoise Dolto,
Le petit garçon, la maman du petit garçon et son père,
La maman du bébé, une dame, (le bébé).
(… Naturellement les mêmes acteurs peuvent jouer plusieurs personnages.)
L'HISTORIEN DE SERVICE - Françoise Dolto, qui vécut de 1908 à 1988, est certainement une des personnes qui a eu le plus d'influence sur la société française de la fin du vingtième siècle. Psychiatre et psychologue devenue "médecin d'enfants", elle les a accueillis, eux et leurs parents, avec tellement de bienveillance et d'attention, qu'elle a contribué à changer en profondeur les rapports familiaux. Son secret: elle considérait les enfants comme de vraies personnes. Mais voici qu'entre le journaliste qui est chargé de conduire cette pièce à son terme...
- 1 -
LE JOURNALISTE - Je suis journaliste à la télévision et
je vais interviewer tout à l'heure un grand médecin d’enfants.
Il s’agit de Françoise Dolto. Auparavant, je voudrais vous présenter
trois petits tableaux qui vous permettront de mieux comprendre ce que Françoise
Dolto vous dira. Voici d'abord une discussion entre son père et son père,
M. et Mme Marette… Nous sommes en 1928, quelques années après
la première Guerre mondiale.
Mme MARETTE – (entrant, suivie de son mari) C’est une insolente!
Elle dit toujours: pourquoi, pourquoi ? Elle veut toujours tout comprendre.
M. MARETTE - Ce n’est pas une raison pour l’empêcher de faire
des études. Au contraire.
Mme MARETTE - Je la déteste. Je ne veux pas qu’elle fasse d’études.
Elle se croirait…
M. MARETTE - Elle a passé son bachot brillamment
Mme MARETTE - J’ai pourtant tout fait pour l’en empêcher.
Je n’ai pas fait d’études, moi!
M. MARETTE - Je sais, ça n'est pas une raison. Alors, pour l’occuper,
laisse-la devenir infirmière…
Mme MARETTE - Infirmière, je veux bien. Mais c’est une grosse concession…
En attendant de se marier.
M. MARETTE - Mais sa médecine, elle devra la faire aussi, plus tard:
elle y tient.
Mme MARETTE - En aucun cas. Personne ne voudrait plus l’épouser.
M. MARETTE - Elle la fera quand même, tu le sais. Elle veut avoir un métier.
Quand elle a vu toutes ces femmes mendier dans la rue parce qu'elles avaient
perdu leur mari à la guerre… cette guerre de 14!
Mme MARETTE - Si les enfants se mettent à désobéir aux
parents, où allons-nous ? Je n'accepterai jamais. Pourquoi est-ce que
ça n'est pas elle qui est morte au lieu de sa sœur que j'aimais
tant?
M. MARETTE – Comment peux-tu parler ainsi? …Mais si tu le prends
comme ça, je crois qu’il vaudrait mieux qu’elle aille habiter
ailleurs…
Mme MARETTE - Tu en prends la responsabilité… On ne pourra plus
la surveiller!
M. MARETTE – Mon Dieu, comme tu es vieux jeu.
- 2 -
LE JOURNALISTE - Ca y est ! Françoise est devenue médecin, médecin
d’éducation, comme elle dit. Et sa fonction n’est pas tellement
d’ordonner des drogues, mais d’arranger les affaires entre les enfants
et les parents, pour que les enfants n’aient pas les mêmes problèmes
qu’elle. Regardez.
LE PERE de l'enfant - Voilà, docteur, nous vous l’amenons parce
que c’est une tête de bourrique. Il ne veut plus obéir, il
ne fait plus rien en classe.
LA MERE de l'enfant - Son père a beau le corriger… Nous voulons
qu’il devienne ingénieur, comme son père. Il faut qu’il
fasse des mathématiques. Dans la famille de mon mari ils sont tous ingénieurs.
FRANCOISE DOLTO - Tous ingénieurs, mon Dieu ! Vous lui avez demandé
ce qu’il en pense ?
LE PERE - Il peut bien en penser ce qu’il voudra… On l’a mis
en pension, pour qu’on le visse. Mais il est buté. On nous a dit…
que c’était votre métier de…
FRANCOISE DOLTO - De faire obéir les enfants. Pas précisément.
D’ailleurs, moi, je ne peux rien. Il n’y a que lui qui puisse faire
quelque chose.
LA MERE - Que lui qui puisse! Je ne sais pas si nous avons frappé à
la bonne porte.
FRANCOISE DOLTO - Mais si, mais si… Qu’est-ce que tu penses de tout
ça, Julien ?
L'ENFANT - Je pense pas. C’est pas la peine. Ils pensent pour moi.
FRANCOISE DOLTO - Écoute : tu as un bon papa, qui cherche ce qui est
bon pour toi et qui voudrait que tu deviennes ingénieur. Mais peut-être
ce n’est pas ce dont tu as envie ?
L'ENFANT - Moi, je m’en fous… Ingénieur, jamais.
FRANCOISE DOLTO - Est-ce que tu lui as expliqué pourquoi, à ton
papa?
L'ENFANT - Il ne comprend rien. Il dit: ça ne se discute pas. Moi, je
voudrais être cuisinier.
FRANCOISE DOLTO - Même un bon papa, ça peut se tromper: mais il
faut lui expliquer. Parce que ça peut comprendre, un papa. Et parce que,
je suis de ton avis, il n’y a que toi qui saches en réalité
ce qui est bon pour toi. Si tu étais ton papa, qu’est-ce que tu
voudrais qu’il te dise? Viens, nous allons passer dans mon bureau, tu
me raconteras ça.
- 3 -
LE JOURNALISTE – Et la pensée de Françoise Dolto s'est petit
à petit répandue dans la société française…
Écoutez ce qu'on pouvait facilement entendre sur les bancs des jardins
publics…
LA DAME – C'est un beau bébé que vous avez là, madame.
LA MAMAN – N'est-ce pas? C'est un bébé Dolto.
LA DAME - Vous voulez dire un bébé Dolto comme on dit une poupée
Barbie?
LA MAMAN - Mais pas du tout. Un bébé Dolto, comme Françoise
Dolto.
LA DAME - Ah vous voulez dire la dame qui… parle à la radio. Et
alors, qu'est-ce que ça veut dire, un bébé Dolto ? Mais
c'est vrai que c'est vraiment un beau bébé, ça je dois
bien l'avouer.
LA MAMAN – Bien sûr. On s'entend bien tous les deux, hein, Bébé!
Un bébé Dolto, c'est… Depuis qu'il a été dans
mon ventre, on se parle. Et maintenant, plus que jamais.
LA DAME – Et il vous comprend?
LA MAMAN – Bien sûr qu'il me comprend. Et il me répond.
LA DAME – Il vous répond?
LA MAMAN – Oh, il a sa façon à lui de dire les choses, il
s'agite, il rit, il pousse des petits soupirs. Et je lui demande toujours son
avis… Il est très intelligent, mon bébé. Il sait
très exactement ce qu'il lui faut et ce qu'il ne lui faut pas. Je l'écoute
toujours.
LA DAME – Et si vous n'êtes pas d'accord.
LA MAMAN – Eh bien, on discute. Et il comprend mes raisons comme je comprends
les siennes. Et je ne fais jamais rien avec lui, comme le changer, ou aller
se promener, ou le coucher pour sa sieste, ou le mener chez le pédiatre,
ou partir en voyage… sans le lui expliquer. S'il n'était pas d'accord,
il en tomberait malade. Regardez comme il se porte bien.
LA DAME – C'est vrai qu'il a l'air heureux, et vivant… Vous pensez
que je pourrais faire la même chose…? J'attends une naissance, moi
aussi.
LA MAMAN – Mais naturellement. On lui dit tout, à la dame? Vous
voyez, il est d'accord.
- 4 -
LE JOURNALISTE - A la fin, Françoise Dolto est devenue très célèbre
et on lui a demandé de faire des conférences à la radio
et à la télévision. Et elle a longuement expliqué
comment il fallait que ça se passe entre les parents et les enfants…
Et beaucoup de choses ont changé grâce à elle. Madame Françoise
Dolto, résumez-nous l’essentiel de votre doctrine…
FRANCOISE DOLTO - Oh, ce n’est pas une doctrine. C’est une pratique
plus qu’une doctrine. Mais si vous voulez, je peux vous expliquer ce que
j’essaye de faire avec les enfants.
LE JOURNALISTE - C’est bien cela qui nous intéresse.
FRANCOISE DOLTO - Eh bien, je considère d’abord que l’enfant
est une personne, et que ce n’est pas parce que l'enfant est moins fort
que les adultes qu’il faut lui faire subir leur volonté. Il est
une personne à égalité de droits et de dignité avec
eux …
LE JOURNALISTE - C’est révolutionnaire. Et vous allez jusqu'à
dire qu’il faut discuter avec lui…
FRANCOISE DOLTO – Bien sûr, vous avez mis le doigt sur le second
point important : la parole. Rien n’est pire que le silence… On
voit de ces enfants murés dans un silence terrible, parce que jamais
personne ne les a écoutés. Moi, je les fais parler. La parole
! Ce qui est parlé est mieux. Et les parents parlent aussi. La parole
libère… Bien sûr qu’il faut discuter avec eux.
LE JOURNALISTE - On est loin de l’époque où l’on considérait
que l’enfant ne pouvait pas comprendre les choses, que ce n’était
pas la peine de les lui expliquer et qu’il fallait prendre des décisions
pour lui.
FRANCOISE DOLTO - J’espère qu’on s’en éloigne
réellement… L’enfant est une sorte de génie: il sent
tout de ce qui le concerne. En naissant, il sait comment il devrait être
traité. Et s’il n’est pas d’accord avec ce qu’on
lui propose, il en devient malade… Nous appelons ça des névroses.
Tous les enfants que l’on m’amène à soigner, on ne
les a pas assez écoutés et tout mon travail, c’est de les
faire parler, de rétablir le dialogue avec les parents.
LE JOURNALISTE – Je vous remercie… (au public) Françoise
Dolto a beaucoup parlé et beaucoup écrit. Et voilà comment
elle a contribué à changer la société et pourquoi,
même si beaucoup ne connaissent pas son nom, elle mérite qu’on
la considère comme un personnage très important de notre histoire.
RAPPEL HISTORIQUE
Si l’on essaye de faire la liste des personnages qui ont exercé
une influence profonde sur la société pendant la seconde moitié
du XXe siècle, on ne peut s’empêcher d’évoquer
Françoise Dolto. Bien sûr, elle n’a pas été
la première à appliquer les traitements psychanalytiques aux enfants,
mais elle a donné, à travers une pratique qui dépassait
de loin le cadre strictement médical, une place absolument nouvelle à
l’enfant dans la famille. Et même ceux qui n’ont jamais ou
peu entendu parler d’elle n’ont pas échappé à
l’influence généreuse de sa pensée.
Cette pensée a été diffusée d’abord par ses
livres (une bonne vingtaine) mais surtout, vers la fin de sa vie, entre 1976
et 1978, par les conférences hebdomadaires radiodiffusées sur
France-Inter. Ces conférences ont passionné les familles françaises:
une grand-mère pleine de lucidité, d’imagination et de bons
sens, brisant la rigidité de siècles d'étroit conformisme,
expliquait à tous comment fonctionnaient en réalité les
choses entre les parents et les enfants…
Françoise Dolto est née en 1908 dans une famille bourgeoise de
Paris. Enfance heureuse au milieu de nombreux frères et sœurs, jusqu’à
la mort par cancer de sa sœur aînée Jacqueline (juste après
la guerre de 14). Leur mère est profondément atteinte et va jusqu’à
reprocher à Françoise de n’être pas morte à
la place de sa sœur, cette sœur blonde aux yeux bleus qui était
pour la famille une sorte d’idéal… Françoise au contraire
est brune et boulotte. Sa mère veut qu'elle se marie de suite ; Françoise,
elle, a depuis longtemps décidé qu’elle serait d’abord
médecin… Longue lutte qui empêche Françoise de commencer
ses études avant vingt-quatre ans. Il est probable que c’est dans
la souffrance de ce conflit que s’enracinera sa vocation de médecin
d’enfants ou, comme elle le dira ensuite, de "médecin d’éducation…"
C'est à cette époque qu'elle fit elle-même une psychanalyse
précoce qui l'aida à surmonter ses problèmes et la prépara
à son activité future.
Sa carrière se déroule à la fois comme médecin hospitalier
et comme médecin de ville. Elle se montre toujours très libre
par rapport aux dogmes ou aux liturgies de la psychanalyse traditionnelle (elle
n'aimait pas les règles et considérait que chaque situation est
particulière). Estimant que les troubles du comportement doivent être
traités dès l'origine, elle s'intéressa surtout aux enfants,
comme le montre la pièce que l'on vient de lire. "L’ENFANT
EST UNE PERSONNE" et "LA PAROLE DELIVRE" sont les deux grands
messages de Françoise Dolto. Si un petit enfant a été abandonné
par son père, s’il souffre d’une situation de rivalité
familiale, s'il se heurte à de graves problèmes de santé,
ou si, tout simplement, on va le sevrer, il faut en parler ave lui…
Françoise avait épousé pendant la guerre de 40 Boris Dolto,
un kinésithérapeute d'origine russe, qui lui donna trois enfants
et contribua à lui faire prendre en compte, dans sa pratique, la dimension
du corps. Elle mourut en 1988 dans un grand état de lucidité.